INTRODUCTION

L'assimilation du Bouddhisme ne relève en aucune manière de l'intelligence, mais de sa mise en pratique. En effet, bien que l'on puisse envisager le Bouddhisme comme un objet à saisir, celui-ci, de même que tout objet physique, ne peut être partagé par la seule fonction cognitive. En effet, elle ne dispose pas, à l'état naturel, des facultés suffisantes et, en outre, la notion de partage ne ressort pas " culturellement " de ses objectifs.

De fait, l'intelligence, ou la faculté d'établir des relations entre les " choses ", ne permet que l'élaboration, en soi, d'un réseau d'images relatives à l'objet. Or, ces représentations ne sont pas l'objet lui-même mais les résonances qui en dérivent, et celui-ci, d'évidence, reste de par sa nature en dehors du pouvoir de la réflexion. Comme son nom l'indique, la réflexion n'est que ce à quoi nous renvoie l'objet, mental ou physique, auquel elle s'applique.

Par exemple, que vous appliquiez votre réflexion sur un être aimé ou sur une part de tarte aux pommes, vous constaterez que, même si dans le foisonnement d'images certaines sont d'une grande exactitude, vous n'en partagez pas plus la réalité intérieure immédiate que vous n'y arriviez avant d'y réfléchir. Cela peut se vérifier avec toutes les formes puisque aucun être, objet ou phénomène n'est, en réalité, " pensable ". Dès lors, quelle que soit l'envergure ou la pauvreté relatives de l'intelligence, celle-ci ne produit jamais autre chose que des images mentales plus ou moins en rapport avec l'objet sur lequel elle s'exerce. Ce qui, en regard du fait que notre vie est constituée uniquement de relations aux objets, donne si peu de résultats que les prétentions dont se nourrit fréquemment la pensée n'aboutissent qu'à l'expression patente de son manque d'envergure.

Ce point clarifié, et l'enseignement bouddhique étant l'expression de l'Eveil du Bouddha, il en découle naturellement que cet objet particulier se place d'une manière effective en dehors de la cognition usuelle. En conséquence, certains concepts évoqués dans le présent ouvrage ne pourront être facilement mesurés par la réflexion. Par exemple, si le concept de " non dualité de la matière et de l'esprit ", quoique choquant, peut être estimé par la logique équivaloir à < la matière et l'esprit sont une seule et même chose >, la profondeur de son contenu, probablement, lui échappera dans l'immédiat. Ce n'est qu'après avoir longuement mûri ce concept en soi, après son acceptation, que certaines résonnances s'édifieront et permettront à la logique d'investir les nouveaux horizons générés par le concept lui-même. En outre, si dans son exercice usuel l'intelligence a pour caractéristique d'établir des relations entre les choses, elle ne fait en réalité que s'auto-conditionner dans ses représentations puisque celles-ci, conséquentes, n'expriment qu'une arborisation exclusive. Ces représentations, de par leur consécutivité, ne définissent que le sujet lui-même et n'atteignent jamais l'essence des objets en tant que tels.

Dès lors, il convient d'admettre que, mue par une sorte de vampirisme inconsidéré, la fonction cognitive s'alimente et se perpétue dans la complète négation de la réalité objectale, puisque celle-ci est de fait réduite à une fonction de support projectif. Il s'agit donc, à nos yeux, de distinguer d'une part la fonction cognitive, qui ne s'enrichit que de ce à quoi elle est renvoyée, c'est-à-dire le maintien de sa série, et d'autre part la capacité innée en chacun d'approfondir, grâce à l'intégration, les concepts sur lesquels la cognition ordinaire " surf " bêtement. L'une, frileuse et stérile, relève d'un " vouloir circonscrire ou mesurer " protectionniste, l'autre, plus aventureuse et féconde, du " vouloir s'ouvrir " à ce qui la dépasse.

Cette capacité d'approfondir, loin de perpétuer les connexions habituelles de la pensée, permet de les modifier ou de les échanger au profit d'une plus grande latitude sensible. Or, sachant que la qualité de la vie quotidienne dépend, non pas des phénomènes puisqu'ils ne sont jamais perçus en eux-mêmes, mais de leurs résonances en nous, il va de soi que le bonheur ou le malheur ne découlent que de la profondeur ou de la superficialité de la conscience momentanée de l'observateur. Toutefois, il apparaît que seule la nature du concept ou de l'objet intégrés définissent la qualité potentielle de l'approfondissement. En effet, certains concepts ne permettent aucun approfondissement car ils n'en sont pas porteurs, d'autres, par contre, mènent à l'éveil du corps et de l'esprit. Pour cette raison, les surprenantes cohabitations de l'intelligence et de l'avidité, ou des connaissances et de la stupidité, faits sociaux d'une ahurissante présence, ne tiennent d'évidence qu'à la superficialité inhérente aux concepts véhiculés par chacun.

Sur le principe, cet ouvrage se veut et se situe à la portée du plus grand nombre. Cependant, considérant la profondeur de l'enseignement et des concepts issus de l'éveil du Bouddha, il nous faut reconnaître que certains des éléments développés seront probablement difficiles d'accès, voire parfois hermétiques, au lecteur non préparé. C 'est pourquoi nous incitons la personne susceptible " d'esprit de recherche " à passer outre ce qui pourrait s'avérer incompris dans l'immédiat et à poursuivre sa lecture, sans pour autant remettre dramatiquement en cause ses facultés réflexives et imaginatives. Seule une relecture, vraisemblablement, pourra lui permettre de mieux approcher ce que son esprit ne peut que rejeter, parfois à son corps défendant. Là , réside un aspect du concept évoqué de " non dualité de la matière et de l'esprit ", et il en ressort déjà, probablement, que le travail usuel de la pensée peut s'avérer ne pas être toujours pleinement satisfaisant.

La conditionnalité, la vacuité et la voie du Milieu.


Les cinquante années d'enseignement du Bouddha Shakyamuni ont eu pour objectif la réduction, voire la suppression, des souffrances des êtres. En fait, si l'on en croit son enseignement le plus profond, le Sûtra du Lotus*, la volonté du Bouddha est de permettre aux êtres de s'éveiller comme il le fit lui-même, à l'aspect réel des phénomènes. La raison en est qu'il ne peut y avoir de liberté dans l'ignorance de la réalité et que celle-ci n'est constituée que par les phénomènes.

Cette réalité phénoménale, ordinairement percue en termes de causes et d'effets multiples et successifs, a toujours constitué un obstacle majeur à l'analyse des différents penseurs et philosophes depuis le passé le plus lointain. Certains même, démissionnant devant le constat de régression à l'infini des causes et des effets, se sont retranchés frileusement dans le concept onirique et par là-même inadéquat d'une force originelle, d'un principe premier où d'un dieu immatériel présent hors de la causalité et cependant tout puissant. Ce concept " bouche trou " indémontrable permettait, tant bien que mal, d'instituer une origine aux choses et aux êtres à défaut d' expliquer à ces derniers le sens de leur présence et l'aléatoire des événements de leur existence.

Malgré ces vaines tentatives, pour nous, êtres humains, la précarité des phénomènes semble avoir toujours été la pierre d'achoppement de notre volonté de tranquillité sereine et de bonheur durable. La modification, l'éloignement ou la disparition de ce que l'on aime et l'apparition, le rapprochement de ce que l'on déteste constituent, entre autres, si le vouloir et les actes ne peuvent y remédier, le cadre d'exercice de souffrances aussi diverses que particulières. Or, l'existence n'est qu'une somme de relations à des objets soit mentaux soit physiques comme son propre corps, les êtres, les choses et les événements.

Pour Shakyamuni, l'extrème mobilité des phénomènes physiques et mentaux lui apparut constituer une source inépuisable de complications pour les êtres. Dès lors, persuadé que l'ignorance en général a sa responsabilité dans le mal-être individuel, il indiqua, dans un premier temps:

" Je vous ai enseigné, ô moines, à voir la conditionnalité partout et en toute chose ". (1)

Parmi les nombreux concepts développés par le Bouddha, celui de "production en dépendance*" éclaire les raisons de cette fugacité phénoménale. Selon ce concept, les phénomènes résultant de causes et conditions multiples, il est impossible pour quoi que ce soit de durer ou d'être égal à lui-même, en deux points de l'espace et du temps, sauf dans l'imaginaire et l'attachement à ce que l'on croit, à tort, doté de durée. En effet, seuls le manque de recul dans le temps et l'approche dénuée de finesse quant aux caractères particuliers de chaque phénomène justifient, à tort, le sentiment subjectif de leur état statique.

Dans le bouddhisme, ce constat de conditionnalité phénoménale s'applique également au concept des cinq agrégats*. Ces cinq agrégats constitutifs de toute forme individuelle sont: la matière, la perception, l'image en soi, la volition et la conscience de l'acte. Ils caractérisent la qualité intrinsèque à tout agencement provisoire, c'est-à-dire à tous les phénomènes, puisque dans le bouddhisme chaque forme possède potentiellement les mêmes caractéristiques que les autres. Or, leur précarité se constate dans le fait que tant le corps ou la forme, que les quatre constituants du travail de la pensée sont déterminés, dans le temps, par le mouvement de facteurs intérieurs et extérieurs. Bien que ces cinq agrégats soient le fondement de la personnalité en tant que " regard individualisé, ils varient constamment dans le temps et placent le sujet dans une situation où, de fait, l'instant présent ne peut vraiment être ni identique ni différent des instants antérieurs et postérieurs.

Le Bouddha enseigne effectivement:

" Toutes les formations sont transitoires, toutes les formations sont sujettes à la souffrance, toutes les formations sont sans < en-soi >. La forme est transitoire, la perception est transitoire, les images en soi sont transitoires, la volition est transitoire, la conscience de l'acte est Transitoire. Et ce qui est transitoire est sujet à la souffrance, et de ce qui est transitoire et sujet à la souffrance et au changement perpétuel, l'on ne peut dire justement < ceci m'appartient, je suis ceci, ceci est mon Moi > ". (2)

Selon Shakyamuni, le constat de la précarité des êtres et des choses permet de modérer l'attachement à ce que l'on croit doté de durée. En outre, de la conditionnalité des phénomènes découle naturellement le principe selon lequel il n'est de " Soi " perdurant en rien, ni dans les phénomènes ni dans les êtres. La réalité d'une entité durable intrinsèque étant rejetée, il va de soi que considérer une chose par nature évanescente comme étant " soi-même " est source de sentiments d' insatisfaction. Shakyamuni explique en effet:

" _ moines, vous voudriez posséder quelque chose qui fût permanent, stable, éternel, non sujet au changement, qui durerait comme ce qui est éternel. Mais où voyez-vous une possession de ce genre ? Je n'en vois aucune ". (3)

Dès lors, selon le bouddhisme, la souffrance mentale provient fondamentalement de l'incompréhension ou ignorance. Celle-ci, en conséquence, engendre l'agitation et le désarroi de la pensée face à tous les phénomènes qui, dans notre école, sont réels malgré le fait qu'ils soient eux-mêmes conditionnels et sans en-soi fixe. La souffrance mentale, ou la production de souffrances par le fait de ce à quoi s'attache la pensée, tient aux représentations en soi des objets mentaux ou du monde phénoménal. Ces représentations d'images successives tissent la durée et la qualité de l'état de vie de l'observateur pour l'unique raison qu'il s'y identifie, puisqu'il les voit comme " vraies " car " siennes ", et ne se perçoit nulle part ailleurs qu'en celles-ci. Avec perspicacité, Shakyamuni indique dans le " Sûtra de l'Eveil parfait ":

" De toute éternité, les êtres ont la vue fausse d'un Moi et de celui qui aime ce Moi. Ne sachant pas qu'ils ne sont eux-mêmes que l'apparition et la disparition de pensées successives, ils éprouvent de la répulsion et de l'attraction et s'attachent aux désirs ". (4)

Nous pouvons remarquer, cependant, que si " l'apparition et la disparition de pensées successives " expriment la qualité de vie de la personne, celle-ci possède toujours la capacité de ressentir un état plus riche ou plus étriqué. Effectivement, contrairement aux acceptations du bon sens commun, le Bouddha enseigne que la souffrance, ou tout autre état, ne provient pas des phénomènes eux-mêmes mais uniquement des représentations que l'on s'en fait. Dès lors, la crispation sur une manière particulière de voir les choses, comme étant < soi-même >, ne contribue qu'au maintient de l'état " habituel ", au détriment d'autres états, éventuellement plus vastes.

Outre ce point, nous tenons pour vrai que les phénomènes sont réels car, étant momentanément existants, ils laissent en nous une empreinte. Et nous appelons dès lors " égarements de la pensée " le poids variable de cette marque en soi, ainsi que les réactions mentales et physiques qu'elle engendre. De plus, la qualité des réactions engendrées par un fait événementiel est, semble-t-il, davantage de l'ordre du " vrai " relatif auquel s'attache la pensée subjectivement impressionnée, que de la perception de la nature réelle du phénomène en tant que tel.

L'ignorance de la réalité intrinsèque des choses et les projections mentales, qui spontanément en découlent , apparaissent être par conséquent l'unique matrice de nos difficultés.

Dans le même ordre d'idée, le sûtra de l'Eclat Doré indique:

" L'ignorance n'a originellement ni substance ni caractères, ceux-ci viennent à l'existence à cause de l'assemblage des pensées erronées et des relations de causalité. Voila pourquoi je l'appelle ignorance... Toutes les souffrances et les douleurs, les actes inconcevables, l'infini des naissances et des morts, leur interminable succession, ne sont originellement ni produits ni assemblés ce sont des fabrications de la pensée discursive mauvaise." (5)

Qu'en est-il alors de cette ignorance décrite comme ne possédant ni substance ni caractères mais étant le fondement de la difficulté d'être ? Elle se traduit, d'évidence, par le fait perceptif butant sur une réalité événementielle difficile à pénétrer. Du reste, à l'observation, tant l'approche intuitive que discursive du phénoménal laisse celui-ci impénétrable.

La conditionnalité des phénomènes, ainsi que leur non en-soi fixe appelé aussi vacuité, furent d'ailleurs les premiers éléments de réflexion ou de méditation permettant aux disciples d'établir en eux un esprit pacifié. Cependant, dans le but de leur permettre de s'éveiller à l'aspect réel des phénomènes, Shakyamuni, loin d'évacuer la réalité du monde phénoménal, encouragea plutôt ses disciples à en percevoir l'essence. Nous lisons en effet:

" Le bodhisattva* qui pratique la perfection de la sagesse doit exercer l'expertise de l'essence de tous les dharma, et ce depuis sa première production de la pensée d'éveil jusqu'à la suprême et parfaite illumination ". (6)

Qu'en est-il donc de cette essence ? Un commentaire la décrit ainsi:

" Le vrai caractère des dharma conditionnés est inconditionné, et ce caractère inconditionné lui-même n'est pas conditionné: ce n'est qu'une expression imaginaire forgée par la méprise des êtres " . (7)

En clair, s'il apparaît évident à tous que les phénomènes ne sont pas fixes et relèvent de la conditionnalité du fait de la mobilité de leurs constituants, l'extrait cité semble indiquer que seule la méprise des êtres les envisage de la sorte, alors que le caractère vrai, lui, est inconditionné. Il en ressort que les phénomènes et les êtres, bien que conditionnés par les circonstances et possédant virtuellement une latitude illimitée d'expressions montrent, pourtant, à chaque instant, un caractère vrai inconditionné: leur existence individuelle particularisée.

En effet, selon les enseignements les plus profonds du Bouddhisme trois angles de vue simultanés sont nécessaires pour partager la réalité phénoménale.

Les trois vérités, ou trois angles de vue pour percevoir cette réalité intrinsèque aux phénomènes, sont :

KU - la vacuité, non substantialité, vide, latence. Il s'agit du fait de concevoir le non en-soi fixe des phénomènes, et de ce point de vue tous sont " égaux ". Ce concept indique également l'infinie possibilité inhérente en chaque forme.

KE - la conditionnalité, l'existence est temporaire, mutable, précaire. De par le mouvement des conditions chaque phénomène momentané est unique, tant vis à vis des autres, que vis à vis de lui-même dans le temps.

CHU - la Voie du Milieu. Absolue réalité des phénomènes dans leur conditionnalité et leur vacuité.

Dans la philosophie bouddhique, les souffrances ne se distinguent ni en terme de nature ni en terme de fonction de l'ignorance. Or, ce triple éclairage porté sur la masse des souffrances individuelles met en évidence trois niveaux de difficultés, chacun déterminé par la profondeur de l'angle de vue lui-même.

Le premier niveau concerne les souffrances dues au travail réflexif de la pensée.

Le second traite des souffrances découlant de la présence d'êtres et de phénomènes extérieurs à la pensée.

Le troisième niveau, quant à lui, éclaire l'ignorance basique de la forme percevante. Ce dernier niveau considère l'observateur/acteur et montre que seul l'éveil est libérateur de toutes les souffrances, puisque celles-ci ont pour origine l'ignorance " constitutionnelle " de la forme/pensée.

Approche des trois niveaux de difficulté







Il apparaît que ces trois sortes d'obstacles, générateurs de souffrances diverses, couvrent la totalité des représentations du monde par la pensée individuelle. Ils échelonnent la profondeur de l'ignorance et de la souffrance ordinaires et communes.

Nous les considérerons selon les doctrines de l'école Chinoise du Tiantai* et selon l'école Japonaise Nichiren* qui, appuyées sur l'essentiel de l'enseignement de Shakyamuni et des commentaires des grands maîtres, semblent être les seules à y aboutir.

Ces trois niveaux de difficultés ou trois groupes d'obstacles engendrés par l'ignorance sont:

1) les obstacles des vues ou du connaissable, que l'on peut dépasser par la vue de la vacuité (ku), après avoir reconnu et admis leur conditionnalité (ke).

2) Les obstacles phénoménaux ou innombrables qui, du fait de leur existence indubitable, impliquent de repasser de la vérité de la vacuité (ku) à la vérité de la conditionnalité (ke).

3) L'obscurité fondamentale, uniquement tranchable par la vérité de la voie du Milieu (chu).

1) La vérité de la vacuité.

Les obstacles des vues ou du connaissable définissent l'ignorance et les égarements de la pensée. Globalement celle-ci s'aliéne dans son attachement à la durée qu'elle attribue à tort aux êtres, aux choses et aux phénomènes. Le principal est la croyance en la réalité du corps, des corps, entraînant de multiples désirs vis à vis de ce que l'on croit exister et durer en tant que tel. Ces désirs, recouvrant les objets connaissables et leur nature non illusoire, sont souffrance. En outre, ils font obstacle à la boddhéité d'où le nom d'obstacle aux connaissables. Cet attachement se manifeste au quotidien pour chacun de nous dans la cupidité, la colère, l' ignorance et l'orgueil.

Quant à la pensée usuelle, son exercice naturel l'enlise dans des considérations telles que:

- sa toute puissance,

- les notions de mort ou d'éternité ,

- la non-causalité,

- la non distinction entre ce qui est inférieur ou supérieur,

- la croyance en la magique efficacité des rites.

L'enseignement du Bouddha définit l'attachement à la notion d'existence durable comme un trouble produisant la souffrance et ne permettant pas de voir le monde des phénomènes dans sa réalité. Alors, le constat de la précarité des choses et des êtres (Ke) permet de concevoir dans une première phase, qu'il n'est, en eux, pas d'identité dans le temps. Dans une seconde phase, établir une manière de percevoir imprégnée de la vacuité (ku) des phénomènes apparaît être la façon " habile " de se guérir. Elle permet en effet de réaliser que les phénomènes, bons ou mauvais, ne peuvent avoir été, être et se perpétuer identiquement puisque ne possédant pas cette caractéristique. Non seulement on ne peut trouver en eux de stabilité mais, de plus, tous les possibles leur sont par principe inhérents.

Dès lors, l'illusoire fixité des phénomènes, ressentie et exprimée par des termes courants tels que: jamais, toujours,... semble plus souvent traduire une volonté de l'esprit de se projeter et de souffrir d'une production inhibante, qu'un constat de fait permettant une action libre et adaptée.

De plus, cette approche permet de s'ouvrir au fait que notre état de vie, loin d'être uniquement assujetti aux circonstances, dépend totalement de notre pensée momentanée. Le mouvement des dix états*, en nous, ne relevant que de la production d'actes dans l'instant, une totale liberté de principe en émerge. La vérité de la vacuité trouve là sa raison d'être.

2) La vérité de la conditionnalité.

Les obstacles phénoménaux, quant à eux, portent sur la diversité et l'infinité des troubles individuels découlant de la présence des phénomènes. Ces obstacles incombent en principe aux êtres ayant déjà dépassé les obstacles des vues et des connaissables par la vision de la vacuité des phénomènes. La raison de cette seconde catégorie d'obstacles est que la seule vacuité, si elle guérit d'attachements inconsidérés et par là-même réduit certaines souffrances personnelles, ne permet pas l'approche de la réalité phénoménale. Or, à travers naissances et morts, il n'est guère possible de s'extraire du fait perceptif et celui-ci, continûment, produit ses objets. Pour cette raison, les phénomènes, à travers la vacuité et la conditionnalité de leur forme, constituent l'obstacle incontournable, et sans origine, en raison duquel se poursuit indéfiniment, dans l'ignorance, la souffrance du cycle des six voies*.

En réalité toute chose existe indubitablement, du fait de la production conditionnée, et seul le retour à l'objectivité de cette conditionnalité multifactorielle permet alors la guérison de la vue de la vacuité. Dès lors, pour éviter que le seul sentiment de la vacuité des choses et des êtres ne devienne cause de souffrances conséquentes, et ne fasse en outre obstacle à la boddhéité, là est indispensable l'application de la vérité de la conditionnalité.

3) La vérité de la voie du Milieu.

Le dernier obstacle est constitué par l'obscurité fondamentale. C'est une illusion enfouie au plus profond de notre corps, et par là-même de notre esprit. Mère de l'ensemble de nos troubles, elle établit la distinction entre le bouddha et tous les êtres. L'obscurité est en effet l'origine atemporelle du cycle des six voies. Frein ultime à la perception de l'aspect réel des phénomènes, elle est guérie, selon notre école, par la mise en pratique de l'aspect véritable de la voie du milieu. Celle-ci permet de percevoir l'absolue réalité des phénomènes non-nés, non-détruits, dans la conditionnalité et la vacuité. Là, est la vérité de la voie du milieu.

La perception du vrai caractère des dharma, ou phénomènes, aboutit donc naturellement à la suppression de toutes les souffrances dues à l'ignorance. Telle se positionne, selon nous, la voie du milieu permettant l'accès à l'éveil des êtres.



Cependant, il faut noter que toutes les écoles bouddhiques ne partagent pas cette approche, loin s'en faut. La raison en est que certaines, voire le plus grand nombre, confondant la voie du milieu et la vérité de la vacuité, accordent à cette dernière une qualité de perception du réel qu'elle ne possède pas. Or, il nous apparaît que la prétention " médiane " dont certains parent la vacuité ne découle pas du vouloir des éveillés. Elle a été seulement le fait de quelques commentateurs se cantonnant, pour certains, volontairement au non-dit et pour d'autres aux miroitements de leurs propres images mentales.

Nagarjuna*, par exemple, reprenant les paroles du Bouddha Shakyamuni, cite dans son " Traité du Milieu ":

" Il n'y a ni naissance, ni extinction, ni cessation, ni permanence, ni uniformité, ni diversité, ni allée, ni venue (des phénomènes) ".

Selon une lecture envisagée par certains comme " orthodoxe ", Nagarjuna établit ainsi que les phénomènes n'ont aucun " en soi fixe ". Ils sont " vides " ou sans substance, parce qu'ils ne naissent et ne disparaissent qu'en vertu de leur relation avec d'autres phénomènes. De cette lecture découle le fait, qu'aussi bien l'identité personnelle, que les multiples phénomènes, ont pour nature cette non-substantialité ne pouvant être définie ni comme existence ni comme non-existence. Telle s'exprime pour certains, semble-t-il, la voie du milieu établie par Nagarjuna.

Cependant, cet aphorisme, comme certains autres du même auteur, ouvre sur une lecture de la voie médiane qui, à l'analyse, ne saurait être réduite à la seule vacuité. Nous lisons par exemple:

" Voyant que la production est conditionnée

On passe au-delà de la non-existence,

Voyant que la cessation est conditionnée,

On cesse d'affirmer l'existence ". (8)

Or, passer au-delà de la non-existence, ou vacuité, et cesser d'affirmer l'existence " fixe ", puisque conditionnelle, n'est pas sans impliquer une troisième lecture illuminant les deux premières. De fait, écartant la production et la cessation qui, conditionnées, ne font que produire un temps et un espace en se générant l'une et l'autre, qu'en est-il de l'incontournable conditionnement momentané ? Comment le nommer et, surtout, peut-on l'évacuer aussi facilement alors que tout est momentané et conditionné ?

Nagarjuna affirme d'ailleurs:

" Tout comme le mirage est semblable à l'eau, mais

N'est pas l'eau et n'existe pas en fait (en tant qu'eau),

Ainsi les agrégats* sont semblables au soi, mais

Ne sont pas le soi et n'existent pas en fait (en tant que soi).

Ayant cru que le mirage était

De l'eau et s'y étant rendu,

Il serait stupide, celui qui conclurait

Que l'eau n'existe pas ". (9)

A la réflexion, la non-existence d'un soi doué de durée étant démontrée, notons que le qualificatif de stupide, pour Nagarjuna, s'applique à ceux niant ou évacuant la réalité intrinsèque des choses; à savoir " l'eau ", dans cet exemple, en tant qu'existence incontestable. Le même philosophe, en outre, citant Shakyamuni, commente:

" Le vainqueur a dit que la vacuité

Est l'extirpation de toutes les vues

Et a déclaré incurables

Ceux pour qui la vacuité est une vue ". (10)

Il semble donc légitime de penser que le terme " incurable " désigne la perturbation caractéristique des êtres s'étant guéris des troubles résultant de la croyance en la fixité d'un "soi" (Ke), et restant attachés à celui de la non-existence (Ku). En d'autres termes, si la vacuité guérit de certaines souffrances, l'attachement à celle-ci en engendre d'autres, déclarées incurables. Ces êtres, ignorant donc la réelle profondeur de la voie médiane, considèrent la négation des deux concepts de conditionnalité et de vacuité comme un manque de fondement insupportable, et essaient de s'y soustraire.

Concernant cette prise de position extrême, Nagarjuna affirme:

" Effrayés par cette doctrine sans fondement,

Se complaisant dans un fondement n'allant pas

Au-delà d'existence et de non-existence,

Les êtres sans intelligence se perdent ". (11)

Tel est le point de vue de Nagarjuna, et les propos suivants de Shakyamuni indiquent le seuil infranchissable de la raison ordinaire et la qualité même de la sagesse de l'Ainsi venu*:

" Immobiles, ô Subhûti, sont tous les phénomènes (dharma); ils ne vont nulle part, ne viennent de nulle part et ne s'arrêtent nulle part ". (12)

Il découle de l'expression, " ne vont nulle part, ne viennent de nulle part ", que les imaginations relatives au passé et au futur de soi-même et de ce qui ne l'est pas sont inadéquates quant à l'observation de la réalité des choses. Cette expression est également indicative du fait que la seule vacuité des choses ne résout pas le problème de ces phénomènes qui, ne venant et ne se rendant nulle part, restent immobiles et occupent donc le présent. De plus, étant nous-mêmes directement concernés en tant que phénomène provisoire, une lecture uniquement axée sur la vacuité est forcément réductrice quant à l'approche de notre réalité momentanée. Quant à la formule, " ne s'arrêtent nulle part ", elle écarte les impressions subjectives de fixité des phénomènes et implique certainement de s'ouvrir à un regard plus fin sur l'aspect réel des êtres et des choses. Selon notre école, considérer la vacuité des êtres et des phénomènes, de l'observateur et du perçu, comme étant l'ultime, ne fait qu'évacuer l'incontournable et absolue réalité de la forme provisoire.

La Voie du Milieu dans l'école chinoise Tiantai







Aux environs du sixième siècle de notre ère, le premier patriarche de l'école Tiantai, le Maître chinois Huiwen*, découvrit le passage suivant lors d'une lecture du Traité de la Voie du Milieu de Nagarjuna :

" Ce qui est produit par des causes,

Cela, dis-je, est identique à la vacuité.

C'est aussi identique à de simples mots.

C'est en outre le sens de la voie moyenne ".

Auparavant, du fait de ses recherches personnelles, Huiwen avait déjà conçu le principe de la non dualité de l'être et de l'environnement*. A la lecture de cet aphorisme, il s'éveilla immédiatement au sens que Nagarjuna y donnait, à savoir: trois angles de vue étaient nécessaires pour percevoir l'aspect réel des choses.

Le premier concerne la vacuité qui révèle le caractère " égalitaire " ou la " non différenciation " inhérents aux multiples phénomènes. Le second concerne la conditionnalité, qui explicite le monde des différenciations individuelles ou l'agencement de " simples mots ". le troisième est celui de la vérité " médiane " éclairant la totalité des phénomènes sous tous leurs aspects. Autrement dit, ce qui est produit par des causes est identique à la vacuité, est identique également à la conditionnalité et c'est en outre le sens de la voie du milieu. Il apparut alors à Huiwen que la véritable nature des choses, ou voie du milieu, ne s'exprime que dans l'éternelle vacuité et conditionnalité des phénomènes. (13)

Du reste, concernant la prise de conscience du Maître Huiwen, quant à la véritable Voie du Milieu vis à vis des deux vérités de la conditionnalité et de la vacuité, nous lisons dans le dictionnaire Hôbôgirin:

" Ce qu'il faut remarquer, c'est que cette théorie considère la vraie signification de la voie du milieu comme une négation et une illumination des deux vérités qui la précèdent, et que, du point de vue de la véritable voie du milieu, toutes les existences sont absolue par-delà ces deux vérités, en tant que leur nature n'est pas l'objet des mots ou des concepts ". (14)

Cette prise de conscience, relative à l'aspect réel des phénomènes, fit qu'en conséquence, le deuxième patriarche de l'école, Huisi*, reçut des mains du Maître Huiwen la doctrine de la " triple contemplation " et celle, en découlant, de la " pensée unique ". (15)

De ce fait, le concept de la véritable nature des choses (shixiang) s'est élaboré dans l'oeuvre du successeur de Huiwen: Huisi. Pour ce dernier, les trois aspects de la réalité (ku.ke.chu) sont identiques l'un à l'autre et ne peuvent être appréhendés séparément ou graduellement. Autrement dit, toute chose ou dharma est vide d'en-soi fixe parce que produit par les circonstances, et de ce fait exprime une existence temporaire indubitable. Le fait qu'il soit vide et temporaire constitue sa vérité médiane. Dès lors, la véritable nature des choses ne peut donc être percue que dans le monde phénoménal. (16)

Cette théorie de la véritable nature des choses , résultant naturellement de la perception de la non dualité de la matière et de l'esprit*, atteint son plein épanouissement avec le troisième patriarche de l'école Tiantai, Zhiyi*, qui sut systématiser le courant de pensée provenant de Nagarjuna, de Huiwen et de Huisi son maître. (17)

Sur la base de son propre éveil, Zhiyi, dans le Maka Shikan, enseigne une méditation pour percevoir le " royaume de l'insondable " interprétée tantôt comme l'unification des trois vérités en un seul moment, tantôt comme " Une pensée trois mille* " (ichinen sanzen). L'unification des trois vérités de la conditionnalité, de la vacuité et de la " médianité ", selon l'école Tiantai, consiste à percevoir que chacune de ces trois vérités contient en elle les deux autres. Les trois vérités sont comprises dans tout phénomène, et chacune découle naturellement de l'observation " médiane ". Selon Zhiyi, en saisissant dans une seule pensée cette unité, on efface simultanément les trois catégories d'illusions tout en acquérant les trois sortes de sagesse. Tel est le principe dans son application ultime.

Plus généralement, les trois sortes de sagesse permettant graduellement de dépasser les obstacles des vues, du phénoménal et de l'obscurité fondamentale sont, selon l'ordre croissant établi par Zhiyi:

- la sagesse éveillée à la conditionnalité: l'existence illusoire est la vérité vulgaire (ke), ce monde est soumis à d'incessants changements, donc les phénomènes sont vacants (ku);

- la sagesse percevant la vacuité: la vacuité est la vérité suprême (ku), ce monde est vide d'en-soi fixe, mais le fait de l'existence momentanée des êtres et des phénomènes implique le retour à la conditionnalité (ke);

- la sagesse éveillée à la voie du milieu exprimée par tous les dharma: la non-vacuité est la vérité du milieu (chu), les multiples phénomènes sont forcément l'aspect réel.

Dans une même analyse du réel, Shakyamuni explique effectivement en filigrane de ses propos:

" Les dharma n'existent pas tels que les profanes les veulent. Sâradvatiputra demanda: comment, ô Bienheureux ces dharma existent-ils? Le Bienheureux répondit: Ils existent en n'existant pas. Ne pas savoir ainsi est ignorance ". (18)

" Les dharma n'existent pas tels que les profanes les veulent " nomme le non-éveil et l'obstacle consécutif énoncé plus haut par Nagarjuna, concernant la butée de l'existence et de la non-existence. Selon notre approche, " existent " se réfère à la présence réelle et conditionnelle des phénomènes, " n'existant pas " indique la non fixité de l'état et les infinies possibilités d'évolution inhérentes à chaque forme, " savoir ainsi " est la sagesse sans égal du Bouddha. " L'ignorance " nomme, quant à elle, toutes les représentations masquant la voie du milieu qui, seule, permet une perception aboutie du monde phénoménal.

Ces trois sortes de sagesse découlent, en principe naturellement, de l'engagement physique et mental dans la voie bouddhique. Elles furent d'ailleurs énoncées sensiblement dans les mêmes termes par Nagarjuna dans son Daichido Ron. (19)

En premier lieu, la sagesse résultant du fort sentiment de la précarité des choses, bien qu'en adéquation avec un aspect de la réalité observable et de ce fait pouvant guérir certaines souffrances dues à l'attachement, ouvre sur la vacuité (ku). Elle est dite " vulgaire " pour son incomplétude. Elle qualifie, lors de la progression individuelle sur la voie de l'éveil, les états d'auditeur* et d'éveil par les facteurs*.

En second lieu, la sagesse issue de la notion de vacuité est parfois dite "suprême" parce qu'elle calme les souffrances provenant de la vision de l'effrayante conditionnalité des choses et des êtres. Cependant, comparée à la vérité de la voie médiane, elle même est considérée comme " vulgaire " puisqu'elle tend à désubstantialiser l'infinité des phénomènes. Elle ne devient sagesse de la non-vacuité qu'en retournant à la conditionnalité (ke) effective et incontournable des phénomènes. Cette sagesse bienveillante et adaptée exprime l'état de vie supérieur de bodhisattva*.

Enfin, la sagesse de la "non-vacuité" ou sagesse de la voie du milieu perçoit, au travers des non dualités de la forme et de l'esprit, de l'être et de son environnement, le caractère ultime et hors le temps des phénomènes montrant dans la conditionnalité et la vacuité leur non naissance / non extinction. Cette sagesse est celle, sans égal, sans supérieur, de la bodhéité.

Cette sagesse est évidemment à l'origine de tous les enseignements délivrés par Shakyamuni durant cinquante années à partir de son éveil. C'est la raison pour laquelle, remarquant l'inclination naturelle de ses disciples à se satisfaire d'enseignements inférieurs et à se cantonner dans la superficialité, il déclara avec force:

" Ces moines, nonnes, laïcs et laïques qui considèrent comme laids, impermanents, misérables, vides et dépourvus de soi les phénomènes non-produits et non-nés, je ne dis pas que ces gens stupides cultivent la voie, j'affirme qu'ils pratiquent incorrectement ". (20)

Dès lors, dans sa progression sur la voie de l'éveil, l'être postulant au stade de bodhisattva ne peut produire sa qualité de vie bienveillante qu'en mettant en application la sagesse du bouddha, au détriment de ses lectures partielles de la réalité. Voila ce que nous en dit Nagarjuna:

" Le bodhisattva considère les dharma non-nés, non-détruits, ni communs ni non communs,... N'utilisant ni la vacuité ni la non vacuité, il croit de tout son esprit à la sagesse de l'Aspect réel détenu par les Bouddha... Saisissant l'Aspect réel des dharma, il utilise sa grande compassion et n'abandonne pas les êtres ".(21)

" L'aspect réel des dharma" indique l'essence conditionnelle vacante et médiane de chaque forme, dont un commentaire dira: " Les caractères ne sont pas fixes et sortent du corps; l'essence exprime la réalité des choses ". (22)

Le fait de " saisir " implique le désir d'adaptation à la réalité conditionnelle des êtres et la qualité de l'action effectuée. De cela il découle effectivement que le bodhisattva ne peut, " ni utiliser la vacuité " puisque insuffisante " ni la non-vacuité " puisque celle-ci est la résultante postérieure à son retour au conditionnel. La " grande compassion " exprime alors ce qui émerge en l'être engagé sur la voie bouddhique et relève de fait de la potentialité ou vacuité. Nous l'avons déjà évoqué, les dix états* étant inhérents à chaque forme, ils ne sont jamais figés et dépendent, pour l'humain, de ce en quoi il croit. L'expression " les êtres ", quant à elle, évoque les multiples phénomènes, et de fait, il est parfaitement illusoire d'envisager l'existence, à travers naissances et morts, sans ceux-ci.

Telle est, dans l'enseignement provisoire, l'application théorique par l'être humain d'un aspect de la sagesse de l'Ainsi venu*. Notons cependant que la sagesse du bouddha a pour origine l'éveil sans égal et sans supérieur, or, celui-ci est évidemment bien plus vaste que la définition exprimée par cette phrase de Nagarjuna.

En effet, le grand objectif du Bouddha, la raison de son " apparition " en ce monde, est indiquée dans le Sûtra du Lotus:

" Dès l'origine, je formai la résolution de faire obtenir le même éveil (que le mien) à l'ensemble des êtres ".

Le commentaire de cette phrase par Gishin* indique clairement que la résolution de Shakyamuni remonte à un passé extrêmement lointain appelé par lui " l'origine ". Pour cette raison, tous les textes antérieurs au Sûtra du Lotus ne furent que des moyens provisoires préparant son enseignement. En effet, seul ce sûtra, dans la mesure où il traite de " l'origine " de l'éveil du Bouddha, représente la volonté ultime de tous les Bouddha dans les trois phases du temps. Au regard de cette réalité et jugeant de la profondeur respective des divers sûtra, le Maître Dengyo* constate également:

" Le Sûtra du Lotus est le sûtra le plus difficile à croire et à comprendre parce que le Bouddha y révéla explicitement l'état qu'il avait atteint ". (23)

Effectivement, les Sûtra antérieurs au Lotus, comme certains points de vue de type spiritualiste, privilégient les représentations en l'esprit au détriment des phénomènes en tant que tels, accordant à ces images une qualité de réalité supérieure. D'aucuns, plus fort encore, étendent leur prétention jusqu'à considérer les phénomènes comme provenant de leur seul esprit. Le Sûtra du Lotus, par contre, exprime quant à lui la sagesse du Bouddha dans son adéquation non duelle avec l'aspect réel des phénomènes.

Considérant ce Sûtra, Nichiren explique:

" Les sûtra précédant le Sûtra du Lotus enseignaient que tous les phénomènes proviennent de notre esprit. L'esprit était semblable à la terre et les phénomènes étaient comparés aux plantes qui poussent dans la terre. Mais le Sûtra du Lotus enseigne que l'esprit fait un avec la terre, et que la terre fait un avec les plantes." (24)

De ce commentaire, il découle, dans un premier temps, les non dualités de la matière et de l'esprit, de l'être et de l'environnement qui, si elles sont ignorées, interdisent toute approche sérieuse de la réalité. Dans un second, que les phénomènes, dans leur efficience momentanée, existent indubitablement, et cette existence n'est atteignable ni par le contact direct, ni par les images en soi ou par la cognition. En effet, ces produits perceptifs physiques et mentaux sont, en fait, eux-mêmes phénomènes en dépendance. Ils ne peuvent donc " partager " ce dont ils ne sont qu'une conséquence forcément sélective. Il apparaît, de plus, parfaitement onirique d'attribuer au fait mental une quelconque primauté, dans la mesure où il est toujours postérieur au fait physique et qu'en outre ils ne sont pas deux.

En outre, si " l'esprit fait un avec la terre, et que la terre fait un avec les plantes " il en découle que le fait du corps supportant la perception et les images d'objets perçus ne sont qu'une seule et même chose, " immobile " selon Shakyamuni.

Dès lors, chercher une essence atemporelle produisant les phénomènescomme s'y essaient en vain les partisans d'un souffle originel, de l'esprit ou d'un dieu équivaut à nier sa propre causalité personnelle au profit du rêve, dans le rêve d'un autre " soi-même ".

La perception des phénomènes par le Bouddha





Qu'en est-il de la perception de " l'Ainsi venu " quant aux apparitions et disparitions des phénomènes ?

Dans le cadre de la profondeur unique du chapitre < Durée de la vie > du Sûtra du Lotus, Shakyamuni déclare:

" Le Bouddha perçoit le véritable aspect du monde. Il n'y a ni flux ni reflux de la naissance et de la mort, ni vie en ce monde ni anéantissement plus tard... Le Bouddha voit clairement toutes ces choses là sans erreur ".

Or, antérieurement au Sûtra du Lotus, pour parler du réel d'une manière plus adaptée à notre lecture de la durée, Shakyamuni avait expliqué :

" Dans le passé, seule l'existence passée était réelle et irréelles les existences future et présente. Dans le futur, seule l'existence future sera réelle et irréelles les existences passée et présente. Maintenant seule l'existence présente est réelle et irréelles les existences passée et future. En vérité, celui qui perçoit la dépendance causale perçoit la vérité ". (25)

En premier lieu, la phrase " Il n'y a ni flux ni reflux de la naissance et de la mort " dévoile que la perception des phénomènes par le Bouddha ne s'embarrasse pas des limites ordinaires et génériques de tout un chacun. En outre, considérant ces deux citations, et en particulier la phrase " celui qui perçoit la dépendance causale (ke) perçoit la vérité (chu) ", il apparaît que seule la momentanéité de la " dépendance causale " ou " production en dépendance " permet de voir l'efficience réelle des dharma qui ont pour caractéristiques d'être non-nés et non-détruits. En second lieu, l'expression " il n'y a ni vie en ce monde ni anéantissement plus tard " indique respectivement les errances de la pensée humaine ordinaire relatives à l'espace et au temps. Elle détruit également, avec la deuxième citation, les irréalités découlant de l'attachement à l'existence dans le lointain passé ainsi que dans le futur illimité. Ne reste donc réelle pour chaque observateur, que l'efficience momentanée, atemporelle, causale et parfaitement simultanée à elle-même.

Pour ces raisons et en conformité avec le sens des propos de Shakyamuni, selon les écoles Tiantai et Nichiren, la vérité réside donc uniquement et atemporellement dans le provisoire conditionné et vacant. Dès lors, la sagesse dite "malhabile" nomme effectivement celle ne percevant que la vacuité des cinq agrégats dans son analyse de la réalité.

Les cinq agrégats constitutifs de chaque forme, et par là-même de toute individualité, sont nous le rappelons: la matière, la perception, l'image en soi, la volition et la conscience de l'acte. Ils caractérisent l'assemblage provisoire nommé " forme ". Voici ce que le Bouddha déclare, à propos de leur extrême mobilité conditionnelle:

" Quant les agrégats apparaissent, déclinent et meurent, ô moines, à chaque instant vous naissez, vous déclinez, vous mourez ". (26)

Il apparait, nous semble t-il, que Shakyamuni ne saurait indiquer par ces mots une inexistence telle qu'elle puisse ne pas justifier cinquante années d'enseignement. Il en a fait la preuve. Enfin, plus qu'une simple réalité nominale de complaisance, l'expression " ô moines " s'applique à des formes réelles, distinguables de par leur conditionnalité, et pouvant produire, en elles, l'éveil du fait de leur vacuité intrinsèque. Que ces formes de moines n'existent que dans le cadre de l'expression " à chaque instant " n'est en rien réducteur dans la mesure où tout est " tel " uniquement dans l'instant. En outre, et il serait dommage de ne pas le percevoir, la merveille de la simultanéité de la cause et de l'effet est là, manifestement exprimée, tant en ce qui concerne la matière, qu'en ce qui concerne les facultés perceptives et cognitives. Dès lors, il en découle que le jaillissement momentané de la forme/pensée, appelée " moine ", est ce à quoi l'enseignement est donné, et il serait pour le moins paradoxal de croire que la grande sagesse du Bouddha éclaire en vain de l'inexistence.

En outre, ceci engage à une plus grande finesse d'approche de l'aphorisme suivant de Nagarjuna:

" Quant une chose cesse d'exister du fait de la momentanéité,

Comment quoi que ce soit peut-il être vieux?

Quant une chose est non-momentanée du fait de la constance,

Comment quoi que ce soit peut-il être vieux? " (27)

Il en ressort le constat suivant: tant le fait de considérer les choses comme étant momentanées, que celui de les envisager comme constantes, impliquent la non réalité du vieillissement.

De ce point de vue, pour autant que l'on puisse le partager, l'idée même du " passage du temps " ne serait qu'une convention générique n'ayant aucunement la capacité de modifier une substance donnée durable, puisqu'en fait il n'en est pas. Encore une fois, il ne reste plus, concrètement, que l'efficience réelle dans l'instant et, dès lors, il conviendrait plutôt de considérer la " durée " comme la marque physique et mentale d'un vouloir être momentané et consécutif, sans origine.

De fait, la " durée " des êtres est assujettie à tant de facteurs impliquant des transformations physiques et mentales si diverses, qu'il serait inconséquent de considérer la " durée " comme une donnée uniformément existante pour tous. Force est de constater que celle-ci ne s'élabore que dans l'ordonnance du vouloir momentané de chacun. Certains, cependant, soulignant l'importance du phénoménal dans leur existence, considèrent que leur vouloir s'est heurté à des faits incontournables. En réalité, face à un événement, chaque observateur opte pour une réaction qui le caractérise et, dans ce choix, de l'enfer à l'éveil, il est toujours l'unique auteur de ses circonstances et de ses productions, de son envergure dans le temps et dans l'espace. Plus exactement, toute efficience momentanée, appelée < observateur >, est productrice de ses qualités de temps, d'espace, et par là-même de sa perception d'objets découlant de ces qualités. Dans ce sens, le sentiment subjectif de durée relève plus d'une production inconsciente d'efficience, dite " similaire ", que d'une noyade dans un état de fait objectif.

En somme, Nagarjuna ne montre -t-il pas, par son approche, le champ d'exercice d'une vision débarrassée d'un anthropocentrisme organique qui, bien que difficilement contournable, semble être source d'innombrables maux ? Tel est certainement le sens du commentaire suivant:

" Le cycle des naissances et des morts (samsara) n'a ni début, ni milieu, ni fin et puisque donc il n'existe pas, il n'y a entre la naissance et la vieillesse-mort, etc.., aucun rapport d'antériorité, de postériorité ou de simultanéité ". (28)

Dès lors, l'efficience momentanée ne sortant que de l'agencement provisoire des multiples phénomènes, celle-ci peut-être effectivement perçue comme non née, non détruite, dans l'atemporelle simultanéité de la cause et de l'effet. Seule cette efficience momentanée des innombrables phénomènes apparaît donc être le réel.

En conséquence, et là aussi les propos des éveillés sur ce point convergent, il ne peut se faire que le quotidien banal de chacun ne soit son ultime réalité hors le temps. Pour cette raison, probablement, devant la difficulté des êtres à s'extraire de vues limitées interdisant la perception de l'aspect réel des phénomènes non-nés, non-détruits, Shakyamuni déclara:

" Un jour vécu dans la contemplation de la vérité suprême vaut mieux qu'un siècle dans l'ignorance de la vérité suprême", et enseigna la sagesse issue de son éveil jusqu'à son dernier instant. (29)

Il le fit le plus souvent en adaptant sa sagesse avec pour objectif de construire en ses disciples une pensée plus vaste et, dans le Sûtra du Lotus, la révéla sans tenir compte des capacités de l'auditoire.

Shakyamuni l'a montré à travers ses interventions constantes vis à vis des êtres: le passage de la vacuité à la conditionnalité est dite contemplation d'égalité. Cela signifie que, du fait de cette perception, l'action s'exerce d'une manière égale à l'ensemble des êtres.

Il convient de savoir que cette contemplation de la conditionalité permet d'intervenir vis-à-vis des êtres, permet de prendre conscience que le " vrai ", ou vacuité, n'est pas le " vrai ". Dès lors, si la vacuité " guérit " la maladie ordinaire de la conditionnalité, prendre à bras le corps la conditionnalité guérit la maladie de la vacuité. Sous cet angle, la vérité de la vacuité est un pont permettant de passer de la triviale précarité des phénomènes à l'absolue réalité " médiane " de leur forme provisoire.

Il semble alors évident de considérer que la seule perception de la vacuité des choses, s'il en est, ne permet ni l'intervention bienveillante dans le conditionnel, or, la totalité du monde phénoménal l'est, ni l'accès personnel à l'éveil. Il s'agit donc, pour les êtres pratiquant cette contemplation, de repasser dans le domaine du conditionnel afin d'aider les êtres, mais également pour ne pas transformer la vacuité en un absolu stérile.

Nous lisons en effet dans l'école Tiantai:

" Par la contemplation qui passe de la vacuité à la conditionnalité, on a la vision de la vérité vulgaire, l'oeil de sagesse est ouvert et l'on acquiert la sagesse portant sur les différentes sortes de salut ". (30)

La " vérité vulgaire " sur laquelle " l'oeil de sagesse est ouvert " est celle des innombrables souffrances individuelles. Ces souffrances, évidemment, désignent les plaintes et désespoirs ordinaires des êtres déracinés par le changement de ce qu'ils considéraient comme stable. Elles ne sont, pourtant, que le positionnement momentané du corps et de l'esprit dans le monde des phénomènes, et ont forcement la vacuité pour nature. Elles peuvent donc, sur le principe, engendrer leur propre éveil à tout instant. Cependant, le mouvement des phénomènes ou la " production en dépendance " leur sert de base adaptée en terme d'effet, et simultanément d'efficience en terme de cause. Dès lors, l'ensemble corps/esprit/environnement est de ce fait l'ultime réalité individuelle hors le temps et la souffrance particulière produite en résonnance est bien réelle. Ne pas s'y ouvrir, pour une raison ou une autre, n'aboutit en conséquence qu'au mépris de la réalité sensible. L'action, vis à vis d'autrui, se trouve donc être l'aide à l'élaboration, par la personne elle-même, d'une sagesse adaptée à sa propre situation particulière.

De ce fait, les " différentes sortes de salut " sont nécessairement multiples. En effet, elles se définissent en fonction des caractères particuliers des êtres auxquels s'applique une bienveillance issue du dépassement de l'approche " vacante ", désormais devenue conditionnelle. Or, il semble évident que si les caractères particuliers des souffrances individuelles sont sans fin, le courage indispensable à l'action dans le conditionnel ne se trouve que dans une perception affinée de la voie du milieu.

Cette perception " médiane ", dans son application, permet la production en soi d'une lecture teintée de l'éveil du bouddha au sein même du quotidien le plus banal. En effet, il apparaît qu'imprégner son esprit de la sagesse du bouddha entraîne l'imprégnation des actes, et par voie de conséquence de son propre corps. Cependant il faut noter que la sagesse, en bouddhisme, étant indissociable de la bienveillance, l'engagement dans ce processus implique un changement profond de son état de vie. La raison en est que, dans tous les cas de figure, la perception est état de vie et réciproquement.

Dès lors, considérant dans son ampleur la difficulté de l'exercice, l'école Tiantai indique :

" Les relations de causalité des êtres présentent d'innombrables caractères que ni les auditeurs* ni les bouddha pour soi* ne sont en mesure d'obtenir ". (31)

Quelle est la logique selon laquelle seul le développement en soi de l'état de bodhisattva permet l'immersion dans l'infinité du conditionnel ?

Il en ressort, à l'analyse, que le handicap produit par l'effervescence vacante du monde des êtres et des choses ne provient que de l'état de vie de la forme qui perçoit.

En effet, lorsque Shakyamuni décrivait le monde comme étant envahi par les flammes, il exprimait seulement l'état de vie d'avidité particulier d'un observateur. Or, nous allons en traiter, la forme du corps et des sens entraînant une certaine manière de percevoir l'environnement résultent, selon le bouddhisme, des propres actes antérieurs de la forme. Selon celui-ci, toute forme étant produit causal, sa perception et sa réaction à son environnement perpétue son état depuis l'origine. De ce fait, ceci met en lumière un " vouloir percevoir " non-conscient, puisque organique, antérieur au percept événementiel, et ne pouvant être ni jugulé ni orienté par la simple " réduction vacante " du fait perceptif et de ses objets.

Pour cette raison, la bienveillance dans le bouddhisme relève d'un changement de perception alimenté par la mise en pratique de ce que l'éveillé exprime sous la forme de la sagesse. Ce changement d'état permet de mieux percevoir les phénomènes tels qu'ils sont. Ceci constitue la progression sur la Voie et, par là-même, la sortie du cycle des six états de souffrance que sont: l'enfer, l'avidité, l'animalité, la colère, la tranquillité et la joie temporaire.

Par contre, l'état naturel des êtres et des choses n'exprime, selon la forme de chacun, que l'appartenance aux six premiers états et conditionne de ce fait la subjectivité des perceptions et réactions à tous stimuli. Il apparaît clairement, en effet, que le même objet ou le même être ne peuvent être perçus d'une manière identique par des êtres exprimant des états différents.

Or, si ce point évident n'a pas été ignoré par certaines écoles bouddhiques, l'attachement à la vacuité pollue, malgré tout, leur pensée, et donc leurs conclusions. Par exemple, les enseignements provisoires énoncent:

" Parce qu'à la conscience d'un esprit affamé, d'un animal,

D'un humain, d'un dieu, chacun selon sa classe,

Une même chose est différente,

On n'accepte pas l'existence d'objets extérieurs ".(32)

Nous avons là un bel échantillon des excès auxquels conduisent les vaines arguties du manque de profondeur. De fait, s'il est certain que l'ignorance peut être parfois percue comme étant du mépris, il n'est pas moins certain que toutes les doctrines baignant dans un monisme spiritualiste aboutissent à la sur-évaluation du percept, au détriment du " pseudo perçu " et, par là-même, à l'évacuation de la réalité: le monde phénoménal.

A la lecture de cet extrait, pour ce qui est de notre école, nous mettrons l'accent sur l'importance de changer son propre état de vie pour mieux percevoir la réalité des phénomènes plutôt que, comme certains animaux, de plonger la tête dans le sable et constater: " comme je vois rien, y a rien ". Ce qui, en outre, pour cette espèce d'oiseau sans élévation, n'est pas sans laisser le corps, lui malgré tout bien réel, dans une position de vulnérabilité sans commune mesure. Découlant de l'obscurité fondamentale, la non prise en compte de la réalité des phénomènes entraîne, nous l'avons souligné, de multiples souffrances adaptées.

Pour cette raison, seule la mise en pratique, et donc la production en son esprit d'une sagesse dépassant ce vers quoi naturellement l'on tend, permet de modifier sa tendance profonde. Dans les faits, l'application " physique " de cette sagesse entraîne l'apparition en soi de la bienveillance et permet d'éclairer l'ignorance, l'avidité et l'orgueil dont nous sommes naturellement porteurs. Sinon, l'attachement à la " vérité vulgaire " de la perception anthropocentrique perpétue le cycle des six voies pour soi et pour autrui. C'est dans le cadre de cette logique qu'en présence de Shakyamuni, son disciple Sharihotsu enseigna aux moines:

" De l'apparition de la conscience résulte l'apparition du nom et de la forme... De l'apparition du nom et de la forme résulte l'apparition des six sphères des sens ". (33)

La " conscience " d'un objet présent/absent qualifiant la prise d'image réelle/irréelle par le sujet, la forme de celui-ci et son état intérieur provisoire en déterminent la qualité sensible sans qu'il soit jamais question d'objectivité absolue. Le pissenlit ou le manque du père sont perçus différemment par la chèvre, le scolopendre, le médecin bénévole et la cultivatrice. Or, cette " conscience " étant agencée par un ensemble de facteurs convergents dans l'efficience momentanée, elle ne peut guère être envisagée comme acausale.

Autrement dit, la " volonté de conscience de..", ou de percevoir des images assorties aux noms, déterminent les capacités perceptives et leur hiérarchie, selon l'importance donnée à chacune, et délimite la forme individuelle adéquate les supportant. Le " vouloir percevoir " une certaine catégorie de formes, c'est-à-dire un lieu d'exercice, exprime dans tous les cas un vouloir individuel. Tout agencement provisoire en est donc l'expression. Dès lors, au sein du " même " monde de l'animalité, tant la forme du requin, que celle de la luciole ou du pélican, définissent un choix de facultés perceptives et d'objets adéquats induisant un temps et un espace particuliers. Le maintien de la forme du corps s'appuyant sur une constante association d'éléments précaires, ce vouloir s'élabore d'une manière consécutive, et par là-même, causale. Cette élaboration provisoire de forme et de capteurs exprime la " volonté de conscience de " ou l'état dominant de l'être.

Il en découle naturellement le constat suivant: la conscience étant produit causal, les six sens ne nous permettent guère de voir " le monde " mais uniquement le monde réduit de notre perception, puisque celle-ci est causalement consécutive à l'envergure des sens, eux-mêmes consécutifs à une volonté de conscience de.... Il est notoire, du reste, que chacun exprimant un avis partisan sur de multiples notions démontre, par là-même, la production d'un monde consécutif et unique de représentation de formes adéquates.

Pour exemple, dans le cadre de la psychologie contemporaine, les différences quant aux introjections du monde extérieur dans des structures telles que la névrose obsessionnelle, l'hystérie, la paranoïa ou encore l'hébéphrénie, montrent à quel point la représentation en soi conditionne, non seulement les mouvements mentaux et physiques du corps, mais auto-alimentent l'état de vie exprimé dans ses particularités. L'écart n'est-il pas encore plus difficile à concevoir avec les formes autres qu'humaines, alors que celles-ci existent indiscutablement, même si nos logiques d'attribution du fait sensible patinent ?

Pour cela, il nous apparaît parfaitement inconséquent, voire délétère, d'aboutir au sentiment de l'inexistence en soi d'un monde phénoménal que l'on ne perçoit pas dans son essence. Nous l'avons signalé, le fait perceptif ne peut que provenir de son propre " vouloir voir " subjectif et incontrôlé, antérieur aux sens eux-mêmes ainsi qu'à l'effervescence phénoménale. Du reste, il est aisé de constater que la perception ne procède que de la forme, et que celle-ci n'émerge que d'une réunion provisoire d'éléments agencés par une ordonnance particularisante unique et causale. En ce sens, il n'est d'action effective vis à vis des êtres que dans la modification et l'approfondissement du regard porté sur eux.

En conclusion, bien que l'efficience ou acte momentané de la forme/pensée, soit conditionné et vacant, il n'en est pas moins le tissu de l'aspect réel de tous les phénomènes et traduit un " vouloir " antérieur à la forme même. Dans les faits, les dix états s'y expriment continûment ainsi que dans la totalité des dharma puisqu'ils possèdent eux-mêmes la momentanéité des cinq agrégats pour éternelle caractéristique. Dans ces conditions, seul le changement de son propre état de vie, au profit de l'état d'éveil, permet l'apparition d'une liberté inconditionnelle et constitue la progression sur la voie. Shakyamuni a effectivement déclaré:

" A la disparition des illusions, la conscience d'éveil demeure, immuable... C'est pourquoi on parle d'immutabilité quand l'illusion s'est évanouie ". (34)

Nous l'avons évoqué, la " volonté de conscience de " justifie l'auto production de l'état de vie de l'observateur, puisque la perception surajoute nécessairement à l'objet perçu les caractéristiques mêmes de l'état de l'observateur. Autrement dit, dans l'état d'avidité certains objets réels/irréels servent de support à l'état, alors que les mêmes objets favorisent nécessairement des ressentis différents pour d'autres états. Cependant, il en ressort que l'état de vie produit toujours ses images adéquates d'objets au détriment de ceux-ci. Dans ces conditions, la pitoyable avidité de certains pour les pseudo-valorisations de ce monde, l'attrait pour la puanteur du sophisme et l'insatisfaisante prétention orgueilleuse de certains autres vis-à-vis de leurs congénères montrent à l'évidence l'immaturité de leurs représentations du réel. En outre, ces dérèglements s'édifiant dans le cadre d'une logique du court terme alors que ce dernier, irréaliste, n'existe qu'en référence à une notion illusoire de durée limitée puisque le fait perceptif est continu, convenons que la stupidité, l'avidité et l'orgueil maintenant sont la stupidité, l'avidité et l'orgueil toujours.

De fait, si " on parle d'immutabilité ( de l'éveil ) quand l'illusion s'est évanouie ", on parle de l'immutabilité de certaines souffrances lorsque la stupidité, l'avidité et l'orgueil sont " épanouis ".

L'aspect réel des phénomènes







Désirant éclairer le concept de " production en dépendance " des phénomènes, le bouddhisme provisoire énonce:

" On dit que tous les dharma ont un caractère d'objet... Ils ont des caractères de cause et d'effet, tous les dharma sont chacun cause et chacun effet... Ainsi, toutes les choses s'appuyant l'une sur l'autre, on dit que tous les dharma ont un caractère d'appui et ce caractère embrasse tous les dharma ". (35)

Nous sommes évidemment partisans de l'approche selon laquelle " tous les dharma sont chacun cause et chacun effet ", puisque la forme ne peut se concevoir hors du fait que, produite elle ait été agencée (effet), et qu'existant dans l'instant elle ne soit cause. A nos yeux, la simultanéité de la cause et de l'effet nomme effectivement la position provisoire, vacante et par là-même médiane de tous les dharma. Au delà de ce constat, les dharma étant chacun cause et chacun effet, ils possèdent un " caractère d'objet ", et il s'agit bien là de l'efficience momentanée des multiples phénomènes, puisqu'aucun d'eux ne peut exister sans s'appuyer sur la multitude des autres. Jusqu'à ce point la logique est cohérente, et la simple observation des phénomènes par chacun peut confirmer la justesse de l'approche. Cependant, le commentaire tiré du Kosa* de Vasubandhu* indique à la même page:

" Tous les dharma sont souverains en tant que raison d'être à l'égard de tous, eux-mêmes exceptés ".

Les mots " eux-mêmes exceptés " traduisent l'incapacité des textes provisoires à approfondir l'approche jusqu'à atteindre l'essence même de l'objet. Du fait de l'attachement à la vacuité, les phénomènes leur apparaissent alors comme vides, inexistants en soi, servant simplement de support aux miroitements de la pensée de l'observateur, lui-même inexistant en fin de compte. L'actuel Souverain de la Loi, Nikken Shonin, indique par contre:

" Le terme dharma recouvre les concepts abstraits, aussi bien que les existences concrètes de la réalité, tous les faits et choses. Pour chaque dharma que l'on puisse mentionner, il renferme tel quel l'Aspect réel. C'est vraiment difficile à saisir, et pourtant la première chose que le Bouddha déclara (dans le Sûtra du Lotus) est l'Aspect réel de tous les dharma, dans le sens ou tous les dharma sont l'Aspect réel ". (36)

Or, si les multiples phénomènes sont l'Aspect réel, on ne peut ni les considérer d'une manière réductrice comme conditionnels et vacants ni se contenter de la seule pauvreté affective et partisane des images qu'ils laissent en nous.

Que dit à ce sujet le chapitre Hoben du Sûtra du Lotus ?

" Le caractère vrai des multiples phénomènes ne peut être compris et partagé que de Bouddha à Bouddha. Ainsi est l'aspect, ainsi est la nature, ainsi est l'essence, ainsi est le pouvoir, ainsi est l'influence, ainsi est la cause inhérente, ainsi est le facteur, ainsi est l'effet latent, ainsi est la rétribution, ainsi est l'absolue égalité de l'origine et de la fin ".

L'expression "..ne peut être compris et partagé que de Bouddha à Bouddha " est indicative du fait que Shakyamuni révèle, là, un aspect de sa vision en sachant qu'elle ne pourra être partagée par tous ses disciples. Dans ces conditions, à son époque comme à la nôtre, il apparaît que seule l'acceptation en soi de cette lecture permet à l'être non éveillé de participer à la perception du bouddha.

Quelles sont ces dix caractéristiques de la réalité phénoménale ?

" Ainsi est l'aspect " désigne l'apparence, la couleur, ce qui apparaît extérieurement, la structure provisoire de la forme et s'applique donc à la " matière ".

" Ainsi est la nature " considère ce qui est inchangé à l'intérieur de l'être, la tendance invariable, le caractère, la sensibilité particulière. Cette caractéristique concerne l'aspect " spirituel " de toute forme.

" Ainsi est l'essence " nomme la substance perçue comme forme/pensée. Elle est " réalité et essence des dix états " et existe évidemment dans la " matière " et dans " l'esprit ".

" Ainsi est le pouvoir " exprime la capacité d'agir, l'aptitude, la potentialité déterminée par la forme/pensée et s'exerce dans la " matière " et dans " l'esprit ".

" Ainsi est l'influence " considère l'énergie déployée, l'élaboration, la création et concerne les aspects " physiques " et " spirituels ".

" Ainsi est la cause inhérente " nomme la position latente immédiatement antérieure au fait événementiel. Cette cause, toute efficience momentanée la porte en elle et celle-ci , grâce aux facteurs, produit l'effet qui lui est conforme. Cause de la série, elle est également appelée " karma " et ne se situe que dans le " spirituel ".

" Ainsi est le facteur " ouvre sur les conditions environnementales de la forme/pensée dans l'instant qui permettent à la cause inhérente de devenir simultanément l'effet latent. Il s'agit de tout ce qui incite le " karma " à se manifester. Les facteurs sont tant d'ordre " matériel " que " spirituel ".

" Ainsi est l'effet latent " désigne le fruit de la " cause inhérente " en relation avec les " facteurs " et devient simultanément " cause inhérente ". L'effet latent n'est pas identique à la cause puisque multifactoriel, ni différent car n'ayant pas d'autre origine que celle-ci. " En ce sens, la manière dont l'esprit a fonctionné est la cause inhérente, celle dont il fonctionnera, l'effet latent. Mais en réalité les deux sont simultanés ". L'effet comme la cause n'existent que dans le " spirituel ".

" Ainsi est la rétribution " est ce qui advient en résonnance des causes engendrées et ne s'applique qu'à l'ordonnance des formes, c'est-à-dire à la " matière ". Dans le Maka Shikan, Zhiyi indique " La rétribution est ce qui rend la cause apparente... La cause inhérente et l'effet latent ensemble sont appelés < cause > parce que, ensemble, ils entraînent des conséquences pour le futur ".

" Ainsi est l'absolue égalité de l'origine et de la fin " explicite le fait que, dans la conditionnalité et la vacuité, " l'aspect " et la " rétribution " des actes sont absolument égaux en cela qu'ils sont indissociables. En d'autres termes, l'aspect de la forme dans son environnement est rétribution des actes. Nichikan Shonin indique " L'absolue égalité du début et de la fin est cette réalité immuable, désignée par < voie du milieu >, qui imprègne les neuf autres Ainsi ".

Ce dernier " Ainsi " éclaire, en outre, l'atemporalité de la simultanéité de la cause et de l'effet de tous les phénomènes ou de toutes les formes/pensées momentanées.

Dans la même logique que celle des cinq agrégats, où le jaillissement momentané de la forme/pensée est indicatif de leur non dualité, ce concept ouvre sur l'absolue pérennité du fait perceptif/réactif et de sa non dualité avec l'environnement. En d'autres termes, ces dix Ainsi caractérisent le moment sans épaisseur de l'efficience singulière d'une forme/pensée dans son environnement, s'appliquent à tous les phénomènes sans exception, et signalent continûment la non dualité de la matière et de l'esprit. De fait, Zhiyi constate que si la distinction entre matière et esprit ressort de la vision ordinaire des multiples phénomènes, leur non dualité relève de la perception de l'aspect réel.

Par ailleurs, pour éviter un éventuel sentiment de fixité des choses vis-à-vis des dix Ainsi il faut savoir que, selon l'analyse effectuée par le grand maître Zhiyi, chacun de ceux-ci est à envisager sous l'angle de la conditionnalité, sous l'angle de la vacuité et enfin sous celui de la médianité. Dès lors, aussi bien les aspects physique et mental, que celui des conditions de chacun, sont par nature mutables et ne représentent, en fait, que l'expression de sa propre antériorité présente, autrement dit son " vouloir être " momentané. De même, selon ce principe, chaque forme/pensée est pourvue de la totalité des dix Ainsi, et exprime, par ces divers aspects, sa médianité atemporelle dans la conditionnalité et la vacuité.

Concernant " l'absolue égalité de l'origine et de la fin ", selon la lecture de Nichiren , le terme " d'origine " concerne l'aspect, la nature et l'essence, alors que celui de " fin " désigne les sept autres Ainsi. Dans cette optique, la non dualité forme/pensée ou aspect/nature exprimant l'essence est l'origine, alors que le pouvoir, l'influence, la cause, le facteur, l'effet, la rétribution et l'absolue égalité sont la fin, et par là-même désignent la non dualité de l'être et de l'environnement. Comme l'indique lapidairement l'école Tiantai, " La forme, étant d'existence réelle, est dite non-destructible ".

Notons, en outre, que l'espace et le temps sourdent du fonctionnement des sept derniers " Ainsi ", alors que les trois premiers apparaissent en être l'origine. Dés lors, dans le non-éveil, tant les notions d'espace et de temps, que celle de causalité observable, ne sont que l'effet circonstanciel d'un vouloir ignoré bien qu'organisateur.

Or, ceci s'applique forcément à toutes les formes et, en conséquence, aucun dharma ne peut être évacué sous le prétexte futile de non-existence d'un Soi fixe.

Convenant de la difficulté à ouvrir son esprit au message sans égal du Sûtra du Lotus, Nichiren enseigne:

" L'origine, la fin et le principe qui est en nous-mêmes ne formant qu'une seule et même inconcevable chose, il est donc enseigné l'égalité totale de l'origine et de la fin... Dès lors, pas un phénomène, même un cheveu, n'apparait en fonction du bien ou du mal, au dehors de notre coeur et de notre corps... Ceux qui situent cette doctrine hors d'eux-mêmes se trouvent désignés par les termes < êtres >, < égarement > ou bien < homme quelconque >. Celui qui sait qu'elle s'applique à son propre corps est appelé < Ainsi venu >, < éveillé > ou bien < saint > ou encore < sage > ". (37)

Il en ressort que le bien et le mal ressentis en son corps et en son coeur, ou esprit, sont " l'inconcevable " fait de l'efficience momentanée, causale et sans origine. Quant à l'expression " pas un phénomène même un cheveu n'apparait ", elle désigne la causalité du caractère d'appui que tous les phénomènes présentent l'un pour l'autre. En outre, les phénomènes ayant un " caractère d'objet ", ils sont l'un pour l'autre le " bien ou le mal " selon la subjectivité de l'observateur.

De ce fait, le constat antérieurement cité de l'enseignement provisoire, " eux-mêmes exceptés ", apparaît être la marque insigne du point de butée des enseignements provisoires, puisque ce type d'approche nie toute existence intrinsèque aux phénomènes. Dans le même désordre d'idées, un autre extrait du même ouvrage énonce:

" La sagesse, qui a pour caractère de savoir, dès qu'elle pénétre le caractère vrai des dharma, n'a plus de discernement et perd son caractère de savoir ", illustrant ainsi la double négation de l'observé et de l'observateur où conduisent l'attachement au superficiel et, par là-même, le rejet du Sûtra du Lotus.

Par contre, dans le cas de l'acceptation de la vision du Bouddha, les termes " sage, saint, éveillé et Ainsi venu " désignent la progression consécutive à la mise en pratique de la sagesse du Bouddha, alors que les termes " êtres, égarement et homme quelconque " nomment la souffrance consécutive engendrée par toutes les formes/pensées, lorsque celles-ci se satisfont de leur lecture subjective.

Pour en revenir au caractère " d'appui " que les dharma ont en effet l'un par rapport à l'autre, le fait que, selon le Sûtra du Lotus, les "facteurs" s'intercalent en retrait dans la simultanéité de la cause et de l'effet entraîne certaines observations.

- On ne peut " voir " la cause dans l'effet, puisque celui-ci est par nature circonstanciel et donc multifactoriel.

- L'effet n'est ni identique à la cause, du fait de la raison évoquée ci-dessus et du fait qu'il s'en suivrait l'incongruité de l'éternalisme, ni différent puisque la graine d'orge ne produit pas de raisin.

- Les " facteurs " ne produisent pas l'effet mais permettent à la cause de le devenir et à celui-ci d'être simultanément cause. Cela implique d'une part de ne pas considérer l'événement passé, présent ou futur comme étant " son karma ", puisque le karma est la cause inhérente, d'autre part de s'ouvrir au fait que seule la conscience momentanée, ou effet, constitue la réalité de l'existant.

- Le fait même de la " cause inhérente " impose le constant jaillissement de l'environnement, ou " facteurs ", pour produire son effet, en terme d'efficience momentanée, puisqu'elle ne peut être opérante sans ceux-ci.

- La cause devenant simultanément effet et celui-ci devenant lui-même par conséquent cause, il y a donc toujours production d'environnement par l'essence. En d'autres termes, il n'est pas de situation de non-environnement pour la forme/pensée momentanée. En outre, celle-ci étant sans origine, cette approche nous éloigne des doctrines spiritualistes marinant dans les concepts vagues d'âme, d'esprit, et autres intervalles illusoires entre morts et naissances.

- Du fait de la non dualité de l'être et de l'environnement, ainsi que de l'absolue égalité de l'aspect et de la rétribution dans les formes, on ne peut sérieusement envisager l'acausalité de la réunion des circonstances permettant l'apparition de l'effet. Cette réunion, causalement engendrée par " les causes " de l'essence concernée, est également celle demandée, par affinité, par chacun des dharma constituant ce regroupement, pour qui le rassemblement provisoire sera le lieu de leur efficience particulière. Il est donc approprié d'employer l'expression " appui " pour les multiples phénomènes.

En outre, les " facteurs " sont également appelés " cause manifestée ". Cet éclairage met en évidence, d'une part la réalité des non dualités du corps et de l'esprit, de l'être et de l'environnement dans les trois phases du temps, d'autre part le fait que seule la conscience de l'acte est susceptible d'acquérir la liberté sans égal de l'éveil suprême.

Il apparaît donc que la cause inhérente et l'effet latent coexistent en chaque dharma et, de fait, aucun intervalle de temps ne les sépare puisqu'il ne s'agit que du même instant sans épaisseur: celui de l'efficience ni née ni détruite.

Notons cependant que, dans cette approche, nous plaçons la simultanéité de la cause et de l'effet dans l'esprit, ce qui nous permet de ne pas comptabiliser à l'infini les causes et les effets non simultanés découlant de l'observation extérieure et classique du phénoménal. Cette dernière, mécaniste et factuelle, non seulement n'envisage que le " comment " des structures provisoires mais masque, par là-même, leur volonté sensible d'efficience, seule expression du réel à nos yeux puisqu'elle sous tend continûment la forme dans sa momentanéité, ainsi que dans l'organisation des qualités de temps et d'espace qui lui sont contiguës.

De fait, s'il est usuel de considérer les phénomènes sous l'angle d'une logique événementielle, il est paradoxalement impossible de mesurer la totalité des divers facteurs passés et présents permettant l'efficience momentanée de quoi que ce soit. Il en va d'ailleur de même pour la prévision des événements futurs dont aucune connaissance " historicienne " ne saurait élaborer la forme. La raison en est, selon nous, que la causalité de l'efficience momentanée est consécutive à elle-même et immanente. Or, la simultanéité de la cause et de l'effet, autrement dit la Une pensée/forme momentanée s'exprime dans un tissu temporel et spatial engendré dont les multiples éléments sont forcément insondables puisque eux-mêmes engendrent, dans le même instant, un tissu consécutif unique et adapté à leurs propres fins. La méconnaissance de ce principe fait que certains continuent à chercher en vain, dans le passé, une origine et une raison aux phénomènes de leur existence .

Il découle concrètement de cette approche de l'aspect réel des phénomènes qu'à chaque instant l'architecture particulière du corps et des sens, permettant de percevoir et de réagir, est une réunion provisoire et évanescente d'un ensemble d'éléments aux fins d'une efficience unique. Dés lors, selon cette perspective, ni la maladie ni la vieillesse ni la mort ne sont autres qu' efficience momentanée. L'aspect et la nature de chaque forme, en réaction à son environnement, exprime donc sa médianité dans la conditionnalité et la vacuité des cinq agrégats.

En d'autres termes, le principe ultime de réalité est la forme provisoire et conditionnelle, vacante d'en soi fixe.

Ce principe s'applique à tout dharma, c'est-à-dire à toute architecture provisoire, puisque celle-ci est forme, état ou encore acte perceptif et réactif.

Par conséquent, conformément à l'approche de l'école Tiantai, la réciprocité des trois vérités (ku.ke.chu) découle de ce qui les caractérise. A savoir, que chacune d'entre elles contient naturellement les deux autres. Ces trois vérités ont été énoncées séparément, cependant, une fois identifiées elles deviennent alors identités réciproques. Lorsqu'elles n'ont pas encore subi l'identification, elles restent semblables à la " petite vacuité " du petit véhicule, à la conditionnalité adaptée aux phénomènes et l'on conserve ainsi une distinction entre les trois vérités. Par contre, lorsque la fusion des trois vérités s'est opérée dans une pensée momentanée, elles sont toutes trois parfaitement sublimées. (38)

Aussi, axé sur le principe théorique de " Une pensée trois mille " qui en découle, Gishin déclare :

" La tendance de toutes les choses vers la médianité constitue la vérité suprême; les cent mondes* et les mille ainsi*, de même que la vacuité originelle de ces derniers, y sont la vérité vulgaire: ce sont là les deux vérités inconcevables ". (39)

Pour éclairer les concepts évoqués dans cette citation, " les cent mondes ", ou états, définissent le potentiel qualitatif inhérent à chaque forme, leur mobilité factorielle n'impliquant pas forcement un changement de forme. Par exemple, il n'est pas rare de vivre provisoirement dans les états d'enfer, d'avidité, de colère ou d'animalité en fonction des circonstances, tout en restant globalement dans le cadre physique de la forme humaine.

" Les mille ainsi ", quant à eux, explicitent le positionnement causal, provisoire et vacant de chaque forme et de ses infinies possibilités d'évolutions structurelles en termes de sujet dans un monde, percevant un réseau d'objets adéquats.

Cette citation de Gishin implique donc que la tendance provisoire et vacante de toute chose exprime forcément sa médianité dans la forme. D'autre part, les cent mondes et les mille ainsi ne pouvant exister hors leur propre production vacante de temps et d'espace relèvent donc de la vérité vulgaire de l'adaptation à l'humain. Différemment exprimé, le temps et l'espace sont fonction de l'état de la forme, celui-ci l'est du vouloir percevoir, et l'être humain s'enlise dans une onirique mesure des " choses " découlant d'un " vouloir " ignoré.

En somme, seule la médianité exprimée par la simultanéité de la cause et de l'effet de tous les phénomènes, depuis un passé sans origine, constitue la vérité suprême. Tous les phénomènes apparaissent donc être actes efficients de perception/réaction ou, si l'on préfère, forme, puisque l'aspect ne se distingue pas de l'état qui l'architecture. Ils ont pour caractéristique d'être non-nés, non détruits et existant à l'origine. Pour cette raison, Nichiren affirme dans son Enseignement Oral:

" Quand les êtres ouvrent les yeux du chapitre < Durée de la vie >, ils comprennent la vérité: à l'origine existent les dix états ".

Il faut certainement rappeler ici que, selon le bouddhisme, la multiplicité des phénomènes n'est que l'expression des rétributions directes* et indirectes* des actes de chaque forme. Ceci explicite le " caractère d'appui " que tous les phénomènes ont l'un pour l'autre. Quant à l'expression " Ouvrir les yeux du chapitre Durée de la vie ", elle signifie participer, par la croyance, de la vision du bouddha quant à l'aspect réel. Or, sous l'angle de l'éveil, chaque forme du monde phénoménal est état de vie ou monde. En outre, l'expression " à l'origine " désigne pour nous un point d'efficience n'ayant pas de place dans une lecture ordinaire de la temporalité pour la raison suivante: le passé hors le temps est l'instant présent (Kuon soku Mappo).

Dès lors, toute forme/pensée dans son environnement a pour qualité d'être réelle, ni née ni devant s'éteindre, causale et atemporelle. Existant en permanence dans un monde de représentations, elle ne peut, de ce fait, ne pas construire simultanément à sa présence, un temps et un espace consécutifs. En outre, si " les dix états existent à l'origine ", il en découle qu'on ne peut conclure à leur inexistence sous prétexte de leur mobilité potentielle. Il suffit d'ailleurs d'ouvrir les yeux pour les percevoir dans l'infinité des phénomènes, à travers leur aspect. Là, se situe le cadre qualitatif, atemporel et causal, de l'expression individuelle momentanée, définit par l'expression " à l'origine ", et produisant, du fait de la forme, une mesure générique du temps et de l'espace. C'est, d'une certaine manière, la position résumée de L.Silburn qui indique, non sans sensibilité:

" Le temps dont nous sommes l'auteur est d'origine affective..." (40)

Ou, en d'autres termes, le temps et l'espace ne sont que " l'habituel " produit présent d'actes sans origine.

Il apparait donc que seule la fusion parfaite des trois vérités en une seule pensée permet, éclairée par les non dualités du corps et de l'esprit, de l'être et de l'environnement, de percevoir les dix mondes, les dix Ainsi et les trois différenciations* dans les multiples dharma conditionnels de sa propre existence et de l'environnement. De cela, il découle que l'abandon de la vérité de la vacuité, pour entrer dans la vérité de la médianité, ouvre sur la perception que l'ensemble des phénomènes momentanés, sans restriction, est le monde de la Loi.

L'actuel souverain de la Loi, Nikken Shonin, le confirme ainsi:

" De fait, le Sûtra du Lotus est essentiellement fondé sur le principe de l'aspect réel et en particulier de <aspect réel / tous les phénomènes>...Tous les dharma sans exception comprennent la vérité immuable et tous sont dotés de la Loi excellente..." (41)

Dès lors, contrairement aux aboutissements divergents d'autres écoles, les neuf premiers états et l'éveil n'existant que dans le monde des formes, Gishin peut déclarer avec une certaine impétuosité:

" Il faut donc savoir que le Sûtra du Lotus, doctrine de la réalité, englobe l'ensemble des sûtra et constitue l'intention originelle de la venue du Bouddha en ce monde, le point de convergence des diverses doctrines. Ceux qui n'en perçoivent pas l'aspect principiel et maintiennent, dans leur orgueil invétéré, qu'il ne ressortit qu'au caractère phénoménal des relations de causalité, qu'ils voient leur langue se consumer dans leur bouche !". (42)

En conclusion, l'approche du réel est toujours fonction de l'état de l'observateur, et, de fait, si l'on observe la totalité des enseignements de Shakyamuni il ressort que selon la demande ou le rejet des êtres, la sagesse unique du Bouddha engendre divers fruits adaptés.

- L'éveil partiel, issu de la vacuité et concernant les êtres des deux véhicules*, a pour nom omniscience. De celle-ci, imprégnée de la vacuité, Nagarjuna dira:

" Leur omniscience est pareille à une lampe dessinée sur un mur: elle a seulement le nom de lampe mais n'en remplit pas la fonction ". (43)

- L'éveil partiel, issu du rapport à la conditionnalité des êtres et propre aux bodhisattva*, a pour nom " science des multiples voies" et caractérise l'évolution de l'être ordinaire vers l'éveil parfait.

- L'éveil aux trois vérités dans leur médianité, traduisant la qualité du Bouddha et son objectif, est science de tous les aspects du réel.

Cette " science de tous les aspects du réel " est indiquée comme suit par Miao Lo:

" Aspect réel, donc forcément les phénomènes; les phénomènes, donc forcément les dix Ainsi; les dix Ainsi, donc forcément les dix mondes; les dix mondes, donc forcément le corps et le lieu ".

Telle est, dans nos écoles, l'architecture logique découlant de l'éveil de l'Ainsi venu et éclairant la réalité de la forme/pensée provisoire, vacante et ultime de tout phénomène. En outre, notons que nous ne quittons pas les cinq agrégats. En effet, dans cette citation " l'aspect réel " aboutit aux " corps et au lieu " après avoir défini l'origine des qualités variables, nommées temps et espace, adaptées au " vouloir " de la forme provisoire. Or, le corps représente la matière, et le lieu, celui des objets adéquats à la perception, à l'image en soi, à la volition et enfin à la conscience de l'acte.

Cet extrait est également indicatif du fait qu'il n'est pas d'entité hors le phénoménal en cela que rien ne peut être dénué de causalité et n'exprimer aucun des dix états, à savoir un corps dans un lieu objectal. Une telle approche, même seulement d'ordre intellectuel, permet de remettre définitivement en cause les concepts relatifs à l'âme, aux dieux, aux divinités et autres rêveries spiritualistes concernant l'avant naissance, l'existence et l'après mort.

Encore une fois, selon ces deux écoles, du fait de la simultanéité de la cause et de l'effet, l'aspect réel ne peut résider ailleurs que dans le jaillissement ininterrompu des formes/pensées consécutives de l'être et de son environnement.

Le nom et la forme







Pragmatique, Shakyamuni déclare dans le Sûtra du Nirvana:

" La réunion des cinq agrégats reçoit un certain nom: c'est là la vérité vulgaire. Comprendre que lorsqu'il n'y a plus d'agrégats, il n'y a plus de nom et qu'il n'y a rien à part des agrégats, c'est là la vérité suprême ". (44)

A l'analyse, le fait de croire qu'une réunion momentanée d'éléments impliquant un nom relève de l'irréel est " vérité vulgaire ", puisqu'il " n'y a rien à part ". En outre, quand bien même pourrions-nous considérer, en toute logique, que les noms et formes propres à chacun sont antérieurs à la constitution physique de celui-ci, il n'en reste pas moins certain que chaque élément participant aux formes que nous désignons d'un nom est préexistant au percept et donc ultimement existant dans la conditionnalité et la vacuité.

Il ressort également de cette citation que tant le concept de l'existence illusoire, puisque conditionelle, que celui de la vacuité de l'existence illusoire sont tous deux appelés vérités vulgaires. Par contre, la tendance de toutes les choses vers l'existence et la vacuité, la ni existence fixe ni seule vacuité, constituent la vérité médiane suprême. Autrement dit, les cinq agrégats constitutifs de la forme/pensée nommée est la vérité suprême incontournable, et du reste il n'est rien en dehors.

Ce qui permet à l'école Tiantai d'affirmer la synthèse suivante, à propos de l'efficience momentanée des multiples phénomènes:

" Le sens de l'enseignement parfait est que, dans l'aspect de ce monde, apparaissant, disparaissant, s'écoulant et mouvant, la réalité est immuable ... Dire qu'il n'y a pas de permanence parce que l'homme naît et meurt, que les choses périclitent et se transforment, est entièrement une vision illusoire ".

Telle est la perception de l'Aspect réel des phénomènes lorsque les illusions sont écartées. Or, ces illusions ne se distinguent jamais du " vouloir voir " inhérent aux caractéristiques des sens de la forme observante. De cela il découle naturellement que le mouvement phénoménal, les apparitions et disparitions des êtres et des choses, concernent moins leur aspect réel intérieur que la condition même du regard porté de l'extérieur.

En conformité avec la déclaration de l'école Tiantai et sachant, dans notre école, qu'une lecture superficielle des dix " Ainsi " peut aboutir à un sentiment erroné de causalité linéaire, l'actuel Souverain de la Loi déclare:

" En lisant ces phrases (du chapitre Hoben), on détruit le sens éphémère de la doctrine et, avec ces mêmes phrases, on fait apparaître l'aspect réel de l'instant originel hors le temps ". (45)

En d'autres termes, l'existence réelle et immuable des êtres et des phénomènes depuis un passé sans origine constitue la vérité suprême. Ainsi, penser que tout ce qui existe doit disparaître n'est qu'une illusion due à notre pensée aveuglée par l'ignorance. Dans la même logique, nous considérons que seule la simultanéité de la cause et de l'effet dans les cinq agrégats crée un temps et un espace subjectifs adaptés à chaque forme/pensée. Dès lors, le passage du temps, et la causalité linéaire qui en découle, ne relèvent que de la propension générique humaine. Pour cette raison le mesurable est infini puisque l'observateur est auteur d'un regard dont il ne mesure pas les fins.

" L'aspect réel " est donc la continuité du fait perceptif caractérisant toute forme/pensée, et ce concept ouvre, par là-même, sur la notion de " l'instant originel hors le temps ".

Shakyamuni indiqua, effectivement, le fait perceptif comme étant ce à quoi, à travers naissances et morts, on ne peut que se heurter:

" Pour qui recherche la vision correcte,

Il n'y a que noms et formes.

Celui qui veut juger et connaître en vérité

Ne connaîtra lui aussi que les noms et formes.

Qu'un esprit imbécile multiplie les notions

Et s'attache à distinguer quantités de dharma,

Il n'y aura jamais autre chose

Que les noms et formes ". (46)

En cela, sous un certain angle, nous restons dans le concept des cinq agrégats. En effet, la forme correspond à la matière et les noms expriment le travail simultané de la perception, de l'image en soi, de la volition et de la conscience de l'acte. Or, nous pouvons facilement le vérifier, en notre conscience nulle forme n'est innommable et réciproquement.

Sous un autre angle, cette citation ouvre sur la très banale quoique surprenante propension humaine à balayer, d'un revers de cognition, la forme, qui seule est de l'ordre du réel, au profit des caractéristiques mêmes de sa stérile production générique: le nom.

En outre, nous venons de le citer: " De l'apparition de la conscience résulte l'apparition du nom et de la forme ". Dès lors, cette volonté de " conscience de..", structurant la matière du corps, des sens et le " nommé " qui, lui, a pour effet ordinairement d'évacuer le phénomène particulier au profit d'une généralisation onirique, interdit l'accès à l'éveil si elle n'est pas perçue. Elle est, en effet, antérieure à l'apparition de la représentation de l'objet en soi-même.

Contrairement à un Berkeley quelconque nous ne soutenons pas, par ces propos, l'idée selon laquelle le " vouloir " crée l'objet dont nous percevons une image, puisque nous n'éludons aucunement l'absolue réalité en soi du phénoménal. Nous considérons, par contre, à la lecture de cette phrase, que l'image de l'objet en l'esprit est une construction recouvrant l'objet lui-même, et que cette volonté d'images et de noms ne saurait être acausale pour l'observateur.

Dans un commentaire d'une oeuvre de Zhiyi, Miao Lo définit la clarté de sa position de la manière suivante :

" Le provisoire, ce sont les êtres; le réel: les cinq agrégats et les territoires ". (47)

Cette phrase indique très nettement que " le provisoire " est constitué par la perception de ce que l'on nomme " êtres ", c'est-à-dire ce qui est assujetti aux changements conditionnels. Par contre, " le réel ", opposé au provisoire, donc permanent, est le fait " matière " ou plus exactement structure provisoire de forme, ainsi que ce qui en découle: le fait perceptif d'objets déterminant un lieu, désigné ici par l'expression " les territoires ". Le " réel " étant défini par les cinq agrégats, qui comportent matière et esprit momentanés ainsi que le lieu observé, " le provisoire " ne caractérise donc pas le fait perceptif lui-même, mais les objets " d'affinité " sur lesquels il s'applique:" les êtres ". Or, tant le fait perceptif que " les êtres ", qui ne peuvent exister en dehors des cinq agrégats, sont permanents. Dès lors, seul le regard " d'affinité " crée ou ne crée pas le fait de l'impermanence. Autrement dit, placés sous l'angle d'observation humain, nous ne percevons que la conditionnalité puisque tel est le " vouloir " exprimé par la forme. En conclusion, il apparaît que seul le dépassement de l'attachement à la structure de sa propre forme doit être désigné par le terme de sagesse.

Ordinairement, cet assemblage impermanent, de structures percevant et engendrant des structures au travers des " noms et formes ", qualifie le groupe de représentation humain, ainsi que les affinités génériques et sensibles des individus le constituant. Cependant, il en va de même, sur le principe, pour tous les groupes d'affinités, désignés communément par les termes " sensitif " ou " non sensitif ", puisqu'à nos yeux toute forme/pensée est acte sensible de perception/réaction en " appui sur ". Du reste, dans tous les cas de figure, la reconnaissance de signes, de codes phonétiques, visuels, olfactifs, tactiles... identifie l'être à son groupe d'affinité et lui permet d'effectuer des sélections quant à ses proies, ses prédateurs et ses accointances. Un " vouloir percevoir " singulier est là, d'évidence, manifeste. Cet acte de perception/réaction est état, sa sensibilité particulière s'exprime dans l'élaboration de l'individualité unique de la forme/pensée conditionnée.

Pour cette raison, en bouddhisme, la rétribution des actes est la constante résonnance du monde des formes et, de fait, " les multiples dharma sont l'ultime réalité ". Dans son " Enseignement Oral ", Nichiren enseigne effectivement:

" La non-dualité de la forme et de l'esprit est appelée < l'ultime >".

Dès lors, le réel est l'absolue continuité du fait perceptif " adéquat ", puisque producteur de ses objets et de leur " durée ", l'irréel étant le fait anthropocentrique induisant l'espace et le temps des naissances et disparitions illusoires des mêmes objets. En outre, le réel s'appliquant aux cinq agrégats, il nomme la totalité du monde des phénomènes conditionnels, dans la mesure où toute forme/pensée momentanée, en étant constituée, est efficience et donc fait perceptif et réactif.

Notons cependant, dans l'immédiat, que si le fait perceptif est continu, la sagesse relative de la forme constitue l'essence de la rétribution, le fait matériel ne traduisant lui, en réalité, que la " résonnance " mutable du passé. L'apparition phénoménale, quoique difficilement contournable est donc, de fait, toujours moins importante que la conscience induite grâce aux phénomènes eux-mêmes.

Dans la même continuité logique que Nichiren, mais concernant plus particulièrement la matière, Miao Lo indique également:

" La forme, étant d'existence réelle, est dite non-destructible (chu); bien que l'on ne puisse la détruire, en raison de son impermanence (ke), on dit que la forme est vacuité (ku) ". (48)

L'expression " La forme est vacuité ", sur le principe se concoit puisque tous les possibles, jusqu'à l'expression des trois corps du bouddha*, lui sont inhérents (Ku). La formule, " que l'on ne puisse la détruire " s'entend, dans la mesure où, conditionnée, toute forme naît et meurt à elle même à chaque instant (Ke). Enfin, " d'existence réelle, est dite non destructible ", exprime l'efficience médiane (chu), absolument réelle, de chaque dharma dans l'atemporalité.

C'était, de la part du Maître Miao Lo, rester dans l'orthodoxie de la pensée de Zhiyi qui, à la lecture d'une des phrases du Sûtra de la Grande Vertu de la Sagesse :< La vacuité est forme, la forme est vacuité > ne put s'empêcher de noter avec son élévation coutumière: " Le remède n'est pas présent dans la maladie et l'éveil n'est pas présent dans la lettre des textes: c'est le même sens ". (49)

Il en découle, selon Zhiyi, que l'expression " La vacuité est forme, la forme est vacuité " ne possède pas les vertus thérapeutiques suffisantes pour guérir des troubles et n'exprime, en fait, qu'une structure de confusion, d'obscurité et par conséquent de non-éveil.

Là, concernant les mots, c'est-à-dire " nommer ", " agencer ", la forme élaborée par ceux-ci relève évidemment du réel. Il faut savoir que, dans cette école ainsi que dans la nôtre, la boddhéité comme les neuf autres états sourdent du monde des formes. Ils peuvent donc être perçus dans l'agencement des mots puisque tout agencement provisoire est un dharma.

Dans le même esprit Nichiren indiquera par la suite, à propos du Sûtra du Lotus:

" Et puisque ce roi des sûtra est absolument véridique dans sa doctrine, ses mots et ses phrases sont l'Aspect réel et l'Aspect réel est la Loi merveilleuse ". (50)

Plus qu'une équivalence d'ordre poétique, Nichiren désigne un agencement de sens qui, si la lecture s'effectue en profondeur, est forcement révélateur d' un corps: celui du bouddha. " Absolument véridique " nomme l'aspect réel des phénomènes tel que le perçoit le bouddha, l'expression " les mots et les phrases " indique l'articulation du corps constitué en résonnance: celui de la sagesse de l'éveil. Il nous apparaît en effet que les idéogrammes chinois, du fait de leur verticalité et de leur occupation " immédiate " du plan, de même que l'écriture plus généralement, sont signes informant l'espace et créant du sens, de la même manière que la convergence des phénomènes permettant l'efficience agence la forme. Plus précisément, la forme, la matière, est information. Or, ne pas voir un corps réel dans un assemblage provisoire de sens équivaut à nier tous les assemblages provisoires en terme d'états exprimés, et revient donc à chercher, en vain, à écarter la réalité exprimée par les phénomènes. En effet, le chapitre " Maîtres de la Loi " du Sûtra du Lotus indique:

" Dans les rouleaux du Sûtra existe forcement le corps entier de l'Ainsi venu ".

Or, de la même manière qu'il est actuellement concevable d'envisager qu'une petite partie d'organisme puisse contenir la totalité de l'information de celui-ci, Nichiren au treizième siècle enseignait, percevant la forme se dégageant de l'ensemble du Sûtra du Lotus:

" Chaque caractère du Sûtra est un Bouddha vivant de l'illumination suprême, mais avec nos yeux d'êtres humains, nous voyons seulement les caractères. De la même façon, ceux qui sont dans l'état d'avidité considèrent le Gange comme du feu, ceux qui sont dans l'état de tranquillité le considèrent comme de l'eau et ceux qui sont dans l'état céleste comme de l'ambroisie. Donc l'eau est l'eau, mais elle change selon l'état dans lequel se trouvent les individus... Ceux qui pratiquent le bouddhisme en se basant sur des points de vue erronés détruisent ce Sûtra inestimable ".

Cette citation éclaire l'handicap inhérent au percept et ouvre sur l'absolue réalité de la structure provisoire et vacante. En effet, l'expression " Donc l'eau est l'eau " tire un trait définitif sur l'approche des tenants de la seule vacuité des phénomènes et permet de s'éveiller au fait que la structure, la couleur, l'odeur,... sont la voie du milieu.

D'autre part, il apparaît que le caractère participant de l'architecture globale est de fait chargé du sens de la totalité et, identiquement, la récitation du Sûtra non seulement rend efficiente la structure en la cristallisant dans une forme phonétique, mais fait que le récitant s'en charge par l'acte de participation. Cela peut se concevoir, tant sous l'angle de la construction d'un corps en soi-même par la production du nom, que sous l'angle du partage de la forme " modèle " dont le récitant engendre et boucle l'espace. Dans notre école, la structure du < Corps de la Loi > étant " à l'origine " potentiellement présente en tout être, l'acte établissant un rapport à " l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur* " la rend efficiente.

Le Grand Maître Zhiyi confirme en effet:

" Cette loi sublime est elle-même la pensée qui la reçoit, qui est donc < pensée sublime > " et, insistant sur la non dualité de l'esprit et du corps de l'éveil: " la récitation (du Sûtra) est la respiration du Corps de la Loi ". (51)

A l'ordinaire, une totale identité peut se distinguer entre les pensées, les paroles et les actions d'un être. En effet, à travers les velléités, les désirs, les espoirs déçus ou les incidents, nul ne saurait se soustraire à sa propre identité causale, unique et particularisante. Dès lors, comme la racine des actes naît de l'identification aux pensées momentanées, et que celles-ci ne sont que noms et formes, il en va forcément de même pour la production de l'Eveil en soi.

" Cette loi sublime est elle-même la pensée qui la reçoit " traite de la potentialité vacante inhérente à la pensée momentanée et de son identification à l'objet. De fait, l'envergure de la pensée se construit constamment sur l'acceptation ou le rejet d'images d'objets réels/irréels, dont la présence/absence définit la qualité de l'état de l'observateur. Si l'objet, le dharma, est sublime, la pensée l'est également. Or, la pensée est constituée de noms et de formes.

Quant à la phrase, " la récitation (du Sûtra) est la respiration du Corps de la Loi ", il s'agit là, évidemment, de la modélisation du corps du récitant sur celle, parfaite, des dix mondes dans l'éveil. Dans l'objectif de nous permettre d'accéder à cette logique, Nichiren enseigne:

" Les caractères qui forment les mots du Sûtra du Lotus sont la forme visible... que prend la voix pure, et portant très loin, du Bouddha. Ainsi ont-ils la couleur et la forme. La voix pure et portant très loin, une fois éteinte, est réapparue sous la forme de mots écrits pour procurer des bienfaits aux simples mortels...". (52)

Dès lors, " la couleur et la forme " des caractères, représentant le corps et l'esprit les agencant, la production de ce corps par la voix, lors de la récitation, élève l'ensemble corps/esprit du récitant au niveau du corps et de l'esprit révélés par la structure. Or, si usuellement la forme est toujours antérieure au fait image mentale/nom, dans le bouddhisme la pratique, ou production de forme par le nom, est toujours supérieure à la pseudo richesse de l'édification conceptuelle.

C'est probablement un des sens de ce que Shakyamuni enseigne dans le Sûtra du Nirvana, à propos de la relation entre le nom et la forme:

" Il y à d'une part les entités, les noms et la réalité: c'est là la vérité suprême; il y a d'autre part les entités et les noms, mais pas de réalité: c'est là la vérité vulgaire ". (53)

Si la " vérité vulgaire " qualifie, dans le bouddhisme, l'attachement à la vacuité, le " vulgaire " tout court qualifie les doctrines n'y parvenant pas lors de leur analyse du phénoménal. Du reste, l'idée même d'un dieu, par exemple, ne dérive que du heurt de la pensée humaine face à l'insondable production conditionnée des phénomènes, ainsi que des racontars invérifiables de quelques éthyliques prétendant avoir vu ou entendu un " machin " s'exprimer hors le phénoménal. Ce qui, bien évidemment, est plus facile à affirmer, que d' élaborer une théorie permettant de mener à l'éveil, dès ce corps, l'infinité des êtres. De fait, englués dans leur incompréhension de la causalité, écrasés par l'origine trompeusement physique de leurs troubles et écartelés entre leur vouloir et leur réalité événementielle, certains " panseurs " ne purent, par dépit, que pondre une doctrine idéaliste relative à la toute puissance de l'esprit, masculin (noblesse oblige), élevé lui-même au rang du divin. Pour exemple, concernant l'origine divine des choses de ce monde, un texte " sacré " tel le Zohar énonce:

" Avant d'avoir créé aucune forme dans le monde, avant d'avoir produit aucune image, il était seul, sans forme, ne ressemblant à rien ". (54)

Contrairement à ce type de lecture dont les résonances ne peuvent qu'engendrer et perpétuer des décalages vis-à-vis du réel, nous considérons que la simultanéité de la cause et de l'effet, les non dualités du corps et de l'esprit ainsi que de l'être et de l'environnement permettent, à la réflexion ordinaire, de rejeter dans l'oubli les considérations vaseuses sur le sans forme, seul, quoique suffisamment puissant dans son acausalité pour ne ressembler à rien et faire paradoxalement l'infinité des êtres à son image.

Le coeur de la pensée momentanée







Envisageons à présent l'aspect le plus mobile de la forme momentanée: la pensée.

Sur le principe, selon Gishin, la " Une pensée ", base des opérations de pensée, est en réalité dépourvue de caractère et est donc dite vide (ku); il n'y a pourtant pas de phénomène dont elle ne se trouve pourvue et est donc dite conditionnelle (ke); ne se réduisant ni à la première, ni à la seconde définition, elle est dite " médiane " (chu). (55) Notons que, prenant cette logique pour base, nous nous éloignons de certaines dérives indiennes considérant globalement:

1)la seule perception " physique " comme réelle puisque s'appliquant à l'objet particulier, et les représentations de la pensée comme illusoires puisque comparatives et générales;

2) les perceptions physiques et mentales comme illusoires puisque engendrées toutes deux par une antériorité " karmique " telle, qu'elle aboutit à une vacuité générale de l'observateur et du perçu. (56)

Dans notre école, nous considérons les phénomènes non-nés et non-détruits comme existant dans la médianité, et la forme/pensée momentanée capable de s'y éveiller. La raison en est que si l'efficience de la " Une pensée/forme " est la voie du milieu, la totalité du monde des dharma l'est également, et on ne peut, de fait, y trouver là de dualité.

En effet, les phénomènes, possédant virtuellement en eux-mêmes l'expression des dix états, montrent leur vacuité. Or, cette potentialité est déterminée par l'intervention constante de l'environnement, ou de facteurs, permettant que la cause devienne simultanément l'effet. Le mouvement et la prédominance de l'un des dix états induisant forcément une modification des dix ainsi, dont le premier: la forme, la potentialité d'expression est donc totale pour tout dharma. Les phénomènes apparaissant alors " tels " dans l'instant de l'efficience expriment leur identité unique et, par là-même, sont donc la voie du milieu.

Sous l'angle humain, l'étanchéité des deux sphères de l'être et de l'environnement ne découlerait donc que du somatique, ou, si l'on préfère, du regard projeté .

Il apparaît cependant que cette totale liberté de principe de la pensée momentanée peut, comme l'indiquait l'extrait cité du Sûtra de l'Eclat Doré, se trouver enlisée uniquement par ses propres représentations. C'est du reste, semble-t-il, le lot commun du fait humain.

Afin d'y remédier, le grand maître Zhiyi laissa l'expression de son éveil sous la forme théorique du principe de " Une pensée trois mille ". Ce principe peut sommairement se définir comme suit: l'instant de l'efficience est la plus brève mesure de la forme/pensée momentanée utilisant l'infinie potentialité des phénomènes, soit un dans trois mille, puisque nous désignons ce potentiel par le terme de " trois mille ". Cette lecture est évidemment un éclairage porté sur la causalité en terme d'agencement de l'effet. D'autre part, simultanément, ou le même instant considéré sous l'angle de la cause, cette efficience sans durée agence l'infinité des phénomènes et le " un " imprègne les trois mille.

Décrivant le fait de la momentanéité, nous lisons dans le Maka Shikan de Zhiyi:

" Il n'est pas possible de dire que < une pensée > soit antérieure aux multiples phénomènes, pas plus que les < multiples phénomènes > soient antérieurs à < une pensée >... Tout ce que l'on peut dire est que < une pensée > est les < multiples phénomènes > et que les < multiples phénomènes > sont la < une pensée > ".

Du reste, Nichikan Shonin enseigne, à propos de la relation entre la " une pensée " et les " trois mille possibilités ":

" Une pensée trois mille a le double sens d'inclure et d'imprégner ".

Or, si " inclure " évoque le fait que la pensée momentanée se compose en réunissant " l'existant " perceptible, "imprégner " défini l'impact de la perception et de sa réaction simultanée sur l'agencement futur. " Inclure et d'imprégner " est donc un autre nom pour la simultanéité de la cause et de l'effet, sans origine dans le temps, et parfaitement consécutive en chaque forme.

La pratique de la contemplation de ce point axial permanent était donc censée permettre, selon Zhiyi, de " voir " en soi ce qui, antérieurement à l'efficience, engendre continûment la simultanéité de la cause et de l'effet, autrement dit le mouvement des dix états. Or, ces derniers nous l'avons déjà évoqué existent " à l'origine ". Dès lors, tant en ce qui concerne l'éveil à sa réalité personnelle, que la perception de l'essence de la réalité extérieure, seule cette démarche sur l'antériorité immédiate de la causalité de sa propre existence est l'arrêt des souffrances. Aussi, pour préciser cette approche, Nichiren indique:

" Si vous voulez interrompre le cycle sans commencement des vies et des morts et, cette fois-ci, attester infailliblement de l'éveil suprême, vous devez alors examiner le principe merveilleux des êtres en son état originel ". (57)

Ce " principe merveilleux "(myori) fut donc énoncé par Zhiyi sous la forme de la théorie de " Une pensée trois mille ". Plus exactement, l'arrêt et l'examen de la pensée momentanée et de ses représentations sont censés permettre le face à face avec ce qui, en nous, est antérieur au corps, à la pensée et au monde phénoménal dans le moment même. Autrement dit, la théorie de " Une pensée trois mille " indique le fait que la totalité du perçu n'est qu'un " vouloir voir ", sans origine, masquant la réalité ultime des états exprimés par les phénomènes. Cette théorie ouvre, d'autre part, sur la possibilité pour le corps et l'esprit d'accéder à l'éveil, dans l'instant atemporellement fait de corps, de perception et de conscience puisqu'il n'est, de fait, aucune situation d'existence ailleurs. Telle est l'application de l'examen du " principe merveilleux des êtres en son état originel ".

Ce développement de Zhiyi nous permet donc de reconsidérer la profondeur du concept déjà évoqué de " production en dépendance ". Ce concept, en effet, définit la simultanéité: de la réunion des éléments permettant l'appellation d'effet, et de l'efficience momentanée en résultant nommée cause.

La merveille de la simultanéité de la cause et de l'effet, mère de la voie médiane, a été commentée comme suit par Shakyamuni:

" Ce n'est pas par moi, ô moines, que la production en dépendance a été faite ni par d'autres non plus; mais que les < Ainsi venus > apparaissent ou non dans le monde, cette nature des phénomènes est stable ". (58)

Le concept bouddhique, de " production en dépendance " indique en premier lieu une convergence d'éléments circonstanciels et en second lieu une efficience momentanée en surgissant. Cette production d'efficacité se traduit par cette congruence même, tout en déterminant un temps et un espace adaptés puisque consécutifs à la prise de forme. Le mouvement même des circonstances prendra le nom d'effet et l'efficience en résultant prendra celui de cause. En outre, l'expression " cette nature des phénomènes est stable " indique le fonctionnement phénoménal dans son instantanéité, et, puisque la cause et l'effet sont simultanés, la totale pérennité des dharma non-nés, non-détruits. Cette simultanéité atemporelle et causale est définie comme suit:

" Par leur simple réunion les mots qui constituent le concept vont enseigner la voie médiane: contre l'éternalisme, le terme < en dépendance > met en évidence l'ensemble des conditions qui sont indispensables à l'apparition d'un dharma, lequel surgit en relation, et non pas de lui-même, ni non plus sans condition. Ce même aspect d'harmonie des causes a pour but d'écarter la doctrine d'une cause unique, permanente, douée de durée, aussi bien que la doctrine inverse qui affirme l'absence de toute cause. Le terme < production > fait échec à l'hérésie de l'annihilation et de non action en montrant que les phénomènes se produisent en dépendance et non au hasard ". (59)

Dès lors, la perception de ce " principe merveilleux des êtres", antérieur à l'efficience momentanée, est seule qualifiée d'éveil sans égal, sans supérieur, de la Boddhéité.

Tel a toujours été le point de vue des éveillés et ceci permet à Miao Lo de conclure et d'affirmer au huitième siècle:

" Une plante, un arbre, un galet, un grain de poussière, tout cela possède la nature de bouddha à l'état inhérent, en même temps que les autres causes et conditions nécessaires pour atteindre l'éveil ".

Cette affirmation, appuyée sur le principe théorique de " Une pensée trois mille ", ouvre sur la réalité de la mise en forme ou imprégnation de tout objet par le biais humain et préfigure, dans le cadre de la boddhéité, l'apparition de l'éveil dans la forme et, par extension, l'expression de l'identité de la Personne et de la Loi. Cependant, ces propos de Miao Lo ne furent pas sans produire une levée de boucliers à son époque. Nous supposons donc que les conséquences de cette déclaration peuvent, à la nôtre également, ébranler certaines logiques faussement évidentes. Nous ne manquerons pas d'y revenir.

En fait, ce principe de " production en dépendance ", et d'autres concepts issus de l'enseignement de Shakyamuni, indiquent continûment la voie médiane, expression de son éveil, et il en ressort que son obscurcissement ne tient qu'à la superficialité de certains commentateurs.

Voici un autre exemple tiré de l'enseignement du bouddha:

" Tous les vouloirs sont instantanés; comment une chose qui est sans durée peut-elle être efficiente ? L'existence n'est qu' efficience et cette efficience même est nommée cause ". (60)

Il apparaît donc légitime de considérer que si cette efficience " sans durée ", appelée cause, n'existe que dans le présent, celui-ci ne peut être que de l'ordre du réel tout en étant constitué de conditionnalité et de vacuité. D'autre part, la cause étant un produit, elle n'a pu qu'être agencée puisque d'évidence elle est multifactorielle. En effet, l'efficience comporte inéluctablement un sujet percevant composite et un environnement lui-même multifactoriel, ce, qu'il s'agisse d'une résultante momentanée issue d'images mentales ou de contacts physiques. Dès lors, l'efficience étant indiscutablement un produit causal, son origine peut se rechercher dans deux directions. Soit dans un passé non mesurable, puisque la mesure du temps ou de l'espace ne s'effectuent qu'à partir d'une forme percevante elle-même suspecte puisque produit causal et multifactoriel, soit dans le moment même, auquel cas l'instant de l'efficience est éternel dans la non durée. En ce sens, il apparaît que l'existence n'est que la manière continûment présente dont " on " veut percevoir ceci, au détriment probable du fait de percevoir cela.

En effet, si l'on veut considérer la réalité unique et incontournable de l'efficience instantanée, tant la recherche des causes et effets du passé, que le " connais toi toi-même " qui suppose une tentative de connaissance d'un observable, ne font que voiler l'instant lui-même au profit d'une irréelle durée de substance. En outre, l'accumulation des instants d'efficience, considérés en termes de temps et d'espace se développant, est caractéristique de l'ignorance consécutive à la forme percevante prisonnière de ses lectures génériques. Il en découle, alors, que les images réelles/irréelles d'un passé ou d'un futur hypothétiques masquent dramatiquement la réalité causale de l'efficience momentanée et atemporelle. Il résulte forcement, de cette démarche projective, une opacité se traduisant par l'incompréhension des causes et des effets de sa propre vie, de celle d'autrui, et du mouvement phénoménal en général.

Dès lors, il convient de s'ouvrir au fait que les entraves de l'efficience momentanée ne sont que celles de la conscience produite dans l'instant, et qu'il n'est pas plus de " poids " du passé que d'impureté ou d'asservissement inamovibles. En résumé, si l'agencement des éléments permettant l'efficience a, pour les êtres, le passé pour racine, il n'en est pas moins vrai que l'efficience elle-même n'existe que dans le présent sans durée. De ce fait, ce dernier est la source, l'origine atemporelle du réel.

En outre, l'instant de la forme/pensée étant sans origine, puisque simultané à lui-même, la mémoire se développant dans l'instant est davantage l'effet d'un vouloir sélectif présent que celui d'une lecture objective d'un passé sans origine. Il n'est de linéarité ni dans le temps ni dans la causalité. De fait, la vie étant sans commencement ni fin, l'envergure de la conscience dans l'instant est le point axial réorientant constamment le passé et le futur de l'être. " Tous les vouloirs sont instantanés ".

" Cette efficience nommée cause " est la simultanéité de la cause et de l'effet sans origine, et, pour cette raison entres autres, nous employons l'expression " Merveille de la cause originelle " pour désigner l'enseignement suprême du Bouddha.

Globalement, l'enseignement du bouddha tend à matérialiser l'efficience de la cause et de l'effet de l'éveil " à l'origine ". Son objectif ultime est en effet, d'une part l'enseignement de l'inconcevable merveille de la simultanéité de la cause et de l'effet de l'éveil dans le nom et la forme; d'autre part, sous l'angle des neuf premiers états, d'ouvrir les êtres au fait que la qualité intrinsèque des multiples dharma momentanés exprime également cette merveille, dans l'efficience de la forme/pensée appelée cause. Tels sont les deux grands axes dont la confluence ouvre l'accès à l'éveil des êtres, puisqu'ils se cristallisent, dans les deux cas, dans le nom et dans la forme. Cependant, à la lecture des enseignements effectués par les grands maîtres, il apparaît que la matérialisation de cette simultanéité de la cause et de l'effet de l'éveil, et son corollaire qui est l'accès des êtres à l'éveil, ont une efficacité naturellement proportionnée à l'envergure de cette matérialisation.

Tel est, selon nous, l'enseignement émanant des textes. Considérant ces éléments, il apparaît qu'appuyés sur l'enseignement du Mahayana définitif, tous les aspects des enseignements préparatoires convergent pour favoriser l'émergence de la vue des bouddha: la " médianité " originelle des dharma non-nés non-détruits.

Pour cette raison, et dans une évidente volonté de mettre à notre portée cette réalité, Nichiren enseigne:

" Quel est le sens de Myo (merveille) ? Seul est appelé merveilleux cela d'inconcevable qui est le coeur de notre < Une pensée >. Inconcevable signifie que ni l'esprit ni les mots ne peuvent l'atteindre ". (61)

Ce " coeur merveilleux " est toujours antérieur à la forme/pensée momentanée naissant simultanément à la congruence des phénomènes. Sans origine, n'apparaissant ni disparaissant, ce coeur (myo) s'exprime par les phénomènes (ho) tels le corps, les sens et le monde des objets perçus déterminant le lieu de l'expression individuelle. C'est évidemment ce qui, en chacun, oriente l'agencement phénoménal permettant la constante efficience momentanée.

Par contre, la pensée momentanée, quant à elle, ne peut être que simultanée au percept puisque celui-ci n'a, comme champ d'application, que la conditionnalité des phénomènes objectals et mentaux. De ce fait, le travail de l'esprit et, à plus forte raison l'énoncé des mots, étant toujours postérieurs à l'efficience, ils n'ont la capacité ni de " voir " ni de " nommer " le " coeur ". En somme, nés sous forme humaine nous ne pouvons donc appréhender que la conditionnalité, et de cette perception des apparitions et des disparitions phénoménales les souffrances dues à l'attachement naissent inéluctablement. La raison en est, comme l'indiquait le philosophe Japonais T. Makiguchi, que la sagesse humaine ordinaire ne s'exerce, dans le meilleur des cas, qu'après l'apparition du phénomène.

Dès lors, l'ouverture au coeur merveilleux atemporel de la " Une pensée " momentanée est l'éveil véritable que ni l'esprit ni les mots ne peuvent atteindre.

Zhiyi est, bien entendu, dans cette ligne de pensée lorsqu'il déclare:

" Le coeur merveilleux (myoshin) est l'objet (kyo) de la contemplation tandis que la sagesse sublime (chi) en est l'agent. Agent et objet ne sont pas deux, l'un illuminant son objet et l'autre faisant obstacle. Cette contemplation est celle de la voie médiane ". (62)

La sagesse usuelle est l'agent du " coeur merveilleux ". Or, tant le " coeur ", que la totalité du monde des phénomènes, sont inconcevables pour la sagesse de l'être ordinaire, et, par là-même, cette inconcevabilité renvoie à ce " coeur merveilleux" dont on nous dit que lui et la sagesse " ne sont pas deux ". Dès lors, le " coeur " lui-même fait obstacle et, si l'on souhaite en prendre la mesure, seuls les phénomènes quotidiens individuels le désignent continûment dans ses effets. Dans l'éveil, naturellement, la sagesse sublime est l'agent de l'objet " coeur merveilleux " et l'on nomme cet être < Ainsi venu >. Plus généralement, le fait que " l'un illumine son objet et l'autre fait obstacle " indique l'incontournable et constante réalité de la perception objectale.

" Cette contemplation est celle de la voie médiane ", et, de fait, celle-ci éclaire l'absolue pérennité de la perception de formes adéquates, pour chaque observateur. Là, se situe la mise en application de la théorie de " Une pensée trois mille " qui est censée devenir la sagesse sublime en adéquation avec l'objet merveilleux: le coeur atemporel de la " Une pensée ".

Selon l'école Tiantai, en effet, si ce qui mène à l'objet, c'est-à-dire le principe théorique guidant l'exercice de la sagesse est sublime, la sagesse elle-même aboutit au réel dans son ensemble, à savoir les dix mondes de son propre coeur et de ce qui lui est extérieur. Car, bien évidemment, le regard porté sur les multiples phénomènes est censé s'effectuer avec la même démarche que celle appliquée à sa propre existence, dans la mesure où placer là une séparation relèverait d'une illusion.

Ce qui permet à Gishin de déclarer:

" Contemplant dès le début l'aspect réel et y construisant l'objet de la contemplation, cette doctrine appartient à la médianité. Il n'est plus une forme, plus une odeur qui n'y soit dans la voie médiane. On saisit alors la parfaite fusion des trois vérités qui ont pour caractère d'être réelles... Cette doctrine expose l'inconcevable principe de la voie médiane." (63)

En premier lieu, sur le principe, la construction de la représentation de l'objet découle uniquement de la voie du milieu puisque elle seule en possède l'envergure. De fait, la notion même de construction, ou de reconstruction de l'objet, laisse entrevoir le travail sur soi demandé par cette discipline axée sur la triple vérité. Cependant, basés sur cette lecture, nous ne touchons là malgré tout que le plan théorique. Nous traiterons ultérieurement de l'application concrète de cette théorie. D'autre part, " l'inconcevable principe de la voie médiane " qualifie l'absolue réalité des formes dans la conditionnalité et la vacuité depuis le passé hors le temps, et cette approche permet déjà de pressentir ce que nous entendons par la concrétisation de cette théorie.

Néanmoins, nous constatons dans les propos de Gishin une approche couvrant les étendues minérales, végétales, animales et humaines dans l'extrait :" Il n'est plus une forme, plus une odeur qui n'y soit dans la voie médiane ".

Il en ressort que, à la fois le fait perceptif de la forme et de l' odeur est médian, en cela qu'il caractérise l'ultime de l'observateur, et que à la fois le fait forme et odeur est médian quant à l'expression de la forme même se signalant, observateur humain ou non.

Cette citation est indicative de l'excellence et de la profondeur de vue développée par cette école. Cette dernière, ne serait-ce que par son rapport théorique au monde de la forme, se distingue nettement des navrantes conclusions propres aux penchants spiritualistes des écoles axées, entre autres, et au mieux sur la vacuité.

Les difficultés relatives à l'accès à la voie du Milieu.







De quelle nature pourraient-être les freins empêchant la perception de " l'inconcevable principe de la voie du milieu " ?

On peut considérer ordinairement que la qualité de vie, ou état, est fonction de la pensée momentanée dans sa représentation de ce qui lui est extérieur. Cependant, force est de constater qu'en général c'est plutôt l'état de vie qui conditionne la représentation momentanée. En effet, selon l'état ressenti, tant la nature des images mentales, que le " choix " des connexions entre celles-ci, engendrent dans leur succession un réseau qualitatif subjectif se développant et traduisant la forme de l'état.

En d'autres termes, les " mêmes " images mentales ont une valeur différente selon que l'on se trouve dans l'avidité ou la joie, et les pontages entre les images expriment forcement une structure de forme exprimant l'un ou l'autre de ces états. En conséquence, l'envergure de principe de la pensée ne tient qu'au fait qu'elle puisse approfondir, dans l'instant, sa perception de l'aspect réel des choses pour engendrer un changement de l'état intérieur la produisant. Nous faisons allusion ici à la potentialité du cinquième agrégat: la conscience de l'acte. Cette dernière, seule, possède la virtualité de surajouter une prise de conscience plus profonde que le réseau de représentations de l'image en soi, motivant l'acte lui-même.

Cependant, plus en amont, le réseau élaboré par la série d'images mentales tire sa substance de la structure même de l'état de la forme percevante: le corps. En effet, selon cette doctrine, toute forme exprime un état de base. Or, selon que cette forme soit animale, humaine ou autre, une constance due aux capacités perceptives et réactives s'en dégagera, à facteur " égal ", et produira systématiquement une particularisation unique . Dès lors, repassant du principe général au fait humain, il apparaît que la potentialité d'éveils partiels nécessite, pour s'exprimer, de buter sur l'inconcevable: sa propre production de forme(s). Il semble donc nécessaire, selon cette logique, de tendre vers le dépassement de ses propres limites physiques et mentales.

En conclusion, la profondeur et la liberté du percept ne relevant que de l'adéquation entre celui-ci et la réalité, il est envisageable de considérer le rejet de la voie médiane, et le maintien de lectures oniriques, comme n'étant que l'expression inconsciente, puisque d'origine physique, d'une certaine volonté d'obscurité et donc de souffrances. C'est probablement le sens donné par Nichiren aux propos suivants:

" Attention, même si vous devenez le maître de votre esprit ne laissez pas celui-ci devenir votre maître... C'est pourquoi je vous ai pressé pour que vous rejetiez votre corps et que vous ne ménagiez pas votre vie pour le Sûtra du Lotus ". (64)

La première phrase de l'extrait ci-dessus est typique de l'humour bienveillant du Grand Sage Nichiren. En effet, chacun s'estime naturellement être le maître de son propre esprit, sans s'étonner du fait que toutes ses souffrances personnelles en proviennent à son " corps défendant ". La raison en est, probablement, que l'identification de l'individu à ses images mentales le place sous le joug d'une autorité physiologique, psychologique et projective, dont il ne peut facilement se libérer, et dont il s'enorgueillit maladroitement par défaut. Quant à l'expression " Que vous ne ménagiez pas votre vie " elle indique, entre autres, l'illusoire sentiment de perte ressenti lorsque, dans la pratique de la Voie, on tente de remplacer le ronronnement classique de la luxuriance mentale par une pensée d'éveil.

D'autre part, le " rejet du corps " nomme évidemment le lieu inconcevable des limites de l'esprit et ouvre sur le fait que l'éveil s'effectue " dès ce corps ". Selon cette logique, " C'est pourquoi je vous ai pressé pour que vous rejetiez votre corps " indique que celui-ci est toujours le maître de l'esprit et, à l'analyse, nous pouvons facilement constater que le fait physique est effectivement toujours antérieur au fait " image mentale ". Dès lors, cette hiérarchie apparaissant incontournable, la réelle " maîtrise " de l'esprit ne peut de ce fait s'effectuer dans l'ignorance du " vouloir " de son propre corps et donc de l' environnement de la pensée momentanée. Ce qui n'est pas franchement usuel, nous en convenons.

Pour cette raison cependant, il nous semble fécond, dans l'optique de l'éveil personnel à l'aspect réel des phénomènes, d'examiner les résonances en soi de la déclaration suivante du Grand Sage Nichiren :

" Comprenez que soutenir la doctrine de Nichiren dépasse l'entendement. Songez que cela est inconcevable ".

Selon notre approche, ce qui " dépasse l'entendement " est le corps, les corps, le phénoménal, et " soutenir la doctrine de Nichiren " représente donc l'accès à l'éveil dès ce corps.

Dans la même lignée théorique, quoique également par expérience, très certainement, Miao Lo constate:

" Les gens sont prêts à admettre que tout ce qui a couleur et parfum est l'entité de la voie du milieu; mais, lorsqu'ils entendent dire que les êtres non sensitifs possèdent l'état de bouddha, ils s'étonnent et manifestent leur scepticisme ". (65)

Or, si l'expression " êtres non sensitifs " désigne ce que nous nommons globalement végétal et minéral, cette potentialité d'accéder à l'éveil concerne au premier chef notre corps, puisque celui-ci est non seulement constitué de non sensitif mais de sensitif. Outre cela, la concrétisation de ce principe théorique concerne évidemment la totalité de l'environnement, mais nous traiterons ultérieurement de l'accès à l'éveil de l'objet.

Dès lors, quelle est l'origine de cette répugnance à l'égard de la voie du milieu et par conséquent à l'éveil dès ce corps? L'école Tiantai met en lumière les résistances à l'accès à l'éveil ainsi que leurs conséquences. En effet, nous lisons chez Zhiyi:

" Si l'on contemple le vrai de façon superficielle, des obstacles phénoménaux subsisteront; on se livrera alors à une réflexion répétée sur le vrai.." (66)

L'exhaustivité ne relève certes pas de nos capacités, mais nous y voyons cependant deux aspects:

1) Dengyo l'a expliqué:

" Shakyamuni a enseigné qu'il est facile d'adhérer à ce qui est superficiel, mais difficile de croire à ce qui est profond. Rejeter le superficiel pour rechercher ce qui est profond demande du courage ".

Le courage, dans le bouddhisme, est synonyme de bienveillance. Il désigne le fait d'amener se pensée à approfondir son réseau de représentations en ne rejetant pas ce qui semble menaçant puisque contraire ou hors de portée de la cognition habituelle. Nous entendons par là, l'approfondissement des enseignements du bouddha et, en conséquence, la production d'une perception modifiée des formes comme son propre corps et les corps environnants, auxquels la voie médiane ne peut manquer de conduire. La " façon superficielle " désigne alors le fait de ne pas lire ce que l'on lit, ou la peur frileuse consistant à se juger incapable de dépassement. Cette peur, en réalité, ne sert qu'à masquer l'attachement et l'orgueil du " Moi jacasseur ", décalé par son sentiment de toute puissance face à l'insondable: les phénomènes. Là, réside le retranchement de la pensée dans la magie spiritualiste, mère de l'acausalité phénoménale.

2) Par contre, dans des conditions normales de pratique et d'étude de la doctrine, l'individu produit en principe sa propre modification conceptuelle et, par là-même, enclenche le dépassement de ses limites physiques: la perception. Cependant la " façon superficielle " dans ce cas est celle qui, restant mentale, n'entraîne pas le corps dans l'acte de la pratique " telle que le bouddha l'enseigne ", et donc ne peut modifier l'agencement des phénomènes. Dès lors, il ne reste plus que le vain travail réflexif de la pensée sur des vérités de surface et celle-ci, ne percevant pas l'aspect réel des phénomènes, ne peut s'imprégner de leur sens et reste donc inopérante. Du fait de cette réduction, les obstacles phénoménaux, le corps et les objets extérieurs, sont forcément perçus en termes d'empêchements ou de contraintes. Nous désignons là l'apparition ou la persistance de dysfonctionnements physiques mesurables, à savoir la maladie, ainsi que les souffrances nées de l'incompréhension des objets extérieurs au corps. Il en découle alors le fait suivant: les souffrances ordinaires ne pouvant produire la joie et la valeur dont elles sont intrinsèquement porteuses que lorsqu'elles se transmuent en bienveillance vis à vis de tous les êtres, le rejet de la médianité en bloque l'apparition. Là réside non plus vraiment le retranchement de la pensée mais celui de son aspect le plus dense: le corps.

En somme, la pseudo liberté de l'esprit ne peut que se heurter à la résistance du corps qui le produit, et dès lors, l'inconcevable " éveil dès ce corps " devient objet de rejet pour l'esprit enlisé dans son sentiment de toute puissance.

N'est-ce pas là ce que transmet  Nichiren lorsqu'il enseigne :

" Les êtres lisent le Sûtra du Lotus avec leur bouche et non avec leur coeur, ils ne le lisent pas dans leurs actes. Ceux qui sont les plus dignes de respect sont ceux qui lisent le Sûtra du Lotus dans leur coeur et dans leurs actes ".

Nous pouvons donc en déduire que seuls les actes mentaux, entraînant ceux du corps, modifient la compréhension des phénomènes, et par là-même leur agencement . Ces actes, exprimant une sagesse issue de la vacuité et s'exerçant dans le conditionnel, expriment le " courage " évoqué et constituent " la pratique telle que le bouddha l'enseigne " .

Zhiyi, du reste, nous le confirme de la manière suivante:

" Le bien que l'on émiette distraitement ne change rien. Par contre, l'observation des essences effectuée bien portant ou malade fait mouvoir la roue de la vie et de la mort ".

" Le bien émietté distraitement ", désigne les lectures relatives issues de l'observation phénoménale du commun et, de fait, le qualificatif " distraitement " couvre tous les actes effectués dans la non perception de la réalité objectale. L'expression " ne change rien " qualifie l'inefficacité de la perception et des actes du fait du manque de profondeur, dans les trois phases du temps. Contrairement à ce gâchis, " l'observation des essences effectuée bien portant ou malade " explicite la cause de l'apparition d'une réelle bienveillance et du courage engendrés par le dépassement des limites ordinaires de l'ego malade/pas malade. " Fait mouvoir la roue de la vie et de la mort " indique la profondeur et l'envergure de l'efficacité de la conscience momentanée, lorsque celle-ci perçoit le " coeur " la produisant.

Dans une totale adéquation avec les propos de Zhiyi, Nichiren enseigne:

" Vous devez considérer l'apparition des difficultés comme étant l'expression du Sûtra < vivre une vie paisible en ce monde > ".

Là, est désignée la profondeur de la bienveillance du Bouddha fondamental. En effet, attendu que le manque de discernement ne supprime pas les différences individuelles des multiples dharma mais ne fait que les masquer en vain, la perception de l'aspect réel des phénomènes entraîne deux conséquences. La première est l'édification en soi d'un état intérieur riche et paisible, la seconde est l'action constante vis-à-vis des multiples causes de la souffrance. Ce dernier point correspond à " l'apparition des difficultés ".

Seul ce fonctionnement, qui consiste à faire entrer en son esprit la sagesse du bouddha, et à ressentir en conséquence de la joie dans le changement de ses représentations de la réalité, et donc de ses actes physiques, engendre en nous l'apparition du bouddha en ce monde. Nichiren explique, dans son " Enseignement Oral ":

" Consacrer sa vie ( nam ) implique à la fois l'engagement physique et spirituel. Le principe ultime s'exprime par la non dualité des deux ".

En d'autres termes, le dépassement des contraintes psychiques, physiques et environnementales, qui sont une seule et même inconcevable réalité individuelle, est la production de l'ultime en son esprit, en son corps et en son environnement.

Des liens de parenté







En fait, il n'est point d'éveil, ni d'aucun autre état, hors la forme présente conditionnelle et vacante, c'est-à-dire le quotidien banal des actes de la pensée, de la parole et de l'action physique. Bien que l'acte soit vacant du fait de sa construction provisoire et de sa potentialité illimitée, conditionné puisque composé par les relations, il exprime la voie du milieu en cela que dans la simultanéité de la cause et de l'effet, il est le seul aspect réel individualisé dans l'infini du temps.

En outre, si, comme nous l'avons vu, " l'aspect réel se manifeste forcément... dans le corps et le lieu ", toute forme est acte. Et si le fait perceptif momentané jaillissant de la réunion de ses constituants est sans origine, comme l'indique le concept de simultanéité de la cause et de l'effet, il n'y à jamais non-forme, la production d'un lieu adéquat est donc absolument constante. D'où la conclusion qu'il n'est pas de situation permettant le non-acte de la forme/pensée dans les trois phases du temps que sont le passé, le présent et le futur.

Conformément à cette approche, le Grand Sage Nichiren enseigne:

" Non seulement l'Ainsi venu, mais également tous les êtres tels que nous, jusqu'aux grillons, fourmis, moustiques et mouches, tous sont la forme/pensée sans commencement ni fin. Penser qu'il y a un début et une fin pour les êtres relève des vues erronées des voies extérieures ". (67)

En bref, les " vues erronées des voies extérieures " qualifient l'égarement consistant à penser que la réalité de sa vie est régentée ou provient d'une source autre que soi-même dans l'instant.

Cette citation, quant à elle, montre que, du fait de la simultanéité de la cause et de l'effet depuis le passé hors le temps, la forme/pensée est continûment fait perceptif et réactif à travers naissances et morts illusoires. Le fait perceptif ne pouvant être autre que forme dans un lieu d'objets adéquats, il est forcément acte en termes d'effet, de cause, et donc construction de formes futures. Dès lors, tant les êtres du passé du présent et du futur avec qui nous avons eu, avons et aurons des liens, que leur phénoménologie particulière, relèvent de notre " vouloir voir " situationniste. En outre, sans minimiser l'entière responsabilité de chaque individu vis-à-vis de sa propre existence, la qualité relationnelle établie par l'observateur exprime " l'harmonie globale " caractérisant tout être dans son environnement. L'intérêt immédiat de cette logique est de permettre de se soustraire aux conséquences délétères de certaines formes de pensée telles: l'acausalité de sa réalité, le hasard roi, la chance ou la malchance innées, la prédestination, les voies de " machin " sont impénétrables, le " j'ai pas d'mandé à naître ", l'issue dans la plainte ou le suicide,...

En fait, la lecture " impressionniste " qui jaillit des circonstances de notre existence est moins de l'ordre du réel indispensable, que l'est le changement immédiat de cette lecture, dans la mesure où l'on ne se confronte qu'à sa propre production d'événements. Cela permettait à Shakyamuni d'expliquer que l'être, où qu'il se rende , ne peut s'élancer d'une autre matrice que celle de ses actes.

Dans ces conditions, il apparait évident aux éveillés que l'action constante, appuyée sur le ressenti de la bienveillance vis à vis de l'aspect réel des êtres et des phénomènes, représente le fonctionnement humain élevé à sa valeur suprême.

Cette " évidence " peut se construire en chacun et constitue la qualité sensible de la pratique de la Voie.

Dans le même ordre de pensée que Nichiren, mais là appliqué à l'observable individuel et subjectif, nous lisons chez Zhiyi:

" la conscience est le temps de la pensée de série et des relations de parenté..." (68)

Il n'est pas d'observateur, de participant diraient les physiciens quantistes, sans objets à observer. Or, le fait perceptif ne peut s'établir sans production environnementale adéquate au " vouloir " de la forme.

Cet agencement phénoménal de relations, indispensable pour engendrer et faire durer l'ensemble corps/esprit, portera nécessairement une infinité de noms assortis: papa, maman, frère, pas de soeur, tonton, ennemi, femme, flic, boulot, troquet, argent, maladie, bouffe, maison, chômage, société,... Or, toutes ces formes nommées, consécutives à l'existence personnelle, ne présentent l'aspect particulier qui nous touche que du fait de notre position unique vis à vis d'elles. Du fait de ces différenciations, personne n'a strictement le même point de vue qu'autrui sur un être ou sur une chose et le regard porté est le seul élaborateur de la relation. Par exemple, on ne peut " voir " son grand-père, qui est un être unique, comme l'ont vu sa fille, sa femme, son père, son employeur ou comme il s'est perçu lui-même. De fait, seul le cadre produit par l'observateur définit l'aspect temporel et spatial de la relation, et par là-même sa qualité sensible particulière.

Il en découle, que le " vouloir voir " ne s'effectue qu'au sein d'un réseau engendré et nécessaire de relations, et cependant nous pourrons toujours juger consciemment dans le relatif, ou distraitement, du vrai ou du faux, du bien ou du mal de surface. En réalité, nous affublons constamment et inconsidérément de nos jugements les êtres et objets façonnant notre monde particulier. Or, il est de fait patent que, si la logique des justificatifs de nos actes est à nos yeux pleinement adaptée pour les établir, les raisons de l'efficience des multiples phénomènes de nos existences nous échappent en général aussi nettement.

D'autre part, il va de soi que si la conscience est, " le temps de la pensée de série ", celle-ci ne produit qu'elle-même puisque les " relations de parenté " sont une fabrication de séries causales individuelles nécéssaires à sa propre perception. Or, cela semble parfaitement insuffisant quant à l'analyse de ce qui la conditionne " à l'origine ". Il est dès lors surprenant que chacun puisse trouver sa raison suffisante pour juger des êtres et des choses en s'appuyant sur le relatif de sa position, voire sur le projectif. De fait, notre absolue incompréhension des êtres les plus proches, sur un plan sensible ou géographique, et à plus forte raison des plus lointains, montre le désarroi et l'isolement de la pensée commune ordinaire axée sur le " vrai " relatif. En conséquence, le " temps " de conscience étant celui de la pensée de série, l'ignorance de notre véritable nature est le regard porté sur toute chose en les rendant existantes, douées de durée, obtenables, sources de plaisir ou de dépit voire de manque profond, dans un univers temporel fugace.

Dès lors, la conscience ordinaire se réduisant à la " mesure", et du fait du cadre temporel et spatial plaqué sur des existences en réalité difficiles à pénétrer, l'avidité ou le dédain pour les êtres et les choses de ce monde apparait être une perte de temps manifeste, ainsi qu'une perturbation vaine et frustrante non sans conséquences pour autrui.

Ceci illustre, d'une certaine manière, le " vrai superficiel " du commun, mère des sentiments d'attraction ou de répulsion, ainsi que des notions de bien ou de mal relatives au souvenir et à l'imaginaire, vis à vis d'êtres ou de phénomènes non perçus, synonyme de souffrances infinies dans le cycle des six voies. Selon cette approche, on ne sort de l'obscurité fondamentale déterminant son existence que dans le fait de s'éveiller à sa propre vie et dans le fait de permettre à tous les êtres d'y parvenir par eux-mêmes. C'est la seule manière d'entrer dans la voie de l'éveil et d'éclairer ce qui, antérieur à la pensée momentanée, engendre les multiples phénomènes. En outre, là se situe la destruction des souffrances engendrées par la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort.

Nous lisons en effet dans un commentaire:

" La vie du bouddha n'est ni longue ni courte. Ce n'est que lorsqu'il a affirmé entrer dans l'extinction que les êtres distinguent une vie longue ou courte, proche ou lointaine. Le Sûtra dit:< Selon les lieux, et en raison des différences de compréhension des êtres, je montre une vie brève ou longue > ". (69)

De la même manière, " La vie du bouddha " ne se distinguant pas essentiellement de toutes les autres formes de vie, ce que nous montrent les êtres, à travers leur continuité, leur disparition et leur phénoménologie particulière, n'est que l'expression des limites de notre regard. Sous cet angle, naissance, maladie, vieillesse et mort de soi-même et de ce qui ne l'est pas, ne sont que des réunions momentanées d'éléments aux fins d'une efficience unique et particularisante, éternelle quoique scandaleusement non perçue. En conséquence, il nous semble judicieux d'admettre que les freins empêchant de partager cette approche sont prioritairement davantage d'ordres physiques que mentaux.

Les souffrances engendrées par cette non perception étaient du reste à l'origine de la motivation de Shakyamuni lorsqu'il quitta son palais et sa famille. Or, Shakyamuni ayant atteint l'éveil de son vivant, il convient de constater que la libération des souffrances dues à la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort ne s'opère que dans la naissance, la maladie, la vieillesse, la mort et non dans un irréel lieu de non-acte comme certains considèrent encore le nirvana.

Afin d' exprimer les choses d'une manière plus concise, Nichiren indique, à propos de l'origine de la forme/pensée momentanée:

" Pour désigner ce coeur merveilleux, on peut également utiliser le mot de dharma ". (70)

Autrement dit, si l'on veut " voir " sa propre réalité atemporelle sous l'angle éminemment provisoire de l'effet, seuls les phénomènes comme son corps, sa pensée momentanée, les notions appliquées sur les êtres et l'environnement sensible particulier, en tant que faits perçus, la montrent indubitablement. C'est l'endroit, le lieu objectal où s'expriment les dix mondes de notre vie sans origine, puisque le corps est le lieu présent des liens du passé.

En outre, le sentiment de durée personnelle provient de la mémoire, or celle-ci se situe certainement davantage dans la totalité du corps et de son mouvement environnemental, que dans une partie du cerveau, et apparaît être sélective et évolutive. En effet, entre la mémoire de l'être enfant, adolescent, adulte et grabataire, ses représentations du " même " passé ont varié et seul le fait perceptif, lui, est continu. Dès lors, la continuité " résurgente " d'une mémoire d' êtres, de choses et d' événements n'est donc que celle du fait perceptif de l'instant, celui-ci n' étant seulement qu'un choix sélectif entre une infinité d'autres choix possibles, de l'enfer à la boddhéité. En d'autres termes, que l'attachement au " vouloir voir " de l'instant s'applique au futur ou au passé, il est toujours le masque de la richesse potentielle du présent.

Dans cette optique, la valeur de l'acte momentané de production d'éveil est toujours supérieure à celle de l'exactitude des images en son esprit. Pour cette raison, probablement, le grand sage Nichiren a enseigné qu'une journée vécue en ce monde à plus de valeur que tous les trésors de l'univers.

Dans la lettre intitulée, " De la possibilité de prolonger sa vie ", Nichiren enseigne, dans le même ordre d'idées relatives à l'acte:

" Même un homme dont la sagesse brillerait comme le soleil vaudrait moins qu'un chien en vie, s'il devait mourir dans sa jeunesse... Que la vie est donc précieuse ".

Cette approche atypique de l'être éveillé, qui transparait entre autres dans la réalisation de l'absolue continuité du fait perceptif depuis un passé sans origine, ouvre donc naturellement sur l'incontournable importance du moment présent. Lui seul est de l'ordre du réel. Dès lors, les conditions de chacun relevant d'une production sans origine, seule la perception profonde de sa propre réalité immédiate est l'éveil en ce corps.

En fait, alors que certains pourraient penser < puisque nous devons mourir un jour, seule cette vie présente est réelle >, nous considérons que, le fait perceptif étant continu, cette actualité de la sensation est éternelle, événementielle et vacante. Par sa nature vacante, le fait perceptif contient donc tous les possibles, l'éveil inclus; étant conditionnel, tous les facteurs peuvent alors être source de joie et d'éveil; étant médian, on est jamais " ailleurs " à travers naissances et morts successives. Par conséquent, seul le présent est l'ultime réalité sans origine et on ne peut se justifier de quoi que ce soit.

La condamnation des lectures temporelles, linéaires et causales de l'existence est effectuée comme suit par Shakyamuni:

" Les êtres n'ont pas de commencement; de ces êtres obnubilés par l'ignorance, entravés par la soif et errant en transmigration ne se discerne aucun commencement ". (71)

Tenant compte de ces éléments, il en ressort que toute forme/pensée, dans sa conditionnalité et sa vacuité, exprime une réalité médiane unique, atemporelle et ultimement vraie. Dès lors, en rencontrant cette doctrine, tout individu est en mesure de s'éveiller au fait que son état de vie, ainsi que la manière dont son corps et son esprit perçoivent et réagissent à toutes les sollicitations externes ou internes ne sont que son " vouloir " hors le temps. Il ne s'agit là, bien sûr, que d'une liberté de principe, elle ne peut devenir effective que par un engagement physique et mental dans la voie de l'éveil.

Eveillé à la réalité des phénomènes, Shakyamuni déclare dans le chapitre Juryo du Sûtra du Lotus:

" Ma vie a toujours existé et ne finira jamais... Bien que je ne meure jamais réellement, je prédis ma propre mort. Par ce moyen, le Bouddha enseigne aux êtres ".

Cette lecture de l'aspect réel des êtres et des phénomènes permet à Nichiren de déclarer allégoriquement dans le " Traité qui ouvre les yeux ":

" Ayant pitié de leur femme et de leur enfants [ certains ] se lamentent à la pensée d'être séparés d'eux par la mort. Dans d'autres vies, au cours de longues périodes, est-ce d'un commun accord qu'ils se sont séparés d'une femme ou d'enfants affectionnés ? Etait-ce pour s'engager sur le chemin de la boddhéité ? On doit toujours en venir à la séparation. Il faut désirer ne pas porter atteinte à la croyance en le Sûtra du Lotus, aller renaître au Pic du Vautour [ atteindre l'éveil ] et y conduire tous les siens ". (72)

L'être et l'environnement, le corps et l'esprit







Envisageons à présent, et sous certains angles, les non-dualités de l'être et de l'environnement, de la matière et de l'esprit.

Dans le Maka Shikan, Zhiyi explique:

" Les agrégats et domaines sensoriels des dix mondes utilisent tous la combinaison forme/pensée comme substance ". (73)

Ce qui nous impose pour le principe, en dehors d'une récurrence justifiée puisque " Les agrégats et domaines sensoriels " sont forme et pensée, de considérer l'ensemble du monde objectal de manière à obtenir une lecture plus globalisante. Pour ce faire, le même auteur indique:

" On parle des dix mondes en englobant dans le même terme le support et ce qui s'y appuie ".(74)

Dans la première citation, Zhiyi insiste sur le fait que l'expression même des dix états, de l'enfer à la boddhéité, n'est jamais dépossédée de la forme et de la pensée. Il en découle le fait suivant: toute forme est pensée " sensorielle " en exercice et réciproquement.

Dans la seconde phrase, " le support ", ou environnement, nomme les éléments constitutifs de tout agglomérat perceptible en terme de forme. Chacun des éléments réunis pour la circonstance traduit par sa forme l'un ou l'autre des dix états, et leur réunion provisoire en une forme globale particulière exprime également l'un des dix états. La forme globale provisoire ainsi exprimée est " ce qui s'y appuie " ou l'être individuel. Nous en avons déjà évoqué le principe.

Par exemple, le lion est une forme provisoire exprimant globalement un état particulier d'animalité, alors que ses éléments constitutifs vont, eux, ressortir d'une appartenance aux milieux animal, végétal, minéral et parfois humain. Or, le retrait ou le rajout momentané d'un quelconque élément, appartenant à un milieu donné, ne modifiera ni sa propre réaction aux objets de son environnement en terme d'état d'animalité de type < lion >, ni la vision extérieur qu'un observateur peut avoir du fait < lion >. Ainsi, toute forme existante s'appuie, dans sa constitution provisoire, sur un ensemble d'états pour n'en manifester physiquement qu'un seul: le type particulier d'animalité du lion dans notre exemple.

En outre, découlant de cet assemblage caractéristique, parmi les dix états potentiels, certains naissent et disparaissent en permanence du fait des facteurs extérieurs. Ces facteurs déterminent, en relation avec la forme provisoire < lion >, l' état intérieur momentané, ainsi que l'expression et le mouvement de celle-ci. Pour exemple, le lion repu se distingue du lion affamé ou en rut, et, quelque soit son état intérieur, il apparait nettement différent d'un politicien, lui même repu, affamé ou en rut. Encore que, pour ce qui concerne le politicien repu l'exemple est mal choisi, dans la mesure où, pour certains, la sérénité de l'esprit ne semble pas résulter de l'acquisition et de la consommation, alors qu'elle l'est pour d'autres prédateurs, mais dans le cadre animalier.

Il est pourtant manifeste que chaque être possède, par principe, la potentialité d'expression des dix états tout en en manifestant un par sa forme même. Ceci nous permet de souligner le fait que le corps, le visage, les yeux, l'agencement des mots et des actes sont autant d'informations permettant de percevoir, au sein d' une forme donnée, la tendance de l'état dominant en l'être.

Cependant, si le principe de simultanéité de la cause et de l'effet exprime en théorie l'infinie latitude de la forme/pensée momentanée, la notion de rétribution des actes nomme l'agencement phénoménal aux fins d'une efficience causale. De ce fait, la forme agencant la perception est toujours prédéterminante. Le lion, quelque soit son état intérieur du moment, perçoit l'environnement selon un cadre différent de ceux de la guêpe ou du chou-fleur.

Autrement dit, les assemblages provisoires du corps, de la perception, et, enfin, de l'environnement particulier sont rétributions des actes. Le fonctionnement de l'ensemble exprime dès lors la volonté d'un état de vie individualisé et atemporel utilisant, pour sa finalité personnelle et circonstancielle, l'ensemble des dix états inhérents aux éléments extérieurs le constituant. En cela nous utilisons l'expression " harmonie globale ", du monde de l'enfer à celui du bouddha, pour qualifier les interactions " harmonieuses " du sujet et de son environnement propres a chacun des dix états.

Pour en revenir à la phrase " Les agrégats... utilisent tous la combinaison forme/pensée comme substance ", elle est explicite du fait qu'il n'est point d'état sans matière ni pensée, ni de matière sans pensée ni état. Du reste, nous en avons déjà traité à propos de la forme et de la pensée, le simple énoncé des cinq agrégats (matière... conscience), jaillissant simultanément à chaque instant, sans posséder de réelle durée est indicatif de leur " inséparabilité ".

Quant à la phrase: " On parle des dix mondes en englobant dans le même terme le support et ce qui s'y appuie ", elle indique clairement la potentialité d'éveil, ou de tout autre état, pour l'intégralité du monde objectal. Cette lecture, en fait, englobe les notions usuelles d'animé et d'inanimé et s'applique donc à toutes les formes. En conséquence, l'architecture provisoire des phénomènes révèle continûment l'état intrinsèque et bien réel des êtres et des choses.

Dans le traité intitulé " Multiples phénomènes/aspect réel" nous lisons, conformément aux propos développés au sujet de la forme/pensée:

" L'enfer montre l'apparence de l'enfer, c'est son aspect véritable. S'il se transforme en état d'avidité, ce n'est plus l'apparence véritable de l'enfer. Le Bouddha a l'apparence du Bouddha, l'homme ordinaire a l'apparence de l'homme ordinaire ". (75)

Le terme " apparence " est le premier des dix Ainsi: l'aspect. L'aspect est parfaitement égal avec le dernier terme, à savoir " la rétribution des actes " et exprime donc l'état atemporel de la forme. L'aspect est l'origine, la rétribution des actes est la fin. L'origine et la fin sont, avec le principe de la simultanéité de la cause et de l'effet, l'inconcevable réalité en nous-même. Dès lors, aux yeux du bouddha, la forme est le fond ou l'essence, et les souffrances produites par l'ignorance n'incombent de ce fait qu'au regard carencé. Cette même idée est exprimée comme suit par Vasubandhu:

" L'instant, c'est l'acquisition de la nature propre périssant immédiatement ". (76)

La " nature propre " désigne la qualité même de l'architecture provisoire de la forme, de ses sens et de ses représentations du monde objectal en terme d'état ou de monde, et donc d'efficience. Or, si la forme provisoire dévoile la tendance actualisée de l'état, les actes en découlant expriment indiscutablement, du fait des facteurs extérieurs, la mobilité de l'état intérieur dans sa production d'états momentanés similaires ou différents. De cela, nous pouvons conclure que la causalité de l'efficience momentanée est le lieu de la liberté de l'acte.

L'état, ou la qualité même de la vie, impliquant une congruence unique de phénomènes et s'exprimant à travers eux dans l'efficience de la forme/pensée provisoire, est évoqué de la manière suivante par l'actuel Souverain de la Loi:

" Les dix états sont forcément le corps et le lieu. Le corps et le lieu représentent l'aspect réel matérialisé et personnifié. C'est l'aspect réel fondé sur le corps et son territoire ". (77)

Certains, enlisés dans la médiocrité spiritualiste, considèrent les dix états ou dix mondes comme " inexistants en soi ", ce, sous prétexte de leur mobilité potentielle. Pour d'autres sectateurs, nous l'avons précisé plus haut, cette même réduction tend à annuler le monde objectal pour la seule valorisation abusive de l'état de l'observateur. Soulignons que, dans les deux cas, cette lecture limitée butte sur le concept de vacuité des choses, qui ouvre sur la factorialité effective des dix états, et déconsidère, par contre, le monde des formes en tant que réalité ultime de la voie du milieu. Dans ce type d'approche, la réalité objectale est toujours évacuée au profit de l'image en soi, or " Les dix états sont forcément le corps et le lieu ". De ce fait, la perception d'un environnement étant continue, causale et sans origine, il y a nécessairement toujours relation objectale. En outre, le corps et le lieu étant toujours antérieurs au percept et à l'image en soi, il va de soi que la lecture spiritualiste, telle un malade condamné affirmant sans effet son puissant désir de vivre, est de fait inappropriée quant au partage de ce qui la produit.

En réalité, la qualité sensible intrinsèque à la vie, c'est-à -dire les dix états, n'a pas de réalité autre que la forme, les objets façonnant le lieu et la production de perceptions/réactions en découlant. Le fait que toute forme soit circonstancielle et causale éclaire la non dualité de l'effet et de la cause depuis un temps sans origine, et marque ainsi le faisceau " personnifié ". En outre, son caractère non-né/non-détruit ne fait que mettre en évidence le " coeur " ou " vouloir être " antérieur à la forme/pensée. Celui-ci en tant qu' état intrinsèque agence en conformité avec son " vouloir voir " la totalité du monde phénoménal subjectif et objectif.

Le monde perçu, engendré par l'état, concerne les représentations en soi de son propre corps et de l'ensemble des informations adaptées à chacun des sens de celui-ci. Les objets extérieurs, perçus par les sens, vont déterminer le lieu, le cadre de l'exercice de chaque être. Nous avons déjà évoqué le fait que " De l'apparition de la conscience résulte l'apparition du nom et de la forme... De l'apparition du nom et de la forme résulte l'apparition des six sphères des sens ". Il découle de cette lecture que la volonté d'une certaine " conscience de.." produit des facultés perceptives adaptées à ce vouloir antérieur, et ne peut que recouvrir le monde objectal réel d'une illusion caractérisant l'état de l'observateur.

Le monde est réel tant pour le nénuphar que pour le ver à soie ou le chauffeur de poids lourds. Toutefois, il s'agit en fait de mondes distincts de par le temps et l'espace engendrés par chaque forme/pensée. Du reste, plus généralement, cette étanchéité se retrouve entre deux individus épris l'un de l'autre, entre la mère et ses enfants, de même qu'entre soi-même et ses conditions futures.

Au risque de nous répéter, la matière n'est pas dissociable de la conscience et réciproquement. Le fait matériel étant organisation simultanée de temps et d'espace consécutifs à la forme, ceux-ci sont perçus subjectivement comme réels du fait, pour l'humain, de son acceptation d'une lecture générique de signes, et expriment objectivement la qualité même de l'état. Dès lors, la bouleversante précarité des choses ne provient plus que du cadre spatial et temporel produit par la volonté de percevoir, et ne décrit en rien l'aspect réel des dharma. Bien au contraire, nous pouvons en conclure que tant le sentiment de précarité que celui de durée inamovible des phénomènes, et en général tout jugement normatif, ne renseignent guère sur l'essence de l'observé mais plutôt sur les handicaps de l'observateur.

Dès lors, au regard de l'excellence de vue des bouddha, des propos tels:

" Tout en se manifestant dans le monde des êtres et des choses le bodhisattva ne perd jamais de vue l'élément fondamental, à savoir la vacuité des êtres et des choses "(78), relèvent évidemment d'un aspect de la réalité mais ne l'approche pas dans son essence.

De ce fait, une sagesse partielle ne pouvant d'évidence s'adapter parfaitement à son objet est considérée comme délétère quelle que soit sa relative finesse . Il en va comme d'un tir sur une cible: la manquer de peu ou de beaucoup ne change rien au fait de la manquer. Pour cette raison, il n'est pas de production en soi d'état de bouddha si la vacuité des êtres et des choses prédomine dans ses représentations, puisque cette sagesse se sépare de la réalité. En effet, une action véritable n'a de racine ni en s'immergeant dans la seule infinité évanescente du monde conditionnel ni dans la vacuité surimposée aux sentiments réels exprimés par les formes, mais dans la perception de leur médianité.

Dans le "Traité sur la transmission vitale unique et essentielle à travers vie et mort", Nichiren enseigne:

" Myo signifie mort et Ho signifie vie. Ces deux lois de vie et de mort sont l'entité même des dix états, autrement dit, l'entité même de la simultanéité de la cause et de l'effet. Zhiyi explique:< Sachez bien que la cause et l'effet de l'être et de son environnement ne représentent que la loi de la simultanéité de la cause et de l'effet>. Cette citation indique que l'existence et son environnement désignent vie et mort. S'il y a vie et mort, la cause et l'effet s'y trouvent, c'est- à-dire qu'il est évident que là existe la loi de la simultanéité de la cause et de l'effet ".

Myo, désigne la merveille, ou le " coeur " antérieur à la pensée momentanée. Ho nomme les multiples phénomènes permettant l'efficience unique de la forme/pensée simultanée. L'indication " Myo signifie mort " s'entend dans la mesure où ce " coeur " n'existe pas dans le phénoménal. Inversement, " Ho signifie vie " puisque seuls les phénomènes, dans leur momentanéité, caractérisent l'existant. " Ces deux lois de vie et de mort sont l'entité même des dix états " indique, dans le cadre de l'adaptation à l'humain, la pérennité de l'état de chaque forme dans un cycle d'apparitions et de disparitions instantanées sans origine. Le fait que cette réalité soit " l'entité même de la simultanéité de la cause et de l'effet " ouvre par conséquent sur l'incommensurable importance de l'instant présent. En effet, lui seul relève du réel puisque, produit causal permanent, il inclus et imprègne la totalité de l'existant dans les trois phases du temps.

Concernant l'être lui-même, la phrase " la cause et l'effet de l'être et de son environnement ne représentent que la loi de la simultanéité de la cause et de l'effet " insiste sur la relation non duelle et simultanée entre le "coeur" et le monde phénoménal. Quant à l'expression, " L'existence et son environnement désignent vie et mort ", elle éclaire les multiples causes et effets insondables, ou les apparitions et disparitions phénoménales, caractérisant le regard porté par l'observateur et les souffrances en découlant consécutivement.

De fait, la vie et la mort, ou les apparitions, modifications et disparitions des êtres et phénomènes exprimant ce que l'on pourra prosaïquement juger comme découlant de causes et d'effets multiples, on masque, par là-même, la réalité intrinsèque du phénomène n'exprimant que sa propre simultanéité de la cause et de l'effet sans origine. La coïncidence, entre la simultanéité de la cause et de l'effet intérieure à l'être et la durée observée par la forme humaine, ne se situe que dans le vouloir percevoir des deux partis. Or, ne pas s'ouvrir à cette réalité, exprimée par les choses et les êtres, a pour effet de plonger systématiquement l'observateur dans les souffrances stériles du vrai et du faux, du bien et du mal relatifs, et entraîne toutes sortes de culpabilités, regrets et insatisfactions.

L'inconcevable continuité du fait perceptif, qui exprime un des aspects de la sagesse transmise par tous les bouddha, est évoquée entre autres par la phrase:

" Constamment apparaît à l'existence la myriade des phénomènes là où se meuvent les ondes des êtres.., car il n'y a pas de séparation entre les deux ". (79)

" Constamment " explicite la pérennité de la merveille de la simultanéité de la cause et de l'effet, " il n'y a pas de séparation " nomme les non dualités de l'être et de l'environnement, du corps et de l'esprit. Cherchant à s'éloigner des vues superficielles et stériles il n'est, dès lors, d'action effective que dans la perception médiane de l'état atemporel de la forme, c'est-à-dire dans le partage de la forme provisoire extérieure au seul fait mental. Là se situe, pour nous les êtres, l'accès à un réel sentiment filial, et, par extension, seule la production en soi de la sagesse de l'éveil permet l'apparition d'une profonde reconnaissance envers tout ce qui est.

Adéquation sagesse et réalité







Le concept bouddhique de " Kyochi Myogo " se traduit par " adéquation sujet/objet " ou " adéquation sagesse subjective et réalité objective ". A défaut d'une plus grande précision, nous utilisons le terme < d'adéquation >, dont l'étymologie latine est < rendu égal >, pour traduire < myogo >.

L'origine de ce concept réside dans le Sûtra du Lotus où Shakyamuni enseigne:

" Le bouddha révèle le savoir et la vue du bouddha afin de faire accéder les êtres à la pureté. Voila pourquoi il apparait dans le monde ". (80)

La " pureté " , ici, désigne l'acausalité ou la parfaite liberté inconditionnée. Or, si le fait " d'accéder " relève uniquement de l'entrée dans la voie bouddhique, il nous semble cependant judicieux d'envisager cette " pureté " comme un acte possible à tout instant, et non comme un état de fait passif et circonstanciel. Tout devient alors non seulement plus réaliste mais aussi plus accessible. En effet, selon la vérité de la vacuité, à chaque instant l'éveil peut se manifester en l'être et son apparition n'est liée qu'à l'acte momentané. Ou, plus généralement si l'on préfére, l'acte, quel qu'il soit, est toujours apparition. Cependant, l'acte possèdant toujours un arrière plan causal, " la pureté " désigne dans ce cas le partage total des formes, c'est-à-dire du lieu.

Dans son commentaire, Zhiyi précise:

"..ce qui est vu, c'est la vérité, ce qui est su, c'est l'objet. Objet et vérité sont principiellement de l'aspect réel". (81)

Autrement dit, tout objet étant aspect réel, il va de soi que la vérité relève et découle de son partage. Dès lors, l'aspect réel des phénomènes est l'objet ( kyo ) de la connaissance, et la vérité, quant à l'objet, est la sagesse ( chi ) de tous les aspects caractérisant le bouddha.

Il convient donc de considérer que lorsque le vrai, c'est-à- dire l'aspect réel des dharma, est partagé, il devient simultanément valeur dans l'exercice de la sagesse. Ceci, du reste, nous éloigne de certains systèmes de valeurs dans lesquels le vrai est relégué à une place inférieure et interdit, en conséquence, l'accès potentiel à un éveil, même partiel. D'autre part, la sagesse en tant qu'agent illuminant ayant pour objet l'aspect réel des dharma, celle-ci s'adapte sans effort au circonstanciel lorsqu'il s'agit de convertir les êtres.

Tel est du moins ce qui ressort de l'enseignement parfait. Par contre, les textes provisoires inférieurs au Sûtra du Lotus, développant une approche d'une moins grande envergure, ne peuvent aboutir ni à la réalité phénoménale ni à la sagesse du bouddha. En voici un exemple:

" La sagesse, qui a pour caractère le savoir dès qu'elle pénètre le caractère vrai des dharma n'a plus de discernement et perd son caractère de savoir ". (82)

Là, contrairement à ce qu'indiquait Zhiyi à propos du " coeur " de la < Une pensée > faisant obstacle, il s'agit plutôt des phénomènes eux-mêmes qui, faisant obstacle, réduisent à néant le peu de sagesse en exercice . Qu'en sera-t-il donc de l'accès au " coeur " les produisant ?

Pour en revenir à la sagesse illuminant l'aspect réel des phénomènes, elle se traduit, selon l'école Tiantai, par l'énoncé des dix Ainsi du chapitre Hoben, dans la partie provisoire du Sûtra du Lotus. Les dix Ainsi, nous en avons traité, explicitent le fait suivant: toute forme est rétribution des actes, exprime un état tout en contenant le potentiel des dix autres et montre, en outre, la simultanéité de la cause et de l'effet de la forme/pensée/environnement dans une constante relation sujet/objet. Or, selon la doctrine développée par le Sûtra du Lotus, seule l'efficience momentanée des multiples phénomènes est le réel, et, là seulement, se situe la voie de l'accès à l'éveil.

Qu'en est-il, en général, de la relation aux objets ?

Prosaïquement, la sagesse consiste en la reconnaissance des formes, et en l'adaptation du corps et de l'esprit aux objets façonnant le lieu. Par exemple, on peut s'étonner du fait qu'une certaine utilisation des êtres et objets est patente, lorsque l'on observe les interactions de milliards d'êtres animés et non animés, et la qualifier à juste titre de sagesse adaptative. Cependant, à l'observation, cette sagesse fonctionnelle s'effectue toujours dans la négation de l'autre en tant que tel, pour n'envisager que le bénéfice qu'elle pourrait en obtenir. Si, en général, nous pouvons considérer que les objets perçus, réels ou non, façonnent et délimitent le lieu où notre connaissance s'exerce, cette sagesse personnelle, comme celle des formes moins évoluées que l'humain, s'appuie ordinairement sur l'incompréhension ou la négation de l'essence de l'observé.

Or, il nous apparaît que l'évacuation de la nature réelle intrinsèque aux phénomènes ne peut guère s'assimiler à un quelconque bonheur durable, et nous considérons que seule l'adéquation totale entre le sujet et l'objet en terme de partage de forme est totale liberté. En cela, l'état de bouddha se distingue nécessairement des neuf autres états en se caractérisant par une sagesse et une bienveillance profondes adaptées à l'aspect réel des êtres.

Dans la " lettre à Soya Dono " le grand sage Nichiren indique en effet:

" Le chapitre Hoben, dans le premier volume du Sûtra du Lotus, dit:< La sagesse de tous les bouddha est infiniment profonde et incommensurable >. Tiantai commente:< Infiniment profonde indique la réalité atteinte par le bouddha, qui est aussi vaste que le lit large et insondable d'une rivière. Parce que le fond de la rivière est infiniment profond, les eaux de la sagesse du bouddha sont incommensurables >. Le Sûtra et son interprétation disent clairement que le chemin de l'illumination est contenu dans les deux éléments de la réalité(kyo) et de la sagesse(chi). La réalité désigne l'entité de tous les phénomènes et la sagesse représente la manifestation parfaite de cette entité dans la vie de l'individu...L'illumination est la fusion de la sagesse et de la réalité. Tous les sûtra exposés avant le Sûtra du Lotus sont des enseignements provisoires qui ne peuvent conduire à l'illumination parce qu'ils séparent sagesse et réalité ".

Dès lors, manifestes sont les points suivants:

-" Le fond de la rivière est infiniment profond " indique les phénomènes dans leur mutabilité et leur vacuité. Les formes, les corps sont donc à l'ordinaire insondables ou " infiniment profonds ".

-" Les eaux de la sagesse du Bouddha sont incommensurables" exprime la parfaite adéquation avec le réel, c'est à dire l'infinité du monde phénoménal.

L'absolue réalité des formes ne peut donc être évacuée, en vain, que du fait d'une sagesse médiocre. Il en découle concrètement que " le chemin de l'illumination est contenu dans les deux éléments de la réalité et de la sagesse ".

En outre, il va de soi que si " L'illumination est la fusion de la sagesse et de la réalité ", l'obscurité des neuf premiers états se caractérise par une " sagesse relative ", strictement adaptative, évacuant de fait la réalité objectale. Cette obscurité, ou aveuglement, a probablement pour racine l'aperception de l'éblouissante merveille de la simultanéité de la cause et de l'effet.

De fait, qu'en est-il, en bouddhisme, de l'adéquation sagesse/réalité ?

Les cinquante-deux stades de perception graduant l'évolution du bodhisattva dans la voie de l'éveil ressortent de la doctrine du Tiantai ainsi que de celle d'autres écoles. Or, ces cinquante-deux stades placent la perception de la médianité des phénomènes en deça de l'éveil suprême de la boddhéité et, vis à vis de cet éveil, situent cette perception comme relevant globalement de " l'obscurité fondamentale ". Ce qui nous permet incidemment de relativiser d'autant mieux la valeur de la vérité de la vacuité.

En effet, tant la connaissance générale et théoriquement médiane, que celle particulière, et immédiatement sensitive, d'un objet ne peuvent, de par les images et projections dont elles ne sauraient se dissocier, être qualifiées de sagesse en adéquation avec l'aspect réel.

Pour cette raison, sur le principe, la voie de bodhisattva est essentiellement constituée par l'application d'une sagesse dégagée des imaginations et projections ordinairement humaines. Il s'agit de la réalisation, en son propre corps, de la sagesse de l'être existant " par lui-même " et donc acausal: le bouddha. Or, la caractéristique de cette sagesse issue de l'éveil est qu'elle dépasse le cadre étroit de la pensée usuelle pour s'appliquer au changement du corps lui-même ou, différemment exprimé, à la participation du corps puisque celui-ci marque, de fait, les limites du percept.

Effectivement, le Sûtra du Lotus que Shakyamuni définit d'une manière euphémique comme " difficile à croire, difficile à comprendre " indique :

" Le bodhisattva qui possède cette exposition de la Loi, qui la récite, qui l'enseigne...verra sur son corps ainsi purifié tous les êtres des trois mille mondes. Il les verra sur son propre corps parce qu'il aura reçu l'image de la forme de chacun d'eux...Il voit le monde sur son propre corps, comme on voit l'image réfléchie sur la surface d'un miroir; existant par lui-même, il ne voit pas d'autre êtres hors de lui, car telle est la parfaite pureté de son corps ". (83)

Telle est, selon Shakyamuni, la qualité de vie du bodhisattva postulant à l'éveil et concrétisant la voie médiane par son action. Or, nous venons de le citer dans la "lettre à Soya Dono":

"La réalité désigne l'entité de tous les phénomènes et la sagesse représente la manifestation parfaite de cette entité dans la vie de l'individu".

Dans l'éveil, l'entité de tous les phénomènes se manifestant dans la vie individuelle, on nomme sagesse le mouvement non duel en résultant. Dans le non-éveil, c'est-à-dire lors de la progression sur la voie y conduisant, le fait de " posséder, réciter et enseigner " équivaut donc à la " purification du corps " et par là-même de l'esprit. De fait, sous l'angle des troubles personnels, l'ouverture à d'autres formes, et le partage de leur réalité, influe nécessairement sur les qualités particulières de ce que l'on perçoit en termes de temps et d'espace, éclairant ainsi les troubles eux-mêmes.

En conséquence, seul le partage des formes peut être qualifié d'adéquation avec la réalité, et l'expression " dans la vie " disqualifie, d'évidence, le seul aspect mental. Dès lors, " la pureté ", qui est acte, correspond à la participation physique et mentale de l'inconcevable: les phénomènes.

Dans la totale continuité de cette approche, Nichiren en exil sur l'île de Sado affirme:

" Nichiren, seul, en ce monde, partage les troubles particuliers et généraux de tout ce qui est ".

Pour cette raison, dans notre école " l'introspection du < coeur > signifie voir en soi les dix mondes ". Il apparait en cela que seul le partage effectif des formes sur le plan physique relève de l'application de la médianité originelle des dharma, et constitue le " seuil difficile à franchir " qui sépare l'Ainsi venu des êtres ordinaires. Ce seuil distingue également les points de vue spiritualistes, inappropriés au partage de la forme et entraînant naissances et morts dans les souffrances, et l'acte médian non duel parfaitement ajusté à son objet.

Appréciés à travers cette lecture, certains passages des sûtra provisoires trouvent alors leur sens:

" Le bodhisattva sait que tous les dharma reposent éternellement sur un pouvoir édificateur sans arrivée ni départ ". (84)

Or, l'observable étant constitué d'états ou de mondes structurant la forme provisoire, appelés ici " pouvoir édificateur " ou efficience momentanée, ils sont impénétrables dans la mesure ou l'observateur est lui-même un composé forme/pensée causal exprimant un vouloir voir sélectif.

De fait, ce " pouvoir édificateur " étant " éternellement sans arrivée ni départ ", il en ressort que seul l'observateur, de par son positionnement anthropocentrique, " voit " des arrivées et des départs, les phénomènes, eux, ne sont que constante efficience momentanée sans origine. De la même manière, inversement, des roses pourraient probablement discourir, avec pour preuve à l'appui la perception, sur la non-altération et l'éternité de leur jardinier. En réalité, le fait perceptif déforme le perçu et le refaçonne constamment afin de créer un monde de représentations caractérisant uniquement l'état de l'observateur.

Pour cette raison il n'y a jamais d' objectivité du percept, si ce n'est lorsque l'être est acausal, c'est-à-dire non producteur de son prisme. Sinon, il ne peut-être de réelle adéquation entre la sagesse et la réalité.

C'est ce qu'évoquait Shakyamuni par l'expression " existant par lui-même ".

Cette expression nomme un des trois Corps du Bouddha: le " Corps de rétribution de l'Ainsi venu qui par lui-même reçoit et emploie " (Jijuyu hoshin nyorai). Ce Corps est celui de la sagesse sans égal, sans supérieur de la boddhéité.

La lecture effectuée par l'école Tiantai, quant à la sagesse de l'Ainsi venu, est la suivante:

Selon le Grand Maître Zhiyi, le mot " merveille " (myo), dans le concept de " Merveille de la Cause Originelle ", se réfère aux quatre merveilles que sont: la merveille du lieu, la merveille de la sagesse, la merveille des actions et la merveille du degré.

- La merveille du lieu correspond au principe véritable: l'environnement de la sagesse, c'est-à-dire l'Objet de l'éveil, le Corps de la Loi. Pour l'être ordinaire, cela indique le profil particulier des objets construisant le lieu de son fonctionnement. Nous appelons alors " sagesse " l'interaction qualitativement relative, dans les neuf mondes, de la continuité du fait perceptif et des objets afférents.

- La merveille de la sagesse est la sagesse qui s'unit d'une manière non duelle au lieu, c'est-à-dire à l'Objet. Il s'agit là du " Corps de rétribution de l'Ainsi venu qui par lui-même reçoit et emploie ". Pour l'être ordinaire, le lieu étant toujours antérieur à la forme/pensée momentanée, la sagesse fonctionnelle est obscurcie par sa propre production d'espace et de temps, du Moi et du reste, " de pensée de série et de liens de parenté ".

- La merveille des actions nomme, dans l'éveil, l'exercice de la sagesse et concerne les actes " inconcevables " du Bouddha. Pour l'être ordinaire, identiquement, il s'agit de l'empreinte personnelle laissée par les actes de la pensée, de la parole et du corps, mais là, dans les neuf premiers états.

- La merveille du degré est la qualité intrinsèque ou l'état ressenti. Dans l'éveil, l'adéquation de la sagesse et de l'objet étant fusionnante, l'état est nommé " qui par lui-même reçoit et emploie ". Pour l'être ordinaire, du fait de la totale indissociabilité entre les actes de la pensée, de la parole et du corps, et son état de vie, ses actes sont à envisager tant sous l'angle de l'effet, lorsqu'ils sont expression de l'état qu'ils perpétuent indéfiniment en tant que cause, que sous l'angle de la cause d'un état hors la série personnelle, lors de sa progression dans la voie bouddhique.

" Le Corps de rétribution qui, par lui-même, reçoit et emploie " désigne la sagesse en adéquation avec l'objet, c'est- à-dire le lieu. On appelle " Corps de rétribution qui spontanément reçoit et emploie ", la qualité de vie du corps de celui qui, en lui-même, goûte et atteste la joie de la Loi. En outre, ce même corps de rétribution, dans son fonctionnement, est le corps du bouddha qui apporte à autrui les bienfaits et la joie de la Loi. Il en résulte que ressentir la joie de la Loi en son corps, ne peut ne pas se traduire par une action libre et féconde vis à vis d'autrui et, par extension, une conscience tant soit peu développée de la Loi se constate forcément dans le partage en résultant.

Le qualificatif de " Nyorai ", pour le bouddha, se traduit par " Ainsi venu ". Cela signifie celui qui " est arrivé à cela ": le Corps de la Loi ou le monde de la vérité. Ce qualificatif signifie également celui qui " arrive de cela ": l'expression du Corps de la Loi par la sagesse.

Dès lors, pour l'Ainsi venu, l'instant de l'efficience est acausal puisque non dépendant de l'antériorité du " coeur ", et joie de la Loi dans la mesure où chaque instant l'en voit naître. L'instant est également acte de sagesse et de bienveillance puisque, la totalité des dharma n'étant pas duelle avec son propre corps, sa perception n'est pas entravée. Là se situe, dans l'éveil, l'adéquation sagesse / réalité.

Dans la même optique, Dengyo nous précise que la théorie de " Une pensée trois mille ", sous l'angle de la cause et de l'effet de l'éveil, équivaut (soku) au mouvement du " Corps de rétribution qui par lui-même reçoit et emploie ".

Concernant l'accès à l'éveil et la sagesse en résultant, il est écrit, dans le courant du Tiantai :

" La sagesse est ce qui apparait lorsque l'Objet est parfait. L'Objet étant merveilleux, la sagesse qui en découle l'est également...Dans le Sûtra il est dit <la sagesse que j'ai obtenue est la plus subtile> ". (85)

D'entrée, il en ressort que l'Objet, les objets, sont expression d'une réalité difficilement niable, qui plus est partageable, et dont nous ressentons forcément l'influence, même dans le non-partage. Là, se positionne la vérité de la voie médiane.

Cela étant, il ressort de la dernière phrase que la sagesse de Shakyamuni découle, en fait, de sa relation à l'objet merveilleux appelé " Corps de la Loi ". Nous avons remarqué, déjà, que la " sagesse " ordinaire humaine relève également de son rapport plus ou moins réussi aux objets physiques et mentaux la caractérisant. Or, à chaque instant, le mouvement individuel en termes d'actes de la pensée, de la parole et physiques, exprime continûment la marque en creux de son rapport antérieur aux objets l'ayant mis en forme depuis " l'origine ". En d'autres termes, le corps, l'esprit et le mouvement phénoménal d'une existence sont les marques actuelles " possibles " , en terme d'économie, de sa relation aux multiples phénomènes. Les objets, présents/absents, réels/irréels, de la relation étant infinis, la sagesse potentielle l'est également.

De fait, les troubles usuels des êtres ne pouvant s'exprimer que vis-à-vis d'objets, et, ces objets étant l'aspect réel, la sagesse, inversement, est la mesure de ceux-ci. De la même manière, concernant l'éveil de Shakyamuni, la sagesse résultant de l'adéquation à l'Objet apparait totalement dans l'enseignement théorique du Sûtra du Lotus et, réciproquement, le Corps de la Loi transparaît physiquement dans l'agencement de la cérémonie, lors de l'apparition, le maintien et la disparition du Stupa précieux*.

Cette sagesse, ou " Corps de rétribution qui reçoit et emploie ", est décrite par Shakyamuni, dans le Sûtra du Lotus, comme étant infinie. Vis-à-vis de ce point, l'actuel Souverain de la Loi Nikken Shonin nous précise:

" L'objet de cette durée de la vie de la sagesse, réside dans le principe véritable et absolu, dont la corporéité est < le Dharma inconcevable de la simultanéité de la cause et de son effet >, autrement dit Myoho Renge Kyo. C'est également la corporéité de l'Objet fondamental de vénération de la doctrine essentielle ". (86)

" La corporéité ", ou essence, est le " Dharma inconcevable de la simultanéité de la cause et de son effet " des dix états dans l'éveil " autrement dit Myoho Renge Kyo ". L'aspect spirituel, ou sagesse, est Myoho Renge Kyo, alors que son corps est l'Objet fondamental. Cette simultanéité de la cause et de son effet depuis " l'origine " s'exprime, comme pour les neuf autres états, dans la non dualité de l'esprit et de la matière. En outre, l'adéquation totale de la sagesse et de son objet, autrement dit de la Personne et de la Loi, permet au facteur, ou à la Personne, non seulement de ne pas faire écran à la cause, mais fait que celle-ci, simultanément, soit l'effet identique. Pour cette raison, selon notre approche, les " trois Corps du Bouddha " sont éternels.

Dans l'extrait cité plus haut sont définis deux des trois Corps du Bouddha de la Doctrine essentielle, à savoir: le Corps de la Loi ou l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur et le Corps de rétribution, ou sagesse de l'Ainsi venu : Nam Myoho Renge Kyo.

D'autre part, concernant l'objet déterminant l'action de l'Ainsi venu, nous lisons:

" Kyo indique la réalité objective ou la réalité de la nature de bouddha inhérente à la vie de chacun, tandis que Chi désigne la sagesse subjective qui permet de réaliser cette vérité ". (87)

Outre le principe de l'accès à l'éveil de toutes les formes, là est définie la volonté sous-jacente, aux cinquante années d'enseignement de Shakyamuni, ainsi qu'aux efforts accomplis par toutes les personnes éveillées en Inde, en Chine et au Japon. Dans la majorité des cas, seule la sagesse fut exprimée en tant que modèle de la Voie. Développée par les éveillés, elle résulte, comme effet consécutif, de leur rapport à l'Objet, alors que pour les êtres s'engageant dans la Voie elle apparaît en tant que cause de leur progression personnelle. Dans le cas unique de Nichiren, par contre, l'Objet et sa sagesse non-duelle apparaissent dans la forme, du fait de la simultanéité de la cause et de l'effet. Ainsi Nichiren précisa :

" Cet Objet fondamental n'est en rien une création de Nichiren ".

Au-delà de ce point, cette phrase est indicative du partage, par l'éveillé, de tous les corps, de toutes les formes, qui apparaissent dès lors comme étant le Corps de la Loi. Enfin c'est explicite de l'action menée vis à vis des êtres par l'Ainsi venu, et donc de la possibilité offerte au " simple mortel " de s'identifier avec l'objectalisation du Corps de la Loi.

Pour affiner encore l'objectif résumant " l'apparition " des Ainsi venu, le grand sage Nichiren indique:

" L'esprit représente l'aspect spirituel et la voix l'aspect physique. L'aspect spirituel se manifeste par l'aspect physique. Le physique et le spirituel, essentiellement un, se manifestent sous ces deux aspects distincts. Ainsi l'esprit du bouddha se manifeste sous la forme physique des caractères du Sûtra du Lotus. Ces caractères qui forment les mots du Sûtra du Lotus sont le coeur du bouddha sous une autre forme ". (88)

Dès lors, la totale adéquation sagesse/aspect réel caractérisant l'Ainsi venu est indicative du fait que ses pensées, ses propos et ses actes sont l'éveil. Inversement, nos représentations et actes sont l'éternelle matrice d'où naissent nos états les plus divers. De la même manière que nos pensées, paroles et actes signalent, dans la forme qu'ils élaborent, la qualité des états de vie que nous traversons, l'Ainsi venu par ses pensées, paroles et actes imprime la forme de l'éveil dans son corps, ainsi que dans son environnement minéral, végétal, animal et humain.

En d'autres termes, sur un plan général, chaque instant d'existence d'un être marque son corps, les objets environnants et le mouvement des circonstances de la forme de son état intrinsèque. Notre corps, notre esprit et notre réalité événementielle sont donc notre " produit " et celui-ci se cristallise jusqu'au dernier instant de l'existence. Or, en réalité, il n'y a pas de dernier instant, ou, si l'on préfère, le dernier est la cause du suivant, et celui-ci se trouve être somptueusement simultané.

A la réflexion, la difficulté, pour l'être humain, de considérer que les dharma expriment par leur forme un état de vie est, d'une part, proportionnelle à son ignorance quant à la production ou à l'agencement qu'il en fait puisque l'acte informe; d'autre part, explicite de son attachement à la magique efficacité de rites quelconques n'impliquant aucune responsabilité personnelle, quant à la causalité de sa réalité intrinsèque et environnementale.

Cela étant, le rapport au corps, aux corps, est de fait ordinairement inexistant, et la ressource ultime du fait humain ne peut-être, hors la pratique de la Voie, que celle du travail de l'esprit recouvrant les phénomènes réels de projections telles le désir, la haine, l'attachement, la perte,le dédain,... .

Le rapport à l'objet dans l'éveil et en dehors







Nous l'avons déjà évoqué, en conformité avec le principe de non-dualité de la matière et de l'esprit selon lequel aucun des dix états n' est dissociable de la forme, l'éveil ne peut résider que dans celle-ci. En outre, de la même manière que ces états de vie s'expriment continûment du fait de la relation entre l'être et les phénomènes de l'environnement, l'éveil se cristallise grâce et par l'agencement des formes.

Dans le " Sûtra de l'éveil parfait " Shakyamuni indique en effet :

" La nature propre de l'Eveil parfait est différente des autres natures, mais elle s'élève avec ces différentes natures ". (89)

Ceci nous permet donc de considérer le monde objectal sous deux angles: 1) les différentes natures, 2) l'éveil parfait s'élevant avec ces différentes natures.

1) les dharma, ou phénomènes, cristallisent individuellement un état consécutif à chaque forme/pensée depuis l'origine et expriment ordinairement les six premiers mondes. Cependant, tout agencement, provenant de l'exercice d'une volonté extérieure à l'objet influence l'état de l'objet lui-même, puisque tout acte imprègne, élabore en terme de mise en forme. Ce processus d'ordre " mécanique " englobe également l'intention sous-tendant l'acte, dans la mesure où des qualités sensibles, à nos yeux, sont en interaction. Dès lors, les objets, êtres et phénomènes expriment ce qu'ils sont, ainsi que les influences qu'ils ont subies, c'est-à-dire les six premiers états en général.

2) Toute forme ou état " s'appuyant sur " et influençant les multiples phénomènes, l'état de bouddha, identiquement, les influence selon le même processus. La modification de l'état de la forme, extérieure à l'observateur, étant admise, l'élévation de celui-ci à la qualité même de l'intervenant ne constitue alors qu'une conséquence du principe. L'état de la forme extérieure étant élevé, il ne peut se faire que la forme elle-même n'en résonne. Cela est perceptible, tant dans l'élaboration du discours que dans les actes agencant les formes. Dès lors, dans le cadre de l'éveil, les objets, êtres et phénomènes expriment ce à quoi ils ont été élevés par l'influence des actes du bouddha, à savoir les quatre derniers états. Cela signifie, sur le principe, que lors de la progression sur la voie bouddhique les êtres produisent et montrent les états d'auditeur, d'éveil par les facteurs, de bodhisattva et enfin de bouddha. Pour ce qui concerne l'Objet, il s'agit bien entendu de l'imprégnation des multiples dharma et de leur mise en forme dans l'éveil.

Cependant, dans notre école, l'éveil en tant qu' état est également Objet depuis l'origine. Or, cet Objet, Corps de la Loi, n'est pas duel avec " Le Corps de rétribution qui par lui-même reçoit et emploie le corps ", puisqu'il en est la matrice et que le Corps de rétribution l'exprime par la sagesse. Là se situe l'identité de la Personne et de la Loi, et ceci permet que ce Corps puisse apparaître " tel qu'à l'origine ". En outre, ce Corps étant Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur, il est le Lieu de l'éveil de toutes les formes.

Définir le Lieu Originel, ou l'Objet Corps de la Loi, n'est possible que dans la mesure où la personne elle-même s'identifie à la Loi. Ce ne fut le cas ni de Shakyamuni, ni des grands commentateurs successifs. Ils ne purent qu'exprimer la sagesse résultant de leur rapport à l'Objet. En outre, pour que l'éveil " s'élève avec les différentes natures ", il faut que celles-ci présentent les caractéristiques nécessaires, en terme de nom et de forme, au sein de la culture matricielle. Or, de fait, Nichiren seul put en réunir les conditions.

Néanmoins, voici un exemple de l'évocation de cette réalité originelle par Shakyamuni:

" L'insurpassable Roi de la Loi possède une <porte de la délivrance>, dénommée l'Eveil parfait, d'où s'écoulent...la Boddhéité, le Nirvana, les perfections, destinés à enseigner aux Bodhisattva la cause fondamentale produite à l'origine par tous les Ainsi venu. C'est en prenant appui sur la marque de l'Eveil pur, et irradiant tout, qu'ils ont à jamais éliminé l'ignorance et accompli ainsi la voie de Bouddha ". (90)

Des principes théoriques découlaient donc de l'Objet " marque de l'Eveil pur ", mais ni le nom ni la forme ne pouvaient encore apparaître, Nichiren, quant à lui, les matérialisa.

Pour cette raison, l'actuel Souverain de la Loi déclare:

" Cet Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur est le véritable aspect auquel s'éveilla le Bouddha, c'est-à-dire l'essence suprême matérialisée de l'aspect originel des êtres des dix mondes ". (91)

L'expression, " essence suprême matérialisée de l'aspect originel des êtres des dix mondes ", indique la réalité de l'accès à l'éveil de toutes les formes des dix états dans l'Objet lui-même, et, de fait, l'Objet devient le modèle de notre éveil personnel " à l'origine ". Dès lors, l'introspection de son propre coeur aboutit donc à la perception des dix mondes en soi, c'est-à-dire en la reconnaissance de toutes les formes de l'existant en son propre corps. Là, se situe la voie du milieu dans l'enseignement originel.

En réponse aux questions d'un moine de l'école Tiantai, Nichiren précisa, dans les " Instructions relatives à la capacité qu'ont les végétaux de devenir le bouddha ":

" Si l'on filtre et épure le principe de <Une pensée trois mille>, l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur apparaît. Tiantai, Miao Lo et Dengyo, en eux, l'établirent mais ne le propagèrent pas et les savants de notre époque, faute d'acquérir les connaissances, n'ont pu, même en rêve, concevoir ce principe ".

La filiation est donc établie entre le principe de Une pensée trois mille, découlant du rapport à l'Objet par Zhiyi, et la lecture de la forme de l'Objet grâce à ce principe théorique. Mais encore une fois, dans un cas la sagesse seule apparaît en tant qu'objet, dans l'autre l'Objet et sa sagesse non duelle existent dans la forme.

L'expression " filtre et épure le principe " indique la concentration, l'essentialité extraite des trois mille opportunités de la forme/pensée dans les dix mondes. Cette expression, plus concrètement, nomme la cristallisation des corps des dix mondes éclairés par leur éveil originel, et explicite l'action de l'Ainsi venu permettant au Corps de la Loi de s'élever avec " les différentes natures ". Elle exprime également la parfaite identité de la Personne et de la Loi, selon la doctrine de notre école.

Comme ce fut le cas pour Shakyamuni, l'information " Tiantai, Miao Lo et Dengyo en eux l'établirent..", nous confirme que leurs enseignements dérivent de la relation au même Objet. Toutefois, ils n'ont pu le nommer et le cristalliser à l'extérieur d'eux-mêmes.

Là se situe la distinction entre le principe théorique, élaboré par Shakyamuni dans le Sûtra du Lotus, évoqué plus tard par Zhiyi dans le concept de " Une pensée trois mille ", et l'inconcevable bienveillance du Bouddha fondamental révèlant l'Objet même du Corps de la Loi dans le nom et la forme.

Quant à l'expression " même en rêve ", elle établit les limites de la raison ordinaire ainsi que celles des projections oniriques. Elle permet de concevoir la nécessité d'amener notre esprit à prendre l'inconcevable mesure du réel: l'objet, le corps, les formes. Or, de la même manière que le corps et les formes percues sont l'expression de l'état dominant de l'observateur, l'Objet fondamental ou Myoho Renge Kyo le sont de l'éveil sans égal, sans supérieur, de la Boddhéité.

Parfaitement au fait de cette réalité découlant de la non dualité de la matière et de l'esprit, et de la simultanéité de la cause et de l'effet de l'éveil hors le temps, le vingt sixième Grand Patriarche de notre école, Nichikan Shonin, a pu affirmer:

" Selon la doctrine de cette école, la réalité de < Une pensée trois mille > est une réalité tangible. Si bien que la réalité de la Loi est fondamentalement l'expression concrète de < Une pensée trois mille >. C'est pourquoi on l'appelle < Objet fondamental de vénération > du principe de < Une pensée trois mille > parfaitement matérialisé ".

" Réalité tangible " désigne tant Myoho Renge Kyo que l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur de l'estrade des préceptes, situés respectivement dans le nom et la forme. Existant en tant que corps, ils sont matrice de leur qualité propre et, contrairement aux seules élaborations mentales, établissent, pour l'être qui s'y engage, la voie de l'éveil en ce corps sans risque de déviation possible.

Tel est le point de vue de notre école et le grand principe théorique de " Une pensée trois mille ", éclairant la possibilité de l'accès à l'éveil pour toute forme, trouve là sa parfaite objectalisation. De ce fait, la récitation de Nam Myoho Renge Kyo devant l'Objet fondamental est la réalisation concrète de la " Une pensée trois mille " théorique établie par Zhiyi. Pour cette raison, Nichiren a enseigné qu'au moyen du Sûtra du Lotus même les sots obtenaient l'éveil sans égal, alors qu'avec les doctrines provisoires même les êtres intelligents ne pouvaient s'éveiller.

En conclusion, les dix états n'existant pas hors la forme, tout phénomène est nécessairement l'expression de ceux-ci. Sous l'angle humain, cela se vérifie tant sous l'aspect du choix des mots et de leur assemblage, que dans l'apparition d'images mentales et de leur connections, ainsi que dans la structure provisoire de la forme à travers sa couleur, son mouvement, son interaction dans l'environnement,... Hors l'espèce humaine, l'assemblage provisoire de forme est de toute façon effet, dans le sens où il " inclus ", et dans le même temps cause, puisqu'il " imprègne " l'environnement de sa qualité sensible.

Or, ce principe général concerne évidemment tous les corps de pensée constitués, à savoir tous les mouvements philosophiques et religieux. En effet, ceux-ci ne peuvent éviter de formaliser leurs logiques de représentation et, de ce fait, aboutissent à des concepts, des codes, des règles, et toutes sortes de matérialisations. Dès lors, quant à leur retour obligé, quoique absolument hasardeux, à la forme, du fait des dogmes, rites, prières, édifices, objets symboliques et autres manifestations physiques et mentales de croyance, Zhiyi dira:

" On est comme un ver rongeant le bois qui trace par hasard la forme d'une lettre, mais sans savoir qu'il s'agit d'une lettre. Ne parvenant pas à comprendre déjà cela, qu'en sera t-il de l'éveil ". (92)

Même à notre époque, il est aisé de le constater, seul le Grand Maître Zhiyi élucida le principe de l'existence des dix états dans la forme grâce à la théorie de Une pensée trois mille. Plus particulièrement à propos de la création d'objets, Nichiren enseigna, par le "Traité sur l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur":

" Les textes bouddhiques et non bouddhiques admettent l'utilisation d'images sculptées dans le bois, ou peintes, comme objets de vénération, mais Zhiyi et ses disciples furent les premiers à clarifier le principe qui sous-tend cet usage. Si un morceau de bois ou de papier n'était pas doté à la fois d'une nature spirituelle et d'une nature matérielle, ou s'il était privé d'une cause inhérente qui peut lui permettre de manifester une nature spirituelle, il serait vain d'en faire un objet de vénération ". (93)

Il s'agit là du principe théorique sous-tendant toute élaboration de formes. Il en découle que sa méconnaissance a pour effet naturel de réduire l'envergure de la portée des actes traduisant l'intention, ainsi que celle du produit en résultant. Ce principe, dérivant de la théorie de " Une pensée trois mille ", est un phare éclairant les ténèbres épaisses où s'enlise la pensée ordinaire qui ne voit aucun lien entre ses actes et sa réalité, ses états et sa forme, ses productions et ses errances dans l'acausalité.

Dès lors, tous les rites, prières, objets de cultes et autres agencements de sens ou de formes ne conduisent ceux qui les suivent, qu'à l'information les structurant, et donc à l'état qu'ils expriment. La foi ne fait, en réalité, que surajouter à leur efficience, c'est-à-dire à ce que l'être ordinaire les élaborant y a mis. Au mieux, ce type de vénération ne mène qu'aux états provisoires de tranquillité et de bonheur, au pire aux états d'enfer, d'avidité, d'animalité et de colère. En fait, l'éveil ne peut sourdre de la relation à un objet ne le contenant pas et il apparaît certain qu'aucune doctrine ne le contient puisque, même en rêve, leurs tenants ne peuvent le pressentir, à plus forte raison le conceptualiser.

Dans cette même logique, l'actuel Souverain de la Loi a expliqué:

" Le plus important dans une religion est le fait que son objet de foi soit fondé sur le principe juste et, en même temps, qu'il soit doté des plus hautes vertus, susceptibles de guider et de sauver les êtres quels qu'ils soient...Il existe de nombreux objets de culte imparfaits, inférieurs qui, si on leur accorde notre foi, nous font ressentir, en conséquence, un effet imparfait et nous entraînent dans le malheur. La croyance entraîne immanquablement le partage de l'objet, quel qu'il soit ". (94)

" Le principe juste " se réfère au fait que la sagesse s'y imprègnant fusionne, ou soit non duelle, avec l'aspect réel des phénomènes, et " qu'il soit doté des plus hautes vertus " explicite le fait que la forme est de fait le fond. Différemment exprimé, les formes objectales des divers cultes sont états, et leur partage par la foi engendre l'état ou l'objet en le corps du croyant même.

" Susceptibles de guider et de sauver les êtres " établit que, nonobstant la sincérité de la croyance, l'introjection de l'objet n'aboutit jamais à autre chose qu'à l'objet lui-même. En effet, le seul facteur de foi ne confère jamais à l'objet, auquel elle s'applique, une valeur supérieure à celle résidant en celui-ci. La foi ne fait alors que rendre effective la nature de l'objet en élaborant son corps par les actes individuels.

Cependant, certaines croyances, ne pouvant percevoir la réalité particulière de l'objet de leur foi, n'envisagent même pas qu'une sagesse adaptative supérieure puisse être, en d'autres circonstances, la résultante des efforts accomplis. De fait, pour leurs adeptes, seule la croyance compte et non pas la sagesse adaptée à l'aspect réel des phénomènes. La raison en est certainement que, pour ces " logiques ", le monde matériel n'est qu'un tissu de souffrances incompréhensibles, le bonheur étant, lui, probablement ailleurs. Néanmoins, l'incompréhension du phénoménal constituant une base très incertaine quant à l'élaboration d'une pensée pénétrante, il va de soi que le retour obligé au phénoménal a pour effet naturel de rendre l'abrutissement plus dense. Il en résulte alors que ces croyances n'engendrent que la croyance, et aboutissent à l'hébétement de la croyance en la croyance. Dès lors, la valeur supérieure devenant la foi au détriment de la sagesse, cet idéalisme ne peut, même par hasard, entraîner une sagesse adaptée au réel. Comme le soulignait d'ailleurs Nietzsche:

" La foi sauve donc elle ment ".

On ne peut, de fait, se soustraire au fait perceptif et, de ce point de vue encore, seule la " justesse " de l'objet de la croyance compte, puisque nous ne sommes faits que de nos choix du " vrai ".

Sous cet angle, les points de référence, doctrinaux ou non, sont autant " d'objets " intégrés produisant des résonnances en termes d'élaboration de liens, et par là même de formes. De fait, ce, vis à vis de quoi nous produisons une affinité, s'édifie concrètement par la répétition. En conséquence, la profondeur d'une doctrine se perçoit en l'être pour qui aucune forme n'est étrangère à sa propre réalité. Inversement, en toute logique, le manque d'envergure d'une doctrine se mesure à l'exclusion par le croyant de ce qui lui semble différent de lui, à commencer parfois par sa propre femme.

Or, paradoxalement, malgré de multiples exemples d'aboutissements tragiques dus aux extrémismes de toute confession, de l'inquisition au suicide et de l'excision au meurtre, ni la valeur intrinsèque de la foi en elle-même, ni celle des objets de croyance, ne semblent généralement être remis en cause. Quelle est l'origine de cette béance acausale entre ce que l'on croit vrai et ses propres actes, ses propres actes et sa réalité momentanée ? Est-ce de l'inconséquence, ou ne peut-on pas parler plutôt là d'obscurité, en regard du gâchis certain de sincérité probable ?

Dès lors, seule l'apparition d'une sagesse quotidienne, ou du recours à une magie idéaliste basée sur les notions relatives de vrai et de faux, de pur et d'impur, indique la valeur de l'objet de croyance et le fait qu'il soit porteur de vertus ou de confusions.

En outre, le principe de non dualité de l'être et de l'environnement éclairant le fait que l'un et l'autre se perçoivent et s'influencent en fonction d'un " vouloir voir " antérieur et masquant, les " sagesses " en résultant ne sont que " l'harmonie globale " de l'état individuel de l'être et de chacune des milliers de formes de son support.

Dès lors, puisque toutes les formes sont l'une pour l'autre facteur d'imprégnation, Nichikan Shonin enseigne le principe général suivant:

" L'Objet fondamental représente l'objet facteur de lien. L'Objet suscite la sagesse et la sagesse guide la pratique. C'est pourquoi, si l'objet est incorrect, la sagesse et la pratique en conséquence le sont aussi ". (95)

Nous retrouvons, dans cet extrait, la connexion sagesse/réalité ou objet, mais dans le sens où l'objet ne génére la sagesse que lorsqu'il la possède " à l'origine ". Or, de toute relation aux objets par le non-rejet ou la croyance naissent des actes ne pouvant que traduire à nouveau l'objet en soi et à l'extérieur.

D'autre part, concernant la création d'objet nous n'ignorons pas que, dans la conscience ou dans l'inconscience de la réalité extérieure, l'esprit engendrant l'acte influe forcement et imprègne l'élaboration de l'objet mental ou physique de croyance. De fait, tout objet résulte de l'acte intérieur/extérieur dans sa momentanéité. La pollution ordinaire de l'esprit a donc non seulement pour effet de mettre en forme le corps et l'esprit de l'intervenant lui-même, mais d'influer également sur les objets de son exercice. Pour cette raison, au vu de la grande incohérence mentale des dirigeants de certaines écoles de son époque, Nichiren enseigne:

" En définitive, quand une cérémonie de consécration d'une image sculptée ou peinte est conduite par des maîtres du Shingon, cette image ne devient pas un véritable bouddha mais seulement un bouddha provisoire. En profondeur, elle ne devient même pas un bouddha provisoire. Même si elle a l'apparence d'un bouddha, en réalité, elle appartient toujours au domaine des êtres non sensibles, celui de l'arbre dont elle est issue. Elle n'appartient même plus au domaine des êtres non sensibles et des végétaux, elle devient un démon ou un ogre. Et ce, parce que l'enseignement erroné des maîtres du Shingon exprimé par leurs gestes et leurs invocations devient alors l'esprit de ces deux sortes d'images sculptées ou peintes ". (96)

Si nous remplacons les termes, " maîtres du Shingon ", par ceux de < penseurs et religieux de toute espèce > à l'aune de la sagesse fusionnant avec l'aspect réel des phénomènes, nous pouvons conclure, avec une objectivité certaine, à la parfaite nuisance des formes engendrées par l'égarement de ceux-ci, fussent-ils sincères. En d'autres termes, non seulement l'incompréhension profonde de la réalité des formes utilisées pour élaborer un objet interdit d'élever celles-ci au rang de la forme de l'éveil, mais, plus encore, cette même incompréhension dépossède de leur substance les formes utilisées pour y substituer l'incohérence même de l'auteur. Donc peu de chose en regard du fait que seule la pensée momentanée présidant l'acte est imprégnante. Ceci ne concerne pas, particulièrement, l'inaptitude d'un auteur de forme à un moment donné, mais toutes les élaborations de représentations symboliques effectuées depuis le passé jusqu'à ce jour.

D'autre part, le concept même de la symbolisation d'une " essence " par nature immatérielle est, semble-t-il, à reconsidérer sérieusement dans ses fondements dans la mesure où, à l'analyse, seul l'esprit présidant à la mise en forme est, là, matérialisé. Quant à l'argument infantile qui consisterait à soutenir que l'imaginaire individuel doit, pour s'élever au rang de l'immatériel supérieur ou divin, s'appuyer sur la construction symbolique, nous le récusons pour les raisons évoquées ci-dessus et pour celle-ci: l'imaginaire de l'un s'appuyant sur l'imaginaire de l'autre a davantage pour effet de renforcer l'imaginaire ambiant que d'ouvrir à la réalité phénoménale. Faut pas rêver.

En fait, l'ignorance de la réalité des phénomènes fait que toute intervention vis-à-vis de ceux-ci les influence en bien ou en mal, quel que soit la naïve intention de l'auteur. Loin de tout jugement esthétique ou moral, nous entendons par bien et par mal la qualité ressentie par la forme elle-même lors de l'intervention de l'auteur, ainsi que la qualité d'influence imprègnant les êtres à son contact pendant et après son élaboration. De fait, le non acte n'existe pas et l'acte informe continûment.

En résumé, les souffrances ordinaires de tous les êtres sont donc uniquement la fonction des objets intégrés en raison de la croyance personnelle.

L'ignorance de la réalité objectale n'implique donc pas que la relation aux objets soit sans effets, et la sagesse de l'éveil éclaire naturellement l'influence de cette constante inter-relation. En outre, la non distinction entre l'inférieur et le supérieur, le superficiel et le profond, alimente forcément la confusion de la pensée et élabore le cul-de-sac du " je croyais que...". Dans ces conditions, percevoir les causes des égarements humains et s'élever contre celles-ci est l'expression de la bienveillance de l'éveillé. Inversement, ne pas y réagir est la marque de l'ignorance. Or, ce terrain ne permet ni l'édification du courage ni celle d'une action appropriée.

Autrement dit, la pseudo " tolérance " des croyances les unes vis-à-vis des autres, genre oecuménisme, est la parfaite démonstration de leur manque de sagesse et de leur égoïsme, l'intolérance montre quant à elle l'attachement à un seul type d'abrutissement. En effet, de la même manière que l'égoïsme a pour fondement l'ignorance et qu'en conséquence il ne peut être d'acte de bien dans la non-perception de la réalité, la sagesse permettant de distinguer est la racine unique du courage et de la bienveillance.

En fait, l'ignorance " normative " est telle que, si nul ne soutient que toutes les graines, indifféremment, produisent des églantiers, certains estiment que toutes les croyances mènent au même résultat. Le seul avantage, très relatif, de cette obscurité est que les différents mouvements de pensée peuvent cohabiter dans le même irréalisme, puisqu'ils ont, pour unique dénominateur commun, la même incompréhension de la réalité objectale.



Ce point éclairci, selon notre école, l'Objet fondamental est perceptible sous trois angles:

- le Corps de la Loi matérialisé en tant qu'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur,

- le Corps de rétribution sous la forme de la sagesse ou Myoho Renge Kyo,

- le Corps de communication ou lieu de réception des préceptes, permettant de guider l'esprit individuel vers la production, en son corps, de l'Objet et de sa sagesse.

Ainsi, réciter Nam Myoho Renge Kyo devant l'Objet permet de construire l'éveil en soi, et il apparaît, nous y reviendrons, que seuls les troubles quotidiens sont l'aliment de la sagesse personnelle.

Considérant le développement précédent, il convient de distinguer les phénomènes, ou objets exprimant par eux-même leur réalité, à savoir plus généralement les six premiers états, et le Dharma issu de la mise en forme par l'éveillé de sa propre réalité. En effet, concernant les multiples dharma agencés pour composer l'Objet fondamental, Nichiren explique dans la réponse à Nichinyo:

" Illuminés par les cinq caractères (Myoho Renge Kyo) de la Loi merveilleuse, ils trouvent leur vénérable forme originelle. Tel est l'Objet fondamental ".

Nous trouvons du reste la même lecture de la part de Shakyamuni, mais sous un angle théorique:

" La nature de toutes choses dans l'état absolu étant purifiée, le corps est purifié. Le corps étant purifié, tous les corps sont purifiés. Tous les corps étant purifiés, les êtres des dix régions cardinales sont dans la pureté de l'Eveil parfait ". (97)

Ainsi, le Corps de la Loi est l'aspect de toutes les formes élevées à l'éveil. Selon la même logique, lors de la pratique devant l'Objet, nos troubles, qui représentent l'exercice de notre réalité par leur production de formes, équivalent (soku) à la production d'éveil et ouvrent eux-mêmes, par leur illumination, la voie de l'adéquation sagesse / réalité.

Concernant l'inscription de l'Objet fondamental , Nichiren déclara:

" Nichiren a imprégné de son esprit l'encre sumi..".

Cette affirmation explicite la réalité intrinsèque à la mise en forme en fonction de l'état de l'intervenant, tant dans la production des six voies par le commun, que dans l'élévation des phénomènes à l'expression de l'éveil par les bouddha. Elle définit, dans le second cas, l'adéquation entre le sujet et l'objet à son plus haut niveau.

L'actuel Souverain de la Loi, Nikken Shonin, indique néanmoins:

" Grâce aux fonctions inconcevables de la Loi merveilleuse (Myoho), la totalité des existences du monde des phénomènes, participant de la Loi merveilleuse, forment la corporéité de l'Objet fondamental de vénération, exprimant < l'aspect véritable existant à l'origine >. Cependant, avec nos yeux et notre sagesse d'êtres ordinaires, même si l'on réfléchit de tout notre être, il nous est absolument impossible de parvenir à sa corporéité ". (98)

" L'aspect véritable existant à l'origine " est la multiplicité des dharma, à savoir les dix états ou dix mondes, en leur état originel c'est-à-dire dans l'éveil.

Or, " parvenir à sa corporéité " ne ressort pas des caractéristiques des six sens puisque, par nature, tous les objets, ou phénomènes, leur sont impénétrables. Là encore, nous nous heurtons au fait que le corps, comme charpente perceptive, constitue le siège de " l'obscurité fondamentale ". En réalité, expérience aidant, force est de constater que toutes les formes, à commencer par notre propre corps lui-même, échappent à notre perception et par là-même à notre vouloir. Dans le cas contraire, nous pourrions indiquer aux corps, " soyez ceci ou ne soyez pas cela ". En fait, nous ne percevons les phénomènes qu'après leur apparition ou, plus exactement, nous ne prenons que la mesure de leurs résonnances en nous. La durée de la présence d'un être ou d'un phénomène, l'intensité du sentiment d'être compris ou de comprendre, se résument toujours au constat de l'incommunicabilité du ressenti intime et ce non-partage est lui, par contre, forcément réciproque. Dès lors, il va de soi que si les êtres et objets résultants des six voies sont impénétrables pour la pensée, il en est a fortiori de même pour l'objet de l'éveil.

Par contre, dans le cas particulier de l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur, le rapport à l'objet par la pratique du nom construit en soi l'objet même de notre éveil " à l'origine ". Or, la construction en soi de l'éveil ne pouvant s'effectuer qu'avec l'aliment quotidien des troubles, elle entraîne naturellement une perception approfondie des phénomènes en relation avec ceux-ci. De ce point de vue, seuls les troubles sont cause d'éveil, l'Objet de l'éveil intervenant alors, quant à lui, comme facteur extérieur.

Vis à vis des troubles constitutifs de nos vies, nous lisons en effet dans la réponse à Nichinyo:

" Il ne faut pas chercher cet Objet fondamental ailleurs que dans la chair de notre poitrine, en nous, êtres humains, qui gardons le Sûtra du Lotus et récitons Nam Myoho Renge Kyo ".

Notre propre corps apparaît donc, selon cette conception, être le seul lieu temporel de sa propre production depuis " l'origine ". Le corps est, avec son environnement, le tissu unique de sa réalité causale particulière et contient intrinsèquement son éveil à tous les aspects.

En outre, afin de mieux exprimer la nature du lien entre le Bouddha Originel Myoho Renge Kyo et l'Objet fondamental, l'actuel Souverain de la Loi indique:

" Il est naturel que le Grand Sage Nichiren ait révélé le Bouddha du passé hors le temps (Myoho Renge Kyo) en tant que substance de la Loi à propager. Toutefois, du point de vue des prédispositions, c'est-à-dire des êtres, on ne peut voir le passé hors le temps que dans l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur ". (99)

Telle est la bienveillance du Bouddha fondamental dans son adaptation aux capacités perceptives des êtres.

Dès lors, il apparaît que seule la production en soi du bouddha originel, Myoho Renge Kyo, devant l'Objet exprimant l'aspect réel de notre vie élevée à la boddhéité, depuis le passé hors le temps, permet l'adéquation parfaite du sujet et de l'Objet, de la sagesse et de la réalité.

Concernant Myoho Renge Kyo en tant que Bouddha Originel, Nichiren enseigne :

" Même les deux Bouddha Shakyamuni et Taho ne sont que les fonctions du Bouddha. Myoho Renge Kyo est le Bouddha originel ".

Considérant, en outre, les trois corps du Bouddha en relation avec l'être humain ordinaire, il indique:

" L'homme ordinaire est les trois corps dans leur substance et est le Bouddha originel. Le Bouddha est les trois corps dans leur fonction et est le Bouddha éphémère ".

Cela signifie que l'être éveillé ne peut qu'exprimer la fonction de l'éveil originel à travers ses actes et ses paroles, la sagesse en d'autres termes, et que seul Myoho Renge Kyo est l'originel. Or, l'être ordinaire contient l'éveil originel.

Dans un commentaire, l'actuel Souverain de la Loi déclara:

" Il est certain que l'être humain concoit de bonnes pensées, comme il en concoit de mauvaises. Il erre dans toutes sortes d'illusions. Cependant, si sa vie est éclairée par le grand principe de Myoho Renge Kyo,..il devient alors Myoho Renge Kyo, l'Ainsi venu aux trois Corps...Dans le fait que notre substance soit, telle quelle, la substance de la Loi Merveilleuse, réside l'unicité de la Personne et de la Loi ".

Les troubles dans l'enseignement Originel







Considérant globalement la progression sur la Voie bouddhique, Shakyamuni déclare, dans le Sûtra du Nirvana:

" L'ignorance, dans son évolution, se transforme en sagesse ".

Dans un commentaire sur le premier des dix ainsi: l'aspect, l'actuel Souverain de la Loi enseigne:

" Cet < ainsi est l'aspect > est l'aspect de tous les êtres. Si on le considère du point de vue du sens profond de l'Ainsi venu de l'éveil originel, tous sont dotés de la nature du Bouddha. C'est pourquoi on peut dire qu'ils sont le Corps de communication de l'Ainsi venu, la libération ou la vérité du provisoire (ke) ". (100)

S'agissant là du troisième Corps du Bouddha, le Corps de Communication, la tournure " on peut dire " marque l'écart entre le potentiel et la concrétisation. Toutefois, il est certain que nos propres troubles, éclairés par la Loi merveilleuse, deviennent l'expression de notre bienveillance en tant que réponse aux désirs des êtres de voir une forme en laquelle ils se retrouvent.

Par exemple, en fonction des circonstances, il n'est pas inconcevable de se heurter à une situation où notre stupidité, notre médiocrité et notre vulnérabilité se révèlent. Dans ces conditions, le sentiment d'un illusoire < soi fixe > retrouvé peut être cause de tourments réels. Cependant, la pratique de la voie au sein de ces conditions ouvre sur la réalité des autres et permet, sur le principe, l'apparition en soi d'une bienveillance infinie.

Là, se situe la qualité originelle de notre " vouloir être ", et seule la propension onirique de notre esprit à s'aliéner au bien ou au mal, au pur et à l'impur du passé, du présent ou du futur nous en sépare. En effet, progressant sur la voie de l'éveil, notre corps et son fonctionnement peuvent graduellement s'identifier et devenir enfin le Corps de Communication de l'Ainsi venu.

" La libération ou la vérité du provisoire " exprime, du reste, l'apparition de l'éveil parfait dans les troubles conditionnels du quotidien.

Cependant, de la même manière que notre pensée momentanée dissimule en elle même les trois corps du bouddha par ignorance de sa nature, les agencements de mots et de phénomènes expriment une réalité masquée par notre regard usuel.

Dès lors, des troubles variables étant constitutifs de toute personnalité, seule la production d'actes d'une valeur supérieure à la tendance innée, permet l'apparition d'un regard à la fois sur les troubles eux-mêmes et sur leur origine.

Cette démarche caractérise globalement la bienveillance du Bouddha dans son adaptation aux circonstances: il ne juge pas, il permet de mieux faire. En effet, les choses étant " telles " en chacun, point n'est besoin de les nier ou de chercher à les éliminer. D'évidence, elles n'expriment que le désir de la satisfaction, du bonheur, et leurs dérives malheureuses ne proviennent que de la confusion dans les valeurs attribuées aux " choses ". La solution apparait donc être l'utilisation des tendances diverses de chacun comme moteur, et l'emploi de la cause et de l'effet de l'éveil comme moyen. D'autre part, les troubles ne s'exerçant que sur des notions d'objets réels/irréels, présents/absents, il va de soi que la perception de l'aspect réel des phénomènes ne peut s'appliquer en un autre lieu. Or, considérant la continuité du fait perceptif, on est jamais quelqu'un d'autre, ailleurs et un autre jour, qu'ici et maintenant.

De fait, les troubles ne surgissant que des noms et des formes, le Bouddha, par bienveillance, laisse l'éveil en les mêmes termes. En conséquence, la pratique du nom devant la forme permet " l'exhumation " de la forme originelle de tous nos désirs: l'arrêt définitif des souffrances.

Aussi, pour permettre aux êtres de concevoir la forme de leur éveil depuis le passé hors le temps, Nichiren écrit:

" Les gens de notre époque considèrent les cinq caractères de Myoho Renge Kyo comme un simple titre, mais ce n'est pas cela. Myoho Renge Kyo est un corps et ce corps a un coeur ". (101)

Dans ce contexte, considérant la non dualité de la matière et de l'esprit, seule la production du " corps " par l'agencement oral, ou récitation, permet l'observation de son propre coeur " à l'origine ".

Pour cette raison, sachant que chez l'être humain, les mots évacuent usuellement le contenu de la forme nommée, mais, comme le disait Shakyamuni, hors le nom et la forme il n'y a rien, Nichiren peut affirmer dans le " Traité sur la transmission vitale unique et essentielle à travers vies et morts ":

" Soyez prêt à toute éventualité et récitez Nam Myoho Renge Kyo en ayant une grande force de croyance, comme à l'heure de votre mort... C'est ce que signifie l'expression: < Les troubles équivalent à l'éveil, les souffrances sont égales au Nirvana >. Sans la transmission de la croyance, même garder le Sûtra du Lotus est vain ".

L'expression "..comme à l'heure de votre mort.." désigne le moment où, devant cesser, la pensée ne peut plus conceptualiser le passé ou le futur, immédiats ou lointains, en termes de pertes ou de satisfactions, de plaisirs ou d'angoisses, et implique donc un regard porté sur le moment même de l'efficience. Cela est indicatif du fait que, seul le moment présent, parfois dans la mesure où il est présenté comme étant le " dernier ", peut déboucher sur sa propre éternité dans la non durée et générer l'éveil. Dés lors, ce moment d'efficience " ultime " ne se distingue en rien de la durée de la vie et permet, lorsqu'on récite Nam Myoho Renge Kyo, de s'éveiller à la réalité suivante:

" Il ne peut y avoir de rupture entre le passé, le présent et le futur ". (102)

De ce fait, identifiant sa pensée momentanée, axe d'une durée sans origine, à Nam Myoho Renge Kyo, le corps et l'esprit sont immédiatement l'éveil.

Contrairement à la théorie de " Une pensée trois mille ", dans laquelle ni le nom ni l'objet n'apparaissent, ce point d'arrêt de la forme/pensée momentanée permet alors l'identification de celle-ci avec sa propre antériorité atemporelle sous l'aspect de l'éveil: l'Objet sublime.

Pour cette raison l'expression, " Les troubles équivalent à l'éveil, les souffrances sont égales au Nirvana ", passe de la forme conceptuelle à celle de réalité concrète, quand l'être ordinaire est en adéquation avec l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur. Cette adéquation est celle résultant de la perception physique des dix mondes en son propre corps, en son propre coeur et, par là-même, en l'environnement de sa pensée momentanée. Cette perception, physique et mentale, ouvre sur le caractère non né, non détruit, de sa propre réalité.

En conclusion, concernant la pensée momentanée ni le fait de la laisser s'enliser dans des images reflètant l'effervescence phénoménale ou l'imaginaire ni le fait de l'ahurir par celle du vide ne sont adéquates quant à la production de l'Objet de l'éveil. Seule la pensée/forme momentanée ne faisant qu'un avec l'objet de l'éveil engendre celui-ci en son corps et en son esprit.

En d'autres termes, l'actuel Souverain de la Loi déclare:

" Le degré du Bouddha est atteint lorsqu'apparaît l'effet de cette pratique, qui est de ressentir la cause merveilleuse et l'effet merveilleux comme étant simultanés ".

La cause et l'effet sont deux noms qualifiant la même efficience dans l'instant. Ordinairement, cette efficience en terme d'effet n'est, nous l'avons vu ni identique à la cause puisque conditionnée par les facteurs ni différente car la cause en est l'origine. Globalement donc, l'incontournable acte momentané de l'efficience est la merveille atemporelle de la simultanéité de la cause et de l'effet.

Cependant, nous l'avons cité, " l'Objet fondamental représente l'objet facteur de lien ", or, la cause n'existant en terme d'effet que grâce au facteur, l'établissement d'un lien avec un facteur, lui-même cause et effet de l'éveil, correspond immédiatement à l'éveil en ce corps.

De fait, toute cause autre que l'éveil ne peut produire l'éveil en tant qu'effet, puisque la cause et l'effet sont simultanés. De la même manière que la cause < pépin de pomme > peut, en fonction de facteurs favorables, produire son effet consécutif et non l'effet < mimosa >, ce qui n'est pas la cause de l'éveil, même si les facteurs sont favorables, ne peut le produire. Dans ce sens, l'enseignement qui découle de la cause de l'éveil en terme de sagesse, peut en tant que cause, produire de la sagesse, mais en aucun cas l'éveil. Seule l'apparition et l'application de la simultanéité de la cause et de l'effet de l'éveil engendre l'éveil.

Pour cette raison, l'enseignement de Shakyamuni est considéré comme étant le bouddhisme de l'effet originel, celui de Nichiren apparaît comme étant celui de la cause originelle, puisque le nom et la forme de l'éveil originel y sont matérialisés.

Alors, conditionnés par nos troubles apparaissant comme facteurs favorables, l'acte de production de la cause de l'éveil est simultanément l'effet de l'éveil, c'est-à-dire " devenir bouddha sans changer de corps ". Selon notre école effectivement, seul le rapport à l'Objet, par son évocation, est le " facteur " s'intercalant entre la cause ( les troubles ) et l'effet simultané ( l'éveil au sein des troubles ).

Cependant, le fait que " les troubles équivalent à l'éveil " ne se justifie que par l'emploi du terme " équivaloir " ou Soku, dont Nichiren dira dans l'Enseignement Oral qu'il est " Nam Myoho Renge Kyo ". La raison en est que les troubles, principale source d'égarement et de souffrances, ne peuvent être séparés même artificiellement de ce qui en nous les produit en nous caractérisant. Ils apparaissent, par contre, être l'aliment indispensable à l'obtention d'une sagesse particulière, puisqu'ils en sont le producteur potentiel tout en n'en étant pas essentiellement distincts et qu'eux seuls faconnent notre monde objectal sensible.

Dans les faits, il apparait que réciter Nam Myoho Renge Kyo au sein des troubles permet, en utilisant le surgissement anachronique et illusoire de remords et culpabilités de toutes sortes, de faire naître en soi une sagesse équivalente à la puissance latente de ceux-ci. En outre, se référant ou non à une morale quelconque le sentiment de culpabilité possède au moins deux axes discutables: la durée d'un " soi " et la durée d'objets en soi-même dans le temps. Or, ni le " soi ", ni les objets n'ayant été réellement perçus dans le passé comme dans le présent, il convient de constater que, seul le manque de sagesse, et l'attachement à des " vrais " relatifs créent une souffrance interdisant l'acte de perception dans la seule réalité qui soit: le moment présent. Il en va d'ailleurs de même, en terme de troubles, pour la satisfaction ressentie en regard d'oeuvres de " bien " effectuées dans le passé. En effet, le bien et le mal relatifs du passé se rejoignent toujours en s'effacant dans l'inexistence d'une quelconque perception profonde des phénomènes dans le présent. Ceci explique cela.

A la réflexion, les troubles s'appliquant dans le présent à des objets du passé, du présent ou du futur et ceux-ci possédant nécessairement un aspect réel, les troubles ont pour unique fonction, par la mesure effectuée, de produire une sagesse adaptée dans l'instant même.

Là encore, envisagé sous cet angle, certains textes révèlent leur saveur théorique. En effet, dans la littérature Mahayaniste le Sûtra Fugen énonce:

" Même sans éliminer leurs désirs terrestres ou nier les cinq désirs, les êtres peuvent purifier tous leurs sens et supprimer tous leurs actes mauvais ". (103)

Selon la même logique, le Sûtra de l'absence d'activité, quant à lui, affirme:

" L'ignorance, l'orgueil et l'avidité ne sont autres que l'éveil ".

Cependant, l'étroitesse de vue de certaines écoles de type " spiritualiste " est telle que, basées sur cette sorte d'affirmation et baignant dans un orgueilleux sentiment de toute puissance, elles déclarent inconsidérément que les troubles tels quels sont l'éveil. Dans le cadre du magique cette conception peut, toutefois, s'envisager, mais qu'en est-il des faits dans le réel du quotidien ?

Voyons comment se positionne l'école Tiantai.

" Lorsque les grands sûtra formulent une identification, par exemple < les souffrances des naissances et morts sont identiques au nirvâna >, < les troubles sont identiques à l'éveil >, il faut appliquer simultanément l'examen critique par les six identités et l'on évitera ainsi le débordement du faux sur le vrai ". (104)

En fait, la compréhension de ces six niveaux permet d'empêcher l'apparition de l'orgueil, et la confiance en le mot d'identité évite la sous-estimation de soi-même.

" Si foi et sagesse sont suffisantes, lorsque l'on entend affirmer l'égalité de principe de la < une pensée >, la foi empêche de médire de cette affirmation, tandis que la sagesse empêche d'en être intimidé... Si l'on n'a pas de foi, on estime trop haut l'Objet de la pratique et l'on pense qu'il n'est pas discernable par sa propre sagesse; si l'on n'a pas de sagesse, on produit un sur-orgueil qui mène à penser que l'on est l'égal du bouddha. Les deux cas sont faux et c'est pour cela qu'il est indispensable de prendre connaissance des six identités ". (105)

Ces six identités sont:

1_ L'identité de principe. Tous les phénomènes, toutes les formes, possèdent éternellement les trois corps du bouddha. L'expression " Il n'est pas une forme, pas une odeur qui ne soit de la voie médiane " se rapporte à l'identité de principe. Il s'agit là d'une équivalence théorique s'appliquant aux voies extérieures, c'est-à-dire hors l'engagement dans la voie bouddhique. Zhiyi commente ce degré de la façon suivante:" N'ayant pas encore entendu les trois vérités (Ku. Ke. Chu), on ne connaît rien de la Loi bouddhique, de même que l'oeil des boeufs et moutons ne sait pas discerner un carré d'un cube ".

2_ L'identité de dénomination. Prendre connaissance, par un être ou par un texte, de sa propre capacité à obtenir l'éveil en ce corps. Grâce à l'énoncé théorique de la Loi merveilleuse on comprend que tous les êtres sont le bouddha. Dans notre école, ce stade, où l'on nomme l'Objet, est le plus important en cela qu'il consiste à recevoir et garder la Loi. Il équivaut à l'introspection du coeur. C'est le moment où l'on entend et récite le nom de la réalité ultime: Myoho Renge Kyo. C'est également le stade où les paroles relèvent de la Loi correcte alors que les actes ne s'y accordent pas encore. Or, du fait de la " mesure ", la souffrance en résultant devient alors naturellement matrice de la sagesse.

3_ L'identité de contemplation. La mise en pratique est conforme aux prises de conscience." Le principe contemplé et la sagesse contemplante sont conformes l'une à l'autre, nos pratiques sont conformes à nos paroles et nos paroles à nos pratiques ".

4_ L'identité d'analogie. " Ainsi nommée parce qu'à force de pratiquer l'arrêt et l'examen de la pensée, on en vient à opérer de façon analogue au vrai ". C'est le stade où l'être a éliminé deux catégories d'illusions, les deux premiers obstacles énoncés en début de texte: les obstacles des vues et les obstacles phénoménaux. La purification des six organes des sens est alors effectuée.

5_ L'identité de réalisation fractionnelle. " Les trois corps du bouddha se manifestant par fraction, on obtient les attributs du bouddha par fraction ". " On commence la destruction de l'ignorance et l'on perçoit la nature de bouddha ". La réalisation de la voie médiane est enfin effectuée, il ne subsiste que l'obscurité fondamentale.

6_ L'identité absolue. " Muni de la sagesse parfaite, on manifeste totalement les trois corps du bouddha ". Il s'agit de l'éveil sans égal sans supérieur de la boddhéité.

Cependant, pour affiner la distance entre la réalisation fractionnelle de la cinquième identité, toujours dominée par l'obscurité fondamentale, et l'éveil sans égal, Zhiyi explique:

" On ne peut y passer du stade inférieur, seul le bouddha peut y passer ". (106)

Sibyllin ? Certes, mais Zhiyi précise plus loin, certainement dans l'objectif de nous éclairer:

" Il n'y a plus rien à prononcer ".

Qu'en est-il alors de l'innommable pour Zhiyi ?

Le passage théorique de la cinquième à la sixième identité, l'éveil sans égal et sans supérieur, se heurte à une résistance que Zhiyi avait évoqué par la phrase " l'un illuminant son objet et l'autre faisant obstacle ", où la sagesse indiscutablement butte. Nous avons désigné cet obstacle comme étant le coeur de la " Une pensée ", perpétuellement antérieur à la pensée, au corps et à l'environnement momentanés. Ce " coeur ", origine individuelle et atemporelle de tout dharma, contient les dix états et leurs résonnances temporelles et spatiales.

De par son éveil, Zhiyi a circonscrit le lieu du " coeur " avec la théorie de " Une pensée trois mille ", mais n'a pu, pour diverses raisons, en élaborer la forme dans l'éveil originel. Là, devant l'impossibilité de formuler le Bouddha Originel tant sous l'angle du nom: Myoho Renge Kyo, que sous celui de la forme: l'Objet fondamental, Zhiyi s'est limité à encourager ses successeurs à percevoir par eux-mêmes, grâce au principe théorique de " Une pensée trois mille ", ce qu'il ne pouvait nommer.

Considérant l'adaptation particulière de la sagesse aux circonstances, l'actuel Souverain de la Loi déclare:

" La pratique est ce qui découle de la sagesse. L'homme ordinaire commence à pratiquer selon l'enseignement du Bouddha, mais lorsque cette sagesse existe à l'origine, c'est cette sagesse qui provoque la pratique. Autrement dit, lorsque le Bouddha prend conscience du Myoho Renge Kyo de la doctrine essentielle, aussitôt apparaît la pratique correspondante ".

" lorsque cette sagesse existe à l'origine " évoque le cas ou tous les éléments du réel permettent au Corps de rétribution de produire l'éveil sans égal en s'appuyant sur les doctrines ambiantes, fussent-elles provisoires. Quant au reste du texte, il évoque la liberté et la pratique résultant de la perception de la merveille de la simultanéité de la cause et de l'effet. De cette réalité, Nichiren déclare:

" Le Dharma inconcevable de la simultanéité de la cause et de son effet existe et son nom est Myoho Renge Kyo ... Celui qui le pratique obtient simultanément la cause du Bouddha et l'effet du Bouddha ."

Pour cette raison, dans l'enseignement parfait de Nichiren, le degré de dénomination, où l'on nomme le Bouddha Originel devant sa propre forme: l'Objet, équivaut à la production immédiate de la cause et de l'effet de la boddhéité au sein des troubles. Nichiren explique en effet:

" Parce qu'un être atteint l'éveil directement à partir du degré de dénomination, il n'existe aucune étape dans la pratique de l'enseignement parfait ". (107).

D'autre part, le fait que ce deuxième degré soit qualifié par l'expression, " les paroles relèvent de la Loi correcte alors que les actes ne s'y accordent pas encore ", est à relier avec une autre citation de Nichiren :

" Sans la transmission de la croyance, même garder le Sûtra du Lotus est vain ".

En effet, le rapprochement des deux phrases montre que le fait de transmettre la Loi et donc d'exprimer à autrui le vrai, de plus en plus profondément, oblige son corps et son esprit à le cristalliser par le simple fait de le nommer. La raison en est que de la pensée à la parole, et de la parole à l'action concrète, une hiérarchie d'applications d'ordre physique doit s'élaborer. Dès lors, seule la transmission de la Loi comble l'écart entre les paroles et les actes, alors que les souffrances nées de cet écart ne proviennent que du non-acte physique, celui-ci entraînant les multiples réverbérations de la pensée sur le " vrai relatif " au sein d'obstacles physiques. Inversement, évidemment, le fait d'appliquer " physiquement " le vrai permet à l'esprit de percevoir des zones jusque là hors de portée puisque d'origine organique. La transmission de la Loi équivaut de ce fait à la mise en oeuvre du courage caractérisant le bodhisattva de l'enseignement définitif et ceci est " la pratique telle que le bouddha l'enseigne ". Là, se situe l'arrêt des souffrances dues à la naissance, à la maladie, à la vieillesse et à la mort.

Pour en revenir à ce deuxième degré, selon notre école, il n'est pas de réalisation de l'éveil sans le partage du Corps de la Loi. Dès lors, quel que soit le degré de perception atteint par les êtres s'engageant dans la voie bouddhique au fil des siècles, tous:

" sont retournés au degré de l'homme ordinaire à l'identité de dénomination, puis sont devenus bouddha ". (108)

Revenir au degré de dénomination indique le " seuil difficile à franchir " par la seule sagesse: l'Objet de l'éveil. Autrement dit, tous, quel que soit leur degré d'avancement sur la Voie, sont revenus au point où la qualité même de l'éveil se traduisait par le fait de nommer la forme de l'Objet fondamental, c'est-à-dire la forme originelle de tous les êtres dans l'éveil. En d'autres termes, selon ces deux écoles, nul être n'a pu parvenir à l'éveil dans le passé en dehors de la pratique concrète de l'essence du Sûtra du Lotus.

Dès lors, devant cet Objet, seul le fait de le nommer avec croyance l'établit en soi, dans l'éveil du corps et de l'esprit.

Du reste, humainement parlant, nous pouvons observer que nommer, faire apparaître une forme en quelque sorte, constitue un des actes les plus féconds de nos existences produisant les six premiers états. Pourquoi, dans ces conditions, nommer ne le serait-il pas également pour l'éveil ? Le grand sage Nichiren enseigne effectivement:

" Le nom possède infailliblement des vertus qui touchent la substance ". (109)

Pour cette raison, la convergence (nam) des pensées, des paroles et de l'action physique constituent, dans tous les cas de figure, une production d'état, or, celui-ci est fonction de l'objet auquel s'applique cette convergence. Nichikan Shonin, considérant tant le général que le particulier, indique:

" La foi étant à l'origine de la récitation de Nam Myoho Renge Kyo, elle est la merveille de la cause originelle. La récitation étant la conclusion de la foi, elle est la merveille de l'effet originel. Autrement dit, ce phénomène est la causalité de la Une pensée dont l'origine et la conclusion sont instantanées ".

Concernant le général, ce en quoi l'on croit est forcément matérialisé par les actes mentaux, oraux et physiques. Le corps et la pensée individuels sont donc la marque momentanée d'un passé sans origine dont l'extrait cité indique: " ce phénomène est la causalité de la Une pensée dont l'origine et la conclusion sont instantanées ". Ce même principe appliqué au particulier, c'est-à-dire l'enseignement de la cause Originelle, fait que l'adéquation entre la sagesse et l'aspect réel s'effectue lorsque la production d'acte dans l'instant a pour objet l'aspect réel de l'éveil : le Corps de la Loi, à l'exclusion de toute autre pensée. Le grand Sage Nichiren indique en effet:

" L'instant où l'on garde en soi ce Sûtra devient la cause originelle. Et il est dit que la cause originelle, telle qu'elle est, devenant le bouddha, est appelée l'effet originel... Aussi, la cause originelle, cause de la sagesse, se situe au rang de l'identité de dénomination et l'effet originel, en tant qu'effet, se place au degré de l'identité absolue ".

" L'instant " est celui de l'efficience non née, non détruite, et en cela il est notre origine atemporelle. En outre, l'instant ne peut exister sans environnement. Or, nous l'avons évoqué, les " facteurs " ne produisent pas l'effet mais permettent à la cause de le devenir et d'être simultanément cause. Dès lors, dans la pratique de notre école, le facteur " Objet Corps de la Loi " imprègne la simultanéité de la cause et de l'effet de nos vies en les ouvrant instantanément à l'éveil parfait.

" Garder en soi ce Sûtra " consiste à garder Nam Myoho Renge Kyo en notre coeur et en notre corps. La phrase " La cause originelle, telle qu'elle est, devenant le bouddha, est appelée l'effet originel " explicite la merveille de la simultanéité de la cause et de l'effet et entraîne le fait que, lors de la récitation de Nam Myoho Renge Kyo, notre corps et notre esprit ne soient pas différents de Nam Myoho Renge Kyo. Pour cette raison, " la cause originelle " du degré de dénomination est le nom et " l'effet originel " au degré de l'identité absolue est la forme du Bouddha. Plus exactement, la foi au sein des troubles est la cause originelle, la récitation du nom est l'effet originel de l'éveil dans la forme ordinaire.

De fait, ne pouvant à son époque, lui non plus, nommer plus avant, Shakyamuni a cependant enseigné :

" Lorsque le Nom et la Forme ont été complètement compris, je dis alors qu'il ne reste rien de plus à accomplir ". (110)

Dès lors, tant la propagation de la sagesse théorique résultant de la pratique que la production du nom devant l'Objet Corps de la Loi sont la sagesse suprême de l'éveil sans changer de corps.

Pour confirmer cette lecture, Nichiren enseigne:

" Maintenant Nichiren et ceux qui récitent Nam Myoho Renge Kyo consument la bûche des désirs terrestres et voient s'allumer devant leurs yeux le feu de la sagesse de l'illumination ". (111)

Ainsi le sens même du terme " identité " ou " équivalence " se situe dans l'unique fait que les troubles puissent produire par eux-mêmes une sagesse consécutive. Or, seule la production en soi, au milieu des troubles quotidiens, de la cause et de l'effet de l'éveil permet que ceux-ci, contrairement à l'ordinaire, ne se perpétuent plus tels quels mais engendrent enfin la sagesse dont ils sont la substance.

Le chapitre Hoben de la partie théorique du Sûtra du Lotus indique:

" Par d'innombrables moyens, j'ai amené les êtres à renoncer à leurs attachements "

Dans son " Enseignement Oral " Nichiren précisera que par renoncer , il faut comprendre discerner. Le mot Discerner correspond à " devenir le maître de son esprit ". Discerner est la sagesse de l'éveil au sein de notre quotidien, c'est en fait la qualité originelle de nos troubles et de nos souffrances.

A l'observation, la condition humaine est naturellement caractérisée par la pollution de l'ignorance, de l'avidité et de l'orgueil. Cependant, c'est surtout dans la référence faite à l'éveil du Bouddha que les notions relatives du bien et du mal du commun deviennent la vérité vulgaire. A l'ordinaire, même la stupidité la plus effrayante peut sembler normative, puisque ce qui est partagé par le plus grand nombre est forcément rassurant. Or, si la non-observation des troubles ne permet pas d'en prendre la mesure, l'engagement dans la Voie bouddhique a pour effet naturel de mettre cette pollution en relief.

En fait, ne pouvant nous extraire magiquement de notre réalité, il ressort que la présence des troubles ne peut constituer un handicap, seul l'attachement en réalité fait obstacle. Différemment exprimé, si l'attachement est rédhibitoire quant à l'accès à l'éveil, le manque d'intelligence, l'ignorance ou les angoisses de toutes sortes ne le sont par contre en aucun cas. Dès lors, de la même manière que l'opacité de l'eau gelée ne possède pas une nature autre que celle de l'eau transparente, il en découle que le fait de discerner dans ses attachements transforme les troubles en sagesse. Les attachements au vrai relatif sont l' opacité individuelle.

Par exemple, croire connaître un être ou une chose, alors qu'un sentiment se développe en termes de " j'aime " ou " j'aime pas ", relève de la vérité vulgaire, partager sa réalité intrinsèque relève de la vérité suprême; le non-inutile relève du vulgaire, la vision du non-suffisant approche le suprême. Dans cette optique, Zhiyi a effectivement déclaré:

" La satisfaction est l'éveil ".

En conséquence, s'appuyant sur les déclarations de Shakyamuni, Nichiren peut affirmer dans son Enseignement Oral:

" En général, dominer ses égarements n'est pas considéré comme la quintessence du chapitre <Durée de la vie>. Il faut savoir que le principe suprême de ce chapitre réside dans le fait que la corporéité de l'homme ordinaire existe à l'origine telle quelle ". (112)

" A l'origine " montre l'efficience non née, non détruite, dans les égarements des neuf mondes, et " telle quelle " indique la potentialité des trois Corps du bouddha en toute forme.

Cependant, l'actuel Souverain de la Loi indique:

" Néanmoins, le chapitre Durée de la Vie considéré sous l'angle de la merveille de la cause originelle est tellement profond que même la sagesse des bodhisattva, parvenus au degré d'identité de réalisation fractionnelle, est insuffisante pour le comprendre. C'est pourquoi, il faut la remplacer par la foi. Dès lors, quand il contemple le Corps du Bouddha, avec les yeux de la foi, n'importe quel être ordinaire parvient immédiatement à l'état suprême de l'éveil du Bouddha ".

Le terme " insuffisant " exprime l'incapacité de la sagesse, même médiane, à percevoir l'Objet, les objets, puisque nous l'avons évoqué, seul le partage " physique " peut être véritablement qualifié d'adéquation. Le terme " immédiatement " indique le moment où, l'esprit débarrassé de son flux d'images mentales, le corps récitant Nam Myoho Renge Kyo et l'Objet fondamental ne font qu'un. A ce moment se réalise la simultanéité de la cause et de l'effet de l'éveil. A cet instant même, le corps est le lieu de la joie de la Loi, et cela tient au fait que la récitation s'effectue " sans autre pensée ". Tel est probablement le sens de l'expression " avec les yeux de la foi ".

C'est également le sens des propos suivants, issus d'une lettre de Nichiren:

" Si vous vous relâchez ne serait-ce qu'un instant les démons vous possèderont ".

" Les démons " sont évidemment les images mentales, dont l'irréalité n'est concurrencée que par leur effervescence " logique ", quant à l'expression " un instant ", elle nomme, dans ce contexte bien sûr, l'espace entre la naissance et la mort.

Or, chaque instant étant engendré, il en ressort que, tant la durée et la qualité de la vie, que la production de la mort, relèvent du vouloir. Pour cette raison le Bouddha ne meurt pas mais " entre ", de la même manière que, de son vivant, il échappe au regard des êtres.

Enfin, en conclusion, le Grand Sage Nichiren explique dans son Enseignement oral:

" La merveille de la simultanéité de la cause et de l'effet est la cause originelle et l'effet originel. Cette cause et cet effet originels ont pour nom Une pensée trois mille. Ils sont cause et effet de l'état originel. Ils ne sont ni la cause ni l'effet qui commencent maintenant... Dans <cause originelle>, cause signifie le titre de l'ensemencement (Myoho Renge Kyo). Dans <effet originel>, effet signifie devenir le bouddha. Ce qu'on appelle la cause, c'est l'entendement de la foi ".



















I N D E X





Ainsi venu _ skt. tathagata, jap. nyorai. Un des dix qualificatifs du Bouddha. Celui qui est parvenu à la réalité même, et celui qui en est venu < Ainsi >. Nichiren indique: " En vertu du principe, on dit < Ainsi > et en vertu de la sagesse on dit < Venu >" .

Auditeur _ (état d'). skt. shravaka, jap. shomon. Fait partie des deux véhicules avec l'état d'éveil par les facteurs. Etat désignant celui qui écoute l'enseignement du Bouddha. Sortant du cycle des six premiers états, il est la première des quatre voies saintes. Cet état de vie se caractérise par la recherche de la Voie bouddhique et se transmue en état d'éveil par les facteurs lorsqu'il s'y engage.

Bodhisattva _ (état de). jap. bosatsu. Celui qui aspire à l'éveil. L'état de bodhisattva est le neuvième des dix états. Dans l'enseignement du petit véhicule, ce qualificatif concerne le bouddha Shakyamuni dans ses vies antérieures. Dans l'enseignement du grand véhicule, il désigne une qualité potentiellement existante en chaque forme de vie. Cet état se caractérise par une bienveillance infinie envers tout ce qui est.

Bouddha pour soi _ Voir Eveil par les facteurs.

Cent Mondes ou états _ Principe formulé par Zhiyi, sur la base du Sûtra du Lotus, selon lequel chacun des dix états contient les dix états. Ce calcul sert de base à l'édification de la théorie de " Une pensée trois mille ". Deux lectures des états ou mondes sont alors envisageables:

1) l'état étant la qualité subjective du ressenti individuel, tout être dans un état quelconque peut faire surgir n'importe lequel des dix autres états à chaque instant.

2) la forme de l'être étant son état objectif dominant, ou monde, il contient potentiellement les dix états et en exprime un, à chaque instant, sur un plan subjectif.

Chu _ Véritable voie du Milieu. Le " milieu ", selon l'école Tiantai, se perçoit dans une lecture unique de la triple vérité. " Une couleur, une odeur sont sans aucun doute de la voie du milieu ". Notre école suit évidemment cette approche théorique et son fondateur Nichiren la cristallise dans la triple forme de l'éveil originel. A distinguer de la voie moyenne de Nagarjuna qui, elle, repose, pour certains commentateurs, sur le concept de la vacuité (ku). Notons, en outre, que le terme de " milieu ", qui évoque une égale distance entre des extrémités, n'est guère adéquat puisque philosophiquement ce concept englobe l'extrémité évoquée par l'existence conditionnelle (ke), ainsi que celle évoquée par la vacuité (ku) de l'existence.

Cinq agrégats _ skrt. Skandha, jap. Go On. Appellation des cinq composantes provisoires et circonstancielles de toute forme. Ces composantes étant elles-mêmes composées nous les nommons agrégats. " Go " signifie cinq, et " On " a originellement pour sens d'obscurcir, d'accumuler, de voiler et de cacher l'aspect réel pour les neuf premiers états. Dans l'éveil, ces mêmes agrégats accumulent le bonheur, la liberté et sont " voilés " de compassion. Ce sont:

shiki: couleur, matière, forme. Les six organes des sens sont inclus dans cette définition du fait matériel.

ju: perception. Fonction des six sens. C'est le contact de la pensée momentanée avec son environnement.

so: image en soi, représentation. Cadre mnémonique et affectif résonant des marques laissées par les "objets" physiques et mentaux.

gyo: volition, décision d'acte. Résultante de l'image en soi s'appliquant à l'objet perçu.

shiki: conscience de l'acte. Qualité sensible du discernement permettant la modification ou le maintien de la perception, de l'image en soi, de la volition et en conséquence de la matière. En cela, elle exprime une qualité de support et d'intégration des quatre autres agrégats. Cette conscience, dans les écoles Tiantai et Nichiren, possède neuf niveaux de profondeur, le dernier étant l'éveil originel.

Le premier des agrégats correspond à la " matière ", les quatre derniers à " l'esprit ". En conséquence, les quatre derniers n'existant que sur la base du premier celui-ci n'en est jamais dépossédé, quelque soit la finesse relative de l'observateur. Selon notre école, il n'existe pas de matière sans perception, image en soi, volition et conscience de l'acte, inversement, il ne peut se faire qu'une conscience existe sans support. De fait, considérant la non dualité de la matière (1° shiki) et de l'esprit ( ju.so.gyo.shiki), l'aspect ou matière montre la causalité hors le temps de la conscience et celle-ci, d'évidence, l'influence à chaque instant.

Cycle des six voies _ jap. Rokudô rinne. Ce concept qualifie la réalité ordinaire de toute forme dans les trois phases du temps. Selon ce concept, les êtres errent depuis un passé sans origine dans les six premiers états qui sont: l'enfer, l'avidité, l'animalité, la colère, la tranquillité et la joie temporaire. L'audition et la mise en pratique de l'enseignement de l'Ainsi venu ouvre alors l'accès aux quatre états de vie supérieurs appelés "les quatre voies saintes".

Ces quatre états de vie supérieurs sont particuliers à l'enseignement qui les engendrent et, par là même, les enseignements non bouddhiques ne les conceptualisant pas ne peuvent y mener.

Deux véhicules _ Voir le septième et le huitième états: Auditeur et éveil par les facteurs.

Dharma _ terme sanskrit dont la racine [dhr] signifie soutenir. Il s'agit donc de l'architecture provisoire de tout forme. Communément, le "d" minuscule pour dharma nomme les multiples phénomènes, alors que le "D" majuscule indique la Loi ou l'enseignement du Bouddha.

Dix Ainsi _ (junyoze). Principe de réalité exprimant la sagesse du bouddha et ne figurant que dans la traduction du Sûtra du Lotus effectuée par Kumarajiva (344-413). Dans le deuxième chapitre, Hoben, il est révélé:

" Seulement de bouddha à bouddha l'aspect réel des dharma est saisi dans son intégralité.

Ce qui signifie que pour tous les dharma:

Ainsi est l'aspect, la forme,(nyoze so)

Ainsi est la nature, le caractère,(nyoze sho)

Ainsi est l'essence, la corporéité,(nyoze tai)

Ainsi est la capacité, le pouvoir,(nyoze riki)

Ainsi est la production, l'élaboration,(nyoze sa)

Ainsi est la cause inhérente, le karma,(nyoze in)

Ainsi est le facteur, la condition,(nyoze en)

Ainsi est l'effet,(nyoze ka)

Ainsi est la rétribution,(nyoze ho)

Ainsi est l'absolue égalité de l'origine et de la fin".(nyoze hon matsu kukyoto)

Cette théorie ouvre sur l'identité de principe entre toute forme et le Bouddha, elle éclaire également l'inconcevable pérennité des dharma.

Dix états _ (jikkai). Ou dix mondes. Définition des qualités de vie propre à tous les phénomènes. Nous distinguons d'une part le ressenti subjectif factoriel (état), potentiel en toute forme, d'autre part le fait que chaque forme exprime une réalité objective (monde). Le cheval, bien qu'exprimant objectivement un type particulier d'animalité, peut ressentir la colère, la joie, la souffrance ou tout autre état subjectif. Ainsi, les dix états existent sous l'aspect latent en tout être, quelque soit le monde de représentation inhérent à ses capteurs et donc à sa forme propre, qui elle, exprime le monde de l'animalité, le monde humain ou celui de la colère, etc... Ces dix états sont:

- l'état d'enfer, (jap. jigoku)

- l'état d'avidité, (jap. gaki)

- l'état d'animalité, (jap. shikusho)

- l'état de colère, (jap. shura)

- l'état d'humanité ou tranquillité, (jap. nin)

- l'état de joie temporaire ou ciel, (jap. ten)

- l'état d'auditeur ou d'étude, (jap. shomon)

- l'état d'éveil par les facteurs, (jap. engaku)

- l'état de bodhisattva, (jap. bosatsu)

- l'état de bouddha. (jap. butsu)

Nichiren déclare dans son " Enseignement Oral " que les dix mondes existent à l'origine. Cela signifie que, du fait de la simultanéité de la cause et de l'effet depuis un passé hors le temps, la réalité de la forme/pensée exprimant un monde ou un autre est l'ultime réalité de chaque dharma provisoire.

Dix mondes _ voir dix états.

Eveil par les facteurs _ skt. pratyekabuddha / jap. engaku. Huitième des dix états. L'un des deux véhicules avec l'état d'auditeur. A l'origine, ces êtres autrefois Auditeurs, ressentent partiellement l'éveil en percevant l'impermanence des phénomènes ou les douze liens causaux. Cet état indique l'apparition de l'éveil "progressif" dans la vie de l'être ordinaire qui entre dans la voie bouddhique. Du reste, ces éveils partiels sont la Voie.

Gishin _ (781-833) Premier successeur du grand maître Dengyo (767-822) dans l'école japonaise Tendai. Dernier tenant de l'orthodoxie quant à la pensée de Zhiyi.

Hoben _ ( moyens). deuxième chapitre du Sûtra du Lotus. Partie la plus importante de la doctrine théorique (14 premiers chapitres). Il y est notamment expliqué que la sagesse humaine la plus grande se heurte a un " seuil difficile à franchir ":< les multiples phénomènes sont l'Aspect réel >.

Huisi _ (515-577). Deuxième fondateur de l'école chinoise du Tiantai. Disciple de Huiwen et Maître de Zhiyi.

Huiwen _ (entre 450 et 550). Premier fondateur de l'école Tiantai, Maître de Huisi. Introduisit les concepts de voie moyenne (chu) et d'éveil soudain.

Juryo _ (durée de la vie). seizième chapitre du Sûtra du Lotus. Partie la plus importante de la doctrine essentielle (14 derniers chapitres). Il y est évoqué, entre autres, l'accès à l'éveil de Shakyamuni dans un passé extrêmement lointain, sa non apparition et non disparition dans les trois phases du temps, la véritable cause, le véritable effet et la véritable terre. Selon Nichiren, l'objet fondamental de vénération apparait en filigrane lors de cette cérémonie.

Ke _ existence temporaire, mutabilité évidente des choses, non substance fixe de tous les dharma (phénomènes).

Kosa _ Abréviation de l'Abhidharma kosa sastra écrit par le savant indien Vasubandhu, vers la fin du 4°siècle.

Ku _ skt. sunyata. vacuité, vide, latence.

Les phénomènes étant composés à chaque instant, leur naissance et leur mort simultanées implique une non permanence d'un quelconque "en-soi". Ce concept se déduit de la mutabilité de l'existence (ke). Selon certains, Nagarjuna semble avoir donné à ce concept une prétention "médiane" en cela que la vacuité peut se définir comme ce qui n'est ni existence ni non existence. Cette réduction superficielle est alors un seuil difficile à franchir pour les écoles négligeant le Sûtra du Lotus.

Miao Lo _ (711-782) Sixième patriarche du Tiantai chinois à partir de Zhiyi. Ses commentaires sur l'oeuvre du maître Zhiyi sont réputés permettre un accès plus facile à sa pensée.

Mille Ainsi _ Ce calcul, dix états multipliés par dix états multipliés par dix ainsi, participe de l'élaboration du principe de " Une pensée trois mille " de Zhiyi. Cela signifie qu'il n'est pas une forme percevante, pas une forme percue dont l'essence ne soit éclairée et élucidée par Shakyamuni dans son explication des dix Ainsi.

Nagarjuna _ Grand penseur indien entre 150 et 250 après J.C. Ecrivit de nombreux commentaires sur les sûtra du mahayana. Connu en particulier pour son élaboration de la " Voie moyenne" ou Madhyamika, édifiée sur la base de la vérité de la vacuité.

Nichiren Daishonin _ (1222 - 1282). Fondateur en 1253 de l'école bouddhique Japonaise Nichiren Shoshu. S'inscrit dans la lignée de Shakyamuni en Inde, Tiantai et Miao Lo en Chine et enfin Dengyo au Japon. Considéré par l'école Nichiren Shoshu comme étant le Bouddha de la Cause Originelle ou Bouddha Fondamental.

Nirvana _ A l'origine, délivrance des souffrances de toutes sortes. Selon certaines écoles en sortant du cycle des naissances et des morts, selon d'autres en réalisant cette qualité de son vivant sans trancher ses propres troubles.

Non dualité de la matière et de l'esprit _ jap. Shiki shin funi. Un des dix principes de non dualité formulés par Miao-Lo (711-782) dans son commentaire du Hokke Gengi de Zhiyi. Nichiren dira par la suite: " La non dualité de la matière et de l'esprit est l'ultime". Ce principe, qui relève de la médianité originelle, relégue dans le camp du monisme spiritualiste la grande majorité des écoles de pensée de l'origine à nos jours.

Non dualité du principal et du support _ jap. Esho funi. Egalement formulée par Miao-Lo, cette non dualité de l'être et de l'environnement indique le champ d'application des rétributions directes et indirectes des actes. Elle explicite, avec la non dualité de la matière et de l'esprit, la totale égalité de l'origine ( l'aspect de la forme et sa perception particulière du monde des formes) et de la fin (la rétribution dans la matière du corps et de l'environnement). Le principal correspond à l'être ou à la subjectivité, le support correspond lui à l'environnement ou à l'objectivité. En d'autres termes, tant ce sur quoi l'efficience momentanée s'appuie que ce sur quoi elle s'exerce est nécessairement causal et simultané à celle-ci dans la non durée.

Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur. _ jap. Dai Gohonzon. Objet inscrit par le grand sage Nichiren le 12 octobre 1279, comme étant le but ultime de sa venue en ce monde. De même que tout objet, tout dharma, ce ne peut être un symbole. Cet objet possède en effet les caractéristiques suivantes:

- Seul et unique Dai Gohonzon de l'estrade des préceptes de l'enseignement originel,

- Coeur du chapitre "Durée de la vie" de l'enseignement originel,

- Grande Loi cachée au fond des écrits,

- Terre originelle difficile à concevoir,

- Fusion de la sagesse et du lieu,

- Entité du Nyorai,

- Existence fondamentale et éternelle des dix états,

- Corps qui spontanément reçoit et emploie depuis le passé hors le temps,

- Matérialisation de " Une pensée trois mille",

- Unité de la personne et de la Loi.

Passé hors le temps _ jap. Kuon ganjo. Kuon représente l'infini temporel et ganjo signifie la racine, l'origine. Dans les termes de la logique usuelle, pour qui le temps est une durée "physique", les deux mots sont difficilement associables. Cependant, dans notre optique Kuon est l'instant originel absolu, dont nous dirons qu'il est "équivalent" à l'instant présent (kuon soku mappo), alors que Ganjo nomme l'éveil véritable atemporel en terme d'effet. Dès lors, on ne peut "voir" le passé hors le temps de notre vie que dans l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection. Nichiren Daishonin explique dans son Enseignement Oral:

" Kuon ne varie pas ni n'est créé; il est tel qu'à l'origine. Le Bouddha permanent existant à l'origine est tel qu'à l'origine. C'est ce que l'on nomme Kuon ".

Production en dépendance _ skrt. Pratitya samutpada, jap. Engi. Ce concept établit que tous les êtres, choses ou phénomènes ne peuvent apparaître qu'en utilisant, dans une réunion provisoire, l'existence d'êtres ou de phénomènes. Rien ne peut exister de sa propre volonté dans l'indépendance absolue des autres choses. Ce concept ouvre sur la simultanéité de la cause et de l'effet depuis le passé hors le temps, et sur les non dualités de la matière et de l'esprit, de l'être et de l'environnement.

Rétributions directes et indirectes _ jap. shoho et eho.

shoho: sho, signifie sujet, le principal. Globalement cela désigne les cinq agrégats et les individualités ou groupes d'affinité.

eho: e, signifie dépendre, le support. Cela nomme les lieux, les territoires.

ho: dans les deux cas signifie rétribution des actes.

Le corps et l'esprit de l'être relèvent donc de la rétribution directe et son environnement, en tant que support, de la rétribution indirecte. Selon une autre lecture, la perception d'un monde de formes adaptées, ou " sagesse ", est la rétribution directe, l'environnement est la rétribution indirecte et les cinq agrégats, constitutifs de toute forme/pensée, relèvent des rétributions indirectes pour le premier et directes pour les quatre autres.

Simultanéité de la cause et de l'effet _ jap. Inga guji.

Réalité inconnue par les tenants des doctrines rejetant le Sûtra du Lotus. Son titre, Myoho Renge Kyo en Japonais, contient, entre autre, le principe lui-même. Zhiyi à ce sujet déclare: " A présent, le mot < Renge > ne doit pas être compris comme un symbole... Il est pur et sans tache et explique les subtilités de la cause et de l'effet. Le nom de < Renge >, ou fleur de lotus, a été donné à cet enseignement. Ce nom désigne la véritable entité du Sûtra du Lotus et n'est ni une comparaison ni une image ". Appelée "la merveille" dans notre école, elle reste inconcevable pour qui distingue entre réalité et sagesse, entre multiples phénomènes et aspect réel, entre cause et effet. Cette simultanéité contient les dix états dans les dix états, les dix ainsi et les trois différenciations depuis le passé hors le temps, et s'exprime perpétuellement dans la forme provisoire des phénomènes. Sa réalité "physique" permanente et inconcevable est, dans l'éveil, Myoho Renge Kyo et l'Objet fondamental.

Stupa précieux _ Stupa contenant les "reliques" du Bouddha Taho et sortant de la terre dans le onzième chapitre du Sûtra du Lotus. La présence de ce stupa, ainsi que celle du Bouddha Taho, authentifie l'éveil originel du Bouddha Shakyamuni dans le passé extrêmement lointain. Nichiren en dira: " A l'époque des derniers jours de la Loi, il n'existe d'autre stupa précieux que les hommes et les femmes qui pratiquent le Sûtra du Lotus. Il s'ensuit donc que ceux qui récitent Nam Myoho Renge Kyo, quel que soit leur statut social, sont eux-mêmes le stupa précieux.."

Sûtra du Lotus _ skt.Saddharma pundarika sûtra.

chin. Miaofalianhuajing. jap.Myoho renge kyo.

Titre complet: Sûtra de la fleur de lotus de la loi merveilleuse. Texte mahayaniste indien dont plusieurs traductions ont été effectuées. La plus largement utilisée est celle de Kumarajiva (344-413). Ce texte sert de référence principale aux écoles Tiantai et Nichiren.

Tiantai _ Ecole bouddhiste née en chine au 6° siècle, portant le nom du mont où s'est retiré le moine Zhiyi, appelé par certains " Tiantai " pour cette raison.

Trois corps (du bouddha) _ skt. Trikaya. Ce sont:

- le Corps de la Loi, (Dharma kaya / Hosshin)

- le Corps de rétribution, (Sambhoga kaya / Hoshin)

- le Corps de communication, (Nirmana kaya / Ojin).

Trois différenciations _ San seken.ou domaines.

Ces trois différenciations sont:

- les cinq agrégats (go on). Voir index.

- les groupes d'affinité, peuples, êtres. " Ce qui existe uniquement de nom ". Groupe d'affinité modélisant la forme/pensée provisoire individuelle. (shujo). Nichikan Shonin indique: " Les individualités sont classées selon les dix états et sont constituées par la conjugaison temporaire des cinq agrégats. La boddhéité est l'état suprême des individualités ".

- les lieux perçus, les territoires (kokudo). Nichikan Shonin souligne que ce sont " les demeures de toutes les individualités des dix états ".

Ces trois différenciations participent, avec les dix états et les dix ainsi, de la théorie de "Une pensée trois mille".

Trois grands Dharma ésotériques _ San Dai Hiho.

Objet de la transmission essentielle effectuée par Shakyamuni à Jogyo lors de l'enseignement du Sûtra du Lotus. Ce sont:

- l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur,

- Nam Myoho Renge Kyo,

- l'Estrade des préceptes de la doctrine originelle.

Une pensée trois mille. (ichinen sanzen). Une pensée (ichinen) désigne le laps de temps le plus court, dans l'existence de la forme/pensée. Trois mille est indicatif de la multiplicité des dharma dans le temps et l'espace. Cette somme de trois mille vient des dix états dans les dix états, des dix ainsi et des trois différenciations ou domaines. Cette théorie découlant de l'éveil prend forme dans Myoho Renge Kyo et l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection.

Vasubandhu _ Lettré bouddhiste indien ayant vécu entre le 4° et le 5° siècle de notre ére. Considéré comme le vingt et unième des vingt quatre successeurs du Bouddha Shakyamuni.

Voie du Milieu _ voir chu.

Zhiyi _ (538-597). Fondateur de l'école Tiantai. Successeur des moines Huiwen (?) et Huisi (515-577) qui élaborèrent la véritable voie médiane et le principe de l'unité des trois vérités ( ku.ke.chu). Zhiyi affirma et démontra la supériorité du Sûtra du Lotus à son époque.

Son disciple Tchang-ngan compila ses cours sur le Sûtra du Lotus. Ce sont le Hokke Gengi ( Sens profond du Sûtra du Lotus ), le Hokke Mongu ( Mots et phrases du Sûtra du Lotus) et le Maka Shikan (Grande concentration et intuition). Dans ce dernier, Zhiyi révèle le domaine de l'insondable ou le principe théorique d'ichinen sanzen ( Une pensée trois mille ).

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72 _ Les doctrines de l'école Japonaise Tendai. J.N.Robert. ed. Maisonneuve et Larose. Paris 1990. P. 310

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74 _ La doctrine de Nichiren. G.Renondeau.

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75 _ Revue "Le Bouddhisme de l'Ecole Fuji".

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76 _ Instant et cause. Lilian Silburn.

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77 _ Revue "Le Bouddhisme de l'Ecole Fuji".

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78 _ La concentration de la marche héroïque.

( Suramgamasamadhisutra).Trad. E.Lamotte. Institut Belge des hautes études Chinoises. Bruxelles 1975. P. 154

79 _ Les doctrines de l'école Japonaise Tendai. J.N.Robert. ed. Maisonneuve et Larose. Paris 1990. P. 345

80 _ ibid. P. 132

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82 _ Traité de la Grande Vertu de la Sagesse. Nagarjuna.

Tr. E.Lamotte. Institut Orientaliste. Louvain 1976. P. 2132

83 _ Le Lotus de la Bonne Loi. Trad. E. Burnouf.

ed. A. Maisonneuve. Paris 1973. P. 224

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( Suramgamasamadhisutra).Trad. E.Lamotte. Institut Belge des hautes études Chinoises. Bruxelles 1975. P. 144

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86 _ Revue "Le Bouddhisme de l'Ecole Fuji".

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87 _ Principes fondamentaux du Bouddhisme. Y. Kirimura

Trad. M. Albert. Nichiren Shoshu Française 1988. P. 85

88 _ Lettres et Traités de Nichiren Daishonin.

ed. ACEP 1994. Vol. 4. P. 37

89 _ Le Bouddhisme hors de l'inde. Lilian Silburn

Fayard ed. Stock 1980. P. 109

90 _ ibid. P. 95/96

91 _ Revue "Le Bouddhisme de l'Ecole Fuji".

N° 29. Septembre 1994

92 _ Les doctrines de l'école Japonaise Tendai. J.N.Robert. ed. Maisonneuve et Larose. Paris 1990. P. 275

93 _ Lettres et Traités de Nichiren Daishonin.

ed. ACEP 1992. Vol. 1. P. 51

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N° 29. Septembre 1994

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96 _ Lettres et Traités de Nichiren Daishonin.

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97 _ Le Bouddhisme hors de l'inde. Lilian Silburn

Fayard ed. Stock 1980. P. 102

98 _ Revue "Le Bouddhisme de l'Ecole Fuji".

N° 10. Mai 1992

99 _ Revue "Le Bouddhisme de l'Ecole Fuji".

N° 20. Septembre 1993

100 _ Revue "Le Bouddhisme de l'Ecole Fuji".

N° 21. Janvier 1994

101 _ Lettres et Traités de Nichiren Daishonin.

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ed. ACEP 1992. Vol. 1. P. 102

103 _ Dictionnaire du Bouddhisme. Trad. R. de Berval

ed. du Rocher Paris 1991. P. 101

104 _ Les doctrines de l'école Japonaise Tendai. J.N.Robert. ed. Maisonneuve et Larose. Paris 1990. P. 273

105 _ ibid. P. 273

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107 _ Dictionnaire du Bouddhisme. Trad. R. de Berval

ed. du Rocher Paris 1991. P. 433

108 _ Revue "Le Bouddhisme de l'Ecole Fuji".

N° 21. Janvier 1994

109 _ Revue "Le Bouddhisme de l'Ecole Fuji".

N° 41. Aout 1995

110 _ La pensée de Gotama, le Bouddha. A.K.Coomaraswamy

ed. Pardès. Puiseaux 1987. P. 99

111 _ Dictionnaire du Bouddhisme. Trad. R. de Berval

ed. du Rocher Paris 1991. P. 101

112 _ Revue "Le Bouddhisme de l'Ecole Fuji".

N° 16. Novembre 1992.

Nombreux emprunts à " Du Bouddhisme de la lune au Bouddhisme du soleil ". Yasuji Kirimura. Nichiren Shoshu Francaise. Sceaux 1990.

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