" …NE  DITES  RIEN…"

 

 

 

 

Brigitte MOUGIN 

 

Théâtre 

Brigitte MOUGIN  - 87, rue de l'Ouest  - 75014 PARIS - 01 45 40 05 08

"…NE DITES RIEN…"  Brigitte MOUGIN / 2004 /  87, rue de l'Ouest 75014  Paris 01 45 40 05 08

 

 



LES PERSONNAGES 

 

ELLE 

 

 

LUI 

 

 

L'HOMME 

 

 

 

"…NE DITES RIEN…"  Brigitte MOUGIN / 2004 /  87, rue de l'Ouest 75014  Paris 01 45 40 05 08

 

Texte 

de Brigitte MOUGIN 

Théâtre 

 

 

 

 

 

 

Elle : Quand je suis morte la dernière fois, ma grand- mère m’a souri tellement chaleureusement que cela m’a redonné le goût à la vie. 

 

Lui : Votre grand- mère vit toujours ? 

 

Elle : Yes ! Elle essaye. Tant bien que mal. Elle s’accroche aux petites choses pour être heureuse. Et elle l’est, je crois. Elle m’a raconté des souvenirs de sa jeunesse. Des souvenirs lointains. Quand elle était belle. Elle s’est mise à pleurer. Je croyais qu’elle pleurait parce qu’elle se trouvait moins jolie, mais en fait non, ce n’était pas pour cela. Elle pleurait parce qu’elle n’arrivait pas à mourir. Elle ne pouvait pas se décider. Je lui ai dit qu’il y avait tellement de gens qui mouraient malgré eux, bêtement pour rien, qu’elle devrait s’estimer heureuse  de pouvoir, elle, s’y préparer tranquillement, sans précipitation. C’est là qu’elle m’a souri si chaleureusement. Elle m’a dit que c’est en pensant à tous ces gens qui meurent bêtement qu’elle s’était mise à pleurer.

 

Lui : C’est triste de mourir, je la comprends. 

 

Elle : Yes ! 

 

Lui : Vous pleurez ? 

 

Elle : Juste les yeux, ne vous inquiétez pas. 

 

Lui : Le cœur ? 

 

Elle : Il n’a plus rien à regretter le cœur. Il bat sans se poser de questions, c’est le principal n’est- ce- pas ? 

 

Lui : C’est important, oui. 

 

Elle : Qu’avez-vous fait durant toutes ces années ? 

 

Lui : J’ai gardé le silence. J’y ai été contraint. Malgré moi. 

 

Elle : Je vous plains, c’est difficile de se taire. 

 

 

 

 

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Lui : J’ai lutté pour ne pas mourir. Je ne sais pas si je suis encore en vie. Tout se mélange en moi. J’ai l’impression que la vie est un film qui se déroule mécaniquement. Parfois au ralentit, parfois en accéléré, parfois en couleur, parfois en noir et blanc.

 

Elle : Vous n’avez jamais pu aimer parce que vous avez peur de mourir. 

 

                                                                      SILENCE

 

Lui : … J’aime beaucoup votre robe. Je ne fais jamais attention à ce genre de détails, mais là, cela saute aux yeux. 

 

Elle : Au début j’avais du mal à m’y faire mais je me suis habituée à la couleur. Elle vous plait ? 

 

Lui : Beaucoup. Vous me plaisez beaucoup. 

 

Elle : Vous trouvez ? Pourtant, tout a changé. Ce matin, j’ai voulu faire quelques courses. Je me suis souvenue de ce petit magasin qui vend de tout et de rien. Je l’ai cherché et je ne l’ai pas trouvé. A votre avis ? Tous les petits commerces ont disparu ? 

 

Lui : Je ne sais pas de quoi vous parlez. Cela fait une éternité que je n’ai pas mis les pieds dans un magasin. Je ne supporte pas ces magasins qui sont là uniquement pour vous vendre leur camelote. Dont je n’ai que faire d’ailleurs. Vous riez parce que vous êtes malheureuse … mais au fond vous ne le savez pas. Je  vous préviens… j’aime votre rire.

 

Elle : Tous les petits commerces ont disparu. Cela ne vous fait pas rire, vous ? Cette réplique est tellement incongrue. Petits commerces ! Comment allons-nous faire nos courses ? 

 

Lui : … A vélo ! Oui, c’est cela, nous ferons désormais nos courses à vélo. 

 

Elle : Yes ! 

 

( arrive l’homme ) 

 

L’ homme : J’ai entendu les informations à la radio ce matin. Ils ont prédit des choses tout à fait exceptionnelles. Les paris sont levés. Les gros déclarent la guerre aux petits. D’après les pronostics, les petits ont toutes leurs chances. La question qui m’est tout de suite venue à l’esprit… 

 

Elle : … La question qui vous est venue à l’esprit ? 

 

L’homme : Oui, c’est cela. La question. Et je vous la pose également à vous-mêmes… Pourquoi les gros s’attaquent-ils aux petits ? 

 

 

 

 

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Lui : Ils ont besoin de se mesurer.

 

Elle : Et comme ils ne peuvent pas se mesurer eux-mêmes, ils s’attaquent aux petits. 

 

L’homme : Remarquez, c’est mieux ainsi. 

 

Elle : Vous trouvez ? La guerre n’est pas la solution. Imaginez que tous les petits disparaissent. A qui les gros pourront-ils se mesurer ? Vous avez une réponse peut-être ? 

 

L’homme : Ce n’est pas moi qui fait les informations. 

 

Lui : ( à elle ) Vous savez, l’être humain s’est toujours cru très spirituel. 

 

Elle : ( à lui ) Yes ! Alors qu’en réalité ! … 

 

L’homme : En fait, je suis à la recherche d’un certain Monsieur Derin. A vrai dire, je le cherche depuis plusieurs jours sans parvenir à mettre la main dessus. Oui, je sais, c’est très drôle. Vouloir mettre la main sur autrui. …Et c’est ainsi que je suis arrivé jusqu’à vous. Si je puis me permettre de vous poser encore une question, et ce sera la dernière, n’auriez-vous pas vu passer un homme d’assez grande taille, vêtu du mieux qu’on le peut et avec dans les bras, une sorte de balancement défiant tout agent de la circulation ou lieutenant militaire d’en balancer aussi bien ?  

 

Elle : … Ce matin, j’ai rencontré un type… 

 

Lui : … Oui ? … C’est tout ? 

 

Elle : Oui, c’est tout. 

 

L’homme : Il vous a parlé ? 

 

Elle : Non.  

 

Lui : Vous lui avez parlé ? 

 

Elle : Juste quelques mots comme cela en passant. 

 

L’homme : Vous a-t-il répondu au moins ? 

 

Elle : J’étais pressée, je n’avais pas le temps. 

 

Lui : Vous croisez un type, vous lui parlez, et vous partez sans attendre sa réponse ? 

 

Elle : Ce n’était pas une question. Je ne lui ai posé aucune question. Ce que je lui ai dit n’attendait pas de réponses. 

 

 

 

 

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L’homme : ( à lui ) Les femmes sont surprenantes. Elles croisent des hommes, elles les abordent et elles s’en vont. Voyez-vous, ma femme par exemple ! L’autre jour, nous étions à la piscine municipale. Il était environ  huit heures du matin. Je nageais tranquillement, je devais en être à ma sixième longueur, quand tout à coup je la vois discuter avec un jeune homme de très belle allure…

 

Lui : … Vous voulez dire qu’elle ne le connaissait pas ! 

 

L’homme : Elle ne l’avait jamais vu ! ( à elle ) Et nous pouvons savoir ce que vous lui avez dit, à ce type ? 

 

Elle : Non. Vous ne pouvez pas savoir. 

 

Lui : Pourquoi nous en parlez-vous ? 

 

Elle : Pour rien. J’ai rencontré un type et je voulais que vous le sachiez. 

 

L’homme : ( à lui ) Nous n’insistons pas. 

 

Lui : ( à l’homme ) Ce monsieur Derin est un de vos amis ? 

 

L’homme : Mais, très certainement ! 

 

Elle : … Le type que j’ai rencontré ce matin… 

 

Les deux : Oui ? 

 

Elle : Non ! Rien… Je marchais… 

 

L’homme :Vous marchiez tranquillement… 

 

Elle : Non ! Pas tranquillement. Je marchais plutôt vite. J’étais pressée, vous comprenez ? 

 

Lui : Bien sûr … Et ce type… 

 

L’homme : Ce type… 

 

Elle : Nous-nous sommes croisés à la hauteur de la pharmacie… 

 

Lui : Qu’alliez-vous faire là-bas ? 

 

Elle : Je l’ignore totalement mais j’y étais et c’est là que je l’ai rencontré le type. Il avait l’air inquiet. On aurait dit, très angoissé même. Je ne sais pas ce qui m’a pris mais je lui ai dit quelques mots comme cela en passant. Des mots sans importance pourtant mais je les lui ai dits quand- même. 

 

Lui : Quel genre de mots, vous-vous en souvenez ? 

 

 

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Elle : Yes ! Certainement.

 

L’homme : Des mots plutôt gentils ? 

 

Elle : Réconfortants. Des mots réconfortants. 

 

Lui : Ce type avait besoin de ces mots réconfortants ? 

 

Elle : Je ne les lui aurais pas dits. 

 

Lui : Evidemment. 

 

L’homme : Vous a-t-il regardée ? 

 

Elle : Je ne sais pas. Il marchait, il avait la tête penchée, il regardait le sol, il marchait, il avançait, malgré lui. 

 

Lui : On le forçait, c’est cela ? 

 

L’homme : Voulez-vous insinuer qu’on l’obligeait à avancer ? 

 

Elle : Je crois, oui. Je crois qu’il aurait préféré s’arrêter, prendre un café quelque part avec une bonne cigarette, regarder les gens qui passent, s’arrêter de temps en temps, vous comprenez, il ne pouvait pas, il marchait sans regarder personne. C’est pour cela que je lui ai parlé. Les mots sont venus tout seuls. 

 

L’homme : Vous l’avez senti accablé. Vous vouliez le réconforter. 

 

Elle : Yes ! 

 

L’homme : Les femmes sont étonnantes ! Elles croisent des types accablés, elles les réconfortent et elles s’en vont. 

 

Elle : … Les mots que je lui ai dits… 

 

Les deux : Oui ? 

 

Elle : … Ces mots lui appartiennent à présent. Je ne peux plus les dire. A personne. Je ne peux pas les lui retirer. Je ne peux pas. 

 

Lui : Ne dites rien.  

 

                                                                     SILENCE

 

Elle : … Le temps a passé déjà. Je n’ai pas vieilli plus que d’habitude, j’ai appris à me connaître, c’est tout… J’ai aimé un homme que je ne connaissais pas. Je l’ai plutôt bien connu ou alors c’est le contraire peut-être.. Nous avons vécu les pires choses, cela valait la peine. Je pouvais raconter n’importe quoi, il m’écoutait. Il répondait à toutes mes attentes. Pourtant, je suis allée jusqu’à lui dire que je n’attendais rien.  

 

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Quelle menteuse j’étais. C’est vrai, je n’attendais rien. J’avais tout ce que je désirais… La seule fois où je lui ai vraiment menti, c’est quand je lui ai fait croire que j’étais belle. Il a accepté. L’idée lui a même paru convenable… ‘ très belle’ a-t-il dit ! ‘ toujours très belle’ … Son visage, il avait un visage, je revois surtout ses yeux… Le contour, je ne sais plus, très fin, très allongé… La peau, non ! Pas transparente , légère, une peau légère… Le temps a passé. La vie s’est retenue et c’est tant mieux… La guerre s’est bloquée quelque part, elle ne passera jamais…

 

L’homme : …Je dois absolument entamer les recherches. Ce que j’ai entendu ce matin n'a rien de bon. Remarquez, si vous écoutez bien, tous les jours la vie tourne à la catastrophe. Si nous voulons être pessimistes, nous pouvons même dire que la vie est une véritable tragédie. L’autre jour, ma femme et moi étions tranquillement attablés devant un couscous royal. Je dois préciser que ma femme ayant vécu fort longtemps dans le Maghreb, cuisine divinement le couscous.  Nous étions donc sereinement attablés dans la salle à manger de notre villa, quand soudain, le téléphone resté silencieux depuis plusieurs mois se met à sonner. L’effet de surprise passé, ma femme se précipite sur l’appareil, le décroche et se met à pleurer. On nous annonçait la mort imminente de notre nièce. Une jeune fille douée de la plus haute intelligence et recherchée par les plus grosses sociétés européennes pour ses mérites et son éducation. Par bonheur, la mort a rebroussé chemin et elle est en vie.

 

Elle : On croit que tout va bien et tout va mal. 

 

Lui : ( à l’homme) Votre ami Denin… 

 

L’homme : Derin ! Mon ami Derin ! 

 

Lui : Derin, oui. Comment ferez-vous pour le retrouver ? 

 

L’homme : Je vais parcourir le monde. J’ai déjà avalé quelques kilomètres, figurez-vous. Et si mes jambes me le permettent, les kilomètres restants seront engloutis en moins d’une semaine.  

 

Elle : Vous avez des choses à lui dire ? 

 

L’homme : Je me dois de l’informer de l’état critique et politique dans lequel nous nous trouvons. Il en va de sa santé morale et de sa santé. 

 

Elle : ( à lui ) C’est étrange !… Comme si j’avais déjà vécu cela. 

 

Lui : ( à elle ) Vous voulez dire… 

 

Elle : ( à lui ) J’ai déjà entendu ces mots. Les mêmes mots. Les mêmes sensations. 

 

L’homme : ( à elle ) Mademoiselle … ou Madame peut-être ? 

 

 

 

 

 

 

 

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Elle : Comme vous voulez.

 

L’homme : Mademoiselle, nous prononçons tous les mêmes mots. 

 

Lui : ( à elle )… Je voulais dire, est-ce plutôt agréable ? 

 

Elle : ( à lui ) Cette facilité avec laquelle les mots se placent là où ils doivent se placer me laisse à la fois perplexe et sereine. 

 

Lui : ( à elle ) J’ai envie de vous parler alors que je n’ai plus aucune idée de la communication. 

 

Elle : ( à lui ) Pourriez-vous m’aimer, là, tout de suite, sans rien inventer ? 

 

Lui : ( à elle ) Ecoutez, je… 

 

L’homme : Pardonnez mon indélicatesse, je voulais simplement vous demander si, à tout hasard, vous n’auriez pas aperçu mon ami, à qui je vous l’avoue, je dois énormément.  

A l’occasion, signalez-lui mon inquiétude. Et aussi la direction que je vais emprunter. Il est facilement reconnaissable. ( il mime son ami et se dirige vers la sortie )… Merci encore et excusez le dérangement. 

 

Elle : … Monsieur Derin ? 

 

L’homme : Derin, c’est cela ! ( il sort ) 

 

Elle : Bonne chance et bonjour à votre femme !  

 

Lui : Nous étions tranquillement attablés devant un couscous royal ! Ma femme ayant vécu fort longtemps dans le Maghreb, cuisine divinement le couscous ! Cela vous fait rire ? 

 

Elle : Absolument pas !  

 

Lui : Calmez-vous ! Si Derin rapplique, c’est la panique. 

 

Elle : Vous avez raison. Monsieur Derin est très malin, il pourrait nous accuser de conspiration. Vous n’avez pas répondu tout à l’heure. Vous- vous êtes dit que j’étais certainement une femme légère… Je ne vous demandais pas de me faire l’amour, je vous demandais si vous pouviez m’aimer à cet instant précis. Je vous ai aimé sans rien connaître de votre vie et je voulais simplement savoir si cela était réciproque. 

 

Lui : Je crois que j’ai été un peu surpris. 

 

Elle : L’amour réserve d’innombrables surprises. Encore faut-il avoir  l’envie de se laisser surprendre… Regardez ce nuage !

 

 

 

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Lui : La rupture est excellente. On dirait que ce nuage arrive comme un fait exprès… Il vous ressemble un peu. A peine vous le fixez du regard qu’il s’échappe de sa forme pour en épouser une autre.

 

Elle : N’avez-vous pas envie parfois de vous poser, de  vous installer, comme si  vous aviez toujours été là ? Simplement ?

 

Lui : J’envie sa légèreté, la liberté avec laquelle il apparaît et disparaît sans avoir besoin de prouver son existence… 

                                                                   

SILENCE 

 

Elle : … Cela m’est égal. 

 

Lui : Que voulez-vous dire ? 

 

Elle : Non, rien !… La guerre, Monsieur Derin, le Maghreb… D’ailleurs, on ne dit pas ‘dans le Maghreb’ mais ‘au  Maghreb’ ! Je ne suis pas très forte en mathématiques mais pour le reste, je crois être tout à fait à la hauteur.

 

Lui : Vous êtes parfaite. 

 

Elle : Yes ! Parfaitement décidée à ne pas me laisser raconter des histoires. 

 

Lui : Vous parlez de cet homme… 

 

Elle : Cette façon qu’il a de parler des femmes dénonce son incapacité flagrante à regarder  les choses en face.

 

Lui : En quoi cela vous dérange-t-il ? 

 

Elle : Cela ne me dérange pas mais je pense à toutes celles que cela dérange personnellement. 

 

Lui : Nous avons à faire à ce genre d’individus qui ont le sentiment que tout leur appartient dès le premier coup d’œil…Vous m’avez aimé, disiez-vous, à cet instant précis… et maintenant, qu’en est-il ? Vous êtes-vous rendue à l’évidence ? Votre cœur en a-t-il décidé autrement ? 

 

Elle : Voyez-vous, depuis que j’ai cessé de jouer, je n’ai plus jamais pensé que la mort était un aboutissement. Je vois bien que les gens ont mis tous leurs espoirs en une vie nouvelle. Au détriment d’une ancienne certainement. Ont-ils été plus heureux à cause de cela ? 

 

                                                                 SILENCE

 

 

 

 

 

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Lui : ( elle semble ne pas l’entendre ) … J’ai été harcelé continûment par des événements tout à fait indépendants de ma volonté et qui m’empêchaient de vous comprendre. J’ai été forcément détourné du bonheur.

Je n’ai pas de souvenirs précisément mais je sais que la mémoire s’est réfugiée dans ce décor et qu’il ne tient qu’à moi de vous aimer. J’aimerais tellement vous entendre. Votre voix… J’aimerais pouvoir vous toucher. Votre peau… la caresser… légère… votre bouche… 

                                                                  SILENCE

 

Lui : … Vous m’avez demandé quelque chose ? 

 

Elle : Je vous ai demandé à peine quelque chose. 

 

Lui : Excusez-moi, je n’ai pas… 

 

Elle : De toutes façons, ce n’était pas important. 

 

Lui : Comment vous sentez-vous ? 

 

Elle : Bien ! Cela va bien. Ne vous inquiétez pas, cela va très bien. Et vous, comment faites-vous ? 

 

Lui : Je suis ridicule. J’ai vécu les mêmes choses et je me tais. 

 

Elle : Pourquoi vous taisez-vous ? 

 

Lui : Tout a été dit et je me tais. 

 

Elle : Nous avons tout le temps pour nous taire. Moi, je préfère discuter les petits détails sans importance, cela m’encourage… Vous me trouvez comment ? 

 

Lui : Très jolie. 

 

Elle : C’est tout ? 

 

Lui : Non, ce n’est pas tout. Bien- sûr, ce n’est pas tout mais je vous trouve très jolie. 

 

Elle : Vous me trouvez paranoïaque aussi ? 

 

Lui : Vous souffrez et vous avez raison, je vous comprends. Vous n’êtes pas paranoïaque, non. Vous avez de bonnes raisons, j’en suis sûr. Que vouliez-vous me demander ? 

 

Elle : Pensez-vous que l’on enferme les gens qui crient ? 

 

Lui : Les gens qui crient ont tous de bonnes raisons de crier. 

 

Elle : Bien- sûr ! Sinon ils ne crieraient pas. Et les gens qui rient ? 

 

 

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Lui : Non, je ne crois pas. Pourquoi me demandez-vous cela ?

 

Elle : Pour rien. Je me pose des questions quelquefois et j’ai besoin de les reposer pour être sûre que ce sont bien des questions. 

 

Lui : Je ne vous ai pas trop déçue ? 

 

Elle : Pourriez-vous m’aimer une seconde fois, sans faire d’histoire ? 

 

Lui : Ecoutez, je… 

 

Elle : Vous ne me décevez pas. 

 

Lui : J’ai passé une bonne partie de ma vie à m’efforcer de ne pas décevoir, alors… 

 

Elle : C’est très mal. 

 

Lui : Oui, je sais. 

 

Elle : Je me suis beaucoup forcée avant. Jusqu’au jour où j’ai décidé du contraire. Je me suis rendue compte que tous les efforts étaient vains. Qu’ils n’avaient aucune incidence réelle sur le bonheur. Ni sur le malheur d’ailleurs. Alors, j’ai tout arrêté. 

 

Lui : C’est mieux ainsi ? 

 

Elle : Pour le mieux ou pour le pire, qu’importe ! J’ai cessé de me torturer. 

 

Lui : … Je peux à mon tour vous poser une question ? Pourquoi parlez-vous en anglais ? 

 

Elle : Vous trouvez que je parle en anglais ? 

 

Lui : Vous dites ‘ Yes !’ 

 

Elle : Oui. 

 

Lui : Pourquoi ? 

 

Elle : Je ne me rends pas compte. 

 

Lui : Vous dites ‘ Yes !’ et vous pensez ‘Oui’ ? 

 

Elle : Yes ! 

 

                                                             SILENCE

 

 

 

 

 

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(L’homme entre)

 

Elle : Vous l’avez retrouvé, Derin ? 

 

L’homme : Derin, c’est une affaire classée. 

 

Lui : Comment va-t-il ? Vous avez pu lui parler ? 

 

L’homme : Oui, oui, je lui ai parlé. Bien- sûr, je lui ai parlé… La guerre a été déclarée inopérante. Tous les petits ont été capturés, on n’en parle plus, c’est déjà de l’histoire ! Les radios sont catégoriques. Les petits n’étant pas armés pour se défendre, il fallait les secourir et les protéger au plus vite. La capture n’a pas été des plus faciles. Il aura fallu plusieurs heures de battue organisée pour localiser ce petit monde et le neutraliser. Un appel est lancé à tous ceux et celles qui remarqueraient des poches de violence, de le signaler immédiatement au comité de paix qui se plie en quatre pour la préserver. 

 

Elle : Et votre femme ? 

 

L’homme : Ma femme ? Justement, ma femme, je voulais vous en parler. 

 

Lui : A nous ? 

 

Elle : Nous ne la connaissons même pas. Que voulez-vous savoir de votre femme ? 

 

L’homme : Ma femme a disparu. 

 

Lui : Pourquoi pensez-vous qu’elle a disparu ? Elle est peut-être tout simplement entrain de faire quelques courses ou de prendre un petit café  quelque part pour se détendre.

 

Elle : Oui, c’est cela. Votre femme a besoin de se détendre. Elle est nerveuse, elle s’énerve pour un rien, même la piscine ne parvient pas à la calmer, alors elle se promène, va dans les musées, boit un café, fume deux ou trois cigarettes et le temps passe, elle ne fait pas attention à l’heure et vous-vous inquiétez. 

 

L’homme : Ma femme déteste les musées, ne boit pas de café et n’a jamais fumé une cigarette de sa vie. Non ! Je suis inquiet. Très inquiet. Avec tous ces événements, comment dire, inattendus, j’imagine le pire. Madame, vous êtes stupide ! Vous riez dès que j’ouvre la bouche… je suis outré, je m’en… 

 

Lui : ( à L’homme ) Excusez-la, elle rit pour ne pas mourir. En fait, elle ne rit pas. Elle est très sérieuse au contraire. Je l’aime sans pouvoir le lui dire, vous comprenez, ce ne doit pas être facile, mettez-vous à sa place.  

 

Elle : ( à L’homme ) Je la plains votre femme. Je la plains. De tout mon cœur. 

 

L’homme : Ma femme est parfaitement heureuse, détrompez-vous.  

 

 

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Elle : Pourquoi a-t-elle besoin d’aller se détendre ailleurs ? Si elle était heureuse, elle parcourrait le monde avec vous.

 

L’homme : Qui a dit qu’elle allait se détendre ailleurs ? La villa est un havre de paix, elle ne pourra jamais mieux se détendre que dans cette villa. Pourquoi irait-elle chercher le bonheur dans la rue ou dans les musées ? 

 

Lui : ( à elle ) S’il continue, je casse quelque chose. 

 

Elle : ( à lui ) Pensez-vous qu’il est plus difficile d’être un homme ou une femme ?

 

L’homme : Que dites-vous ? 

 

Lui : ( à elle ) Vous avez cessé de jouer, disiez-vous ? 

 

Elle : ( à L’homme ) Nous allons vous aider pour votre femme… Il y a un mot qui me vient à l’esprit… 

 

L’homme : Oui ? 

 

Lui : ( à elle ) Quel mot ? Vous pouvez le dire ? 

 

Elle : ( à lui ) Je ne sais pas si j’en aurai la force mais je vais essayer. 

 

L’homme : ( à elle ) Nous ne sommes pas pressés, prenez votre temps. 

 

Elle : ( à l’homme ) Taisez-vous et laissez-moi prononcer les mots que je dois prononcer. 

 

Lui : ( à elle ) Vous n’êtes pas obligée. Cet homme ne mérite pas les efforts que vous faites. 

 

Elle : ( à l’homme ) … Si je vous donnais le choix  entre trois mots, lequel choisiriez-vous ? Le plus beau, le plus vrai ou le plus triste ?

 

L’homme : ( à elle ) Comment voulez-vous… 

 

Elle : ( à l’homme ) Vous ne savez pas ? Alors je me tais… 

 

L’homme : … Mademoiselle… 

 

Elle : Je préfère que vous m’appeliez Madame. 

 

L’homme : … Madame ! Je réclame la vérité. Choisissez les mots que vous voudrez, je m’en contre fiche. Je veux tout connaître de la disparition de ma femme, dans les moindres détails, afin d’orienter les recherches convenablement. Si vous le permettez ! 

 

Elle : ( à l’homme ) … Triste ? Beau ? Ou vrai ? 

 

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Lui : ( à l’homme ) … Monsieur, décidez-vous ! 

 

Elle : ( à lui ) A votre avis, que va-t-il choisir ? 

 

L’homme : Triste ! 

 

Elle : ( à l’homme ) Mensonge ! 

 

L’homme : Mensonge ? 

 

Elle : ( à l’homme) J’en étais sûre ! Votre femme n’a pas disparu. 

 

Lui : ( à l’homme) Vrai ? ( à elle ) Vous avez cessé de jouer, disiez-vous… 

 

L’homme : ( à elle ) Si je dis « Vrai » ? 

 

Elle : ( à l’homme ) Mensonge ! 

 

L’homme : Je dis « Beau » ! 

 

Elle : ( à l’homme ) Votre femme vous a quitté. 

 

Lui : ( à l’homme) Vous ne le supportez pas, alors vous la portez  disparue…

 

L’homme : Mais, elle a… 

 

Lui : ( à l’homme ) …Et vous faites votre petite enquête. 

 

Elle ( à l’homme ) Elle ne reviendra pas. Elle prend l’air, votre femme ! 

 

L’homme : Cela ne se passera pas comme cela… 

 

Elle : ( à lui ) Je ne peux plus faire semblant, vous comprenez ? 

 

L’homme : … humilier les gens en public… 

 

Lui : ( à elle ) Vous me plaisez beaucoup. 

 

L’homme : … les traîner dans la boue, les insulter… 

 

Elle : ( à l’homme ) S’il- vous- plaît, nous causons ! 

 

L’homme : … les torturer, les rabaisser… 

 

Lui : Monsieur ! 

 

 

"…NE DITES RIEN…"  Brigitte MOUGIN / 2004 /  87, rue de l'Ouest 75014  Paris 01 45 40 05 08

 

L’homme :…au rang le plus bas ! Non !

 

Elle : ( à lui ) Je ne suis pas malade. 

 

L’homme : Je ne me laisserai pas jouer de la sorte ! 

 

Elle : ( à lui ) J’aime la vie quand elle passe, pas vous ? 

 

Lui : ( à elle ) Si, si, beaucoup. Enormément. J’aime votre rire et j’aime écouter la vie à travers une fenêtre entr’ouverte. 

 

L’homme : Je jure sur la tête de ma… 

 

Elle : ( à lui ) Je pense que les femmes ont de la chance mais les hommes ne s’en rendent pas compte, alors c’est plus difficile pour cela. 

 

L’homme : Voyous ! 

 

Lui : ( à elle ) Comment va votre grand- mère ? 

 

L’homme : Délinquants ! 

 

Elle ( à lui ) Je lui parle très doucement pour ne pas l’empêcher. Je crois qu’elle m’entend. 

 

L’homme : Je ne sais pas ce qui me retient… 

 

Elle : ( à l’homme ) Vous-même ! 

 

Lui : ( à elle ) Ne soyez pas en colère. Toutes les grands- mères entendent. 

 

Elle : ( à lui ) Elle parle si bas, elle me dit des choses si belles que les larmes me viennent sans que je puisse rien faire pour les retenir. 

 

Lui : ( à elle ) Les grands-mères parlent tout bas. 

 

L’homme : Ma grand-mère était une imbécile ! 

 

Elle : ( à lui ) Les grands-mères ne devraient jamais mourir. On devrait pouvoir les conserver longtemps et les prêter à tous ceux qui n’en ont jamais eu. 

 

L’homme : Les femmes se croient intelligentes et elles nous emmerdent ! ( il sort )  

 

                                                                     SILENCE

 

Elle : … Quelle belle journée ! Vraiment, c’est une belle journée. Très très  belle.

 

Lui : Et aussi le ciel. 

 

 

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Elle : D’un bleu.

 

Lui : Le calme est reposant. 

 

Elle : Très. Je me repose. C’est tout à fait le genre de bonheur qui me rend heureuse. 

 

Lui : Un bonheur intact.  

 

Elle : Cela me rappelle mon enfance. J’ai eu une très belle enfance. Jamais un mot plus haut que l’autre. Personne pour me contredire. 

 

Lui : Vos parents ne se sont pas trompés. 

 

Elle : Ma mère disait à mon père qu’elle l’aimait. Et lui ne la contrariait jamais. Il l’aimait. Quand je suis arrivée, ma mère a cessé de parler. Pour ne pas me contredire. Elle écoutait son bonheur et elle ne parlait pas. Elle écoutait sans rien dire. Mon père a fini par s’y habituer. Il était heureux. Il me racontait tout ce qui lui venait.  

C’était difficile de l’arrêter. Une idée en appelait une autre et je l’écoutais sans l’interrompre et il me parlait de ses affaires. 

 

Lui : Que faisait-il votre père ? 

 

Elle : Il s’asseyait sur le rebord de la fenêtre et il fumait. 

 

Lui : Mon père aussi fumait, je crois. 

 

Elle : Une enfance merveilleuse… 

 

Lui : J’ai du mal à me souvenir mais il me semble que j’ai été heureux moi aussi. Il y avait du soleil. 

 

Elle : Yes ! 

 

Lui : Oui. 

 

Elle : Quand il faisait chaud, je mettais toujours ma robe verte. Un jour, elle s’est déchirée. Elle s’était accrochée au clou qui retenait la poignée. C’est la seule fois où j’ai été malheureuse. Je suis arrivée en larmes auprès de ma mère. Elle a regardé ma robe toute déchirée et elle a pleuré sans rien dire. Quand mon père est rentré et qu’il nous a vues dans cet état, il s’est mis à raconter un tas de choses pour nous rassurer. Ma mère et moi ne pouvions pas nous arrêter. Les larmes inondaient notre visage, puis notre corps. Le soir, nous avons enfin réussi à nous tranquilliser et nous avons dormi blotties l’une contre l’autre jusqu’au matin. 

 

Lui : Vous auriez pu vous blesser. 

 

Elle : Mon père disait la même chose. 

 

Lui : Quel âge avait-il votre père ? 

 

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Elle : Il était jeune. Quand on se promenait tous les deux, on nous prenait pour frère et sœur. Je crois qu’il ne contredisait personne, cela lui plaisait.

Un jour, nous avons déménagé. Ma mère qui ne parlait toujours pas a parlé … 

 

Lui : … Oui ? 

 

Elle : Pour la première fois, j’entendais le son de sa voix. Elle a pris une grande inspiration, très longue, puis le son est sorti. Il a retentit dans mes oreilles, puis dans ma tête. Peu à peu il s’est mis à résonner dans toute la pièce, puis dans la rue.  

Tout le monde est sorti pour écouter ce qu’elle avait à dire. Elle a dit qu’elle était heureuse. 

 

Lui : C’est tout ce qu’elle a dit ? 

 

Elle : C’était le principal. 

 

Lui : Où êtes-vous partis ? 

 

Elle : Nous avons déménagé. Je n’ai pas compris les raisons qui nous ont poussés à partir mais nous sommes partis. Nous avons laissé toutes nos affaires.  

Mon père disait que quand on quitte un lieu, il faut tout quitter pour recommencer.  

Ailleurs. Les voisins sont rentrés chez eux et nous sommes partis. 

 

Lui : Moi, je n’ai pas grand-chose à dire. 

 

Elle : Vous avez des enfants ? 

 

Lui : Je ne crois pas… ( ils se regardent puis rient )… Les enfants se cachent et personne ne les cherche. 

 

Elle : C’est comme cela qu’ils disparaissent. Après c’est difficile de les compter. On les compte, on les recompte et il n’y en a jamais assez. 

 

Lui : Les parents ne sont pas là pour compter les enfants. 

 

Elle : A quoi servent-ils ? 

 

                                                       SILENCE

 

 

( Entre l’homme ) 

 

L’homme : Quelle journée mes amis ! Quelle journée ! 

 

Lui : Que vous arrive-t-il ? 

 

 

 

 

 

 

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L’homme : A moi, rien ! Malheureusement ! Mais il se trouve que l’union européenne est dans tous ses états.  Les conflits étant paralysés faute d’opposants actifs, un référendum est organisé sur le cours de tennis privé du Président, au cours duquel il sera décidé d’une loi obligeant tout un chacun de respecter les bonnes traditions de guerre et de paix. Ceci, afin de préserver le patrimoine culturel international.

 

Elle : ( à lui, discrètement ) Vous avez compris ? 

 

Lui : ( à l’homme ) … Si j’ai bien compris, nous devons faire la guerre ? 

 

L’homme : Si personne ne défend ses intérêts, les traditions seront amenées à disparaître un jour ou l’autre. Pour cela, il nous faut une guerre. Donc, un ennemi. Des historiens de grande renommée ont déjà prouvé maintes fois qu’en temps de paix, un laxisme doublé d’un j'm’en-foutisme aigu s’emparait des esprits les plus sains et menaçait les états les plus forts . 

 

Elle : ( à l’homme ) Que devons-nous faire exactement ? 

 

L’homme : Relâcher tout le monde.  

 

Lui : ( à l’homme )  Les petits seront relâchés et jetés dans l’arène, sans aucune pitié ?

 

L’homme : C’est exact ! Ils devront se battre afin de légitimer leur droit à la soumission, et tout rentrera dans l’ordre. 

 

Elle : S’ils refusent ? 

 

L’homme : Impossible ! 

 

Elle : Et s’ils gagnent ? 

 

L’homme : Ce n’est pas un jeu télévisé, il n’y a rien à gagner. Nous comptons sur leur naïveté et leur idéalisme pour coopérer, un point c’est tout ! 

 

Elle : Vous ne pouvez pas leur fiche la paix ? 

 

L’homme : Je viens de vous expliquer que la paix est un fléau pour l’humanité. En quelle langue voulez-vous que je vous le traduise ? 

 

Elle : Yes ! 

 

Lui : ( à l’homme )  Quelles sont les preuves ?

 

L’homme : C’est prouvé depuis longtemps, mon ami. La guerre n’est là que pour perpétuer l’ordre des choses. 

 

Lui : ( à l’homme )  La guerre pour l’ordre ?

 

 

 

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L’homme : Je vous le dis pour l'énième fois ! Le pouvoir d’un coté, la soumission de l’autre et tout le monde est content. A qui reviendrait le pouvoir si on le donnait à tout le monde ? Vous voulez le pouvoir ? Prouvez-le ! Abusez tant qu’il vous plait. Du moment que la paix résiste, vous ne dérangez rien. Le jour où la paix capitule, alors là, vous pouvez vous inquiéter. Tout se renverse immédiatement pour laisser place à l’anarchie.

 

Elle : Sans Dieu ni loi.  

 

L’homme : Ma chère, le jour où comme vous le dites, ni Dieu ni la loi du plus fort n’existent, le monde est un grand four !  

 

Lui : ( à elle ) Il ne sait pas de quoi il parle. 

 

Elle : ( à l’homme ) Votre femme est avec vous ? 

 

L’homme : Ma femme… Ah ! Oui ! Ma femme… Elle m’emmerde celle-là ! Elle ne veut plus rien faire. Elle a décidé de ne plus rien faire, vous-vous rendez compte ? 

 

Elle : Pas très bien. 

 

Lui : ( à l’homme ) Peut-être qu’elle a autre chose à faire. 

 

Elle : ( à l’homme )  Je vous demandais si elle était de votre coté.

 

L’homme : De quel coté voulez-vous qu’elle soit ? Elle n’a jamais eu une opinion. Non, non ! Ma femme cuisine magistralement mais pour le reste, soyons sérieux, on n’y songe même pas ! 

 

Elle : Votre femme est plus grosse que vous et vous la détestez. 

 

L’homme : Ma femme est grosse, oui, mais pas dans le sens où vous l’entendez. 

 

Lui :( à l’homme ) Qu’entendez-vous par-là ? 

 

L’homme : Il me semble que nous en avons assez dit pour aujourd’hui. Je vous laisse à vos petites préoccupations domestiques, tandis que je vais de ce pas me rendre justice au référendum prévu… Oh ! la, la ! Plus que cinq minutes, dépêchons-nous, je ne veux pour rien au monde en rater l’ouverture. Nous-nous reverrons, je vous le promets. ( il sort ) 

 

Elle : C’est cela ! Revenez quand vous voulez ! Et embrassez votre grosse femme.  

 

                                                                     SILENCE

 

Elle : Tout ceci ne me dit pas qui va gagner. 

 

Lui : Il faut savoir perdre pour ne pas être malheureux. 

 

Elle : Tout est tellement compliqué. Ne pourrait-on pas faire semblant ? 

 

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Lui : Semblant ?

 

Elle : La guerre. Vous savez… comme les enfants. On y croit et après c’est fini. On préfère perdre ses enfants. 

 

Lui : Vous pleurez ? 

 

Elle : Ce n’est pas moi qui décide. 

 

Lui : A quoi pensez-vous ? 

 

Elle : A ce type que j’ai croisé ce matin. 

 

Lui : Oubliez-le. 

 

Elle : Je ne peux pas. J’ai beau ne plus y penser, j’y pense toujours. Il avait l’air si perdu. Egaré. Oui, je crois qu’il était plus égaré que perdu. C’est pire, non ? 

 

Lui : Oui, c’est pire. 

 

Elle : C’est bien ce qu’il me semblait. Pourquoi ? 

 

Lui : Quand on est égaré, on ne sait pas que l’on est sur le point de se perdre. On a encore de l’espoir. 

 

Elle : Yes ! C’est cela oui. Avoir encore de l’espoir alors qu’il n’y en a plus, c’est terrible. 

 

                                                               LONG SILENCE

 

Lui : … Votre  robe…( entre l’homme )

 

L’homme : Mes amis, je vous prie de bien vouloir excuser ma mauvaise humeur de tout à l’heure. Vous me paraissez sympathique, je n’ai aucune raison de vous maltraiter comme je l’ai fait. Encore une fois, pardonnez-moi, recevez toutes mes plus humbles excuses, excusez-moi et pardonnez-moi encore. 

 

Elle :  ( à l’homme ) Où sont les toilettes ?

 

L’homme : Vous contournez la cafétéria sur la gauche et vous prenez la première à droite. 

 

Elle : ( à lui ) Je reviens tout de suite. ( elle sort ) 

 

L’homme : … Vous avez  beaucoup de  chance.

 

Lui : Vous trouvez ? 

 

L’homme : Une femme de tempérament. 

 

 

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Lui : Elle en souffre, je crois. 

 

L’homme : D’avoir du tempérament ? 

 

Lui : Elle a un tempérament à souffrir, je crois. 

 

L’homme : Je comprends, beaucoup de tempérament à souffrir, je comprends. Voyez-vous, ma femme n’a aucun tempérament. C’est dommage d’être marié à une femme comme la mienne. 

 

Lui : Vous auriez pu vous en rendre compte avant. 

 

L’homme : Effectivement, j’aurais pu, mais malheureusement, je n’ai pas pu. Le mariage a été précipité puis expédié en moins d’une semaine. C’est dommage, mais que voulez-vous, nous ne pouvons pas revenir sur le passé. Ce qui est fait est fait, comme disait mon père. Il avait raison, ce qui est fait est fait. Et vous, que faites-vous dans la vie, mon ami ? 

 

( elle entre ) 

 

Elle : ( à l’homme ) Je n’ai pas trouvé la cafétéria. J’ai tourné à gauche et à droite mais je n’ai rien vu. 

 

L’homme : La cafétéria ! Où ai-je la tête ? La cafétéria est fermée. J’aurais dû vous le dire. Et quand la cafétéria est fermée, elle ressemble à tout sauf à une cafétéria. Venez, je vous montre. (ils sortent. En off. ) Vous voyez ce grand bâtiment… 

 

Elle : Lequel ? 

 

L’homme : Le rouge. 

 

Elle : Ah ! Oui. 

 

L’homme : Et bien, vous le contournez sur la gauche… 

 

Elle : C’est la cafétéria ? 

 

L’homme : Oui, le rouge. Et bien, disais-je, vous le prenez à gauche et tout de suite sur votre droite. 

 

Elle : Ce sont les toilettes de la cafétéria ? 

 

L’homme : Pas du tout, pas du tout ! Ce sont les toilettes municipales. 

 

Elle : Je fonce. 

 

 

 

 

 

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L’homme : … Vous avez de la monnaie ? (il entre)… Elle a du tempérament, on peut le dire. Voyez-vous, mon ami, la première fois que nous avons fait l’amour, ma femme et moi, il s’est avéré que nos personnalités ne s’accordaient pas le moins du monde. Mais alors, pas le moins du monde ! Je suis plutôt battant comme garçon, et bien, ma femme est d’une passivité déconcertante. 

 

Lui : C’était la première fois ? 

 

L’homme : Avec ma femme, oui. 

 

Lui : Pour elle ? 

 

L’homme : Avec moi ? 

 

Lui : Elle ! Avait-elle eu des relations physiques avec d’autres hommes avant vous ? 

 

L’homme :Pour qui me prenez-vous ? … Je ne crois pas, non… Ah ! Mais j’en suis sûr ! Plus que certain, même !  

 

Lui : C’est difficile la première fois. 

 

L’homme : Vous savez…la seconde aussi… la seconde aussi… 

 

Lui : Nous avons compris. 

 

L’homme : Je l’ai perdue. 

 

Lui : Vous avez perdu la raison et vous racontez n’importe quoi. Pourquoi me parlez-vous de votre femme ?Vous me dévoilez vos petits soucis ménagers comme si nous-nous connaissions depuis toujours. Votre femme ceci, votre femme cela, et votre nièce et votre guerre ! Vous me fatiguez à la fin. 

 

L’homme : Je suis très fatigué moi aussi. Je dirais même, exténué. Nous vivons dans un monde absurde. 

 

                                                                   SILENCE

 

Lui : Vous avez toujours des opinions sur tout ou c’est une impression ? 

 

L’homme : Vous ne me connaissez pas, vous ne pouvez pas me juger. Les gens ont une fausse opinion de moi quand ils ne me connaissent pas. Cela s’arrange avec le temps. C’est souvent comme cela. On croit tout connaître, et moi le premier, je ne dis pas le contraire, mais en réalité on se trompe. On ne sait rien. Ma femme, par exemple, je lui aurais donné le bon Dieu sans confession. Et bien, elle s’est montrée sous… 

 

Lui : S’il- vous- plaît, je ne connais pas votre femme. 

 

L’homme : Quelle chance vous avez, mon ami. Quelle chance vous avez… 

 

 

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Lui : … Et votre référendum ? 

 

L’homme : Remarquez, j’ai vécu des jours heureux… 

 

(elle entre) 

 

Elle : J’en ai profité pour me promener autour du lac.  

 

Lui : Vous êtes- vous baignée ? 

 

Elle : Je ne sais pas très bien nager et les lacs ne sont pas rassurants. 

 

L’homme : C’est un lac artificiel, il n’y a aucun danger à s’y baigner. Tous les dimanche, nous faisons une petite traversée pépère avec ma femme et nous sommes toujours vivants. Il nous arrive également de pique-ni… 

 

Lui : (à elle) J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit. 

 

Elle : (à lui) A propos de ma grand-mère ? 

 

L’homme : Mon référendum a été… 

 

Lui : (à elle) Le déménagement. 

 

Elle : (à lui) Avec ma mère ? 

 

Lui : (à elle) Quand vous étiez petite. 

 

Elle : (à lui) Oui ? 

 

L’homme : Mon référendum est repoussé. 

 

Elle : (à l’homme) A cause du tournoi de tennis ? 

 

Lui : Quel tournoi ? 

 

L’homme : Le Président a jugé le tournoi de tennis plus salutaire que le référendum. C’est dommage mais, que voulez-vous, un président est un président ! On ne peut pas lutter contre un président, mes amis. 

 

Elle : Et pourquoi ne pourrait-on pas lutter contre un président ? Ce n’est pas le roi, tout de même ! 

 

L’homme : Un président qui a décidé de faire une petite partie en famille n’est plus tout à fait lui-même. 

 

Lui : (à elle, discrètement) Cela vous intéresse ? 

 

 

 

 

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Elle : (à lui) Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point je m’en fiche du président. (à l’homme) Vous savez, le tennis et moi, cela fait deux. 

 

L’homme : Vous avez tort. C’est un sport très complet. Une demi-heure par jour et vous respirez la santé. J’ai été convié une fois sur le court du Président… 

 

Lui : … Et alors ? 

 

Elle : Vous avez gagné ? 

 

L’homme : Vous me direz, c’est très bête mais ce jour là, ma femme avait emporté les raquettes. 

 

Lui : Le Président ne vous a pas prêté la sienne? 

 

Elle : C’est vrai, il aurait pu faire un geste. 

 

L’homme : Vous savez, les raquettes, c’est comme les instruments de musique, cela ne se prête pas. 

 

Elle : Ah ! Bon ! 

 

L’homme : Et en plus, s’il m’avait prêté sa raquette, c’est lui qui n’en avait plus… 

 

Elle : Donc, vous n’avez pas joué ? 

 

L’homme : … Non !… La partie est remise… (il sort) 

 

Elle : … J’ai vu une très grosse femme au bord du lac… 

 

Lui : … Oui ? 

 

Elle : Très grosse… 

 

Lui : Que faisait-elle ? 

 

Elle : Elle reprenait ses esprits. 

 

Lui : C’est tout ? 

 

Elle : Oui, c’est tout… Vous parliez du déménagement. 

 

Lui : J’y ai réfléchis pendant votre absence. Vos parents ne vous ont pas donné les raisons qui vous ont forcés à partir… 

 

Elle : J’étais trop petite. 

 

 

 

 

 

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Lui : Oui, vous étiez certainement trop petite pour comprendre. 

 

Elle : J’y repense souvent. Je repense à tous nos voisins qui sont rentrés chez eux. Ma mère avait parlé, ils n’en revenaient pas. Personne ne l’a interrompue. Elle disait qu’elle était heureuse et c’était beau. Ils étaient émus, je crois. Du coup, ils ne pouvaient plus sortir un son eux-mêmes. C’était leur tour et c’était beau. J’ai croisé leurs regards brouillés de larmes, c’était beau. Ils sont rentrés chez eux et on est parti. 

 

Lui : Je n’ai pas de souvenirs précis mais je sais que je n’aime pas partir. J’aime rester là où je suis. Quand je dois m’en aller, je perds absolument tous mes moyens. Peut-être avons-nous dû déménager nous aussi, je ne sais pas, je l’imagine seulement. 

 

Elle : Vous avez un tempérament à rester, il n’y a aucun mal à cela. 

 

Lui : Non, mais cela fait mal. 

 

Elle : Yes !… 

 

Lui : … Vous avez beaucoup voyagé ? 

 

Elle : Il me semble avoir parcouru un nombre incalculable de kilomètres. Oui, j’ai beaucoup voyagé. Les pays que j’ai vus m’ont toujours accueillie très ouvertement, je ne peux pas dire le contraire. J’ajoute même qu'ils m’ont accueillie à bras ouverts.  

 

Lui : Etes-vous allée dans le désert ? 

 

Elle : Le désert, bien- sûr !  J’avais toujours peur de me faire piquer par un scorpion. En fait, je n’en ai jamais vu. Des chameaux non plus, d’ailleurs… Si ! Une fois ! mais ce n’était pas un chameau, c’était un dromadaire. Il avançait sans regarder où il allait. Il avançait inlassablement, sans se retourner. On croit que le désert est très désertique et très silencieux mais en réalité, c’est une véritable usine, un désert.

 

Lui : Une usine ? Je ne vous crois pas.  

 

Elle : Vous- vous intéressez aux petites  choses dans le désert. Le petit grain de sable qui roule sur lui-même et qui finit par entraîner tous les grains de sable avec lui. Je vous assure que ces milliers de grains de sable font un bruit étourdissant. Jamais un instant de répit, ce pauvre désert. Il avance constamment sans jamais se reposer. A peine vous fermez les yeux, il a changé de place. Et de forme. Vous ne le reconnaissez jamais. Vous êtes toujours entrain de courir après vos propres ombres.

 

Lui : Ce doit être très fatigant. 

 

Elle : Fatigant et reposant. Vous n’avez plus besoin de faire des projets dans le désert. Vous n’avez qu’à regarder et écouter. Il ne faut pas lutter, ni chercher à savoir quelle heure il est ou ce que vous allez faire à manger ce soir, cela ne sert à rien. 

 

 

 

 

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Lui : Vous me donneriez presque envie de partir. 

 

Elle : C’est très agréable la vie dans le désert. 

 

Lui : Avec vous. 

 

Elle : Vous m’aimez depuis longtemps ? 

 

Lui : Oui, c’est cela. C’est très agréable. 

 

Elle : Depuis quand ? 

 

Lui : Je ne me rappelle pas mais c’est très agréable. 

 

Elle : Je ne connais rien de vous. 

 

Lui : Vous n’êtes pas la seule. Mes souvenirs m’échappent un peu plus chaque jour. C’est désagréable. 

 

Elle : Yes ! 

 

Lui : … Vous avez entendu ? 

 

Elle : Yes ! 

 

                                                                              SILENCE

 

Elle : … Savez-vous pourquoi les hommes ont inventé les ponts ? 

 

Lui : Pour passer les rivières. 

 

Elle : Non. Pour passer le temps. Et savez-vous pourquoi ils ont inventé le temps ? 

 

Lui : Pour savoir quelle heure il est ? 

 

Elle : Non. Pour construire des ponts. Vous ne me croyez pas ? 

 

Lui : Si, si ! Je vous crois. 

 

Elle : C’est le pont qui choisit entre hier et demain. 

 

Lui : Vous voulez dire… 

 

Elle : S’il n’y avait pas de ponts, on ne pourrait jamais savoir l’eau qui passe. On ne se souviendrait pas. 

 

Lui : … Les ponts peuvent sauter quelquefois. 

 

 

 

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Elle : Quand ils sautent, il n’y a plus de souvenirs. Il faut tout reconstruire. 

 

Lui : Vous devez avoir raison. 

 

Elle : Oui ! 

 

Lui : Vous avez dit « oui » ! 

 

Elle : C’est possible, je ne me rends pas compte. 

 

Lui : Je dois tout refaire. 

 

Elle : Vous parlez, pourtant. 

 

Lui : Cela m’arrive. 

 

Elle : Vous-vous taisez aussi. 

 

Lui : Quand tout est dit, je me tais. Pas vous ? 

 

Elle : Plus je parle, plus je trouve des choses à dire. Quelquefois, je parle durant des jours et des jours. Je m’arrête pour reprendre ma respiration et je parle encore. 

 

Lui : Vous avez toujours quelque chose à dire. 

 

Elle : Je repense à ma mère Elle s’est tue pendant des années Vous-vous rendez compte ? Des années ! 

(L’homme entre) 

 

Lui : (à l’homme) C’est vous qui faisiez tout ce bruit ? 

 

Elle (à l’homme) On se demandait… 

 

L’homme :(à elle) Vous connaissez ma discrétion. 

 

Elle :(à l’homme) Jamais un mot plus haut que l’autre. 

 

L’homme :(à elle) Parfaitement !Le calme et la sérénité avant tout. C’est bien cela, j’ai toujours amusé les femmes. (à lui) Les femmes n’aiment pas s’ennuyer avec les hommes. Un homme triste est un homme mort. Ma femme ne rit plus depuis longtemps. Elle trouve qu’elle n’a pas de jolies dents. Elle dit que les dents doivent être impeccables, que sinon, ce n'est pas la peine. Quelquefois, je le vois, elle a envie de rire mais elle se retient. Elle se tord dans tous les sens pour maintenir son rire dans sa poitrine. Quelle souffrance pour moi d’assister à ce spectacle. C’est affligeant. Une femme qui s’interdit de rire pour des raisons esthétiques, c’est affligeant. 

 

Elle : Vous pourriez la chatouiller. 

 

 

 

 

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Lui : Vous pourriez être drôle. 

 

Elle : Arrêter la politique. 

 

Lui : Lui passer un bon film. 

 

Elle : Lui donner des pilules. 

 

L’homme : Mais que dites-vous ? 

 

Lui : Vous pourriez la déguiser. 

 

Elle : Vous pourriez la faire danser. 

 

L’homme : Mais, arrêtez ! 

 

Lui : Lui offrir un verre. 

 

Elle : Des fleurs. 

 

Lui : Une jolie robe. 

 

Elle : Une bague en or. 

 

L’homme : Taisez-vous ! 

 

Elle : Nous ? 

 

L’homme : J’ai déjà tout essayé. Ma femme est une vraie paumée, je vous l’ai dit déjà et elle m’emmerde. 

 

Elle : Vous êtes grossier, mon ami. 

 

Lui : Parler ainsi de sa femme n’est pas très courageux. 

 

Elle : Surtout quand elle n’est pas là. Je l’ai vue votre femme. 

 

L’homme : Que dites-vous ? 

 

Elle : (à lui) La grosse Dame au bord du lac. 

 

Lui : (à l’homme) C’est votre femme ? 

 

L’homme : Euh ! … 

 

Lui : (à elle) Elle était bouleversée, m’avez-vous dit ? 

 

Elle : (à lui)  Toute retournée.

 

 

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L’homme : Ma femme… 

 

Lui : (à l’homme) Que lui avez-vous fait ? 

 

Elle : (à l’homme) Du couscous, peut-être ? 

 

L’homme : Je lui ai dit ses quatre vérités. 

 

Elle : Et après ? 

 

L’homme : Elle n’a pas apprécié. 

 

Lui : Et après ? Que s’est-il passé ? 

 

L’homme : Je l’ai laissée en plan. 

 

Elle : Au bord du lac ? 

 

L’homme : Non, dans la cuisine. Nous étions dans la cuisine, tranquillement attablés… 

 

Elle : Devant un couscous royal, nous le savons ! 

 

Lui : Il n’était pas bon le couscous ? 

 

L’homme : Excellent ! Merveilleusement parfumé et délicatement arrosé d’un petit vin de propriétaire récoltant mis en bouteille au château. 

 

Elle : Que vouliez-vous de plus ? Qu'elle le mange à votre place ? 

 

L’homme : Mais, pas du tout ! Je l’ai mangé. Je me suis même resservi, si vous voulez le savoir. Non, non ! Tout allait très bien, j’étais comme un coq en pâte, si je puis me permettre l’expression. Je crois d’ailleurs que c’est cela qu’elle n’a pas supporté. Elle a commencé à m’assassiner à coup d’insultes fort désobligeantes, je lui ai rétorqué quelques jurons bien à propos, le ton est monté, les ustensiles ont valsé et nous en sommes restés là. C’est-à-dire que je suis parti, la laissant seule avec ses peines et ses larmes, au beau milieu de sa cuisine. 

 

Elle : Vous n’aviez plus rien à lui dire ? 

 

L’homme : C’est bien là ce que je lui ai dit !  

 

Lui : (à l’homme)… A votre avis, elle a voulu disparaître ? 

 

L’homme : Disparaître ? 

 

Elle : (à l’homme)  Dans le lac !

 

L’homme : … Vous voulez dire que ma femme aurait tenté de se suicider ? Mes amis, vous ne la connaissez pas ! 

 

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Lui : C’est donc vous qui l’y avez poussée. 

 

L’homme : Où donc ? 

 

Elle : Dans le lac, on vous dit. 

 

Lui : Vous avez tenté de la faire disparaître. 

 

Elle : La pauvre femme ! Condamnée au mariage forcé, dès son  plus jeune âge. Engraissée, bafouée, privée de ses fonctions les plus légitimes, traînée dans la boue et enfin, jetée sournoisement dans un lac gelé, tout habillée. Et par son propre mari !

 

L’homme : Vous délirez, ma pauvre fille ! 

 

Elle : Je dis la vérité. 

 

Lui : (à elle)  Cet homme ne mérite pas tout l’intérêt que nous lui accordons. Ne l’écoutez pas.

 

Elle : (à l’homme) Vous faites le malin mais sachez que des individus de votre espèce… 

 

L’homme : Des individus de mon espèce, comme vous le dites, ont les moyens de mettre un terme à vos petits agissements insidieux et suspects. Vos déraisonnements sont le signe d’une extravagance maladive qui demanderait à être traitée au plus vite par des spécialistes.  

 

Elle : (à lui) Dites-moi la vérité. J’ai besoin de me faire soigner par des spécialistes ? 

 

Lui : (à elle)  Je vous l’ai dit, vous êtes parfaite. 

 

Elle : Yes ! Parfaitement. (à l’homme) Alors, vous voyez ! 

 

L’homme : Inutile de hurler, je vous entends. 

 

Lui : Elle ne crie pas. 

 

L’homme : Non. 

 

Lui : (à elle) Vos parents ont préféré vous tenir à l’écart… 

 

Elle : (à lui) Ce ton qu’il prend pour me parler me fait froid dans le dos. On m’a déjà parlé sur le même ton, j’en suis certaine. On a déjà prononcé ces mots devant moi. 

 

L’homme : (à elle) Vous n’échapperez pas aux autorités, je vous le promets. 

 

Lui : (à l’homme) Vous ! Gardez votre énergie pour votre petite assemblée politique et laissez-nous tranquilles. 

 

 

 

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L’homme : Oh ! La, la, mon référendum ! Merci de m’y faire penser. J’ai laissé passer l’heure. Quelle heure est-il ? Je vais tout rater… mais où ai-je la tête ? (il se dirige vers la sortie puis s’arrête et se retourne vers eux) Je saurai rapporter les faits, croyez-moi ! (il sort) 

 

Elle : … Il est sérieux ? 

 

Lui : Je ne sais pas. 

 

Elle : … Cette femme que j’ai vue au bord du lac… 

 

Lui : …Et bien ? 

 

Elle : Je la connais. 

 

Lui : Vous êtes sûre ? 

 

Elle : Non, pas très… 

 

Lui : Et lui, l’aviez-vous déjà vu ? 

 

Elle : Une fois, à la piscine. Il sait à peine nager et il se prend pour un champion. Il est ridicule mais il ne le sait pas. 

 

Lui : Sa femme était avec lui ? 

 

Elle : Je ne me souviens pas, cela fait longtemps. Il nageait et parlait en même temps. Je ne sais pas s’il parlait à sa femme. 

 

Lui : Vous êtes-vous déjà mariée ? …Vous pensez à lui ? … A la piscine avec sa femme ? 

 

Elle : Un jour, un homme a voulu se marier avec moi mais quand je lui ai dit que j’avais déjà divorcé sept fois, il est parti en courant. Il courait si vite que tout se renversait  sur son passage. C’est pour cela que je ris. Je le revois encore détaler les rues comme s’il était poursuivi par la peste. C’est pour cela que je ris. D’autres sont venus pour me demander le mariage et chaque fois, je leur racontais la même histoire et chaque fois, ils partaient en courant.

 

Lui : Ils ne vous plaisaient pas ? 

 

Elle : Si ! Beaucoup. 

 

Lui : Pourquoi faisiez-vous cela ? 

 

Elle : J’avais peur qu’il m’arrive la même chose qu’à ma mère. Etre heureuse et ne plus parler.  

 

Lui : Il y a aussi des femmes malheureuses qui ne parlent pas. 

 

 

 

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Elle : C’est possible de se taire quand on est malheureux ? 

 

Lui : Oui. 

 

Elle : … J’avais peur de grossir aussi. 

 

Lui : A cause du mariage ? 

 

Elle : A cause du mariage. 

 

Lui : … Vous avez aimé un homme… 

 

Elle : Il vous ressemblait. Très doux… Il est parti. 

 

Lui : … La guerre ? 

 

Elle : Il ne courait pas. Il partait lentement. Il se retournait. Je l’aimais, il pleurait, je crois. Je ne lui avais pas parlé de divorces à lui, je l’aimais. Il n’était pas pressé de partir, il faisait de tous petits pas pour retarder le moment où on ne se verrait plus. Il se retournait. Je l’aimais, il est parti.  

 

                                                                     SILENCE

 

Elle : Je suis née en plein mois de juillet. Il pleuvait des cordes. Tout le monde était déjà parti en vacances…  

 

Lui : … C’était vrai, les divorces ? 

 

Elle : J’adorais raconter cela. 

 

Lui : Et lui ? 

 

Elle : Il s’est retourné plusieurs fois. 

 

Lui : Vous pleurez ? 

 

Elle : Yes !… Et vous ? 

 

Lui : J’ai appris à ne pas pleurer. 

 

Elle : C’est dommage de ne pas pleurer. Vous seriez plus heureux si vous pleuriez. 

C’est plus facile de communiquer quand on sait pleurer. 

 

Lui : Vous riez souvent. 

 

Elle : Je ne me rends pas compte. Je ris souvent ? 

 

Lui : Je suis heureux quand vous riez. 

 

 

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Elle : Merci. 

 

Lui : J’aime votre rire. 

 

Elle : Yes ! Parfois je ris, parfois je pleure. Cela ne m’empêche pas d’être malheureuse. Ni d’être heureuse, d’ailleurs. Je crois que je vous aime, je ne sais pas pourquoi. 

 

Lui : Vous ne savez pas pourquoi ? 

 

Elle : Si ! Bien sûr ! Je sais pourquoi je vous aime. Je ne sais pas pourquoi tout cela. Pourquoi nous-nous sommes rencontrés, vous comprenez ? 

 

Lui : Pour ne pas oublier. 

 

Elle : C’est triste d’oublier… 

 

Lui : Vous parlez de la guerre ? 

 

Elle : … Tous ces hommes qui sont partis. C’est triste. Quand ils reviennent, personne ne les voit. C’est triste. Les femmes ne les attendent plus, à force. Elles rêvent d’autres hommes qui ne partiraient pas. 

 

Lui : Oui. 

 

Elle : Vous pleurez ?  

 

Lui : C’est la première fois… Je peux vous regarder ? 

 

Elle : Yes ! 

 

(arrive l’homme) 

 

L’homme : Ma femme a un amant. 

 

Lui : (à elle) Je crois que je suis parti très souvent. 

 

L’homme : Vous entendez ? Ma femme n’a plus aucun sens commun. Elle couche avec son amant dans notre lit. 

 

Elle : (à lui) Et maintenant ? Vous resterez ? 

 

Lui : (à elle) Il faut se battre pour ne pas tomber. (à l’homme) Que disiez-vous ? Votre femme couche dans votre lit ? 

 

Elle : (à l’homme) C’est votre femme, c’est normal, non ? 

 

 

 

 

 

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L’homme : Je vous dis et je vous répète que ma femme a un amant et qu’elle couche son amant dans mon lit… (à elle) … Vous ne riez pas ? … Cela ne vous amuse pas ? 

 

Elle : (à l’homme) Je pense que si votre femme couche avec son amant dans votre lit, c’est pour vous dire qu’elle vous aime et maintenant, fichez-moi la paix ! (à lui) Cet homme est dangereux, je ne lui adresse plus la parole. 

 

Lui : (à l’homme) Elle a disparu ou elle est dans votre lit avec son amant ? Il faudrait peut-être vous accorder. Que cherchez-vous au juste ? Nous ne pouvons rien pour vous. 

 

L’homme : C’est fort dommage. 

 

Lui : Dommage ? 

 

L’homme : Il est tout à fait regrettable, jeune homme… 

 

Lui : Jeune homme ! 

 

L’homme : Oui ! Tout à fait regrettable que vous affichiez avec aussi peu de retenue, votre perversité et votre immoralité. Et vous, mademoiselle, je vous somme de me bien vouloir présenter vos excuses pour le désordre occasionné par vos soins depuis le début de cette affaire. 

 

Lui : (à l’homme) La loi a-t-elle été votée ? 

 

L’homme : Parfaitement ! Votée à main levée. 

 

(Elle se met à chanter. Un peu comme un blues. Triste et répétitif. Ils la regardent et l’écoutent) 

 

L’homme :… Cette femme est malheureuse pour chanter comme cela.  

 

Lui : (à l’homme) Elle a eu une enfance heureuse. 

 

L’homme : (à lui) A-elle eu des enfants ? 

 

Lui : (à l’homme) Je ne crois pas. En fait, je ne sais pas (elle chante toujours)… Et vous, vous n’êtes pas malheureux ? 

 

Elle : (elle arrête de chanter ) Quelle heure est-il ? 

 

L’homme : Dans trois minutes, il sera exactement cinq heures. 

 

Elle : (à l’homme) Je ne vous ai pas parlé. (à lui) Pensez-vous que les magasins sont encore ouverts ? 

 

L’homme : Tous les magasins sont fermés pour cause d’inventaire. 

 

 

 

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Elle : (à l’homme) Vos réponses ne m’intéressent pas. Allez repêcher votre femme, embrassez-la de ma part et laissez-moi tranquille. (à lui) J’ai une faim de loup. 

 

L’homme : (à lui) Quel caractère ! Vous êtes mariés ? 

 

Elle : (à lui) Dites-lui que j’ai déjà divorcé trente fois, cela le calmera. 

 

L’homme : (à lui) Je vous le dis à vous parce que vous me paraissez sympathique. J’ai déjà consommé quatre mariages. Tous plus fatigants les uns que les autres. 

 

Lui : (à l’homme) Les quatre expédiés en moins d’une semaine, j’imagine. 

 

L’homme : (à lui) Exact ! Je suis fils de bonne famille, comme on dit. Vous savez ce que c’est ! Après tout, vous ne le savez peut-être pas. Et bien, dans les bonnes familles, il n’y a pas de place pour les sentiments. On vous colle une fille dans les pattes, vous ne la connaissez pas et vous devez vous débrouiller avec. Avouez que la chose n’est pas aisée, mon ami. 

 

Elle : (à lui) Voulez-vous que je vous prenne quelque chose ? 

 

Lui : (à elle) Ne vous embêtez pas pour moi. Un fruit éventuellement. Mais ne faites pas un détour pour cela, je peux très bien me passer de manger.      

 

Elle : (à lui) Vous aimez les framboises ? 

 

Lui : (à elle) Oui, mais ne vous embêtez pas. 

 

Elle : (à lui) Je ne m’embêterai pas , je vous le promets. (elle se dirige vers la sortie) 

 

Lui : (à elle) J’adore les framboises. (elle sort) 

 

 

                                                                       SILENCE

 

                                                                                           

L’homme :… Quel monde étrange. 

 

Lui : Oui. 

 

L’homme : On se mobilise et puis rien. 

 

Lui : Rien. 

 

L’homme : On fait des plans, des calculs et puis rien. 

 

Lui : Rien. 

 

L’homme : Vous n’imaginez pas les difficultés auxquelles je dois faire face. 

 

 

 

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Lui : Non. 

 

L’homme : Les référendums, les votes, les lois, les discours. 

 

Lui : Les discours, oui. 

 

L’homme : La classe dirigeante est surmenée et tout le monde s’en fout. 

 

Lui :Oui. 

 

L’homme : Attraper les uns, relâcher les autres. Tout le monde s’en fout. 

 

Lui : Oui. 

 

L’homme: Les enquêtes, les aménagements territoriaux. 

 

Lui : Oui. 

 

L’homme : Les poursuites, les enjeux ethniques. Et philosophiques. 

 

Lui : Oui. 

 

L’homme : C’est un monde absurde. 

 

Lui : Très.  

 

L’homme :Cela ne vous intéresse pas. 

 

Lui : Cela m’intéresse forcément. Nous sommes tous intéressés à la politique. 

 

L’homme : Evidemment, évidemment.  

 

Lui : Nous sommes tous forcément intéressés à la politique. 

 

L’homme : Je travaille pour les services secrets. 

 

Lui : Tant mieux ! 

 

L’homme : Je travaille pour les gros, vous l’aviez compris, j’espère. 

 

Lui : Je l’espère. 

 

L’homme : Les gros sont désespérément désemparés, mon ami. 

 

Lui : C’est dommage. 

 

L’homme : Comme vous dites. Les petits se dégonflent, ils deviennent insignifiants. Ce qui entraîne une léthargie quasi générale dans les chaumières. Et là où le bas blesse, mon ami, c’est qu’aucun combat n’est désormais envisageable. Quel ennui, quel ennui ! 

 

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Lui : Vous m’ennuyez vous aussi. 

 

L’homme : Je vous prie de m’en excuser…  Ne nous sommes-nous pas déjà rencontrés, par le passé ?

 

Lui : C’est possible. 

 

L’homme : Il me semble vous avoir vu quelque part.  

 

Lui : Je n’ai pas une très bonne mémoire, je ne m’en souviens pas. 

 

L’homme : Votre femme… 

 

Lui : Ce n’est pas ma femme. Je veux dire, je ne pense pas… 

 

L’homme : Très drôle. 

 

Lui : Oui. 

 

L’homme : Vraiment, très amusant… Votre femme… 

 

Lui : Ce n’est pas ma femme, je vous dis. 

 

L’homme : Laissez-moi rire… Cette dame qui est partie aux framboises… 

 

Lui : Et bien ? 

 

L’homme : Je suis presque certain  l’avoir  déjà rencontrée.

 

Lui : Elle vous a vu à la piscine. 

 

L’homme : Elle vous l’a dit ? 

 

Lui : Vous appreniez à nager. 

 

L’homme : Je sais parfaitement nager. 

 

Lui : Certainement. 

 

L’homme : … C’est peut-être à la piscine alors… 

 

Lui : Peut-être. 

 

L’homme : Nous avons pris l’habitude d’y aller tous les jeudis. Un peu d’exercice ne fait pas de mal. Ma femme a besoin d’exercice, elle est un peu molle ces derniers temps. La natation ne fera certes pas des miracles mais… 

 

Lui : Votre femme sait nager ? 

 

 

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L’homme : A peine. 

 

Lui : Elle préfère discuter avec les jeunes hommes sur le bord du bassin ? 

 

L’homme : Comme je vous l’ai dit, les femmes sont étonnamment surprenantes. Elles abordent des hommes sans plus se soucier de rien. Leur naïveté les perdra, mon ami. 

 

Lui : Elle ne sait pas nager ? 

 

L’homme : A peine, je vous l’ai dit… Et puis, vous m’embêtez avec vos questions ! Il y en a un ici qui peut se permettre de poser des questions, c’est moi ! Vous m’entendez ? 

 

( Elle entre) 

 

L’homme : (à elle) Alors, ces framboises ? 

 

Elle : ( à lui ) Quelle histoire pour trouver une boutique ouverte. Tenez, elles sont délicieuses. 

 

Lui : ( à elle) Vous avez pu manger quelque chose ? 

 

Elle : ( à lui) Quelques friandises, oui. J’avais une faim de loup. ( elle propose des framboises à l’homme, sans rien dire ) 

 

L’homme : … Quel délice ! Ce n’est pourtant pas la saison des framboises mais c’est un vrai délice… Vous êtes très aimable. ( il se ressert ) 

 

Elle : (à lui ) Mangez ! Les framboises sont excellentes pour la santé. 

 

L’homme : ( à elle ) Ma grand-mère avait des framboisiers dans son jar… 

 

Elle : ( à l’homme) Votre grand-mère était une imbécile !  

 

Lui : ( à elle) J’adore les framboises… 

 

Elle : (à lui, en aparté)… Que vous a-t-il dit ? 

 

Lui : (à elle) Il travaille pour les services secrets. 

 

Elle :(à lui) Du président ? 

 

Lui : (à elle) Je pense oui, je n’ai pas bien écouté, il ne cesse de parler et les mots me font mal parfois. 

 

Elle : (à lui) Ce sont les mots qui vous font mal, à vous ? 

 

Lui : (à elle) Parfois, oui. 

 

 

 

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Elle : (à lui) Moi, c’est le contraire, ils me soulagent plutôt. Quand il y a un trop plein, les mots me viennent à la bouche sans que j’y réfléchisse et ils sortent un à un, tout naturellement. 

 

Lui : (à elle) Je ne sais plus ce qu’il m’a raconté encore. 

 

Elle : (à lui) Il a dû vous parler de sa femme. La pauvre, je la plains. 

 

Lui : (à elle) Lui aussi est à plaindre. Il se croit supérieur. 

 

L’homme :… Vous refusez de me parler et j’aimerais en connaître la raison. 

 

Elle : (à l’homme) Nous n’avons rien à vous dire. 

 

L’homme : (à elle) Qu’en savez-vous, ma chère ? Peut-être avons-nous des secrets, vous et moi et peut-être alors ces secrets ne demanderaient-ils qu’à être dévoilés ? 

 

Elle : (à l’homme) Je n’imagine pas une seule seconde avoir des secrets à vous confier, mon cher et je n’imagine pas non plus avoir à entendre les vôtres. Vous et moi ne rions pas pour les mêmes choses et cette raison me suffit. Je n’ai rien à vous dire ! 

 

L’homme : … Je commence à comprendre… 

 

Lui : Que comprenez-vous ? 

 

L’homme : Vous n’ignorez pas ce que réserve la loi aux dissidents de votre espèce. Oui, mademoiselle. Vous refusez de coopérer et par les temps qui courent… 

 

Elle :(à l’homme) Les temps qui courent vous disent bien des choses et maintenant, laissez-nous! 

 

L’homme :(à elle) Le rapport que je ferai aux autorités ne jouera pas en votre faveur… 

 

Elle : (à l’homme) Je n’ai pas besoin des faveurs de l’autorité. Je n’ai jamais compté que sur les miennes pour être heureuse… Savez-vous que j’ai vu des choses tout à l’heure, qui risquent de vous intéresser ?  

 

L’homme : Ah, oui ? 

 

Elle : (à l’homme) On a retrouvé Derin et votre femme, enlacés au fond du lac. 

 

L’homme : Derin et ma femme ? 

 

Elle : (à l’homme) Vous devriez vous renseigner, mon ami. 

 

L’homme : Mais, comment… 

 

 

 

 

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Elle : (à l’homme) L’enquête est ouverte. Vous pourriez apporter votre témoignage. J’ai l’impression que la police piétine. La thèse du suicide contre celle du crime ! Laquelle l’emportera ? 

 

L’homme : Et c’est maintenant que vous me le dites !… Ma femme, au fond du lac… avec Derin… non, c’est impossible… 

 

Elle : Allez vous rendre compte par vous-même, mon ami ! 

 

L’homme : C’est impossible… Derin, un ami de trente ans… 

 

Elle : Votre femme est morte, presque enterrée, et vous n’êtes préoccupé que par vous-même ! Cela ne jouera pas en votre faveur, mon ami ! 

 

L’homme : Je vais de ce pas m’en référer à la justice. (en sortant)… Cela ne se passera pas comme cela ! Ah, non ! Je vais porter plainte pour tromperie abusive, je vous le promets ! (il sort. On l’entend en off)… Me faire cela à moi ! En plein mois de mai !… 

 

Lui : … Vous pensez qu’il les a tués ? 

 

Elle : Qui ? 

 

Lui : Derin. Et sa femme. 

 

Elle : Ils sont morts ? 

 

Lui : N’est-ce- pas ce que vous venez de rapporter ? 

 

Elle : Je ne m’en souviens pas. J’ai dit que sa femme était morte ? Derin aussi ? Pourquoi aurais-je dit cela ? 

 

Lui : Sérieusement, que se passe-t-il ? 

 

Elle : Je plaisantais. 

 

Lui : Vous plaisantiez ? 

 

Elle : N’avons-nous pas le droit de plaisanter de temps en temps ? 

 

Lui : Vous avez tout inventé ? 

 

Elle : Je ne savais plus comment faire pour nous débarrasser de lui. Je crois que nous serons  tranquilles un bon moment.

 

Lui :   Vous êtes incroyable !

 

Elle : Vous m’avez pourtant crue. 

 

Lui : J’avoue que vous m’avez  magistralement dupé.

 

"…NE DITES RIEN…"  Brigitte MOUGIN / 2004 /  87, rue de l'Ouest 75014  Paris 01 45 40 05 08

Elle : … Il en est capable. C’est  pour cela que j’ai inventé cette histoire. S’il n’a pas tué sa femme et l’amant de sa femme, c’est peut-être sa voisine, sa concierge ou son banquier qu’il aura tués. Ce qui revient au même. Cet homme est capable des pires choses. S’il vient innocemment prendre des nouvelles de sa femme, la police pourra toujours le suspecter de biens d'autres meurtres. Dans le cas où il les a réellement assassinés, il sera également suspecté.

 

Lui : Vous pensez vraiment qu’il les a tués ? 

 

Elle : Sa femme a disparu. Derin aussi. 

 

Lui : Comment savez-vous que Derin a disparu ? 

 

Elle : ‘C’est une affaire classée’ a-t-il dit. 

 

Lui : Mais pourquoi aurait-il éliminé ce pauvre Derin ? De toute évidence, cet  homme déteste sa femme. Si elle couchait avec Derin, en quoi cela pouvait-il le déranger ?

 

Elle : Je ne connais pas les raisons de cet homme mais dans le cas où il a assassiné sa femme et Derin et qu’il est arrêté, il pourra toujours clamer le crime passionnel. 

 

Lui :Alors qu’en fait, elle ne couchait pas avec Derin ? 

 

Elle : C’est cela. Elle ne couchait pas avec Derin. 

 

Lui : Vous voulez donc insinuer que c’est Derin surtout qu’il devait éliminer ? 

 

Elle : Yes ! 

 

Lui : Il a donc tué Derin, puis sa femme, pour avoir l’alibi du crime passionnel ? 

 

Elle : Yes ! 

 

Lui : Et s’il n’a tué ni sa femme ni Derin ? 

 

Elle : Il pourra toujours se dénoncer pour tous les crimes qu’il a commis. Vous pensez que tout le monde est innocent ? 

 

Lui : Je sais qu’il existe des criminels. Mais lui, non, vraiment, je ne le crois pas. Cela se porte trop sur son visage. 

 

Elle : Vous avez peut-être raison… Mais au moins, nous sommes tranquilles… Je repense à ce type que j’ai croisé … Il avait l’air innocent et pourtant il se traînait comme un criminel que l’on conduit à l’échafaud . C’est étrange, tous ces innocents qui vont à l’échafaud sans aucune raison. Et quand le couperet s’abat sur eux, on leur trouve aussitôt une tête de criminel. Comme si le couperet donnait raison au crime. C’est étrange… 

 

 

 

"…NE DITES RIEN…"  Brigitte MOUGIN / 2004 /  87, rue de l'Ouest 75014  Paris 01 45 40 05 08

Lui : … Qu’est devenu votre père ? 

 

Elle : Il était jeune. Tellement jeune. Toujours à rire pour un rien. Le moindre petit rien le faisait rire. Il était heureux. Il adorait ma mère. Un jour, ma mère qui ne parlait toujours pas, est allée dans le jardin des voisins et s’est mise à danser. En plein milieu des plate- bandes de fleurs. La voisine qui adorait ses fleurs a commencé à crier mais ma mère dansait toujours. Elle ne piétinait pas les fleurs pourtant .Elle faisait attention mais la voisine criait quand-  même. Elle ne voulait pas qu’on danse dans son jardin. Ma mère le savait et c’est pour cela qu’elle le faisait. Elle adorait la voisine, ma mère. Mon père riait aux éclats. Il riait d’entendre la voisine crier et de voir ma mère danser dans les fleurs.‘La symphonie des fleurs’ ! C’est comme cela qu’il disait, mon père. Il me prenait dans ses bras pour que je puisse voir ma mère  de la petite fenêtre du salon. Elle dansait si bien, ma mère. Elle ne s’arrêtait plus. Elle a fini par tomber. Dans les fleurs. Mon père adorait ma mère, il ne pouvait plus s’empêcher de rire. Il a ri jusqu’au soir. Dès qu’il regardait ma mère, il éclatait de rire. Il repensait à la voisine. Et aux fleurs. Votre mère dansait aussi ?

 

Lui : Je crois, oui. 

 

Elle : Vous- vous rappelez ? 

 

Lui : Non.                              

                                                            SILENCE

                                   

Elle : Quand je suis morte la dernière fois, tout le monde s’est penché pour me regarder. 

Surtout les femmes. Elles voulaient me parler mais je ne comprenais pas ce qu’elles disaient. Elles ne souriaient presque pas, elles me regardaient. Les hommes qui se penchaient me disaient des choses que je ne comprenais pas. Ils étaient tristes mais ils souriaient, au contraire. J’essayais de les rassurer. Je n’avais pas peur. Tout le monde me tendait les bras. J’avais envie de rire mais je me retenais pour ne pas les effrayer. Je ne reconnaissais personne. Il y avait une femme, très belle, qui se tenait à l’écart. Elle me tendait ses bras. Personne ne la voyait, peut-être qu’elle était morte elle aussi , je ne sais pas. Je ne pourrai jamais oublier son sourire. Elle avait une robe, on la devinait à peine, qui changeait de couleur à chaque mouvement qu’elle faisait. Elle prenait la couleur de l’air, elle était belle. Quand j’ai vu tous ces gens se pencher sur moi, je me suis dit que la mort n’était pas si terrible. 

 

Lui : C’est pour cela que vous riez ?       

 

Elle : Je ne sais pas. Yes ! Peut-être… 

 

Lui : (elle semble ne pas l’entendre)… J’ai rencontré une femme, je crois m’en souvenir, dans un train. Je l’ai aimée aussitôt mais le train a continué sa route sans montrer le moindre signe d’allégresse. Aucun arbre non plus n’a salué notre amour… J’aimais cette femme et personne ne le savait… 

 

Elle : … Comment s’appellent ces arbres ? 

 

 

 

"…NE DITES RIEN…"  Brigitte MOUGIN / 2004 /  87, rue de l'Ouest 75014  Paris 01 45 40 05 08

Lui : Des marronniers. Et là, ce sont des prunus. 

 

Elle : Prunus ? C’est joli, prunus. 

 

Lui : Très.  

 

(Arrive l’homme)

 

                                                              SILENCE

 

Elle : (à l’homme)… Vous ne dites rien ? 

 

L’homme : Mes hommages, mademoiselle. Jeune homme, toutes mes salutations. 

 

Lui : (à l’homme) Alors, quelles sont les nouvelles ? 

 

L’homme : Les nouvelles ne sont pas très engageantes. 

 

Elle : (à l’homme) Que se passe-t-il ? 

 

L’homme : Justement, rien ! 

 

Elle : Et votre femme ? 

 

Lui : Et Derin ? 

 

L’homme : Ah ! Ces deux là… 

 

Lui : Et bien ? 

 

L’homme : … Vous n’ignorez sans doute pas que la loi obligeant à la guerre a été votée… 

 

Lui : C’est vous-même qui nous l’avez rapporté. 

 

L’homme : … Les petits ayant été relâchés se sont vus de suite transportés… 

 

Elle : … Transportés ? 

 

L’homme : Ils refusaient de se battre, ils devenaient très gênants, il valait mieux les écarter, vous comprenez ? 

 

Elle : Non, pas très bien. 

 

L’homme : Ils se sont dégonflés, nous les avons donc dégagés. 

 

Lui : Tous les petits ont été transportés ? 

 

L’homme : Des convois exceptionnels ont été mis à leur disposition.  

 

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Elle : (à l’homme) Pourquoi riez-vous ? 

 

Lui : (à l’homme) Arrêtez ! … Vous êtes indécent, à la fin! 

 

L’homme : Il n’y a rien d’indécent à se réjouir du bonheur des autres. Un petit voyage aux frais de la communauté est plutôt de bon goût, il me semble. 

 

Elle : (à l’homme) Et votre femme, elle est partie se promener, elle aussi ? 

 

L’homme : Ma femme ? Plus aucune nouvelle, figurez-vous. 

 

Lui : (à l’homme) Et Derin, son amant ? 

 

L’homme : Derin, son amant ! C’est excellent !  Ma femme avec Derin ! Non ! Soyons sérieux. Derin n’est pas du tout le genre d’homme à se laisser embobiner par une femme comme la mienne. Ma femme, d’ailleurs, n’est pas très portée sur les sentiments, si vous voyez ce que je veux dire.

 

Lui :(à l’homme) On les a pourtant retrouvés tous les deux enlacés au fond du lac. 

 

L’homme : Que dites-vous ? Ma femme et Derin, enlacés au fond du lac ? 

 

Elle :(à l’homme) La police recherchait l’assassin, je vous l’ai dit. 

 

L’homme : Ah ! oui, effectivement, on a retrouvé un homme et une femme enlacés au fond du lac mais ce n’étaient ni ma femme ni Derin, rassurez-vous. Je suis allé m’en enquérir auprès de la police et j’en ai eu la confirmation…Ma femme a disparu. Je ne la reverrai certainement jamais. Peut-être a-t-elle été, elle aussi transportée. Je devrais m’en réjouir, me direz-vous, mais non, voyez-vous, je suis extrêmement peiné, au contraire. Que faire pour la sauver ? 

 

Elle : (à lui) Qu’en pensez-vous ? 

 

Lui : (à elle) Je pense qu’il perd la raison et qu’il dit n’importe quoi. 

 

Elle : (à l’homme) Pour qui travaillez-vous ? 

 

L’homme : Le travail n’a jamais été pour moi une grande partie de plaisir mais je travaille pour les gros. Je travaille pour la guerre. Contre la paix. Tous les grands humanistes vous le diront, je suis imbattable en ce domaine. Pourquoi riez-vous ? 

 

Elle : (à l’homme) Vous avez dit « imbattable », je trouve le mot un peu déplacé.  

 

L’homme : Peut-être, oui, mais c’est pourtant la réalité. 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Lui :(à l’homme) Vous détestez perdre ? 

 

L’homme : Je déteste n’avoir plus rien à perdre. 

 

Elle :(à l’homme) Vous avez besoin de vous battre ? 

 

L’homme : Les pacifistes m’ont toujours ennuyé. L’être humain est naturellement porté sur la guerre. La tranquillité est source de maladies psychiques incurables. Nous avons besoin de repères fiables et c’est pourquoi nous devons diviser l’espèce. Les gros d’un coté, de l’autre les petits, ainsi va le monde ! … J’ai terriblement mal à la tête. Tous les médecins ont été  transportés eux aussi, c’est dommage.

 

Lui :(à l’homme) Même les psychologues ? 

 

L’homme : Tous, sans aucune distinction. 

 

Elle : Qu’allons-nous devenir ? 

 

L’homme : … J’ai réellement très mal à la tête. Ne vous reste-t-il pas un peu 

d’aspirine ?      

 

Elle : Vous pensez trop, mon ami. C’est mauvais pour la tête. 

 

L’homme : S’il vous plaît, un peu d’aspirine ! 

 

Elle : Nous avons eu un mal fou à nous procurer les framboises, alors vous pensez, l’aspirine ! 

 

Lui : C’est à cause de votre femme. Vous-vous inquiétez. 

 

Elle : Vous-vous faites du mouron, vos idées s’entremêlent, cela vous cogne, c’est normal. (à lui) Cette histoire de convois exceptionnels ne me plait pas du tout.  

(à l’homme) Dites-moi, ces convois exceptionnels dont vous parliez… 

 

L’homme : J’ai parlé de convois exceptionnels ? 

 

Lui : A l’instant, oui. 

 

L’homme : Ah ! Ma tête, ma tête !… Exceptionnels, oui bien sûr, les convois attendent les convoyeurs… Ah ! ma tête. Les convoyeurs n’ont aucune patience. Ils nous emmerdent ces convoyeurs! Ils  ne contrôlent  pas, ils prennent les gens au hasard, sans savoir s’ils ont un billet, alors vous comprenez, ils entassent, ils entassent, tous ces gens sans billet, ils les emmènent où ils veulent sans leur demander leur permission... J’ai de plus en plus mal, c’est insupportable…

 

Elle : Où les emmènent-ils ? 

 

 

 

 

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L’homme : Comment voulez-vous que je le sache ? J’étais simplement chargé du rassemblement, pour le reste… C’est affreux, ma femme en vadrouille je ne sais où, ma tête, ma pauvre tête… 

 

Lui : Calmez-vous, monsieur. 

 

L’homme :Me calmer ? Pour quoi faire ? 

 

Elle : Nous avons besoin de calme. Nous voulons nous reposer. Toutes vos histoires nous fatiguent et d’ailleurs, tout ceci n’a jamais existé. C’est une simple vue de votre petit esprit. Jamais il n’y a eu de convois spéciaux pour transporter qui que ce soit. Vous entendez ? Jamais ! 

 

Lui : (à elle) Ne vous énervez pas. Laissez-le dire. 

 

Elle : Ce n’est pas moi qui m’énerve, c’est lui. (à l’homme) Vous avez le don de me porter sur les nerfs. Allez jouer à la guerre ailleurs, votez les lois que vous voulez, dispersez qui vous voulez mais laissez-nous en paix ! 

 

L’homme : Vous n’avez donc rien compris, ma pauvre fille. La paix ! Tous ces événements tragiques nous prouvent bien que la paix n’est pas de ce monde, je vous l’ai déjà dit. 

 

Elle : Je ne crois pas un mot de ce que vous dites. 

 

L’homme : Ah ! Ma tête ! Je vous en prie, donnez-moi de l’aspirine. S’il vous plaît… 

Ah ! Que j’ai mal… 

 

Lui : Monsieur, nous n’avons pas d’aspirine. 

 

L’homme : Quel dommage. 

 

Elle : Et maintenant, laissez-nous. Nous avons à parler. 

 

L’homme : Je pourrais vous faire inculper pour non assistance à personne en danger. Vous ne me croyez pas ? 

 

Elle : Yes ! Je vous crois… 

 

Lui :… Monsieur, que voulez-vous, au juste ? 

 

L’homme : Moi ? Mais rien. Je ne veux rien. Juste causer avec vous. Je vous trouve sympathique tous les deux. 

 

Lui : Pourquoi nous harceler ? 

 

Elle : Nous menacer ? 

 

 

 

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L’homme : Les mots dépassent mes pensées quelquefois. Je m’entends dire des choses que je n’aurais jamais cru pouvoir penser. 

 

Elle :Et bien dans ce cas, il vaudrait mieux vous taire. 

 

L’homme : Oui. 

                                                                 SILENCE

 

Elle : J’ai pris le train, une fois…

 

Lui : … Oui ? Où alliez-vous ? 

 

Elle : Je partais. 

 

Lui : Avez-vous fait un long voyage ? 

 

Elle : Yes ! 

 

L’homme : … Et alors ? 

 

Elle : J’ai fait un très long voyage. 

 

L’homme : Cela peut arriver. Nous partons pour le week-end et finalement nous changeons d’avis en cours de route. 

 

Elle : C’est cela. J’avais changé d’avis. Le voyage était beaucoup plus long. 

 

Lui : Vous étiez seule ? 

 

Elle : Nombreux… 

 

L’homme : C’est toujours le problème avec les trains. On entasse, on entasse… 

 

Elle : Je partais sans savoir où j’allais. 

 

L'homme : Avez-vous traversé des forêts ? 

 

Elle : Je crois, oui.  

 

L’homme : Vous êtes-vous endormie un instant ? 

 

Elle : J’ai fermé les yeux mais je ne dormais pas. Je m’amusais à regarder le paysage à travers mes paupières. 

 

L’homme : Et alors ?  

 

Lui : Avez-vous bavardé un moment avec un voyageur ?  

 

 

 

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L’homme : (à lui) Dans ces trains, nous ne savons jamais sur qui nous pouvons tomber . Les femmes surtout doivent se méfier. Un incident fâcheux est si vite arrivé. 

 

Elle : A un moment, j’ai cessé de jouer… 

 

Les deux : Oui ? 

 

Elle : Pardon ? 

 

Lui : Vous avez cessé de jouer, disiez-vous… 

 

Elle : Oui . J’ai cessé de jouer, c’est cela. 

 

L’homme :Vous ne vous êtes pas ennuyée ? 

 

Elle : J’étais partie. Je fermais les yeux, j’étais prête à tout, vous comprenez. 

 

L’homme : Tout à fait ! (à lui) Nous comprenons tout à fait, n’est-ce pas ? 

 

Lui : Vous étiez prête à mourir ? 

 

Elle :Je m’y attendais. 

 

L’homme :Et alors ? 

 

Elle : Quand j’ai ouvert les yeux, j’ai vu les choses telles qu’elles étaient. 

 

Lui : Vous n’espériez plus rien . 

 

Elle : Plus rien.  Je ne faisais aucun effort. Les choses arrivaient, je les prenais du bon coté et tout allait bien.

 

Lui : Cet homme que vous avez rencontré… 

 

Elle : Il était assis en face de moi. Il fumait calmement. Il m’a souri plusieurs fois en faisant des ronds de fumée. Il était tombé amoureux. Comme ça. Il me racontait le paysage. Il avait beaucoup voyagé, il connaissait bien les paysages qui défilaient devant nous. Je suis à mon tour tombée amoureuse . 

 

Lui : Il voulait vous rassurer. 

 

Elle : Je l’écoutais en regardant la fumée s’échapper de ses lèvres, je crois que j’ai fini par m’endormir. J’étais bien, je l’entendais toujours, il parlait de ses projets. Avec moi.  

 

Lui : Où est-il maintenant ? 

 

Elle : En voyage. 

 

 

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Lui : Un long voyage ? 

 

Elle : Yes !… (à l’homme) … Et vous, comment va votre mal de tête ? 

 

L’homme : Il s’est un peu atténué, merci. 

 

Lui : …Cet homme que vous avez aimé dans le train… 

 

Elle :  Je le connaissais à peine.

 

Lui : Ne vous a-t-il pas offert une bague ? 

 

L’homme : Une bague ? 

 

Elle : Elle lui venait de sa grand-mère. Sa grand-mère lui avait donné une bague pour le jour où il rencontrerait une femme. 

 

L’homme : Ma grand-mère n’aurait jamais fait cela! 

 

Lui : Vous la portez toujours ? 

 

Elle : … 

 

L’homme : Montrez vos mains. 

 

Lui : Laissez-la ! 

 

L’homme : Elle l’a certainement perdue. Ou revendue. (à elle) Ne vous l’aurait-on pas plutôt confisquée ? 

 

Elle : … 

 

Lui : ( à l’homme) Confisquée ? 

 

L’homme : (à lui) Enfin, je veux dire, volée ! Cela arrive souvent dans les trains. Moi-même, je me suis fait dévalisé. J’ai aussitôt averti les forces de l’ordre mais rien n’y a fait. Tout m’avait été volé en un clin d’œil et les voleurs avaient disparu de la circulation tout aussi rapidement. 

 

                                                        SILENCE

 

Lui : … Que pouvons-nous faire ? Votre femme a disparu, les gens sont transportés malgré eux, notre ami Derin est peut-être mort à l’heure qu’il est, les lois sont votées à mains levées, le président joue au tennis, que pouvons-nous faire ? 

 

Elle : J’aimerais partir en voyage. 

 

 

 

 

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L’homme : Ma pauvre dame, les voyages ne sont pas très sûrs ces temps-ci. Non ! vraiment, restez ! C’est encore là que nous sommes le plus en sécurité. Nous pourrions nous détendre au bord du lac, me direz-vous. Mais le lac n’est plus ce qu’il était. Quand nous nous sommes  rencontrés , ma femme et moi, nous passions des heures à contempler le lac. Cela nous reposait. Un petit plongeon de temps en temps pour nous rafraîchir et la vie s’écoulait ainsi paisiblement. C’était le bon temps, je vous le dis.

 

Elle : Votre femme ne sait pas nager. 

 

L’homme : A peine… Quelle idiote celle-la ! Aucun maître nageur n’en est venu à bout. Elle n’est pas sportive pour un sou, elle les a découragés les uns après les autres. Ce qui l’a toujours sauvée in extremis, c’est son excès de poids. Elle avait cela pour elle, c’est qu’elle flottait tout naturellement . Mais pour avancer, c’était une autre paire de manches. Vous avez raison de rire, oui. C’était grotesque !… Un jour, elle venait de s’acheter un maillot… 

 

Elle : (à l’homme) Qu’avez-vous fait durant toutes ces années ? 

 

Elle : Vous ne répondez pas ? Vous ne voulez pas répondre ? 

 

L’homme : Ne m’en veuillez pas si la mémoire me fait défaut. Voyez-vous, je vais être en mesure de me rappeler les détails les plus infimes de mon existence. Les petites anecdotes, si vous préférez. Mais pour les grandes lignes, c’est le trou noir. 

 

Lui : Je ne me souviens même pas des petits détails. 

 

Elle : J’ai tellement de souvenirs en mémoire que je pourrais demeurer le restant de mes jours dans le passé sans jamais rattraper le présent… C’est impossible de cesser d’aimer quelqu’un que l’on aime… 

 

L’homme : … Je n’ai jamais aimé ma femme. 

 

Lui : Et elle ? 

 

L’homme : Elle s’en fout ! 

 

Elle : Pourquoi l’avez-vous tuée ? 

 

L’homme : Je n'en sais rien. 

 

Lui : Vous l’avez réellement tuée ? 

 

L’homme : Pas du tout, mon ami, pas du tout. 

 

Elle : Vous venez de l’avouer. 

 

L’homme : J’ai dit ‘je n’en sais rien’. Je n’ai pas dit que je l’avais tuée. 

 

 

 

 

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 Lui : Expliquez-vous, monsieur, je vous en prie.

 

L’homme : Quand je dis que je n’en sais rien, cela signifie que je ne sais pas 

 pour quelles raisons je l’aurais tuée, si je l’avais tuée !C’est aussi simple que cela.

 

Elle :Où est-elle ? 

 

L’homme : Ne criez pas. S’il vous plaît, ne criez pas. Je ne supporte pas d’entendre les gens crier. J’ai l’impression que je vais mourir quand j’entends les gens crier. Mademoiselle, je vous en supplie, ne criez pas. Parlez-moi calmement, gentiment. 

Posez-moi les questions que vous voulez mais, calmement. Je vous le demande 

à genoux. Je n’ai jamais tué personne. J’ai toujours protégé ceux qui étaient 

en danger, au contraire. Ma femme a disparu mais je ne l’ai pas tuée. Croyez-moi,  

je ne suis pas un assassin. (il pleure) 

 

Elle: ... Relevez-vous, monsieur, relevez-vous... Nous ne sommes pas là pour vous faire souffrir. 

 

L'homme: ... Je vous ai menti. Ma femme était très belle. 

 

Elle: Elle est partie? 

 

L'homme: Ya, Sie ist wegegangen spazieren zu gehen... 

 

Elle: ... Les gens se promènent et ne reviennent pas. 

 

Lui: Je suis parti, moi aussi. 

 

Elle: Vous êtes là. 

 

Lui: Oui! 

 

Elle: Vivant. 

 

Lui: Oui!... 

 

L'homme: Mes amis, puis-je vous poser une dernière question? 

 

Lui: Je vous en prie. 

 

Elle: Yes! 

 

 

                                                                                             SILENCE

 

 

 

 

 

 

 

 

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Elle: Ce type que j'ai croisé ce matin... 

 

L'homme: La question que je me pose... 

 

Lui: Le train continuait sa route.. 

 

Elle: Où allait-il?... 

 

L'homme: Je me la pose à moi-même... 

 

Lui: Il ignorait tout de notre amour... 

 

Elle: Je me le demande... 

 

L'homme: A-t-il pu la sauver?... 

 

Lui: Pourquoi s'est-il arrêté?... 

 

Elle: J'aurais dû l'aimer... 

 

L'homme: C'est un mystère, c'est bien ce qui me semblait... 

 

Lui: Je l'ignore... 

 

                                                                                        SILENCE

 

L'homme: ... Je voulais vous dire... 

 

Lui: ...Oui? 

 

L'homme: Ne nous sommes-nous pas déjà rencontrés dans le passé?  

 

Lui: (à elle)...Cette bague... 

 

L'homme: J'étais triste. C'est triste de voir ses amis partir. C'était une journée particulièrement triste. 

 

Lui:  (à elle) ...Cette bague...

 

L'homme: Ma pauvre femme. Il pleuvait des cordes, ce jour là. Je la revois courir sous la pluie. 

 

Lui: (à elle)... Vous l'avez? 

 

Elle: ... 

 

 

 

 

 

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L'homme: Le président était en voyage, je me rappelle. 

 

Elle: Le président est toujours en voyage. Il faut aimer les voyages pour être président. Il y a eu un jour, un président qui détestait les voyages. 

 

Lui: (à elle) Oui? 

 

Elle: Il restait toujours enfermé dans sa chambre. 

 

L'homme: (à lui)  Il était dépressif. Il ne voulait voir personne. Cela ne l'empêchait

 pas de gouverner. Il gouvernait très bien, ce président.

 

Elle: Il refusait même de voir son coiffeur. 

 

Lui: Comment faisait-il pour se tenir informé des événements extérieurs? 

 

Elle: On lui écrivait. Il recevait des centaines de lettres par jour. Il paraît 

 qu'il les lisait toutes. On lui  faisait glisser les lettres sous sa porte et

 il répondait par des lettres qu'il faisait lui-même glisser. Cela a duré

 plusieurs années. Quand il est sorti de sa chambre, personne ne l'a reconnu.

 

L'homme: Cela m'est arrivé également. 

 

Lui: Que vous est-il arrivé? 

 

L'homme: La dépression. Ce n'est pas drôle, vous savez. Vous n'avez plus 

 le goût à rien, la vie est fade et inutile.

 

Elle: Comment cela arrive-t-il? 

 

L'homme: D'un seul coup. Un matin, vous vous réveillez mais vos yeux restent 

 fermés. Vous ne regardez plus rien, le cœur  n'y est plus. Les couleurs s'effacent.

Tout s'efface peu à peu et c'est l'engrenage. La vie devient grise et plus elle  

devient grise, plus vous la voyez grise. Ce n'est vraiment pas drôle. 

 

Lui: Vous n'avez pas l'air très dépressif. 

 

Elle: (à l'homme) Vous avez souffert? Quand on souffre, la machine finit par lâcher. 

 

L'homme:Oui, oui. La machine est bonne pour la casse. C'est cela, oui. Il est tard, il faut que je rentre chez moi. 

 

Elle: Cela me rappelle une chanson. 

 

L'homme: Ma femme a horreur d'attendre. Elle a passé sa vie à attendre, la pauvre. C'est mon anniversaire aujourd'hui. Elle aura certainement cuisiné un petit quelque chose pas ordinaire pour l'occasion. Elle est fine cuisinière, ma femme.  

 

 

 

"…NE DITES RIEN…"  Brigitte MOUGIN / 2004 /  87, rue de l'Ouest 75014  Paris 01 45 40 05 08

Lui: Et bien, bon anniversaire! 

 

Elle: Yes! 

 

L'homme: Merci, merci. Je dois y aller. Merci. Je ne peux pas manquer à mon anniversaire, ce serait trop bête. J'ai toujours détesté les voyages organisés.  

Tout est programmé à l'avance. Sans vous. Nous devrions pouvoir décider nous-mêmes. 

 

Elle: Ce sont les gros qui décident. 

 

L'homme: Oui. 

 

Elle: Et les petits qui disposent. 

 

L'homme: Oui. 

 

Elle: C'est la guerre. 

 

L'homme: Oui. 

                                                                            LONG   SILENCE

 

L'homme: (sur le point de sortir) ... Je déteste les adieux.  Les départs sont

 presque toujours synonymes de séparation et j'ai horreur des séparations.

Les trains divisent l'humanité en deux... 

 

Elle: Les gros d'un coté... 

 

L'homme: Ceux qui partent et ceux qui restent!  

 

Lui: Vous pouvez rester, vous ne dérangez pas. 

 

L'homme: ... Je ne peux rien y faire. Je suis brisé.(en sortant)... C'était un excellent ami... 

 

Lui :  Derin?

 

L'homme: Vous- vous rappelez? Quelle allure! (il imite son ami, comme 

 au début.)

 

Elle: Bon anniversaire! 

 

( l'homme sort) 

 

Lui: ... Il a vécu les mêmes choses. 

 

Elle: Yes! 

 

Lui: Il a tout oublié. 

 

 

"…NE DITES RIEN…"  Brigitte MOUGIN / 2004 /  87, rue de l'Ouest 75014  Paris 01 45 40 05 08

Elle: Tout. 

 

Lui: Les mots nous reviennent mais nous ne les entendons pas. 

 

Elle: ... C'est agréable. Ce silence. 

                                                                          SILENCE

Lui: ... Comment vous sentez-vous? 

 

Elle: Bien. Cela va bien... 

 

Lui: ...Tout cela est un rêve? 

 

Elle: Yes! 

 

Lui: ... Un mauvais rêve? 

 

Elle: Nous sommes ensemble. 

 

Lui: Oui. 

 

Elle: ... Ce n'est pas un mauvais rêve. Je suis heureuse. 

 

Lui: Vous ne riez plus. 

 

Elle: Je me suis beaucoup inquiétée mais maintenant, cela va bien. Je vais très bien. Et vous, comment allez-vous? 

 

Lui: Bien. 

 

Elle: Vous aviez raison. 

 

Lui: Je n'en sais rien.  

 

Elle: Pour la bague. 

 

Lui: C'était une améthyste. 

 

Elle: Oui ! 

 

Lui: De très belle taille, je crois. 

 

Elle: La couleur aussi.  

 

Lui: La couleur, oui. 

 

Elle: Yes! 

              NOIR    

                                                                                           

 

"…NE DITES RIEN…"  Brigitte MOUGIN / 2004 /  87, rue de l'Ouest 75014  Paris 01 45 40 05 08 @ mai 2004 Paris - septembre 2004.