Discours du 1° janvier 1997


Du Souverain de la Loi Nikken Shonin


J'exprime mes félicitations aux fidèles du monde entier avec qui je loue cette nouvelle année, sept cent quarante-cinquième depuis la fondation de notre école.

Lorsqu'on porte un regard sur les nombreuses religions de ce monde, en réfléchissant aux conditions susceptibles d'apporter le bonheur aux hommes, ce qui est essentiel, plus que toute autre chose, est de savoir si le contenu que ces religions enseignent montre la logique qui s'applique à l'intégralité de l'univers et de l'homme.

Au centre de cette logique, nous trouvons les deux lois de la cause et de l'effet. La cause et l'effet apparaissent selon leur contenu, ressortissant au bien ou au mal. Une bonne action entraîne un bon effet, alors qu'une mauvaise action produit un mauvais effet. L'effet, bon ou mauvais, se répartit dans toutes les vies en souffrance ou en bien-être. Autrement dit, l'effet issu d'une mauvaise action se révèle en tant que souffrance dans la vie de tous les jours, alors que grâce à de bonnes causes, un effet de félicité apparaît. Le principe de la causalité est commun, sans exception, à toutes les vies de ce monde.

Expliquer avec précision l'aspect de la causalité et développer le principe de l'infinité du bien et du mal, de la souffrance et du bien-être, constituent la première et plus importante condition d'une religion supérieure.

Ensuite, indiquer, sur la base de cet enseignement, la pratique permettant le salut de tous les êtres, représente la deuxième condition d'une religion correcte.

De plus, indiquer l'effet final, c'est-à-dire le Bouddha de l'identité de l'être ordinaire et de l'ultime, finalité de la salvation de tous les êtres et, qui plus est, en apporter la preuve réelle, représente la troisième condition.

Parmi toutes les religions du monde, seul le bouddhisme, révélé par le vénéré Shakya, répond pleinement à la première condition. En particulier, seul le Sûtra du Lotus, débarrassé de l'enseignement des moyens, enseigne de manière correcte le vaste et profond principe de la causalité universelle du monde des dharma. Pour ce qui est de la deuxième condition, seul le Sûtra du Lotus, au sein des cinq ou sept mille sûtra constituant l'enseignement de Shakyamuni, en définit les grandes lignes. Enfin, en ce qui concerne la troisième condition, celle-ci est constituée de la substantifique moelle du Sûtra du Lotus et rejoint le passé infini du Bouddha Originel. Cette condition n'est présente que dans le bouddhisme de Nichiren Daishonin, apparu pour se consacrer au salut de tous les êtres après les deux millénaires des périodes de la Rectitude et de la Semblance de la Loi.

De plus, même les contenus de la première et de la deuxième condition, pour la période actuelle de la fin de la Loi, sont compris dans la troisième condition et atteignent leur point ultime dans le Nam Myoho Renge Kyo des trois grandes lois ésotériques, propagé par notre fondateur Nichiren Daishonin.


Cette grande Loi a été transmise solennellement depuis sept siècles par la Nichiren Shoshu. A présent la vaste diffusion de cet enseignement susceptible d'apporter le véritable bonheur aux hommes du monde entier, a commencé sous la forme de l'unité du clergé et des pratiquants.

Fidèles du monde entier, vous avez rencontré ce Dharma correct grâce à votre lien avec le Bouddha. Ayez la conviction que grâce à la réalisation du corps et de l'esprit récitant Nam Myoho Renge Kyo sur la foi des orientations de Nichiren Daishonin, les oeuvres et vertus de l'éveil dès ce corps naîtront bien, seront bien nourries, se réaliseront bien et prospéreront bien.


Dans le Mushi mochi gosho, Nichiren Daishonin souligne l'importance de respecter du fond du coeur la Loi merveilleuse le jour de l'an, début de l'année: " Celui qui le célèbre verra ses vertus croître et sera aimé des autres, comme la lune qui se lève à l'ouest et, se dirigeant vers l'est, atteindra sa plénitude; comme le soleil qui se lève à l'est, s'embrase en se dirigeant vers l'ouest ".

Je conclus mon message du nouvel an en priant, pour qu'en cette nouvelle année, vous ayez la conviction que les oeuvres et vertus de la Loi correcte sont immenses et que vous progressiez dans la pratique personnelle et l'adaptation à autrui.



Nikken Shonin




Réflexions.


Lorsqu'on porte un regard sur les nombreuses religions de ce monde, en réfléchissant aux conditions susceptibles d'apporter le bonheur aux hommes, ce qui est essentiel, plus que toute autre chose, est de savoir si le contenu que ces religions enseignent, montre la logique qui s'applique à l'intégralité de l'univers et de l'homme.

Qu’une religion un code moral ou une philosophie puissent apporter le bonheur ou toute autre chose s’entend, sur le principe, dans la mesure ou ceux-ci interviennent d’une façon ou d’une autre dans la construction, par chaque être, de sa représentation du monde. En effet, se situer implique nécessairement <quelque chose> vis-à-vis de quoi on se situe. Dans ce sens, il n’est pas de pensée subjective organisée sans acte de modélisation, en termes d’acceptation ou de rejet, sur des objets physiques ou mentaux supposés pré existants à la pensée individuelle. Ce, qu’il s’agisse de modèles en tant que formes, sons, odeurs, concepts,... Or, jusqu'à ce jour diverses formes de pensée ont été arbitrairement élaborées, parfois même à des fins de correction des déviations supposées de la pensée ordinaire.

Ordinairement, ces élaborations de pensées visent à pacifier les inter-relations humaines par le biais de codes sociaux applicables à tous, ou pour le moins au plus grand nombre. Souvent, avidité oblige puisque ce n’est qu’une extension possible du premier point, leur but est seulement d’instituer ou de maintenir une quelconque et bête autocratie séculière ou non. Quelques fois encore, l’objet <bonheur> étant subjectivement défini, ces élaborations tentent-elles de définir les éléments sensés y mener ou le faire perdurer. Dans ce dernier cas, et en acceptant le fait qu’il est de bon augure d’y trouver, à défaut d’une identité, une nette similitude entre les moyens et le but, notons cependant que l’envergure de l’adaptation envisagée vis-à-vis de la réalité est toujours matrice de ses résultats lors de son application par l’être. Quoi qu’il en soit, donc, toute forme de pensée dans son actualisation est « condition » de l’existence individuelle.


Pour cette raison, dans le texte que nous traitons le terme de "condition" (En) éclaire et définit la constance et l’importance de l'environnement objectal de la pensée momentanée. Or, cet environnement objectal de la pensée individuelle est, de fait, toujours traduit par des images « d'objets » référentiels. Plus précisément, les concepts intégrés par chacun vont constituer une toile de fond sur laquelle toutes les images momentanées prendront une valeur, un sens, immédiatement ressentis en tant que sentiments. Dans ce sens, les points de vue culturels, sociaux, philosophiques ou religieux apparaissent nécessairement, en tant que références et modèles, comme "conditions susceptibles d'apporter le bonheur aux hommes". Cela implique que le contenu de ces enseignements, au même titre que ce en quoi chacun peut se référer et croire, en général, imprègne, guide, ouvre, réduit, obscurcit ou éveille la pensée qui les accepte. Par extension, il découle donc nécessairement de ce point que les diverses souffrances et joies des êtres proviennent de ce en quoi ils croient, et ces objets conceptuels, intégrés par chacun, engendrent forcément leur propre résonance qualitative en l’esprit, les actes, et le corps du sujet les hébergeant.


Ces grandes lignes générales définies et pour en revenir à l’enseignement du bouddha, il faut noter que le terme "apporter" ne renvoie certes pas à un contenu dont l'acquisition serait en soi source d'un ineffable bonheur tombé du ciel mais à un éclaircissement permettant, par l’entremise de l’intégration en soi de cette éclaircie, de faire coïncider nos actes momentanés avec notre propre réalité événementielle. Dans un premier temps cela prendra la forme d’une reconstruction de plus en plus riche et adaptée du fait perceptif/réactif, en final il s’agira de l’éveil suprême à l’aspect réel des phénomènes. Pour conclure cette approche des incontournables résonances induites par le fait d’adhérer à.., on ne peut donc, semble t-il, réellement apprécier le contenu d'une doctrine qu'à l’aune des actes et de la qualité de vie obtenue par ceux qui l’enseignent ou l'appliquent. Dans ces conditions, effectivement, il est parfaitement indispensable "de savoir si le contenu que ces religions enseignent montre la logique qui s'applique à l'intégralité de l'univers et de l'homme".

Il s’agit donc, loin d’un quelconque « platonisme » ou d’un « scientisme » moderne, d’exposer au grand jour la nature du schème faisant office de structure pour toute forme. Nous soulignons en effet qu'une telle logique, dont le cadre est ici défini :"l'univers et l'homme ", se place naturellement dans la perspective d'éclairer tant la nature de l'observateur, l'homme, que celle des objets perçus, l'univers. Or, l’enseignement de l’éveillé traite de la fusion de la sagesse avec le réel, c’est-à-dire les multiples phénomènes, puisque loin des envolées lyriques relatives à la grandeur divine du fait spirituel, la sagesse n’a comme source, comme application et comme mesure sensible que sa constante relation à l’événementiel. Toutefois, il faut en convenir, la très grande majorité des logiques interprétatives édifiées jusqu'à présent ont été élaborées, soit à partir du seuil incontournable de la perception humaine, comme si celle-ci était l’étalon parfait et objectif de la mesure du vrai, soit, et pis encore, à partir d’une « révélation » plus ou moins fumeuse, ce qui a pour néfaste effet d’éloigner la perception de ses caractéristiques subjectives pour l’amener à celles, ô combien plus vaines, de l’onirique.

De notre point de vue donc, tant la logique des apparitions et disparitions phénoménales que celles, en reflet et donc inversées, des représentations en l’esprit de ces mêmes apparitions et disparitions sont là d’évidence concernées par cette "logique". De plus, selon notre école, non seulement l’univers, en tant que fait en lui-même, et non simplement en tant qu’image subjective réfléchie en l’observateur, est ultimement existant, sans origine ni fin, mais, en outre, est toujours constitué d’observateurs et d’objets perçus. Pour le Bouddha, en effet, tout dharma, tout phénomène, étant fait causal, est nécessairement constitué de matière et d’esprit, c’est-à-dire qu’il existe en terme de perception/réaction exprimant nécessairement un état subjectif et sensible. Il y a donc, dans le même instant, une infinité de sujets percevants des objets, ces derniers eux mêmes sujets percevant des objets1. D’autre part, s’il y a fait causal, il y a forcément contiguïté de l’antériorité et de la postériorité et nous soutenons, pour ce qui nous concerne, que la cause et l’effet, en tant qu’ossature de la forme/pensée provisoire, sont simultanés. Ceci pour couper court aux théories puériles, d’inspiration spiritualiste, qui s’égarent dans la recherche d’un authentique « soi-même » hors le phénoménal immédiat.

Pour plus de précision, nous citerons ce propos de Miao-Le i :

« Aspect réel donc multiples phénomènes ; multiples phénomènes donc dix Ainsi ; dix Ainsi donc dix états ; dix états donc le principal et son support ».

En bref, il est établi dans cette phrase que si l’aspect réel, ultime puisque atemporel, ne peut se trouver que dans le mouvement phénoménal, il n’est, explicitement, aucun état, de l’enfer à l’éveil suprême, qui ne puisse se trouver ailleurs que dans « le principal », soit le fait perceptif, « et son support », ou le corps et l’environnement de celui-ci. Cela est vrai, tant dans le sens où l’observateur et l’observé sont des états s’exprimant dans la forme, que dans le sens où les perceptions, de l’un comme de l’autre, sont l’expression de l’état provisoire de chacun de ceux-ci. En outre, chacun des aspects du monde phénoménal concernant un observateur est non seulement « fait sensible » en terme de perception/réaction, mais de plus condition nécessaire de la perception de l’observateur, puisque déterminée par celle-ci. Dès lors, aucun état ne se situe hors la forme, aucune forme n’est dénuée d’état, et chercher un mieux être en abandonnant le corps est typique du non-sens où conduisent les formes diverses du manque de sagesse. Le Daishonin à ce propos déclara : « C’est parce que l’on ne connaît pas la Loi merveilleuse de la simultanéité de la cause et de l’effet que se forment des doctrines entachées d’erreurs. Ne l’oubliez surtout pas. »

Dans le même axe de pensée, Shakyamuni enseigna : « Quand les agrégats* (matière, perception, image en soi, volition et conscience de l’acte) apparaissent, déclinent et meurent, ô moines, à chaque instant vous naissez, vous déclinez, vous mourez ».

Il en ressort que les non dualités de la matière et de l’esprit, de l’être et de l’environnement, s’expriment à travers les naissances et morts instantanées et, là, se trouve indiscutablement la merveille de la simultanéité de la cause et de l’effet. Tel est le regard porté par les éveillés sur la réalité phénoménale. De cette approche, il découle d’une part que, rien n’étant acausal tout phénomène est composé d’une manière unique dans l’instant, d’autre part que, la forme/pensée étant à la fois effet et cause, le réel n’est continûment qu’un assemblage provisoire de matière, de perception, d’image en soi, de volition et de conscience de l’acte, dans un lieu objectal.

Il peut paraître trivial de souligner que le rapport aux choses et aux événements est incontournable dans le fait d'être. Cependant, pour aller plus avant, il n’est, selon la citation de Nichiren, pas de non-être puisque la cause et l’effet de la forme/pensée momentanée sont simultanés. En outre, la simultanéité de la cause et de l’effet de la forme/pensée s’associant avec la non dualité de la cause et des facteurs extérieurs, il en découle l’absolue continuité du fait perceptif et des objets afférents puisque, le percept étant incontestablement une construction, celui-ci ne peut ni se cristalliser d’une manière aléatoire, ni sans objets référentiels antérieurs. En conséquence, l'ignorance de l'aspect réel de soi-même et de l'environnement ne peut donc constituer la base d'une perception efficace et suffisante quant à la production du bonheur individuel et collectif.

Or, si certaines doctrines dérivant du « révélé » ne considèrent pas la sagesse comme étant l'outil unique et rare du positionnement de chacun, remplacer celle-ci par la foi en ce que l'on ne peut comprendre équivaut, la preuve en est, à l'incompréhension de soi-même et du reste. Sous cet angle, et loin de la notion de miracle dont l'acausalité seule justifie la non-production de sagesse en l'être, l'apparition en soi, grâce à cette "condition", d'une perception plus réaliste du monde objectal nous semble effectivement permettre la production d'une plus grande liberté et, par conséquent, d'un bonheur plus stable puisque engendré à chaque instant.

De fait, on ne peut trouver de réel bonheur et d'absolue liberté autre part que dans l'acte momentané, et celui-ci n'est, très certainement, jamais dépendant des circonstances. Ou, si l'on préfère, considérer l'acte comme dépendant des circonstances équivaut à s'emprisonner dans l'effrayante infinité poisseuse des justificatifs de toutes sortes, alors que produire des valeurs quelles que soient les conditions est bonheur/liberté. Dans ce sens, cette "logique" doit forcement éclairer la nature des apparitions et disparitions phénoménales ainsi qu’expliciter leur raison d’être. Elle doit également permettre à l’individu de percevoir, en lui, l’origine de sa production perceptive particulière, la nature de cette volonté consciente/inconsciente d’élaborer d’une manière unique l’agencement phénoménal de son existence et, par là même, lui donner les moyens de se dégager d’obscures et trompeuses formules telles que le hasard, le destin, la chance et la malchance.


"Au centre de cette logique, nous trouvons les deux lois de la cause et de l'effet. La cause et l'effet apparaissent, selon leur contenu, ressortissant au bien ou au mal. Une bonne action entraîne un bon effet, alors qu'une mauvaise action produit un mauvais effet".

La phrase "Au centre de cette logique, nous trouvons les deux lois de la cause et de l'effet" cerne parfaitement le squelette incontournable de toutes les élaborations de la pensée humaine. Il n'est, chacun peut le constater, pas de logique à propension "explicative" sans interprétation particulière des causes et des effets des choses de ce monde. Toutes les doctrines philosophiques, morales ou religieuses "vendent", c’est le mot, un effet certain pour tel ou tel type de cause, à défaut d’élucider clairement l’événementiel présent. En outre, plus généralement, il n'est pas d'acte, issu forcément du sentiment subjectif du vrai, qui ne s'appuie sur une logique plus ou moins claire de la relation de cause à effet. Or, si diverses notions de cause et d'effet charpentent les regards portés sur les origines et les fins de l'observable, il va de soi que les résonances en découlant ne peuvent s'estimer que dans l'adaptation, ou la non adaptation, de chacun à la réalité sensible des êtres et des choses.

Cependant, notons que la lecture humaine et usuelle des causes et des effets s'effectuant dans un cadre temporel et spatial, celle-ci s'enlise elle-même dans l'incompréhension des phénomènes puisque la cause et l'effet deviennent, là, arbitrairement séparés l'une de l'autre par le temps et par l'espace. La représentation de la « consécutivité » égare et mine les esprits les plus subtils, semble-t-il. En conséquence, il découle naturellement de cette projection que, ordinairement, rien ne peut être perçu en tant que tel, rien n’est explicable hormis l’inutile et nébuleuse liste des facteurs supposés avoir concouru à..., et rien n'est à plus forte raison prévisible du fait de ce cadre déformant issu des lectures anthropocentriques sous-tendant les diverses cultures, philosophies et religions.

Pour ce qui nous concerne, nous tenons pour vrai que la cause et l’effet sont simultanés, et ce concept implique de s’attarder un instant sur le fait que seule la production (effet) dans l’instant est apparition (cause) d’une réalité. Dans notre logique, effectivement, il nous semble irréaliste de ne pas considérer l’efficience momentanée, ou production, en tant qu’effet du passé sans origine, et cette même efficience en tant que cause du futur sans fin. Or, si la sagesse résultant de l’éveil éclaire la simultanéité de la cause et de l’effet, elle traite également, nous venons de l’évoquer, de la non dualité de la cause inhérente et des facteurs. La cause est ce qui, immédiatement antérieure au fait perceptif, agence en permanence la production événementielle momentanée et la Une pensée simultanée à cette production. Dès lors, s’il est patent que l’événementiel momentané et la Une pensée en reflet d’un sujet sont bel et bien sa production, son karma, il n’est pas moins vrai que la conscience immédiate, elle, est, sur le principe, totalement libre. Libre et remodelant continûment la cause inhérente produisant à nouveau l’événementiel puisque la cause et l’effet, simultanés, ne sont en fait qu’une seule et même inconcevable et permanente chose. En d’autres termes, chercher l’origine de la causalité dans le phénoménal et, par là même, situer celle-ci dans le passé, est, à nos yeux, une absurdité ayant pour effet de recouvrir la production momentanée, seule à produire la réalité individuelle puisque continûment auto engendrée par toute forme.

Ce principe de réalité est difficilement contournable et, si l’on creuse plus avant, les multiples choix personnels axés sur un vrai relatif sont, là, bien évidemment concernés dans le sens où n’apparaît pour chacun que ce qu’il engendre. Dans un même axe de pensée, l’actuel Souverain de la Loi a très clairement expliqué : "Votre aspect présent est un effet, une rétribution révélée sous la forme de votre aspect. C’est parallèlement la cause qui modèle votre aspect futur. Pour celui qui pense être déshérité, cette situation est l’apparition de la rétribution du passé. Or, sa réaction à cette situation provoquera la rétribution dans le futur".

Il ressort de cette citation que, si le présent peut s’expliquer bêtement et <mécaniquement> par le poids du passé, ce constat implique l’évidence d’un futur <identique> qui ne saurait manquer de se produire en résonance. Ce qui, de fait, ne se peut, puisque la notion même d’identité de quoi que ce soit, dans le temps quant à lui-même ou vis-à-vis d’autre chose, est parfaitement subjective et onirique et n’a, pour fonction, que celle de masquer, à tort, l’événementiel mouvant d’un illusoire sentiment d’identité ou de fixité. Dans ces conditions il apparaît que seule la forme/pensée momentanée individuelle est matrice d’un temps et d’un espace qui, eux, sont d’évidence subjectifs. Le réel ne s’exprime donc que par la production dans l’instant.

Ce point établi, il est paradoxalement aisé de constater que le décalage entre le choix de la croyance et la manière de vivre la réalité quotidienne par chacun est tellement peu régulé par une recherche de sagesse et de liberté qu'il n'est bizarrement même pas question, pour le plus grand nombre, de relier le contenu de sa croyance à sa qualité de vie. Or, de même que pour l'apprentissage le plus banal, à quoi pourrait donc servir de produire ou de se rattacher à une façon de penser et d’agir si ce n'est pour acquérir aisance, satisfaction et plénitude vis-à-vis des phénomènes concernés?


Cela étant, considérons maintenant la qualité sensible inhérente à l'existence : "La cause et l'effet apparaissent selon leur contenu, ressortissant au bien ou au mal".

Deux lectures nous semblent là envisageables.

La première, extérieure, consiste à considérer le phénomène se produisant, en tant que cause ou en tant qu'effet, comme chargé d'un contenu identifié par les termes subjectifs de bien ou de mal. Dans leur quotidien les êtres ressentent effectivement, selon leur position particulière vis-à-vis d'un phénomène, un sentiment subjectif de plus ou de moins, de gain ou de perte, d’anxiété ou de tranquillité, de joie ou de souffrance. Cette première lecture, inhérente à la causalité linéaire, induit des sentiments divers et opposés tels: la chance ou la malchance, le hasard ou le destin, la pureté ou l'impureté, la liberté ou la contrainte, le vouloir et l'impossibilité. Tel est, pour l’humain, le cadre ordinaire de ses plaintes et errances de toutes sortes.

La seconde lecture, intérieure, envisage la simultanéité de la cause et de l'effet comme étant l'incontournable armature double du phénomène et de l'observateur. Dans cette approche, le "contenu ressortissant au bien ou au mal" ouvre davantage sur la qualité de l'acte momentané de perception ainsi que sur la qualité intrinsèque au phénomène observé, eux-mêmes à la fois cause et à la fois effet, que sur une pseudo qualité inhérente à la relation entre l'observateur et le phénomène. Pour exemple, il est illusoire de penser que l’on souffre à cause de...quelque chose, on ne souffre que des images par nous projetées et celles-ci ont pour effet de masquer la réalité même de l’événement. Dans le cadre de cette logique Nichiren Daishonin explique effectivement: "L'insensé reçoit lourdement les fautes légères du passé alors que le sage reçoit légèrement les fautes lourdes du passé". Dès lors, le terme de "contenu " nomme la sagesse ou l’ignorance résidant dans l'acte momentané de perception/réaction et non une charge "lourde ou légère" provenant du passé, puisque les événements sont, non pas neutres car exprimant un état, une qualité, mais assurément décryptables, utilisables et modifiables puisque causaux. En somme, seule la sagesse dans l'instant définit le poids ou la légèreté de l'infinité du passé, et tant les notions diverses d'accumulation de fautes ou d'oeuvres de bien, que celles relatives aux capacités ou aux incapacités, relèvent uniquement de l'attachement, dans l’instant, à des virtualités rendues par là même abusivement existantes. Du reste, il semble patent que la propension à laisser envahir notre esprit par des images positives/négatives du rêve du passé ou du futur a pour seule efficace de rêver le présent. Or, il se trouve que celui-ci est le seul lieu de l’existence. En d’autres termes, seule la modification immédiate de sa représentation des choses dans le sens d’une plus grande sagesse perceptive2 correspond à rendre léger ce qui aurait pu être lourd.

C'est, du reste, l'objet de la phrase suivante : "Une bonne action entraîne un bon effet, alors qu'une mauvaise action produit un mauvais effet". L'acte momentané qui ne serait pas un effet ne peut se concevoir et, de même, l'acte qui ne serait pas une cause ne se peut non plus. Or, toute perception/réaction est à la fois effet et cause, donc acte, et il serait vain de chercher une situation de non-acte pour quoi que ce soit dans les trois phases du passé, du présent et du futur. Dans ce contexte, l’effet étant simultanément cause, et celle-ci étant simultanément effet, le maintient de l’ignorance tout de suite est nécessairement l’ignorance toujours, puisque la continuité de l’existence n’est évidemment constituée que d’un unique et permanent <maintenant>. Il n’est, dès lors, même plus nécessaire de préciser que la volonté, consciente/inconsciente, de vivre telle ou telle réalité produit nécessairement l’apparition, ou le manque, des objets indispensables au maintien de l’état, et ce, sans que jamais l’acte de bien ou de mal soit l’apanage intrinsèque et exclusif d’un quelconque protagoniste. Le bien et le mal ne sont, de fait, que la qualité sous tendant l’acte momentané de perception/réaction, et non la valeur qualitative attribuée à la relation générée par l’acte, de l’extérieur, par l’un ou l’autre des observateurs/acteurs.

Pour ces raisons, Nikken Shonin indique: "L'effet, bon ou mauvais, se répartit dans toutes les vies en souffrance ou en bien-être. Autrement dit, l'effet issu d'une mauvaise action se révèle en tant que souffrance dans la vie de tous les jours, alors que grâce à de bonnes causes, un effet de félicité apparaît."

L'effet, en l’occurrence l'acte, qui "se répartit dans toutes les vies", est simultanément cause pour l’excellente raison que l'acte, ou efficience momentanée, est d’évidence à la fois cause et à la fois effet. Or, l’expression "toutes les vies" implique nécessairement les trois phases du passé, du présent et du futur puisque Nichiren Daishonin indique: "Il ne peut y avoir de distinction entre les trois phases". En conséquence, selon notre approche, les termes "toutes les vies" et "la vie de tous les jours" apparaissent donc être une seule et même chose dans la mesure où la pensée momentanée est le seul et unique axe des trois phases du temps. Nous lisons effectivement dans le Tiantai : " Est vérité relative ou vulgaire tout ce qui relève de la causalité et de la production conditionnée... Concernant la vérité suprême, il s’agit de la résidence identique de tous les phénomènes dans une seule opération de pensée".

Quant à l’expression "se répartit dans toutes les vies", elle nomme, de fait, l’attachement à certains types d’entraves puisque, nous ne l’ignorons pas, rien dans notre monde ne possède la caractéristique de durer en soi et seul se perpétue ce qui est reproduit dans l’instant. Autrement dit, seul l’attachement perdure au sein des trois phases puisqu’il est acte répété, et la souffrance individuelle apparaît n’être alors que le fruit d’une "économie" singulière et, à la longue, probablement lassante.

A propos de "grâce à de bonnes causes, un effet de félicité apparaît" nous rappelons que Nichiren Daishonin enseigne : "Il n'y a pas de plus grand bonheur, pour les êtres humains, que de réciter Nam Myoho Renge Kyo...Vous connaîtrez alors la joie illimitée que procure la Loi". De fait, puisque du point de vue de l'éveil "Nam Myoho Renge Kyo est la Une pensée des trois phases", les joies et les peines de la vie de tous les jours apparaissent être les conditions nécessaires, suffisantes et merveilleusement incontournables autorisant pour chacun l'obtention immédiate de l'éveil en ce corps. Elles seules nous permettent de mesurer notre réalité et de percevoir que, si l’on stoppe le flux d’images nous caractérisant, à notre insu, à tort et à notre détriment, au profit de Myoho Renge Kyo, nous sommes susceptibles, immédiatement, de ressentir la joie illimitée que procure la Loi. En outre, il est, là, évident que cette joie non conditionnelle éclaire alors un « vouloir s’attacher à... » certaines contraintes forcément répétitives, permettant ainsi l’éveil à celui-ci. Pour cette raison, dans le bouddhisme, réciter Nam Myoho Renge Kyo au sein du gain ou de la perte, de l'inquiétude ou de la joie, est élever l’acte de réaction ordinaire au rang du suprême.

Dans cette même optique, concernant le bien et le mal ressentis ou engendrés, Nittatsu Shonin a lapidairement indiqué: "Le bien est produire des oeuvres et vertus pour soi et pour autrui maintenant et dans le futur. Le mal, ou le bien relatif, est ce qui n'est pas cela". En d’autres termes, dépasser l’image en son esprit du stimuli, quel qu’il soit, et s’éveiller, par la production du bouddha en soi, à la nature réelle du phénomène en question est le bien. D’autre part, attendu qu’il ne peut être d’acte parfaitement adapté à son objet dans la méconnaissance de ce dernier, la fusion de la conscience et de l’aspect réel des phénomènes constitue l’acte par excellence puisque la conscience est forcément acte et inversement. Il découle de cette logique que si l’acte momentané, seul, est de l’ordre du réel, on ne peut, baignant dans la superficialité, laisser indéfiniment notre réalité s’accomplir "mécaniquement" sans se dire à un moment que, de fait, la production de valeur dans l’instant est production d’un instant de valeur et qu’il n’est point de réalité personnelle ailleurs, un autre jour, quand les conditions seront enfin merveilleusement propices. Identiquement, Nichiren enseigne : "Les biens deviennent bouddha quand ils s’accumulent". Or, distinguer l’accumulation de la production est illusoire puisque l’acte momentané de perception et de réaction, ou la sagesse, est nécessairement l’expression de l’accumulation de « quelque chose », et qu’on ne peut jamais dissocier la substance de ses fonctions ni les fonctions de la substance. En d’autres termes, l’efficience momentanée est toujours l’expression de la substance, et pour cette raison la production des fonctions de l’éveil est immédiatement l’apparition en soi de la substance de l’éveil. En conséquence, nous avons toujours un choix possible au sein d’une infinité de productions « passées », puisque seul l’acte momentané est, de fait, accumulation. Dans son Enseignement Oral, Nichiren enseigne effectivement : "On peut considérer le pratiquant comme provisoirement à l’intérieur de l’entité, on peut considérer le non pratiquant comme provisoirement à l’extérieur de l’entité". Dès lors, être « à l’intérieur » ou « à l’extérieur » de la voie de l’éveil est donc subordonné à l’immédiateté de l’acte, et cela détermine continûment la prétendue accumulation passée.


"Le principe de la causalité est commun, sans exception, à toutes les vies de ce monde"

Bien que d’une grande évidence ce constat de conditionnalité implique des conséquences qui, semble t-il, n’éclatent pas aux yeux de tout un chacun :

  1. absolue égalité de principe des multiples phénomènes,

  2. non constance à l’identique d’un objet où d’un être en tant que <lui-même> dans le temps,

  3. non identité de ceci et de cela,

  4. vaine étroitesse du jugement définitif de <valeur> opéré sur quoi que ce soit : aspect, couleur, race, sexe, intelligence, capacité, notoriété, acquis, ...

  5. vacuité patente de toute forme du fait même de la conditionnalité,

  6. absolue pérennité de la forme traduisant l’entité même des dix états* dans la médianité.


Tout ceci définit une réalité qui, lorsqu’elle est partagée, engendre une infinie bienveillance envers toutes les formes, et telle est bien la lecture sensible que n’ont pas manqué d’imager les multiples commentateurs des actes du bouddha.

D’autre part, cette phrase ouvre sur le constat suivant enseigné par le Daishonin dans son Enseignement Oral: "A l'origine sont les dix états". Ordinairement, l’apparition et la disparition des phénomènes s’inscrivent nécessairement dans le cadre de la production conditionnée. En effet, rien ne semble pouvoir apparaître ou disparaître sans le concours de causes multiples, et ceci concerne tant le phénomène perçu par l’observateur que le sentiment intérieur de l’observateur lui-même. Or, si tout dharma est nécessairement fait sensible, perceptif et réactif dans la simultanéité de la cause et de l'effet, seul l’état vécu par la forme induit, pour chacune d’elle, un sentiment subjectif de durée et d’espace et génère, par conséquent, un choix mnémonique singulier éludant l’infinité des autres « possibles ». Donc, "A l’origine sont les dix états", implique qu’il est parfaitement déplacé de chercher une quelconque origine de quoi que ce soit dans le cadre étroit de notre lecture du temps, puisqu’on ne voit que ce que l’on croit dans l’instant, c’est-à-dire notre perspectivisme étroit et délétère.

En d’autres termes, si l’on considère avec attention cette phrase du Souverain de la Loi, il en ressort que tant la qualité de vie intérieure, que les images en soi découlant de la perception des phénomènes, ne sont que l’expression subjective de la causalité personnelle et inhérente à chaque forme. En conséquence, tout dharma produit dans l’instant un temps, un espace et une perception qualitative de ce qui lui semble être le réel uniquement en fonction d’un "vouloir voir" causal, et dont « l’origine » est nécessairement antérieure, ou plus exactement source immédiate du percept lui-même. Dans ce sens, la causalité linéaire fondée sur les trois phases du temps, issue du bouddhisme provisoire, n’est que l’expression de la bienveillante volonté d’adaptation à l’humain par l’Ainsi venu et ne peut être, pour cette raison, représentative de l’éveil sans égal, sans supérieur, de la boddhéité.


Après cette approche succincte de la causalité des multiples phénomènes constituant notre monde observable, envisageons à présent les trois grandes conditions permettant l'appréciation des diverses doctrines, telles que les définit le Souverain de la Loi.

1- "Expliquer avec précision l'aspect de la causalité et développer le principe de l'infinité du bien et du mal, de la souffrance et du bien-être, constituent la première et plus importante condition d'une religion supérieure".

"Expliquer avec précision l'aspect de la causalité" constitue le premier volet de la première condition et pose, de fait, un problème pour les divers systèmes de pensée. Il apparaît en effet que tous, sans exception, démissionnent devant l'inconcevable régression à l'infini des causes et effets multiples. Il y a, tout le monde est d’accord sur ce point, toujours des effets à des causes et des causes à des effets dans le cadre d’observation des phénomènes généré par l’humain. Cependant, certains, voire le plus grand nombre, ne trouvèrent pour issue  "logique"  que l'étrange et onirique concept de "quelque chose" hors l’événementiel et, paradoxalement, le produisant. Cette logique velléitaire de fuyard rêveur a donc eu pour double effet de placer la source de l'existence en dehors de celle-ci, et, par juste retour des choses, d’interdire à leurs semblables de se diriger dans une voie réaliste, à défaut même d’élucider le sens intrinsèque au mouvement phénoménal. Ce type de conception a eu pour conséquence naturelle de ne pas même permettre d’envisager, par tout un chacun, l'apparition d'une sagesse adaptée à l'aspect réel des phénomènes puisque ces derniers, les phénomènes, ne sont en aucun cas l’aspect réel. En outre, ce n’est certes pas l’idée selon laquelle dieu aurait fait les hommes à son image qui peut servir de poteau indicateur d’une quelconque réalité. Encore que, inversée...

En conformité avec cet évident pataugeage, la sagesse n'est, dans les religions révélées, jamais indiquée en tant que but alors que la foi, elle, est sollicitée en vue de rapprocher l'être de ce qui est, croit-on, hors la causalité et par là même d’une nature autre et donc indescriptible. En conséquence, la foi en la spiritualité ne se distingue pas de l'obscurantisme le plus sombre, et l'incompréhension de la réalité en découlant alors alimente continûment les hébétements et pleurs s’échappant du brouillard épais de l'illusion fantasmatique.

Quant aux modes de pensée ne découlant pas d’une "vérité révélée", si la sagesse, sensée sourdre de certaines vertus péniblement acquises, est quelque fois présentée comme un but à atteindre, il convient de s’ouvrir au fait que cette sagesse s’applique à la seule gestion « éthique » de l’événementiel causal. Dès lors, à défaut d’accéder à la perception du vouloir momentané inhérent au phénomène, cette sagesse « adaptative » s’enlise dans un assujettissement que l’on ne peut guère confondre ou hisser au rang de l’éveil à l’aspect réel des phénomènes dans les trois phases du temps. En outre, la lecture usuelle et linéaire de la causalité s’effectuant dans le temps et dans l’espace, celle-ci masque inévitablement la simultanéité de la cause et de l’effet de la forme/pensée momentanée. Pour cette raison, et quelque soit la somme des réflexions accumulées, l’ombre même d’une sagesse en adéquation avec l’aspect réel des phénomènes ne peut-elle jamais en naître.

D’autre part, nous venons de l'évoquer, la causalité s'applique "sans exception, à toutes les vies de ce monde" et, tout dharma, étant causal, exprime nécessairement par ce fait une existence dotée de forme, d’esprit, et donc de sensibilité perceptive. En conséquence, "le principe de l'infinité du bien et du mal, de la souffrance et du bien-être" nomme la qualité particulière et intrinsèque à toute forme momentanée dans les trois phases du temps. Que cette lecture apparaisse être "la première et plus importante condition" se conçoit facilement puisque la non considération des phénomènes, en tant que réalités sensibles, naît de l'ignorance la plus dense et aboutit, le constat est aisé, nécessairement à l’incompréhension, par chacun, de sa phénoménologie individuelle.


Quant à la lecture effectuée par notre école, le Souverain de la Loi a enseigné, à propos des dix Ainsi*: "Les sept Ainsi que sont l’énergie, la production, la cause, la condition, l’effet, la rétribution et l’égalité totale de l’origine et de la fin, apparaissent selon la substance que sont l’aspect, la nature et la corporéité, et finalement y retournent. Dès lors, si la substance est celle du monde de l’enfer, ce sont les fonctions du monde de l’enfer qui se révèlent. Si la substance est celle du monde des esprits affamés, ce sont les conditions du monde des esprits affamés qui apparaissent. Il y a égalité de l’origine et de la fin". Pour cette raison, "l'infinité " nomme sans nul doute la merveille de la simultanéité de la cause et de l'effet exprimant l'état hors le temps de chaque forme. En outre, si l’on considère la non dualité de la cause inhérente, immédiatement antérieure au fait perceptif, et des facteurs, qui sont l’objet du fait perceptif lui-même, il va de soi que la pérennité de l’état/forme s’impose à l’évidence. Pour cette raison, selon notre école, la cause et l’effet, simultanés, ne résident que dans la position provisoire de la Une pensée momentanée et en cela, effectivement, nous pouvons constater "l’absolue égalité de l’origine et de la fin". En effet, nous l’avons déjà évoqué, concevoir l’infinité ou l’origine comme une mesure de temps équivaudrait à s’enliser dans les errances des enseignements bouddhiques provisoires, voire à sombrer dans les miasmes des enseignements extérieurs. Dès lors, l’infinité n’est que re-production, la re-production n’est qu’acte dans l’instant et l’acte dans l’instant n’est forcément que l’attachement à ce que l’on croit vrai.


2- "Ensuite, indiquer, sur la base de cet enseignement, la pratique permettant le salut de tous les êtres, représente la deuxième condition d'une religion correcte".

Ainsi, sur la base de la simultanéité de la cause et de l'effet élucidant la présence et le "vouloir être » des multiples phénomènes en appui l'un sur l'autre, définir "la pratique permettant le salut de tous les êtres" correspond à la deuxième condition. La pratique (ji) est forcèment la mise en application de la théorie (ri). Or, la mise en application d’une forme de pensée ne peut produire que les résonances, physiques ou mesurables, de la pensée elle-même et, de fait, quelque soit le domaine et qu’on en soit conscient ou pas, il n’y a jamais non application de celle-ci. Il en résulte que, si la théorie appliquée s'adapte parfaitement à son objet, l'aspect réel des phénomènes en ce qui nous concerne, la résonance de la mise en pratique a pour effet l'apparition d'une sagesse grandissante en l'être qui s'y engage puisque la sagesse est toujours une mesure des phénomènes. Ou, si l’on préfère, il ne peut y avoir de sagesse sans objet la produisant puisque la connaissance s’applique toujours à <quelque chose>, et la sagesse en résultant n’est jamais autre que la résonance de l’objet référencé. Tel est, depuis le Bouddha Shakyamuni, le sens de la Voie bouddhique puisque entendre son enseignement, qui équivaut à intégrer en soi des "objets" conceptuels, est le sens même d’entrer et de progresser physiquement et mentalement sur la voie de l’éveil.

En outre, par extension du même principe, il convient de s’ouvrir au fait que les voies inférieures que sont la joie temporaire, la tranquillité, l’orgueil, l’animalité, l’avidité et les multiples souffrances dites infernales sont uniquement déterminées, pour l’humain3, par la mise en œuvre de "logiques" de représentations mentales. Dans ce sens, il est aisé de comprendre pourquoi, lorsque Shakyamuni entreprit de descendre au fin fond de l’enfer pour en faire sortir les êtres supposés emprisonnés, il ne trouva en ces lieux que les gardiens et, évidemment, ceux-ci n’étaient autres que les hauts dignitaires des systèmes de pensée fallacieux, appliqués aux choses de ce monde. Ceci explique parfaitement cela.


Pour en revenir à la doctrine, si nous examinons les deux premiers des quatre états supérieurs caractérisant la mise en pratique de l'enseignement du bouddha, il en ressort que l'état "d'écoute de l'enseignement" (7°) se transforme naturellement en le suivant: l'état "d'éveil par les facteurs" (8°). Ce qui signifie que, du fait d'engranger en soi l'enseignement du bouddha, cette condition environnementale de la pensée permet à la conscience usuelle de s'éveiller naturellement à certains aspects de la perception du bouddha. Ces éveils partiels, à ce qui dépasse la conscience habituelle, sont l'apparition de la sagesse en l'être et marquent simultanément les degrés parcourus dans la voie bouddhique. Inversement, il est parfaitement clair que les doctrines ne permettant pas, à ceux qui les pratiquent, l'accès à une profonde sagesse, n'en procèdent évidemment pas elles-mêmes. Il ne peut, de fait, y avoir de distinction entre une conscience, ou une inconscience, de la réalité et les actes en découlant et, dans cette même logique, si une doctrine a pour source une profonde sagesse celle-ci sourde forcément dans les actes mentaux et physiques de ceux qui l'appliquent.

En conclusion, il est illusoire de penser qu'un corps de pensée ne provenant pas de l'éveil suprême puisse le générer, même par hasard, chez les personnes qui s'y attachent et, chacun peut l’observer, les actes quotidiens sont nécessairement l'expression de ce en quoi l'on croit. Quant aux doctrines qui, privilégiant la croyance en quelque chose, n’établissent pas de rapport direct entre les actes de leurs croyants et les circonstances de leur vie, il va de soi que, non seulement le "quelque chose" en quoi la croyance est placée mais également la logique qui vise à le sous-tendre proviennent de l’irréalisme et aboutissent à l’irréalité. Pour cette raison, les tentatives entreprises par certains pour établir l’antique véracité d’une doctrine en prétextant que, dans le passé elle put être bonne, mais que depuis elle a été oubliée, perdue, spoliée ou mal utilisée sont évidemment oniriques, puisque ce qu’elle a concrètement engendré chez les êtres, depuis son origine jusqu'à nos jours, est la seule mesure admissible de ce qu’elle a toujours contenu.


3- "De plus, indiquer l'effet final, c'est-à-dire le Bouddha de l'identité de l'être ordinaire et de l'ultime, finalité de la salvation de tous les êtres et, qui plus est, en apporter la preuve réelle, représente la troisième condition".

"le Bouddha de l'identité de l'être ordinaire et de l'ultime" peut s'envisager sous différents angles. Tout d'abord, et contrairement à la logique enseignée dans les enseignements pré-Hokkekyo par Shakyamuni, l'accumulation des actes de bien dans le passé, ainsi que l'apparition des signes et caractéristiques d'un éveillé ne sont pas nécessaires à l'obtention de l'éveil en ce corps, en cette vie. Dans ce sens, l'être ordinaire avec ses manques, ses cicatrices, ses angoisses et ses qualités peut devenir identique à l'ultime, l'éveil, sans être contraint à naître et re-naître encore, c'est-à-dire sans changer de corps. Le grand sage Nichiren enseigne effectivement :"Le simple mortel est l'entité des trois corps et le bouddha originel. Le bouddha est la fonction des trois corps et le bouddha éphémère".

Différemment exprimé, Nichikan Shonin enseigne : "La foi étant l’origine de la récitation du Daimoku, elle est la merveille de la cause originelle. La récitation étant la conclusion de la foi, elle est la merveille de l’effet originel. Autrement dit, ce phénomène est la causalité de la Une pensée dont l’origine et la conclusion sont instantanées". Que l’on envisage la pratique de la Loi, en particulier, ou bien les actes quotidiens, plus généralement, le principe reste effectif : l’acte momentané est toujours prise de position singulière et donc choix sélectif en fonction d’un vrai référencé. Quant à la dernière phrase de cette citation, celle-ci met en évidence la simultanéité de l’origine et de la conclusion. D’où il découle que seul l’instant sans épaisseur, à la fois effet du passé infini et cause de l’infinité future, est de l’ordre du réel, et ce dernier se trouve donc être sans origine ni fin, c’est-à-dire nécessairement hors le temps puisque les concepts de temps ou d’espace sont des mesures de ce qui possède origine et fin. Du reste, tant les velléitaires interrogations que les irréalistes certitudes relatives aux concepts d’origine et de fin sont le lot des doctrines qui, dans le rêve, distinguent la cause de l’effet, établissant ainsi à tort leur non simultanéité. Il en ressort que seule l’efficience momentanée est qualité et, dans cette acception, la qualité ultime de l’existant relève dans tous les cas du possible.

Pour cette raison, dans son comportement quotidien d'être ordinaire Nichiren Daishonin a montré l'ultime, c'est-à-dire le corps de la Loi, dans l'expression de sa sagesse et de ses actes. En aparté, notons que le principe d’identité de la Personne et de la Loi, propre à notre école, rejette toute notion de transcendance et établit la pérennité de la forme/pensée de l’éveil <à l’origine>. Enfin, on peut y voir l'affirmation suivante : les phénomènes ou dharma ordinaires étant la seule réalité, ils doivent pouvoir composer le Corps de la Loi, c'est-à-dire l'ultime, dans la forme, et tel est le cas de l’Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur. Dans cet Objet, indique effectivement le Daishonin, tous les êtres des dix états "éclairés par les cinq caractères de Myoho Renge Kyo montrent leur aspect vénérable <à l'origine>".


Concernant "la preuve réelle", elle se rapporte à la distinction qu’effectue notre école entre l’éveil exprimé sous l’angle théorique (ri) et sous celui de sa concrétisation (ji). Or, contrairement aux stériles vues spiritualistes, nous considérons qu’une qualité sensible, de l’enfer le plus sombre à l’éveil parfait, ne peut exister indépendamment d’une forme qui l’exprime puisque la non dualité de la matière et de l’esprit constitue, selon le Daishonin, le suprême. L’éveil parfait ne peut donc être que forme/pensée et celle-ci, ou l’Objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur, constitue, quand à la base de la doctrine, " la preuve réelle". Dès lors, conformément au principe général selon lequel l’état de vie d’un être imprègne forcément ses actes et ses élaborations d’objets, il va de soi qu’il en est de même, et au plus haut point, de la révélation par le Daishonin de l’Objet fondamental. Inversement, la pratique effectuée devant cet objet et par conséquent la production en soi, de celui-ci, le cristallise en le corps du pratiquant. Nichiren indique effectivement : "Ne cherchez jamais ce Gohonzon en dehors de vous-même. Il n’existe que dans la chair de notre poitrine, en nous, êtres ordinaires, qui gardons le Sûtra du Lotus et récitons Nam Myoho Renge Kyo".

En ce sens, "apporter la preuve réelle", nomme l'apparition de la sagesse de l'éveil dans le comportement quotidien des êtres ordinaires s'engageant dans cette voie. C'est également le sens de l'expression "indiquer l'effet final", c'est-à-dire l'identité de l'être ordinaire, nous-mêmes, et de l'ultime, le bouddha, lorsque nos propres actes de la pensée, de la parole et physiques, appuyés sur la Loi en montrent la grandeur et la qualité. Cette logique se conçoit, du reste, sans grande difficulté lorsque l'on considère que l'instant présent est l'aboutissement du passé infini, que cet instant ne subit ni naissance ni mort, qu'il est toujours l'effet final de l'être et le seul lieu d’expression des dix mondes "à l’origine". Incidemment, considérer " l'effet final", ou le but ultime de l’existence, comme se situant ailleurs qu’en ce monde est caractéristique de l’inadaptation à la réalité des doctrines spiritualistes.

Telle est la preuve réelle qu'il convient de chercher en chaque personne épousant une philosophie ou une religion. Il y a, en effet, toujours absolue identité entre la profondeur de la conscience, ce en quoi l'on croit, et les actes du quotidien. Ceci explicite le seul principe de réalité admissible pour la raison, fut-elle ordinaire, et les fumeuses arguties relatives au paradisiaque "après" prôné par certains ont toujours eu, pour corollaire patent et immédiat, les diverses et incessantes souffrances des êtres.


"Parmi toutes les religions du monde, seul le bouddhisme, révélé par le vénéré Shakya, répond pleinement à la première condition. En particulier, seul le Sûtra du Lotus, débarrassé de l'enseignement des moyens, enseigne de manière correcte le vaste et profond principe de la causalité universelle du monde des dharma".

La première phrase met en lumière le fait que seul le bouddhisme répond "avec précision" à la question de la causalité des multiples phénomènes. Il est vrai, cependant, que la comparaison est, dès la première condition inégale, dans la mesure où, nous l’avons évoqué, certaines doctrines se perdent dans le cul de sac de la régression à l’infini des causes et des effets et, en conséquence, pondent des concepts bâtards tels que la chance et la malchance, le hasard et la destinée, l'ignorance en d'autres termes. Notons, en outre, que ces égarements, à défaut d'expliciter le mouvement et l'essence des phénomènes, aboutissent malgré tout à des notions de causes, certes, mais relatives à des concepts d'ordre éthiques, moraux ou religieux sans effets positifs patents, puisque circonstanciels et par là même décalés, quant à la qualité d’approche du réel par chacun. Ce qui, évidemment, a pour effet de disqualifier ces systèmes d'entrée.

Plus sérieusement, car rejetant toute notion de transcendance, Shakyamuni développa, dans un premier temps, une causalité linéaire au sein des trois phases du temps. En considération de la logique usuelle de ses contemporains, déjà familiarisés avec la notion de réincarnation, cette approche avait évidemment une vocation pédagogique.

Par la suite, dans la partie provisoire du Sûtra du Lotus, il enseigna que chaque phénomène résultait d'une combinaison de causes et d'effets multiples et, pour cette raison, n'était pas intrinsèquement différent de lui-même, c’est-à-dire le bouddha. L'établissement de cette non différenciation de principe entre le bouddha, paré de multiples vertus, et un simple brin d'herbe éclaire, en outre, la possibilité pour toutes les formes, du minéral à l'humain, de composer le bouddha. Partant d'une lecture antérieure où le bouddha Shakyamuni apparaissait nettement supérieur, voire surhumain, vis-à-vis de toutes les formes de vie existantes, cette déclaration était de fait révolutionnaire.

Parallèlement, les "dix Ainsi" enseignés dans cette partie provisoire du Lotus éclairent la réalité suivante : tout phénomène, ou dharma, possède matière et esprit, potentiel et activité élaboratrice, cause et effet exprimant dans leur simultanéité une qualité d'être et un environnement spatio-temporel unique puisque engendré. De plus, une totale égalité entre l'aspect provisoire du phénomène et la rétribution des actes depuis un passé sans origine est, là, affirmée. Tel est l'aspect de la causalité, enseigné avec précision par le bouddha Shakyamuni. Comparées à cet éclairage, il est évident que peu d'autres lectures se trouvent en situation de resplendir.

Toutefois, la seconde phrase de l’extrait étudié indique: "seul le Sûtra du Lotus, débarrassé de l'enseignement des moyens, enseigne de manière correcte le vaste et profond principe de la causalité universelle du monde des dharma". Or, les "dix Ainsi" de la partie provisoire font partie des moyens et il découle naturellement de cela qu'on ne saurait, par le biais de cette seule approche, aboutir à une vision similaire à celle du bouddha. Qu'en est-il donc, dès lors, de l'aspect réel des phénomènes pour l’Ainsi Venu ?

Nous lisons, dans un autre texte de l’actuel Souverain de la Loi, Nikken Shonin: "On dit également détruire et utiliser... C'est-à-dire qu'en lisant les phrases du chapitre des moyens on détruit le sens éphémère de la doctrine et, avec ces mêmes phrases, on fait apparaître l'aspect réel de l'instant originel hors le temps". La causalité développée dans le cadre des dix Ainsi explicite la non différenciation de principe des multiples phénomènes tout en indiquant, par extension, l'origine non mesurable de ceux-ci. En effet, le concept de la simultanéité de la cause et de l’effet ouvre, s’il est observé avec un peu d’attention, sur la racine même de l’origine. Plus clairement, si la cause et l’effet sont simultanés, la cause est effet et l’effet est cause, ceci sans que l’on puisse distinguer un avant et un après, une origine et une fin, sauf à considérer le principal, l’être, et son support, l’environnement, comme étant le perpétuel "instant originel hors le temps" de la forme/pensée.

Toutefois, en regard de la propension humaine à situer le présent comme un point placé entre le passé et le futur, l'énoncé des dix Ainsi pouvait continuer à autoriser une approche réductrice étroitement anthropocentrique. Pour cette raison, l'actuel Souverain de la Loi indique "débarrassé", équivalent à "détruire", ouvrant ainsi sur la perception de l'éveillé en nous orientant vers "l'aspect réel de l'instant originel hors le temps". Cette approche, découlant de l'éveil sans égal, sans supérieur, de la boddhéité, débouche, en pleine opposition avec le bon sens le plus commun et donc le plus partagé, sur la totale immobilité des multiples phénomènes. Dans cette perspective, les trois phases du temps, l'espace, les naissances et morts et la causalité linéaire se réduisent à l’unique production momentanée où la forme/pensée provisoire est, seule, "l’aspect réel de l'instant originel hors le temps". Telle est la vision du monde des phénomènes par le bouddha, et l’enseignement des dix Ainsi de la partie non définitive du Lotus apparaît donc n’être qu’un développement « provisoire » découlant de la volonté d’adaptation du bouddha à l’humain.

Nous lisons effectivement, dans le chapitre "Durée de la vie" de la partie définitive du Lotus: "Il n'y a ni flux ni reflux de la naissance et de la mort, ni vie dans ce monde ni anéantissement plus tard".

L’école Tiantai affirme : "Dire qu’il n’y a pas de permanence parce que l’homme naît et meurt, que les choses périclitent et se transforment, est entièrement une vision illusoire".

Dans la même approche, Nichiren Daishonin enseigne: "Les souffrances ne deviennent le nirvana que si l'on réalise que l'entité de la vie humaine, à travers vie et mort, ne peut ni apparaître ni disparaître".

Plus clairement encore, le Daishonin expliqua en 1255 : "Non seulement l’Ainsi venu Maha Vairocana, mais également tous les êtres tels que nous, jusqu’aux grillons, fourmis, moustiques et mouches, tous sont forme/pensée sans commencement ni fin. Penser qu’il y a un début et une fin pour les êtres relève des vues erronées des voies extérieures".

En conséquence, il apparaît que le fait de s’appuyer sur la perception des apparitions et disparitions phénoménales, ou sur la naissance et la mort des êtres, font que, si l’accord tacite ou démonstratif des avis d’autrui vient généralement conforter la "normalité" de l’émotion ressentie il n’en est pas moins vrai, aux yeux du Bouddha, qu’il ne s’agit là, dans le rêve, que de la perpétuation d’une souffrance issue de l’ignorance de la réalité des phénomènes. Pour résumer, toute lecture linéaire de la causalité masque la simultanéité de la cause et de l’effet, c’est-à-dire ignore et rejette l’état sensible de la forme/pensée.

D'autre part, considéré selon les développements, postérieurs au Lotus, des écoles chinoise et japonaise, tout dharma est forme/pensée momentanée et, de ce fait, l'instant atemporel de l'existant est forcément la matérialisation de Une pensée trois mille. Cette expression phénoménale dans l’instant marque nécessairement, au travers de la forme/pensée momentanée, l’un des dix mondes à la fois sous l’angle de l’effet et sous celui de la cause. Nichikan Shonin dira de cette Une pensée qu'elle est "inclure et imprégner". "Inclure" nomme la réunion des multiples phénomènes permettant de constituer causalement la Une pensée en terme d'effet, et "imprégner" éclaire l'efficience simultanée en résultant, en terme de cause, sur l'agencement phénoménal futur.

Dès lors, concernant « le vaste et profond principe de la causalité », "vaste" indique l'infinité spatiale et temporelle du phénoménal, et "profond" éclaire l'immensité de la sagesse du bouddha en adéquation parfaite avec le monde des dharma. Pour cette raison, le terme de Nyorai, qui est un des qualificatifs du bouddha, est interprété comme suit par Nichiren Daishonin : "En vertu du principe on dit <Ainsi>, et en vertu de la sagesse on dit <venu>. Tel est le corps de rétribution de l'Ainsi venu".

"Le corps de rétribution de l'Ainsi venu" correspond, pour les êtres tels que nous, à la sagesse, et, de l’enfer le plus dense à l’éveil suprême, nous pouvons observer qu’il y a nécessairement toujours une parfaite identité entre la substance, la Une pensée momentanée, et ses fonctions, l’expression du corps et des paroles au quotidien. En d’autres termes, toute perception/réaction est l’expression d’une « sagesse » adaptative et celle-ci inclut nécessairement le corps et son environnement, qui correspondent à l’orientation la plus « dense» de l’être. Considérant cette lecture, la perception/réaction de chaque dharma à son environnement correspond à « venir », dans l’instant, de ce à quoi il se réfère en terme d’antériorité immédiate, et ce lieu des choix peut être considéré comme son « principe » puisque les multiples phénomènes sont , dans leur étonnante singularité, indiscutablement « ainsi ». Dans la même logique, mais en des termes faisant référence à son expérience intérieure et à sa résonnance extérieure, Zhanran nous révèle: "Sachez le bien, notre vie et son environnement sont l'entité de Une pensée trois mille. Quand nous parvenons à l'éveil, selon ce principe fondamental, notre vie imprègne l'univers entier à la fois physiquement et spirituellement".


A propos de la pratique, qui constitue la deuxième condition, le texte indique : "Pour ce qui est de la deuxième condition, seul le Sûtra du Lotus, au sein des cinq ou sept mille sûtra constituant l'enseignement de Shakyamuni, en définit les grandes lignes".

En premier lieu, "les grandes lignes" indiquent ce vers quoi et par quoi la pratique est orientée. D’entrée, les états "d'écoute de la doctrine"(7°), "d'éveil par les facteurs"(8°) et de "bodhisattva"(9°) sont, dès la partie provisoire du Lotus, rejetés au profit du seul et unique véhicule de la boddhéité pour tous les êtres. De plus, l'identité de principe du bouddha et des multiples formes, ensuite le fait que Shakyamuni ait atteint l'éveil non pas en Inde mais dans un passé extrêmement lointain, enfin qu'il ait lui-même, dans un passé plus éloigné encore désigné par les termes "à l'origine", pratiqué la voie de bodhisattva, peuvent être considérés comme étant autant d'éléments indiquant "les grandes lignes". Il s’agit donc, là, d’une mise à l’écart des modèles d’identification inférieurs à l’éveil suprême. Or, si l’on considère, avec un minimum d’attention, que le but avoué définit tant les moyens que le résultat escompté, et inversement bien sûr, il en découle l’identité patente de l’objet visé et de la qualité s’établissant en l’être4.

En second lieu, notre lecture quotidienne du Sûtra du Lotus s’appuie sur les chapitres "Moyens" et "Durée de la vie". Cette pratique, effectuée par Nichiren Daishonin et prônée par lui à ses disciples, constitue la partie auxiliaire de la pratique essentielle: Nam Myoho Renge Kyo. Cependant, comme l'a expliqué Zhiyi : "La récitation du texte du sûtra est la respiration du corps de la Loi". C'est, du reste, le sens du terme dharma, ou « soutenir », et l'architecture engendrée par la voix ne peut pas ne pas être un corps en la personne qui le produit. Identiquement, selon la même logique, il ne peut se faire que l’expression de chacun, dans la vie de tous les jours, ne soit pas la fonction et donc l’apparition des objets de référence intégrés par lui. Dans ce sens, l’efficience dans l’instant est nécessairement un choix singulier d’exhumation d’objets.

Pour en revenir à la logique indiquée par Zhiyi, la phrase "seul le Sûtra du Lotus...en définit les grandes lignes" se justifie puisque la "respiration du corps de la Loi" apparaît être la fonction de l'essence, le bouddha originel sous la forme phonétique de Myoho Renge Kyo, et la lecture du Sûtra du Lotus pour la pratique auxiliaire. Or, telle est bien, selon notre école, la grande Loi cachée au profond des phrases et, de fait, la cérémonie de l'enseignement du Sûtra du Lotus elle-même exprime nécessairement l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur. Telle est du moins la position du Daishonin qui explique : " Ce honzon n’est en rien une création de Nichiren. C’est la figuration, gravée sur bois, du vénérable Shakyamuni et de tous les autres bouddha dans le stupa précieux".


"Enfin, en ce qui concerne la troisième condition, celle-ci est constituée de la substantifique moelle du Sûtra du Lotus et rejoint le passé infini du Bouddha Originel".

La "substantifique moelle du Sûtre du Lotus" est ce dont le Sûtra du Lotus, ou la sagesse de Shakyamuni est l’écho, l’ombre. En effet, toute sagesse n’est jamais qu’une mesure et une adaptation plus ou moins parfaite à l’objet auquel elle s’applique et celui-ci, inévitablement, la définit, puisqu’il n’est pas de connaissance sans objet. Dans ce contexte, "les grandes lignes" du Lotus, évoquées ci-dessus, ainsi que le principe théorique d’une pensée trois mille s‘effacent-ils naturellement au profit unique de l’Objet fondamental dont ils ne sont que la conséquence. Concernant la sagesse sans égal, sans supérieur de la boddhéité, l’objet la définissant est le Corps de la Loi ou Objet fondamental et, de fait, il ne peut nécessairement s’agir, selon notre école, que d’une forme puisque les dix états, de l’enfer à l’éveil suprême, ne sont que forme/pensée depuis l’origine.

Pour cette raison, dont l’éblouissante clarté n’a pour corollaire que l’aveuglement des voies extérieures, Nichikan Shonin expliqua: "Selon la doctrine de cette école, la réalité de Une pensée trois mille est une réalité tangible. Si bien que la réalité de la Loi est fondamentalement l’expression concrète de Une pensée trois mille. C’est pourquoi on l’appelle Objet fondamental de vénération du principe de Une pensée trois mille parfaitement matérialisé". Ainsi, la forme/pensée de l’éveil est l’Objet « Corps de la Loi », à l’origine, et son aspect spirituel, ou sagesse est également objet dans son application phonétique sous la forme de Myoho Renge Kyo. Là se situent, nécessairement dans la forme, deux des trois Corps du Bouddha devant lesquels Shakyamuni a pratiqué, <à l’origine>, en vue de l’obtention de l’éveil.

En effet, de la même manière qu’un état ne peut apparaître sans s’appuyer sur un ou des objets, réels/irréels, présents/absents, pour se concrétiser et, en outre, qu’un objet mental ou physique est toujours nommable, l’état d’éveil n’existe que dans la forme est celle-ci est nommable. En fait, seul Nichiren Daishonin laissa l’éveil sous cette double forme et, en cela, montra l’origine hors le temps de l’éveil de tous les être, sans exception. Nikken Shonin a effectivement expliqué "...il est naturel que Nichiren Daishonin ait révélé le Bouddha de l’origine du passé (Nam Myoho Renge Kyo) en tant que substance de la Loi à propager. Toutefois, du point de vue des prédispositions, c’est-à-dire des êtres, on ne peut voir l’origine du passé que dans le Dai Gohonzon de l’estrade des préceptes...".

La dernière phrase est explicite du fait que tout objet, en général, se situe intrinsèquement en dehors du champ de l’élaboration mentale puisque celle-ci, dans son fonctionnement naturel, ne peut qu’être imprégnée de notions subjectives de temps masquant l’immédiateté de l’objet. Dès lors, au vu des prédispositions humaines, il va de soi que l’éveil de toutes les formes en un lieu objectal constitue la « bonne médecine » permettant à chacun d’ouvrir son esprit, dans l’instant, par identification, à la réalité de son propre éveil <à l’origine>.

Dans notre école, donc, la pratique de Nam Myoho Renge Kyo devant l’Objet correspond à la pratique du degré de dénomination où l’évocation du nom de la forme est faire apparaître immédiatement l’éveil dès ce corps. En réalité, d’ailleurs, comme nous considérons la cause simultanée à l’effet et l’effet simultané à la cause, il va de soi que seule la production momentanée du corps du bouddha est l’apparition de celui-ci. Le Daishonin a effectivement déclaré : « Le nom possède la vertu d’aboutir immanquablement à la substance ».

De la même manière, et là nous sommes honteusement triviaux, la production de n’importe quoi d’autre dans l’instant est forcément l’apparition de n’importe quoi d’autre immédiatement. Pour cette raison, et contrairement à certaines lectures superficielles selon lesquelles la résurgence de faits réels/imaginaires du passé constitueraient la trame explicative du présent, nous préférons nous appuyer sur le principe selon lequel, si seule la production momentanée est l’axe du passé et du futur, celle-ci ne peut être envisagée que sous l’angle de la qualité de sa production immédiate et non sous celui des innombrables raisons, par là même oniriques, qui sont supposées la sous tendre. Là, est une des distinctions possibles entre les approches linéaires et simultanées de la cause et de l’effet. En définitive, l’attachement à une perception linéaire de la causalité porte incontestablement la responsabilité de l’assujettissement de la pensée aux circonstances, et par là même de la qualité de l’état de vie, puisqu’il y a nécessairement toujours des circonstances, des objets réels/irréels, en la pensée momentanée. Ainsi, l’adéquation à l’aspect réel ne peut être envisagée que sous l’angle unique de l’efficience présente, jamais sous celui des raisons dont elle semble être née.



"Cette condition n'est présente que dans le bouddhisme de Nichiren Daishonin, apparu pour se consacrer au salut de tous les êtres après les deux millénaires des périodes de la Rectitude et de la Semblance de la Loi".

Le terme de "condition", utilisé dans le même sens une seconde fois dans le texte, nomme ici la matérialisation de l’éveil de toutes les formes depuis le passé infini. Or, cette « condition » physique, plus déterminante que les seules conditions conceptuelles, possède la capacité de pouvoir imprégner l’immédiateté de la Une pensée momentanée, alors que les concepts ne le peuvent, sauf à s’effacer brutalement, laissant ainsi la pensée momentanée fusionner avec l’objet, s’il en est5. Ce qui revient au même, pourrait-on penser, mais si les concepts proviennent de l’objet ceux-ci ne peuvent, d’évidence, qu’être traités dans le temps par la pensée discursive, alors que l’objet réside, lui, dans l’immédiateté, comme l’efficience forme/pensée elle-même du reste. Or, une fois admis que l’objet est, du fait de son immédiateté qualitative, nécessairement supérieur aux concepts, il convient de remarquer qu’il n’est pas de situation où la pensée momentanée se trouve non affectée par un objet et, à l’ordinaire, ces objets sont ceux des six premières voies. Plus avant, que cet objet, Corps de la Loi, soit l’unique et rare condition de l’éveil se conçoit dans la mesure où il est à la fois cause et effet de l’éveil originel depuis le passé hors le temps. Ceci impliquant son absolue pérennité.

D’autre part, ce terme de "condition" explicite, en outre, le fait que les actes de Nichiren, expressions de sa bienveillance, deviennent inconcevablement le moyen tangible permettant à l’esprit individuel de se diriger vers l’éveil en ce corps par la récitation de Nam Myoho Renge Kyo devant l’Objet. En effet, selon cette école tous les dharma des dix états sont élevés à l’éveil suprême dans le Honzon et pour cette raison le Daishonin déclara, trois jours avant son extinction :"Lorsque je regarde l’étang, inconcevablement, le reflet de Nichiren est le grand Mandala".


"De plus, même les contenus de la première et de la deuxième condition, pour la période actuelle de la fin de la Loi, sont compris dans la troisième condition et atteignent leur point ultime dans le Nam Myoho Renge Kyo des trois grandes lois ésotériques, propagé par notre fondateur Nichiren Daishonin".

La partie "pour la période actuelle de la fin de la Loi" éclaire le fait que le travail de l’esprit est inadéquat, même correctement dirigé par la théorie, quant à la production de l’éveil en ce corps. En effet, puisque la cause et l’effet sont forcement simultanés, seule la cause consistant en l’élaboration du Corps de la Loi en soi par le nom est accès immédiat à la forme originelle de l’éveil. Autrement dit, aucune des expressions de la sagesse ordinaire ne peut produire, par hasard, le Corps de la Loi, puisque ces aspects de la sagesse ne sont que des facettes subjectives de l’effervescence phénoménale, et seule la production du Corps de la Loi en soi est son apparition. Pour cette raison, tant la perception théorique de l’aspect réel des phénomènes que la connaissance par ouï-dire de la pratique adéquate ne sont suffisantes. La récitation de Nam Myoho Renge Kyo devant l’Objet Fondamental constitue, par contre, lorsque l’esprit est axé sur les indications du Souverain de la Loi, l’indispensable condition permettant de faire apparaître l’éveil en cette vie.

Nous lisons en effet dans les écrits du Daishonin : "Entraînez-vous dans les deux voies de la pratique et de l’étude; sans pratique ni étude il ne peut y avoir de Loi bouddhique. Faites le vous-mêmes et enseignez et dirigez les autres. La pratique et l’étude découlent toutes deux de la croyance." Il ressort de cet extrait que, une fois la pratique établie, seules l’étude et la transmission de la doctrine permettent de diriger son propre esprit vers l’éveil du corps. En effet, si l’esprit ne transmet pas il n’a pas à étudier, s’il n’étudie pas il ne se remet pas en cause puisqu’il n’intègre pas un modèle de comparaison lui permettant de mettre à jour ses propres attachements. Inversement, étudier les orientations du Souverain de la Loi, s’imprégner des écrits du Daishonin et en parler à autrui impliquent de rejeter les douillettes et poisseuses idées personnelles, permettant ainsi l’apparition d’une sagesse et d’une bienveillance plus vastes. Dans ce sens, lorsque le Daishonin indique "La pratique et l’étude découlent toutes deux de la croyance", il met en évidence le fait qu’il n’y a pas de réelle croyance si l’un des deux aspects fait défaut et il en découle nécessairement qu’il n’y a pas de réelle compréhension de la Loi sans propagation de celle-ci. Nous lisons effectivement dans l’enseignement du Daishonin : "Sans la transmission de la croyance, même garder le Sûtra du Lotus est vain".

En des termes différents, le Révérend Hakudo Môri indique : "...Si on pense parler du bouddhisme aux autres seulement après l’avoir parfaitement compris, on ne pourra jamais en parler. On en parle en l’étudiant et on approfondit sa compréhension en en parlant". De la même manière, attendre l’arrêt des troubles et la dispersion des nuages de la stupidité pour propager la doctrine équivaut à "s‘éloigner de l’océan pour chercher de l’eau salée".


"Cette grande loi a été transmise solennellement depuis sept siècles par la Nichiren Shoshu. " La solennité réside en cela que « La volonté d’informer rencontre la volonté d’être informé ». Puisque, indiscutablement, rien ne se situe hors la forme.


"Fidèles du monde entier, vous avez rencontré ce Dharma correct grâce à votre lien avec le Bouddha". Concernant "vous avez rencontré ce Dharma correct grâce à votre lien avec le Bouddha", nous lisons dans le "Traité sur la transmission unique et essentielle à travers vie et mort:"C’est grâce au lien puissant établi dans le passé avec le Sûtra du Lotus que l’on garde ce Sûtra à présent. Il est hors de doute que, dans le futur, on obtiendra l’effet qui est de devenir bouddha". Ces phrases mettent en évidence le fait que s’il y a l’acte de "garder ce sûtra à présent" les causes du passé y sont probablement pour quelque chose puisque, d’évidence, rien n‘apparaît sans causes pour sous-tendre le présent. D’autre part, "garder ce sûtra à présent" est forcément générateur d’effet et dans ce sens "Il est hors de doute que, dans le futur, on obtiendra l’effet qui est de devenir bouddha".

Cependant, le Daishonin explique dans la suite du même texte :"Naître et mourir dans le passé, le présent et le futur sans jamais quitter le Sûtra du Lotus dans les trois phases de la vie est appelé la transmission essentielle du Sûtra du Lotus. Ceux qui s’opposent et ceux qui ne croient pas sont <ceux qui coupent immédiatement la graine de la boddhéité dans tous les mondes>. Cela signifie qu’abandonner la graine qui permet de devenir bouddha entraîne l’absence de la transmission unique et essentielle à travers vie et mort". La première phrase met l’accent sur la continuité de l’acte au cours des trois phases du temps, c’est-à-dire le quotidien banal de la vie de tous les jours. Or, la seconde phrase indique la résonance, "dans tous les mondes", du seul acte momentané qui consiste à rejeter ou à s’opposer au principe de l’accès à l’éveil dès ce corps. Tous ces mondes exprimant le passé, le présent et le futur, la pensée momentanée semble constituer, encore une fois, l’axe unique du lien avec le bouddha, ou avec des souffrances de toutes sortes au cours des trois phases.

Dès lors, "garder ce sûtra à présent", qui implique nécessairement un lien, "coupent immédiatement" qui évoque la rupture du lien, et "entraîne l’absence" qui raye d’un trait unique l’accès à l’éveil dans les trois phases de la vie ne sont que des moyens mettant en évidence l’importance de la seule réalité sensible et permanente : la Une pensée momentanée. L’actuel Souverain de la Loi explique effectivement : "...Notre vie, vue de la neuvième conscience de la Loi merveilleuse, est une vie permanente depuis le passé hors le temps. Ceci n’est pas facile à comprendre. Mais le sens profond de Myoho Renge Kyo contient tout cela". Il en résulte que l’immédiateté seule, excluant l’idée fallacieuse de non-acte, est continûment de l’ordre du réel.


"Ayez la conviction que grâce à la réalisation du corps et de l'esprit récitant Nam Myoho Renge Kyo sur la foi des orientations de Nichiren Daishonin, les oeuvres et vertus de l'éveil dès ce corps naîtront bien, seront bien nourries, se réaliseront bien et prospéreront bien".

Cette phrase enseigne que, dans la mesure où le corps et l’esprit s’identifient, sans autre pensée, à Nam Myoho Renge Kyo, les bienfaits de la Loi apparaissent. Cela signifie la transmutation de l’être ordinaire en bouddha, immédiatement, puisqu’il n’y a, en principe, plus aucune différence entre l’un et l’autre, tant dans le corps que dans l’esprit. Par contre, il va de soi que si la pratique s’effectue mécaniquement, voire en pilotage automatique, alors que la pensée est encombrée par un flot ininterrompu d’images mentales de toutes sortes, la Loi se trouve alors reléguée au rang du moins important vis-à-vis de ce qui nous paraît vrai dans l’instant. C’est un des sens de l’expression : "Si vous vous relâchez, ne serait-ce qu’un instant, les démons vous posséderont" . En effet, dès qu’on s’éloigne, en l’esprit, de Myoho Renge Kyo, les images mentales issues des six voies déferlent sur nous comme lorsqu’on fait autre chose que pratiquer. Par exemple, penser qu’on a raison de penser qu’on a raison correspond, lors de la pratique de la Loi, à rabaisser celle-ci au profit de l’unique perpétuation de ses attachements au vrai relatif. Le vrai factice du présent, factice puisque subjectif et n’éclairant qu’un seul aspect d’une réalité potentiellement infiniment plus vaste, occupe alors l’esprit et seule la magie de l’arrêt des souffrances par l’intervention d’un hypothétique mieux futur reste, irréaliste. Dès lors, l’adéquation de la pensée momentanée et de Myoho Renge Kyo ne peut s’accomplir et seules les oeuvres restent. Les vertus, quant à elles, n’émergent pas immédiatement.

Or, comme l’indique Nikken Shonin: "la réalisation du corps et de l'esprit récitant Nam Myoho Renge Kyo" implique l’apparition, simultanée à l’œuvre, de la vertu en le corps et en l’esprit. L’actuel Souverain de la Loi a effectivement enseigné : "La substance existe en même temps que la fonction et apparaît en tant que vertus dans votre corps". En d’autres termes, si la sagesse et la bienveillance du bouddha sont la fonction naturelle de la substance « Corps de la Loi » en lui, la production de cette même substance, en nous, par la récitation, a pour effet l’apparition des fonctions du bouddha. Les fonctions apparaissant, la substance ne peut être bien loin. Nikko Shonin a en effet expliqué : "Le fait de pratiquer régulièrement jour après jour, mois après mois, est l’apparition de la boddhéité".


De fait, la pensée ordinaire se tisse, dans le temps, en accolant des moments de conscience qui eux n’ont pas de réelle épaisseur. Ces moments de conscience sont nécessairement constitués d’images d’objets réels/irréels. D’une part, en tant que fait causal, il s’agit inéluctablement de production d’image au détriment de la perception de l’objet en lui-même, d’autre part le producteur de l’image momentanée s’identifie totalement à sa production :<je pense ceci, j’ai vu cela, c’est mon caractère, je ne crois que ce que je vois...>. Tel est le mouvement de la pensée usuelle et, si l’on cherche une raison à l’expression « Une pensée trois mille », elle se trouve certainement dans le fait que l’instant de conscience, éternel, n’est jamais que celui de l’image projetée et momentanée d’un objet. Ceci entraîne divers constats :

- il n’y a qu’une image consciente momentanée à la fois, jamais deux ou sept ;

- la Une pensée/forme est donc causale et le bouddhisme enseigne qu’elle n’a pas d’origine ;

- la profusion et la conditionalité de certains types d’images dans le temps caractérisent l’état de l’observateur/producteur ;

- toute élaboration ou conceptualisation s’effectue nécessairement dans le temps et dans l’espace.

En raison de ce qui vient d’être évoqué, puisque seul l’objet, ou le caractère, peut occuper l’immédiateté de la conscience, ou de la Une pensée, notre pratique s’accomplit devant un Objet et il convient naturellement que celle-ci s’effectue sans autre pensée. Par conséquent, seul l’Objet peut-être éveil immédiat, s’il est non duel avec la conscience momentanée, et ceci nous éclaire sur le fait que les diverses théories spiritualistes, dans ou hors le bouddhisme, ne peuvent mener à l’éveil puisque celui-ci est corps/esprit. De fait, l’éveil n’est jamais élaboration mentale seulement pour l’excellente raison que l’élaboration elle même, étant « effet de... », a pour fonction naturelle de recouvrir les objets conceptuels ou physiques, réels/irréels, d’images référentielles.

Pour notre école, donc, et en ce qui concerne deux des trois corps du bouddha, il va de soi que réciter Nam Myoho Renge Kyo devant l’Objet, ou le caractère Myo, a pour effet de ramener le mouvement naturel de la pensée dans le temps et dans l’espace à une forme unique d’identification: l’éveil de toutes les formes. Dans cette continuité logique, probablement, le Vénérable Hakudo Mori enseigne : « Il faut effectuer la récitation de Nam Myoho Renge Kyo sereinement et calmement, sans se presser, avec une prononciation correcte, afin que le caractère de <Myo> soit gravé dans notre cœur par nos yeux qui le regardent ».

L’acte, ou l’œuvre, est vertu, tous les actes relatifs à la progression dans la Voie sont les oeuvres et celles-ci ont pour fonction immédiate et naturelle de devenir vertus. Les vertus apparaissant l’existence se libère des troubles et ceci fait que l’approfondissement des vertus augmentent les oeuvres. Ainsi, dès ce corps, les oeuvres et vertus de l’éveil naissent , se nourrissent, se réalisent et prospèrent.


"Dans le Mushi mochi gosho, Nichiren Daishonin souligne l'importance de respecter du fond du coeur la Loi merveilleuse le jour de l'an, début de l'année: < Celui qui le célèbre verra ses vertus croître et sera aimé des autres, comme la lune qui se lève à l'ouest et, se dirigeant vers l'est, atteindra sa plénitude; comme le soleil qui se lève à l'est, s'embrase en se dirigeant vers l'ouest > ". La volonté de célébrer le début de l’année en "désirant, avec un cœur unique, voir en soi le bouddha sans ménager son corps et sa vie", correspond à la transmission unique et essentielle à travers vies et morts et permet de s’éveiller au fait que célébrer est voir.

En outre, si l’on considère comme justifié le fait que notre perception des choses, ne pouvant être le fruit du hasard, est un produit résultant de causes, il faut convenir du fait que notre réalité individuelle est plus l‘expression d’un « vouloir » présent que celui engendré par une pesanteur passée, une contrainte environnementale, une volonté divine ou aléatoire. Or, l’extension de ce principe implique la réalité de certains points :

- les êtres, les phénomènes et les objets perçus, qui façonnent le lieu de notre exercice, ne sont que « l’harmonie globale » de notre vouloir percevoir, c’est-à-dire notre choix ;

- le temps dans lequel nous pensons nous situer, étant en corrélation directe avec l’espace engendré par notre existence, exprime nécessairement le même choix ;

- dès lors, le temps et l’espace ne se distinguant pas du corps et de la terre, évoqués plus haut par Zhanran, il va de soi que notre réalité individuelle n’est que l’expression « partisane » d’un des dix états depuis « l’origine ».

En conséquence, la pratique et la propagation de la doctrine de l’éveil est l’instant « à l’origine » de notre accès à l’éveil, puisque le bonheur/liberté n’est lui même qu’acte momentané sans origine.






1 Héraclite a déclaré : « L’essence de la réalité n’est toute entière qu’activité, et il n’y a pour elle aucune autre modalité d’être ». « La philosophie à l’époque tragique des grecs », F.Nietzsche, folio, Gallimard 1975.

2 Par « sagesse perceptive », nous entendons évidemment l’adéquation sujet/objet propre à l’éveil.

3 Hors l’humain, nous ne pouvons guère faire état de « logiques de représentations » en terme de « choix », mais en terme de conséquence organique. Or, s’il est vrai que la forme humaine génère une échelle qualitativement réduite de représentation d’objets (les six voies) et de connections d’images en son esprit, le choix se réduit nécessairement toujours en fonction de la forme percevante puisque celui-ci n’en est que l’écho, l’aspect fluide nommé mental. En d’autres termes, la mobilité ou la relative fixité des images momentanées, ainsi que leur qualité, en tant que résonance sensible, sont proportionnelles à la densité et à la mobilité de la forme percevante.

4 Ce qui n’est pas anodin au vu des objectifs actuels de nos contemporains, ainsi que de leurs inévitables conséquences, dont seul le présent tissu relationnel et social matérialise les formes d’une manière ô combien explicite !

5 et, au vu des médiocres objets conceptuels des penseurs de notre présent monde .... !

i Miao-Le (711-782): Sixième patriarche de l’école Tian-Tai en chine, en comptant à partir de Zhiyi. Ses commentaires de l’œuvre de Zhiyi sont le Hokke Gengi Shakussen, le Hokke Mongu Ki et le Maka Shikan Bugyoden Guketsu.

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* Cinq agrégats, Jap. Go On




BOUDDHISME ET CAUSALITE

Si la causalité des phénomènes a toujours posé aux êtres un incontournable problème d’interprétation, le premier philosophe ayant laissé une tentative de classification de l’observable est Aristote. Disciple de Platon, lui-même disciple de Socrate, Aristote s’appuie sur une approche particulière traduite par le constat suivant : « Toutes les choses sensibles sont dans un flux perpétuel et ne peuvent être objet d’aucune science ». La raison en est que Platon, cherchant les lois universelles, « ... fut amené à penser que cet universel devait exister dans des réalités d’un autre ordre que les êtres sensibles ; il ne peut exister en effet, croyait-il, une définition commune des objets sensibles individuels, de ceux du moins qui sont en perpétuel changement »(1) . Fort de cette approche élusive, Aristote traite de quatre sortes de causes principales dans sa « Métaphysique » (2), à savoir :

- la substance formelle, ou quiddité, ou essence, c’est la définition totale de la chose, l’ensemble de ses attributs essentiels ; (3) la forme est l’acte de la matière,... le vivant a pour matière le corps et pour forme l’âme ;

- la matière, ou le substrat, le sujet, le devenir sous toutes ses formes, l’argent est la cause de la coupe ;

- le principe du mouvement, le principe premier du changement et du repos, le père est la cause de l’enfant ;

- la fin ou le bien, car le bien est la fin de toute génération et de tout mouvement.

Il n’est donc point là de regard sur la causalité intrinsèque à l’être.

En outre, concernant le casuel, ou l’accidentel, Aristote déclare (4) : « Accident se dit de ce qui appartient à un être et peut en être affirmé avec vérité, mais n’est pourtant ni nécessaire ni constant : par exemple, si, en creusant une fosse pour planter un arbre, on trouve un trésor. C’est par accident que celui qui creuse une fosse trouve un trésor, car l’un n’est ni la suite nécessaire, ni la conséquence de l’autre, et il n’est pas constant qu’en plantant un arbre on trouve un trésor ». Cette approche, somme toute triviale, entraîne de multiples aspects logiques tels que, la cause de l’accident étant fortuite, elle est déclarée indéterminée ; la chose accidentelle se produit non en tant qu’elle-même mais en tant qu’autre chose ; il n’y a pas de science de l’accident. La preuve que l’être par accident ne peut faire l’objet d’aucune spéculation, nous dit-il, c’est qu’aucune science, ni pratique, ni poétique, ni théorétique, ne s’en occupe. Convenons qu’il s’agit là d’un argument de poids ! Nous ne sommes donc pas les premiers à invoquer une méconnaissance passée pour justifier une opacité présente !

La théorie du nécessaire, de l’immuable, de l’ordre de la nature qui n’est qu’un pale substitut de dieu, du souffle originel, du concept ou de la divinité, chers à nos spiritualistes, entraîne l’idée que seul ce qui se reproduit peut se mesurer, et peut donc faire l’objet d’une science. Toute science a pour objet, en effet, ce qui est toujours, ou ce qui est le plus souvent. Comment, sans cela, apprendre soi-même, ou enseigner autrui ?

Ainsi, les accidents ne relèvent donc d’aucun art ni d’aucune puissance déterminée et leurs causes sont accidentelles ! Imaginons qu’un homme sorte de chez lui et se fasse écraser en traversant sa rue, nous explique-t-il doctement. Pourquoi est-il donc sorti ? Il avait soif ! Pourquoi avait-il si soif ? Il venait de manger un plat très épicé ! Pourquoi le plat était-il si épicé ? Parce que l’homme, se trompant de pot, à versé des épices plutôt qu’un aromate. Pourquoi s’est il trompé de pot ? Parce que sa fidèle et dévouée femme de ménage ne l’a pas remis à sa place habituelle. Et ainsi de suite ! Ce qui fait dire à Aristote : Il est donc clair que l’on remonte ainsi à un principe, lequel ne se réduit plus à aucun autre. Tel sera le principe de tout ce qui est dû au hasard ; ce principe n’aura lui-même été produit par aucune autre cause.

Or, s’il est cohérent que les sciences dites « exactes » fondent nécessairement leurs mesures sur la répétition « à l’identique », il n’en va pas de même pour l’individualité qui, elle, se cristallise pour une forte part grâce à des événements qui lui sont proprement singuliers. Et ce, tant par la nature objective des phénomènes, qu’au travers du prisme subjectif humain. Alors, faisant fi de cette armature essentielle et sensible de la réalité de chacun, il semble que ce soit la première fois qu’une incompréhension relative au « comment » se transmue en une certitude d’acausalité relative au « pourquoi », et se pose en système de pensée !

Système qui fut du reste accepté avec enthousiasme, par les religions monothéistes et par bon nombre de penseurs, puisque ne remettant en cause ni une éventuelle puissance supérieure, ni l’irréductible attachement faisant que l’on s’estime exempté de la responsabilité de ce qui nous arrive ! Exemple pris bien longtemps après, dans « L’Ethique », Spinoza nous explique que l’on ne peut considérer ce qui « reste » d’un grand homme dans son présent, alors qu’une maladie altère ses fonctions. Il faut le considérer en tant que lui-même, au travers de ses caractéristiques, avant que la maladie ne lui soit survenue, nous dit-il ! Comme si la maladie, l’accident ou encore la mort étaient à ce point extérieurs et « déplacés », quant à ce qui caractérise un « grand homme » dans son évolution ! Au vu de cette volonté d’exclure, pourquoi alors ne pas considérer le pays, la culture, la couleur de la peau, la langue, l’évolution morphologique, la relation inter organique, le positionnement dans l’espace, la gestuelle, les rides, les manies,... voire la bête méchanceté, comme des éléments accidentels surajoutés à l’essence réelle de l’individu ?

Il est cependant vrai que la causalité des événements nous échappe, en général, et en ce qu’ils ont de concomitant et de prégnant pour l’individualité. Ce constat type est décrit par Buffon qui nous confirme, dans le premier discours de la « Théorie de la terre » : « Nos sens, étant eux-mêmes les effets de causes que nous ne connaissons point, ne peuvent nous donner des idées que des effets, et jamais des causes ; il faudra donc nous réduire à appeler cause un effet général, et renoncer à savoir au-delà ».

Ajoutons à cet aveu d’impuissance qu’il était de bon ton de considérer un concept, dieu, comme étant la cause des causes, la cause première de tout, surtout de tout ce qui ne peut être expliqué, et nous aurons ainsi accès au poste d’observation extrêmement limité qui fut celui de la plupart des penseurs qui se succédèrent en Occident jusqu'à nos jours.

Qu’en est-il par contre dans l’enseignement du Bouddha ? Tout d’abord, nous considérerons les écoles s’appuyant sur des fragments superficiels de sa doctrine comme ne pouvant prétendre à représenter pleinement et, à plus forte raison, à expliciter le bouddhisme. En effet, la doctrine de l’Eveillé est profonde, son enseignement progressif, et les tenants de la seule vacuité polluent nécessairement son intention originelle. Du reste, les considérations annexes qui découlent de ce point doctrinal qu’est la vacuité distordent encore plus leur prisme quant à l’aspect réel des phénomènes et nous ne pouvons, pour ces raisons, leur accorder le bénéfice d’une quelconque parenté avec la doctrine de l’Eveillé. Il est patent, d’ailleurs, que les éventuels pontages entre une cause première nommée dieu, ou esprit, ou concept, ou encore ce fourre-tout obscur appelé vacuité, sont nombreux. Et il va de soi que ces diverses écoles trouveront suffisamment de points communs, ou de lieux de non-agression, pour se trouver globalement d’accord pour juger « hérétique » une école qui ne verse pas comme les leurs dans le mirage spiritualiste.

Cela étant, qu’en est-il de l’enseignement du Bouddha dans la tradition de notre école ?

Nous lisons, dans le « Sûtra de la terre du cœur »(5) : « Si vous désirez connaître les causes du passé, regardez les effets du présent ; si vous désirez connaître les effets du futur, regardez les causes du présent ». D’entrée, l’approche de la réalité par l’Eveillé s’exerce sur la totalité « forme/pensée/ environnement » du sujet. Le corps, la pensée et l’environnement du sujet sont donc perçus comme étant le fruit de sa causalité propre. Qui plus est, le présent, seul lieu sans durée de l’expression du corps et de l’esprit, est considéré comme le point où se focalisent les effets dus au passé et les causes déterminant le futur. Autrement dit, l’instant présent est à la fois l’effet et la cause tant de la qualité sensible que de la forme.

Bien avant l’apparition du Bouddha Shakyamuni, les philosophes Indiens avaient élaboré des doctrines selon lesquelles une naissance singulière en un lieu ne pouvait être acausale. Les êtres se devaient alors, dans ce contexte culturel, de subir avec plus ou moins de résignation le fardeau échu. Or, après son éveil, Shakyamuni ne rejeta pas immédiatement cette logique de causalité linéaire dans l’exposé de son enseignement. Il l’utilisa même pour combattre certains courants de pensée qui établissaient la non utilité de produire le bien du vivant, puisque nuls effets ne pouvaient, selon eux, en résulter. Cependant, dans le « Samyutta Nikaya » Shakyamuni déclare : « Ceci, ô disciples, n’est pas votre corps ni le corps des autres ; il faut le considérer comme l’œuvre du passé ayant pris forme, réalisée par la pensée devenue palpable ». Plus encore que l’important principe d’identité, ou plus exactement de non dualité du corps et de l’esprit, cette déclaration fonde un principe absolu de mobilité qui tranche avec la pesanteur idéologique partagée à son époque. En effet, si le corps, les corps, sont « l’œuvre de la pensée devenue palpable » il s’en suit : que l’égalité de principe de toute les formes est fondée, que la richesse et la solennité de tout phénomène s’impose, que l’accès à l’éveil de tout ce qui est ne peut rencontrer aucune limite, aucun interdit. Le bonheur et la liberté de tous deviennent ainsi des actes possibles en ce monde.

Dans le même ordre de pensée, l’actuel Souverain de la Loi de notre école Nikken Shonin déclare (6) : « Finalement, le présent communique avec le passé et le futur, et c’est dans le présent que se trouvent les causes et les effets. Telle est aussi la signification de la simultanéité de la cause et de l’effet ». Le principe de mobilité évoqué ci-dessus par Shakyamuni trouve donc un nom : « la simultanéité de la cause et de l’effet ». Ce concept est la formulation authentique d’un des aspects de l’éveil des bouddha puisque tous se sont nécessairement éveillés à la même chose : « L’aspect réel des phénomènes ». Cependant, notons que si la dénomination « Merveille la simultanéité de la cause et de l’effet » indique à l’évidence que cette « Merveille » relève de l’éveil, « l’obscurité » des causes et des effets éloignés les uns des autres provient des êtres non éveillés. Pour ce qui concerne le Bouddha Nichiren Daishonin à enseigné (7) : « Lorsque le sage, observant le principe, donna un nom à toute chose, ce fut la Loi unique, inconcevable, de la simultanéité de la cause et de l’effet ».

Cet éveil relatif à la causalité des phénomènes, que l’on peut appeler intuition à son niveau le plus élevé, ouvre sur une relecture nécessaire des paramètres constituant le lieu de la causalité, à savoir le temps et l’espace. Ces derniers n’apparaissent plus, en effet, comme des « objets » que l’on peut tronçonner, mesurer, mais bien comme deux aspects d’une qualité unique et subjective, celle de tout existant, de tout phénomène provisoire, c’est-à-dire de tout corps.

Concernant la durée, que l’on considère à l’ordinaire comme étant le support incontournable du phénoménal, H.Bergson déclare (8), à propos des philosophes : « Ils n’ont pas vu que le temps intellectualisé est espace, que l’intelligence travaille sur le fantôme de la durée, mais non sur la durée même, que l’élimination du temps est l’acte habituel, normal, banal, de notre entendement, que la relativité de notre connaissance de l’esprit vient précisément de là, et que dès lors, pour passer de l’intellection à la vision, du relatif à l’absolu, il n’y a pas à sortir du temps ; il faut, au contraire, se replacer dans la durée et ressaisir la réalité dans la mobilité qui en est l’essence ».

A quelques termes près nous sommes parfaitement en accord avec cette déclaration. Le temps intellectualisé est précisément espace, et vice et versa. Et si, pour passer de l’intellection à la vision, il convient de se situer dans le temps, nous ne considérons pas en être jamais dépossédés, et quand bien même ce positionnement dans le temps n’aurait pas de durée, il est l’unique lieu de la perception de la qualité sensible de l’existant. Tout corps, bien qu’il mesure le temps et l’espace du fait d’une occupation, ou plutôt d’une production « personnelle » de ces deux paramètres, vit dans l’instantanéité. Quant à la mobilité, qui est l’essence de la réalité, nous venons de voir que le bouddha lui donne effectivement un nom.

L’intuition, chez Bergson, le rapproche sur d’autres points de l’enseignement des éveillés. Nous lisons en effet(9), alors qu’il parle d’un être intuitif: « Au lieu d’une discontinuité de moments qui se remplaceraient dans un temps infiniment divisé, il apercevra la fluidité continue du temps réel qui coule indivisible ». Concernant encore le temps, le même auteur indique(10) « C’est justement cette continuité indivisible de changement qui constitue la durée... Que le temps implique la succession, je n’en disconviens pas. Mais que la succession se présente d’abord à notre conscience comme la distinction d’un [avant] et d’un [après] juxtaposés, c’est ce que je ne saurais accorder ». La continuité de la conscience, seul maître d’œuvre des sentiments relatifs à la fois au temps et à l’espace découle effectivement, à nos yeux, du fait que l’effet soit la cause et que la cause soit l’effet. C’est ce que nous nommons la « Une pensée ».

Dans un ordre d’idée à la fois assez proche et complémentaire, le Souverain de la Loi à déclaré(11) « Autrement dit, c’est uniquement par la pratique de la récitation de Nam Myoho Renge Kyo, devant l’Objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur, que l’on peut effacer les mauvais actes accumulés au cours des longues périodes précédant notre naissance. D’autre part, notre vie présente reçoit les vertus inconcevables du Bouddha. Alors, par le fait que nos illusions d’hommes ordinaires deviennent telles quelles l’essence de la loi merveilleuse, nous pouvons réaliser le bonheur pour les deux périodes du présent et de l’avenir ». Dans cet extrait, le rapport entre le temps, dans ses trois phases, et la qualité individuelle momentanée est établi. Cependant, le fait que l’on puisse transmuer « les mauvais actes accumulés au cours des longues périodes », en « vertus inconcevables du Bouddha » dans cette vie présente, semble contradictoire si l’on tient pour vrai le sentiment « d’accumulation » lié au passage du temps. A plus forte raison d‘ailleurs si l’on s’imagine que l’éternité est linéaire ! Or, nous sommes bien là en présence de deux infinités de natures opposées et, en réalité, seul l’acte présent va justifier la pérennité passé/futur de l’une ou de l’autre de ces qualités. Pour cela, « le fait que nos illusions d’hommes ordinaires deviennent telles quelles l’essence de la loi merveilleuse » nous informe davantage sur la capacité, inhérente en chaque instant, de changer le type de production qui nous caractérise depuis une infinité, que sur l’éventuel pouvoir magique d’une incantation salvatrice. Ne persiste à « l’identique » que ce qui est re-produit.

Nichiren Daishonin nous le confirme de la manière suivante(12) : « En général, dominer ses égarements n’est pas considéré comme la quintessence du chapitre Durée de la vie(13) . Il faut savoir que le principe suprême de ce chapitre réside dans le fait que la corporéité de l’homme ordinaire existe à l’origine, telle quelle. Lorsqu’on demande quelle est l’action des trois corps sans artifices(14) , la réponse est Namu Myoho Renge Kyo ». L’idée même de dominer ses égarements se justifie nécessairement par le choix d’un paramètre. En effet, ce n‘est qu’à l’aune d’un élément de comparaison que l’égarement peut être mis à jour. Or, en ce qui concerne le bouddhisme, l’aune est l’éveil sans supérieur et sans égal. Alors, pour peu que l’on conserve une « logique » ordinaire, non seulement un égarement doit se transformer en aspect particulier de l‘éveil, ce qui prend dans les faits un certain temps, mais de plus le nombre des égarements est probablement aussi infini que la sagesse du Bouddha est vaste. Autant dire que si l’on s’engage à dominer ses égarements un à un, une vie n’y suffit pas, et tel est bien du reste le point de vue développé dans les sûtra provisoire. Toutefois, cette « logique » découle d’une lecture linéaire du temps, lieu d’une certaine causalité, et l’enseignement du Daishonin ouvre, nous allons le voir, sur un horizon bien plus vaste. Du reste, C.G. Jung nous signalait, il y a quelques années à propos du temps et de l’espace (15): « C’est seulement au cours de l’évolution intellectuelle qu’ils ont donné naissance à des concepts « stables et solides », quand s’est introduit l’usage de la mesure. En eux-mêmes ils n’ont aucune substance... En conséquence, ils sont par essence d’origine psychique ».

Dans notre école, seule la production du Bouddha originel : Nam Myoho Renge Kyo, exprime parfaitement l’action des trois corps sans artifices, c’est à dire du bouddha. En d’autres termes, une infinité produite dans l’instant remplace une pseudo infinité produite dans le passé et devant s‘exprimer dans l’acte présent, puisque seul l’acte présent est réel en terme de qualité objective. En ce qui concerne la conscience subjective, par contre, il est envisageable que nous ne nous sentions pas immédiatement être le bouddha lors de notre récitation de Nam Myoho Renge Kyo. Mais, de la même manière que l’on peut nous apprendre un jour que nous développons un cancer sans en être conscient, ou qu’une femme enceinte n’a pas conscience de sa participation continue à l’élaboration d’une architecture aussi complexe et délicate que celle d’un humain, notre conscience de la production réalisée par notre corps est inexistante. Alors, pour ce qui est de mesurer facilement la production immédiate de l’éveil en ce corps... !

Pour en revenir à la causalité, un autre penseur, dont l’intuition déferle en vague de lumière, F. Nietzsche, déclare (16): « Cause et effet : pareille dualité n’existe probablement jamais _ en vérité nous avons affaire à un continuum dont nous isolons quelques fractions.... Un intellect capable de voir la cause et l’effet non pas à notre manière en tant que l’être arbitrairement divisé et morcelé, mais en tant que continuum, donc capable de voir le fleuve des événements, rejetterait la notion de cause et d’effet, et nierait toute conditionnalité ». A la différence près que nous ne considérons pas que la cause et l’effet soit non duels, pour la raison qu’il en découlerait une identité absolue et invariable, convenons que le reste de sa déclaration dépasse en profondeur ce que d’autres penseurs se sont en vain échinés à élaborer au fil du temps... Ce fleuve des événements, à la fois cause et effet de lui-même, serait-il une réalité tangible et sensible ou une simple vue de l’esprit, lointaine et édulcorée, seulement de l’ordre du concept ? Qu’est-ce donc que ce continuum sourdant de la négation de toute conditionalité ?

Le vénéré Shakyamuni n’a-t-il pas enseigné (17): « Immobiles, ô Subhûti, sont tous les phénomènes (dharma) ; ils ne vont nulle part, ne viennent de nulle part et ne s‘arrêtent nulle part » ? Ne dit-il pas que les phénomènes, les dharma sont immobiles ? Si les phénomènes sont immobiles, qu’en est-il alors de notre lecture humaine qui « voit » apparaître et disparaître les êtres et les choses ? Qu’en est-il alors de nos certitudes relatives à ces deux catégories de la pensée que sont le temps et l’espace ? Shakyamuni n’a-t-il pas également affirmé (18): « Le vrai caractère des dharma conditionnés est inconditionné, et ce caractère inconditionné lui-même n’est pas conditionné : ce n’est qu’une expression imaginaire formée par la méprise des êtres » ? Ne dit-il pas que rien ni personne n’est conditionné ? Alors que le fait humain ne voit et ne mesure que le contraire ! Si, selon l’éveillé, les conditions de notre vie ne nous façonnent pas, pourquoi alors les produisons nous à chaque instant si ce n’est pour exprimer ce que nous sommes ultimement ! Non ? En fait, ne nous masquons nous pas l’évidence d’une production permanente et individuelle, avec le sentiment illusoire quoi que fort partagé d’être le jouet d’une durée qui nous dépasse, qui nous échappe ?

D’une façon plus explicite Nichiren Daishonin affirme, dans le « Traité sur les dix Ainsi »: « Le Sûtra (du Lotus) enseigne que notre corps a toujours été l’Ainsi venu de l’éveil originel aux trois corps en un seul... ». Notre propre corps, dans son environnement, apparaît donc avoir toujours été le Bouddha de l’éveil originel. Qui plus est, le Daishonin indique un peu plus loin : « Le début, l’aboutissement et le principe qui est en nous-mêmes ne formant qu’une seule et même inconcevable chose, il est donc enseigné l’égalité totale de l’origine et de la fin ». Le début est l’aspect du corps (nyoze so), l’aboutissement est la rétribution des actes (nyoze ho) depuis le passé hors le temps et, concernant le principe, il s’agit de la merveille de la simultanéité de la cause et de l’effet. Quant à une seule et même inconcevable chose, il s’agit de ce que voit l’éveillé, il s’agit de ce que nous ne voyons pas, il s’agit du fait que notre corps et notre esprit ne peuvent ni apparaître ni disparaître depuis le passé hors le temps. Notre corps et notre esprit sont la simultanéité de la cause et de l’effet, à l’origine. Il ne s’agit, du reste, pas seulement de notre corps et de notre esprit, l’intégralité des phénomènes existe sur le même mode. Alors, fort de cette conscience profonde de la réalité des phénomènes et du désir de faire partager sa perception aux êtres, le Daishonin indique dans le même texte, Ceux qui situent cette doctrine en dehors d’eux-mêmes se trouvent désignés par les termes [êtres], [égarement] ou bien [homme quelconque]. Celui qui sait qu’elle s’applique à son propre corps est appelé [ainsi venu], [éveillé] ou bien [saint] ou encore [sage].

Le dernier stade de cette graduation vers l’éveil, le sage, caractérise celui qui ne rejette pas cette vue du Bouddha, qui la pratique, l’approfondit en lui-même par l’étude et la propage. Ainsi participe t-il, par cet ensemble d’actes, de la vue et de l’action du Bouddha. (19)« C’est dans l’étude et la pratique constantes que l’on peut faire son apprentissage pour répandre largement [la doctrine] et que l’on peut, grâce aux oeuvres et vertus de la grande Loi de Nichiren Daishonin, goûter à l’état de vie de l’éveil ».

Quel est, selon notre école, l’axe logique permettant d’analyser le phénoménal, afin de pouvoir s’y éveiller ? Dans ses cours sur Myoho Renge Kyo, l’actuel Souverain de la Loi déclare (20): « La nature existentielle d’un dharma(21) donné est différente de celle d’un autre. Chacun suit en outre la logique propre à son entité. Il présente donc une continuité et un cheminement logique... Le dharma englobe l’existence réelle, le phénomène et le principe de toute chose ». Le fait qu’un phénomène soit différent d’un autre vaut pour tous les phénomènes. Contrairement à ce qu’un regard hâtif, puisque niveleur, pourrait décréter, il y a autant de différence entre deux brins d’herbe qu’entre un général en chef et un autre. En outre, cette différence existe également entre deux instants distincts du « même » phénomène. Que chacun suive une « logique propre » explicite la continuité qui fait que nul ne peut être autre que lui-même, à chaque instant, ni identique. N’étant ni identique à lui-même, ni différent, chaque phénomène montre ainsi sa pérennité dans la mobilité. Quant à la logique, intrinsèque aux phénomènes, elle est perçue et partagée seulement par le Bouddha et, pour cette raison, la simultanéité de la cause et de l’effet est appelée « merveille ». Selon les indications du Souverain de la Loi, Le dharma englobe l’existence réelle, le phénomène et le principe de toute chose . Une triple approche est donc nécessaire pour se familiariser avec la perception du bouddha :

1) L’existence réelle, Nyoze Tai, l’essence, le Corps de la Loi (22), concept de la médianité;

2) le phénomène, Nyoze So, l’aspect, le Corps de communication (23), concept de la conditionnalité ;

3) le principe, Nyoze In, la cause inhérente,

Nyoze En, le facteur,

Nyoze Ka, l’effet latent,

Nyoze Ho, la rétribution,

la cause (In) et l’effet latent (Ka) constituent le Corps de rétribution (24), concept de la vacuité.

1) Concernant l’existence réelle, le Souverain de la Loi déclare (25): « L’existence réelle désigne une chose qui existe à l’origine, en permanence et de manière immuable... L’existence réelle désigne l’existence permanente, cohérente, au sein de ce qui, à nos yeux, change sans cesse ». Tel est le principe de la médianité (Chu), qui établit l’existence « à l’origine » des multiples phénomènes, au travers de leur conditionnalité (Ke), et de leur vacuité (Ku). En d’autres termes, l’aspect provisoire et vacant de chaque forme exprime sa réalité à l’origine. Dans ce sens, « Qu’une couleur, une odeur, ne soient pas de la voie du milieu ne se peut »(26) . Tout dharma exprime donc son immuabilité par la forme et l’esprit. Telle est la voie du milieu dans cette école.

2) Concernant le phénomène, il s’agit de la forme provisoire de chaque chose. Cette forme résulte à tout instant des causes et conditions, et semble naître, s’épanouir, péricliter et disparaître. Cependant tout en disparaissant, rien ne disparaît ; telle est la conception de l’éternité de la vie selon le bouddhisme. Ici,... il existe plutôt qu’une vérité [d’être], une vérité qui est temporaire par le principe de la conditionnalité »(27) . A défaut donc de la certitude « d’être », qui est cause de multiples inconforts découlant d’un attachement à de l’instable, à du changeant, l’aspect de toutes les causes-conditions existe solennellement »(28) . Les causes (In) désignent la manière singulière, physique et mentale, de se situer, dans l’instant, vis-à-vis de l’environnement; les conditions (En) sont ce qui va servir d’objet immédiat pour la pensée momentanée. Les causes (In) et les conditions (En) ne sont pas deux choses distinctes(29) . Ce sont une seule et même chose. Ainsi, la forme provisoire faite de causes multiples et de conditions changeantes montre-t-elle solennellement son identité ultime hors le temps. La solennité, la majesté des phénomènes immuables caractérise en outre l’élévation du sentiment de l’être éveillé. En totale opposition avec ce dernier point, les êtres non éveillés tels que nous, en général, souffrent plutôt de ce qu’ils croient voir changer.

3) Concernant le principe, il s’agit de la vacuité de la « Une pensée » puisque la cause (In), et l’effet simultané (Ka), sont l’esprit (Nyoze Sho). Que le facteur (En), s’intercale dans la simultanéité de la cause et de l’effet fait que le facteur (En) favorise l’établissement de la cause (In). Il en découle la permanence de la perception d’objets adéquats, c’est-à-dire d’un lieu non duel avec la cause inhérente (in). D’autre part, le fait que (30) la rétribution (Ho) favorise l’apparition de l’effet (Ka) s’entend dans la mesure où la « une pensée » momentanée est toujours une prise d’image événementielle. Zhiyi explique en effet dans « l’arrêt et examen » : « Il n’est pas possible de dire que Une pensée soit antérieure aux multiples phénomènes, pas plus que les multiples phénomènes soient antérieurs à Une pensée... Tout ce que l’on peut dire est que Une pensée est les multiples phénomènes et que les multiples phénomènes sont la Une pensée ». Si la cause inhérente (In) antérieure à la pensée momentanée, (ou le « karma » ), est non duelle avec l’environnement devenant le lieu des objets de la Une pensée, il en résulte d’une part, la pérennité des objets perçus, d’autre part que la réaction de chacun à son environnement est bien la marque insigne de son choix d’objets depuis le passé hors le temps.

Cela étant, si l’image en la Une pensée est la résonance de l’objet perçu, il en découle l’antériorité nécessaire de l’objet sur l’image que nous en avons. Or, cela se vérifie pour les six sens puisque, fruit d’un objet « extérieur » ou « intérieur », la Une pensée est nécessairement l’effet de... Ainsi, la Une pensée dans l’illusion est-elle l’effet de sa production environnementale passée, et il ferait beau voir qu’il y ait, là, une quelconque possibilité purement hasardeuse de liberté !

Cependant, ce « principe » repose sur la vacuité. Alors, bien que nous ne puissions exister en dehors d’une relation objectale permanente, c’est-à-dire sans que la pensée ne soit faite d’images d’objets externes ou internes, il n’est pas immuable de souffrir de ce que l’on engendre et de ce que l’on en pense ! Le principe de, « Les troubles équivalent à l’éveil », illustre parfaitement le fait que les objets des troubles ou de l’éveil ne sont pas ce que l’on doit chercher à exclure, puisque ce sont nécessairement les « mêmes ». Dans ce sens, les troubles ou l’éveil ne s’inscrivent dans le réel que par l’acte momentané, ce dernier étant totalement libre.

C’est la raison pour laquelle, au vu des infinies capacités inhérentes à la pensée du fait de sa vacuité, notre pratique s’effectue devant « l’Objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur ». Antérieur à la pensée momentanée, le cœur est matrice des formes de la représentation objectale. En d’autre termes, notre perception est façonnée par ce qui nous est antérieur, et il serait bien venu de nous y éveiller. Nichiren Daishonin nous enseigne à ce propos, dans son écrit « En une vie devenir le Bouddha » : « Seul est appelé merveilleux cela d’inconcevable qui est le cœur de notre Une pensée. Inconcevable signifie que ni l’esprit, ni les mots, ne peuvent l’atteindre.... La non observation du cœur entraîne d’innombrables pratiques douloureuses ».

D’autre part, pour en revenir au corps, qui apparaît être le seul réel lieu présent puisque l’image en l’esprit est nécessairement celle d’un fait déjà passé, le Souverain de la Loi indique (31) « Ainsi est l’aspect (So) représente les couleurs et les formes apparaissant en tant qu’aspect sur notre corps. En fait, l’aspect se différencie selon les causes, relations, effets et conditions... Cet [ainsi est l’aspect] est l’aspect de tous les êtres. Si on le considère du point de vue du sens profond de l’Ainsi venu de l’éveil originel, tous sont dotés de la nature de Bouddha. C’est pourquoi on peut dire qu’ils sont le Corps de communication de l’Ainsi venu ». Le « O » de Ojin (Corps de communication de l’Ainsi venu), signifie répondre . Le corps physique du bouddha apparaît donc en fonction du « désir de voir » des êtres. De la même manière notre corps, nos troubles, nos souffrances, relèvent soit d’une causalité simple où le poids du passé se fait sentir et nous entrave, soit du désir de répondre à la demande des êtres et, auquel cas, notre corps et nos troubles montrent « le Corps de communication de l’Ainsi venu ». Autrement dit, l’illusion qui consiste à se croire dépendant de l’infinité des circonstances s’évanouit au profit d’un éveil, partiel ou total, à sa propre réalité originelle. Auquel cas, notre corps et nos troubles devenus, « en réponse » au désir des êtres, deviennent l’expression de notre propre bienveillance. En des termes très clairs le Souverain de la Loi explique en outre (32): « Que se soit pour le meilleur ou pour le pire, il y a égalité entre l’origine représentée par l’aspect et la fin représentée par la rétribution. Votre aspect présent est un effet, une rétribution révélée sous la forme de votre aspect. C’est parallèlement la cause qui modèle votre aspect futur. Pour celui qui pense être déshérité, cette situation est l’apparition de la rétribution du passé. Or, sa réaction à cette situation provoquera la rétribution dans le futur ». Sa réaction à cette situation désigne l’axe possible de changement de tout être. Il s’agit de l’éveil au « cœur de la Une Pensée », c’est-à-dire au karma (nyoze In). C’est ce que nous appelons la conscience de l’acte (shiki). Dès lors, l’acte mental ou physique étant accompli, étant passé, étant l’objet présent de la Une pensée, il correspond à la situation alors que la réaction désigne la conscience, l’éveil, pouvant jaillir grâce à ce trouble.

Explicitant la nécessaire transmutation de tous nos troubles en éveil, il a également déclaré (33) : « ... en recevant et en gardant la Loi merveilleuse, notre aspect, notre esprit et notre corporéité se dotent, tels quels, d’inconcevables vertus. Et de là, naissent les inconcevables fonctions de la Loi... La substance existe en même temps que la fonction et apparaît en tant que vertus dans votre corps ». La substance est celle du Bouddha originel : Nam Myoho Renge Kyo. Or, à l’ordinaire, notre substance est celle que nous pouvons mesurer grâce à l’étendue de nos troubles, qui expriment parfaitement sa fonction. Inversement, lorsque nous produisons la substance du bouddha ses fonctions apparaissent naturellement en tant que vertus dans votre corps. Point n’est donc besoin, dans cette doctrine, que l’on passe des siècles à tenter de modifier nos troubles les uns après les autres.

Le chapitre « Durée de la vie », du Sûtra du Lotus, signifie « éclaircir le volume ».(34) « C’est parce qu’il éclaircit le volume des oeuvres et vertus des Bouddha des dix directions et des trois phases qu’il se nomme Chapitre Durée de la vie de l’Ainsi venu ». Le « Nyo » de Nyorai, ou Ainsi venu, (35)désigne le principe véritable, constant dans le monde des dharma. Ce qui est apparu, après avoir stimulé l’éveil par ce principe, c’est « rai » (venu) . Nyo, ou Ainsi, correspond au principe de vacuité, alors que Rai, ou venu, exprime la sagesse relative à l’objet perçu. Or, provenir à chaque instant d’un principe, de son principe, de son choix d’objets, constitue une règle absolue pour le monde des phénomènes. Nous ne provenons en effet jamais d’autre chose que de nos propres choix. Shakyamuni expliquait en substance qu’un être ne s’élançait jamais d’une autre base que de celle constituée par ses actes. Ce principe est vrai, tant en ce qui concerne l’infinie sagesse du Bouddha dans son adaptation aux êtres, qu’en ce qui caractérise la singularité des choix comportementaux de chacun. Concernant le principe auquel chacun se réfère et dont il provient, il relève de la vacuité parce que l’infinité des qualités, de l’enfer à l’éveil, est toujours le possible de chacun. Il y a donc, de ce point de vue, totale égalité de principe pour tous les êtres des dix états.

En ce qui concerne l’Ainsi venu, le principe dont il provient (36) est la vérité parfaite et sans entrave... Cette vérité représente l’objet auquel s’est éveillé le Bouddha. L’objet désigne l’objet de la cognition... Il s’agit donc de la fusion parfaite de la sagesse et de son objet . (37) Cet objet et cette sagesse renferment le fondement de la Loi du Bouddha. L’état de vie du Bouddha est l’objet et la sagesse » . L’aspect réel des phénomènes est donc le principe, l’objet auquel le bouddha s’est éveillé, la sagesse infinie qu’il développe est donc la marque adaptée, l’empreinte de l’objet dont il provient à chaque instant. Pour cette raison, du reste, lorsque le Daishonin traite de son élaboration du Honzon il précise : « Ce Honzon n’est en rien une création de Nichiren. C’est la figuration gravée sur bois du vénéré Shakyamuni et de tous les autres bouddha présents lors de la cérémonie de la tour aux trésors ». Ainsi, la cérémonie dans les airs est l’empreinte de l’objet vis-à-vis duquel Shakyamuni s’est éveillé « à l’origine », alors que l’Objet Fondamental de vénération et Nam Myoho Renge Kyo sont l’origine de l’éveil de tous les bouddha des trois phases et des dix directions. Nichiren Daishonin nous enseigne effectivement (38) : « ... Le vénéré Shakya avait tenu secret le Honzon, l’Estrade des préceptes et les cinq caractères du Daimoku du chapitre Durée de la vie, aspect réel auquel il s’était éveillé lors de sa pratique au commencement ». Si, à des fins explicatives, on souhaite étendre ce principe hors le cadre de l’éveil, chaque dharma rencontre, dans un immuable présent, son choix « antérieur » d’objets. Il y a donc pérennité des objets caractérisant l’état de toute forme et pour cette raison, probablement, les six premiers états (39) sont un cycle de souffrances diverses d’où, selon la doctrine, nul n’échappe. En vertu de cette même logique, lors de notre pratique nous remplaçons notre « parterre » de réactions vis-à-vis de nos objets habituels, au profit de l’éveil par ces mêmes objets.

Dans le Chapitre « Durée de la vie », le Bouddha Shakyamuni indique, en parlant de sa sagesse (40) : « La durée de la vie à laquelle je me suis éveillé lorsque, à l’origine, je pratiquais la voie de bodhisattva, n’est pas encore consommée. Elle est le double du nombre précédent ». La durée de la vie signifie la vie manifestant la sagesse du Bouddha. En vertu du fait qu’il ne peut y avoir de connaissance de « quelque chose » sans ce « quelque chose », il ne peut y avoir de sagesse sans objet. Inversement, toute forme de sagesse déploie forcément, lors de son expression, la marque de l’objet dont elle provient. Dans le commentaire de cette citation, le Souverain de la Loi nous explique : « S’il y a sagesse, celle-ci a forcément un objet. Même notre sagesse superficielle et insignifiante a son objet. Et, en ce qui concerne le bouddha, l’objet de cette durée de la vie de la sagesse réside dans le principe véritable et absolu dont la corporéité est la Loi inconcevable de la simultanéité de la cause et de son effet, autrement dit Myoho Renge Kyo. C’est également la corporéité du Honzon (41) de la doctrine essentielle ».

Tel est l’enseignement de notre école, et il est de fait que la Loi inconcevable de la simultanéité de la cause et de son effet échappe totalement au regard des êtres ordinaires, son nom à plus forte raison. A propos des êtres ordinaires, notons cependant la belle éclaircie Nietzschéenne à propos du critère de « perception correcte » (42) : «... la perception correcte - ce qui voudrait dire : l’expression adéquate d’un objet dans le sujet - me semble une absurdité contradictoire : car entre deux sphères absolument différentes, comme le sujet et l’objet, il n’y a aucune causalité, aucune conformité, aucune expression, mais tout au plus un rapport esthétique, je veux dire l’esquisse d’une transposition, la traduction balbutiante dans une langue complètement étrangère : ce qui nécessiterait en tout cas la médiation d’une sphère et d’une force de libre poésie, de libre invention ». Nous avons là, semble-t-il, un état des lieux des capacités humaines, ainsi qu’une indication quant à ce qui pourrait dépasser ces capacités. Que nous ayons besoin de la médiation d’une sphère, certes. Nous ne sommes les créateurs, ni de Nam Myoho Renge Kyo, ni de l’Objet fondamental de vénération. En cela, nous ne pouvons produire l’éveil en nous qu’en produisant le corps du Bouddha originel : Nam Myoho Renge Kyo. Cependant, hors le biais de la médiation d’une sphère, Nietzsche repousse la possibilité de l’expression adéquate d’un objet dans le sujet, et tel est pourtant bien ce qui caractérise l’éveil du Bouddha. L’état de vie du Bouddha est l’objet et la sagesse. Encore fallait-il avoir entendu en suffisance son enseignement pour s’ouvrir à ce qui dépasse l’imagination ordinaire, à ce qui dépasse l’intuition la plus lumineuse. En ce qui concerne la transposition, la traduction balbutiante dans une langue complètement étrangère, nous allons y venir de suite, mais c’est bien ce qui explicite le fait que si tous les bouddha des trois phases se sont éveillés à la même réalité, hormis Nichiren Daishonin personne n’a pu formuler Nam Myoho Renge Kyo et le Honzon.

Pour en revenir au concept de la simultanéité de la cause et de l’effet, il se dit Renge en Japonais, Pundarika en Sanskrit. Ce terme désigne dans les deux cas la fleur de lotus. La fleur de lotus est métaphorique du principe de simultanéité dans la mesure où la fleur (la cause) et le fruit (l’effet) coexistent simultanément. La fleur du lotus a pour caractéristique d’être très pure et d’apparaître uniquement dans les étangs boueux. C’est donc une fleur pure qui émerge de la boue. La métaphore consiste également en ce que notre vie peut sembler boueuse uniquement si l’on se réfère à notre condition du fait de notre passé, de notre présent, ainsi que de notre futur, alors que celle-ci est pure si l’on s’éveille à la simultanéité de la cause et de l’effet de notre propre existence depuis le passé hors le temps. Nichiren Daishonin indique effectivement : « Les souffrances ne deviennent le nirvànà que si l’on réalise que l’entité de la vie humaine, à travers vie et mort, ne peut ni apparaître ni disparaître ». Et, en conséquence (43) : « Nichiren et les siens, qui récitent Nam Myoho Renge Kyo, sont le souverain originel du chapitre Durée de la vie.».

Alors, à propos de la perception de la simultanéité de la cause et de l’effet, Nichiren Daishonin enseigne (44) : « Lorsque le sage, observant le principe, donna un nom à toute chose, ce fut la Loi unique, inconcevable, de la simultanéité de la cause et de l’effet. Lui donnant un nom, ce fut Myoho Renge ». A l’ordinaire, pour le regard usuel, la cause et l’effet apparaissent séparés. Ce fut, nous l’avons évoqué, le constat de la grande majorité des philosophes. Dans l’enseignement du bouddha, par contre, la simultanéité de la cause et de l’effet est ce à quoi il s’est éveillé. Le Souverain de la Loi déclare (45) : « La Loi de causalité implique que la cause et l’effet sont, tels quels, simultanés et, en même temps, que la cause devient effet et que, de plus, l’effet devient la cause d’où va apparaître l’effet ». Ainsi est l’existence réelle des phénomènes, aux yeux du Bouddha, et ceci fonde les expressions déjà employées pour qualifier cette réalité phénoménale qui existe à l’origine, en permanence et de manière immuable.

D’autre part, en ce qui concerne l’essentiel du chapitre Durée de la vie (46) il s’agit du grand Dharma exprimant la véritable Ainsité qu’à attestée le saint avant le passé hors du temps. Lorsque (ce Dharma merveilleux) est présent dans le cœur du Bouddha, celui-ci atteint alors un état de vie immense et absolu, ineffable, inexplicable aisément par les mots » . C’est la situation décrite dans le chapitre des moyens ou Shakyamuni déclare à Sharihotsu, qui vient de lui demander pour la troisième fois de bien vouloir enseigner la Loi, « Arrêtons, arrêtons, il ne faut pas que je le dise ; mon Dharma est merveilleux, il est difficile à concevoir ». Après cette déclaration, Shakyamuni déclare que seul un bouddha peut partager cette réalité avec un bouddha, puis enseigne les dix Nyoze pour expliciter le concept suivant : « Aspect réel/Multiples phénomènes ». Or, ce ne sont que des mots, des concepts, certes suffisant pour que Sharihotsu parvienne à l’éveil, mais ce ne sont malgré tout que des mots et non pas l’éveil lui-même. Pour cette raison le Daishonin enseigne (47) « Lorsque le Bouddha, de par son immense compassion, désire sauver les êtres de leurs souffrances grâce à son éveil ultime, il se force à expliquer par des mots le contenu et l’essence de son éveil ». Et c’est bien ce que Shakyamuni a fait dans le chapitre des Moyens. Cependant, Nichiren Daishonin précise, dans le même texte : « Or, même s’il explique par des mots, fondamentalement, il explique uniquement le nom de son ainsité véritable absolue, ce nom est Myohorengekyo ». Telle est, effectuée par le Daishonin, la « traduction » de son propre état intérieur pour le donner aux êtres.

Nous savons que les mots ne sont en général que des métaphores creuses, sans substance, et ne sont pas habilités à nous faire partager le réel puisque, n’étant pas le nom des choses, ils nous en éloignent. Nietzsche l’exprime avec clarté par ces termes (48) : « Chaque mot devient immédiatement un concept par le fait que, justement, il ne doit pas servir comme souvenir pour l’expérience originelle, unique et complètement singulière à laquelle il doit sa naissance, mais qu’il doit s’adapter également à d’innombrables cas plus ou moins semblables, autrement dit, en toute rigueur, jamais identiques, donc à une multitude de cas différents. Tout concept naît de l’identification du non-identique ». Cette déclaration est d’une grande pertinence, et le fait que l’on puisse traduire un mot est significatif de son éloignement de la chose qu’il est sensé désigner, puisque si le mot était réellement la chose, il ne saurait être traduit. Un exemple comme le nom patronymique nous renseigne d’ailleurs sur cette évidence : « Charles Baudelaire » ne désigne qu’un seul objet, un seul être, parmi les milliards d’êtres, de choses et de noms qui ont existé jusqu'à ce jour. Le nom a donc, sur le principe, la vertu de s’étendre à la substance. Pour autant, il serait vain de persister à psalmodier ce nom dans le but de s’approprier la qualité même, le talent, de l’objet « Baudelaire ». Nul n’en doute. C’est pourtant indicatif du fait que lorsque le nom désigne une substance unique, et à plus forte raison lorsqu’il est la chose, c’est très différent que lorsque le nom n’est pas la chose. Le Souverain de la Loi s’est exprimé très précisément à ce sujet (49) « Lorsque le sage voit ce principe, il donne un nom à toute chose, ce qui signifie que la Loi unique, inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet existe au moment le plus fondamental, avant même dénomination » . Ce moment le plus fondamental, avant même dénomination, est bien ce que nous considérons comme étant « hors le temps », et le nom de ce principe est Myohorenge. Dans cette situation particulière, le nom est la forme, la forme est le nom. Nous lisons effectivement (50) « Toutes les choses sont donc, telles quelles, la loi inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet », « ... il vit le principe fondamental permettant de donner un nom à toutes les choses ». Ceci est très certainement explicite du fait que (51) « La corporéité de l’Objet fondamental comprend les noms de Bouddha et de bodhisattva,... tous représentant des particularités. En dehors de Nam Myoho Renge Kyo, qui figure au centre, il n’y a aucun terme exprimant une doctrine ou un principe». En conséquence, lorsque le nom est la forme, la production du nom est le principe d’apparition de toutes les formes dans l’éveil. (52) «Autrement dit, en récitant Nam Myoho Renge Kyo, nous ne faisons qu’un avec le Bouddha et nous pouvons révéler la sagesse du Bouddha du plus profond de notre vie. Alors, nos vies emplies d’illusions se transforment en vie illuminées, avant que nous nous en rendions compte».

Dans un sens tout à fait similaire Nichiren Daishonin a également déclaré (53): « Myohorengekyo représente la nature de Bouddha de tous les êtres. La nature de la Loi est l’éveil... Aussi, en récitant uniquement Nam Myoho Renge Kyo les natures de Bouddha de tous les êtres ainsi appelées se rassemblent ici. Alors, ensemble, les trois corps de la Loi, de rétribution et de communication, de la nature du Bouddha, attirés, apparaîtront. C’est ce qu’on appelle devenir Bouddha ».

Toujours concernant Myoho Renge Kyo, le Daishonin précise (54) « ... Lorsqu’il est gardé dans le cœur du Bouddha originel, c’est Myohorenge, Dharma inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet. Lorsqu’il est présenté sous la forme du Honzon de la Personne et de la Loi... à partir de la substance de l’ouverture immédiate à l’éveil, à l’origine du passé hors du temps, c’est Myohorengekyo ». Et le Souverain de la Loi de nous indiquer (55) : « Lorsque le Bouddha parle du point de vue de la pratique, alors, le caractère Kyo est incorporé. C’est pourquoi cela devient la pratique en tant que Myohorengekyo ». Le terme Kyo à pour sens sûtra, c’est à dire texte. Les textes désignés sont l’expression des paroles du Bouddha et l’écriture remplace alors sa voix. L’enseignement du Bouddha possède effectivement deux aspects physiques possibles : la voix et l’écrit. Nous lisons à ce propos (56) : « L’esprit représente l’aspect spirituel, et la voix, l’aspect physique. Le physique et le spirituel, qui sont essentiellement un, se manifestent sous ces deux aspects distincts ; ainsi, l’esprit du Bouddha se manifeste sous la forme physique des caractères du Sûtra du Lotus. Ces caractères, qui forment les mots du Sûtra du Lotus, sont le cœur du Bouddha sous une autre forme ». Dans ce sens, lorsque le Saint, à l’origine, exprime le principe qu’il partage en son coeur, qui fait partie de son corps, Myohorenge, cela devient Myoho Renge Kyo dans l’expression qu’il en fait. Inversement, notre voix devient, lors de notre récitation, l’expression de la voix du Bouddha. Devenant la voix du bouddha révélant son état intérieur, comment pourrait-il se faire alors que cette fonction ne soit pas graduellement l’expression d’une substance ?

Alors, en vertu du principe de l’expression physique de l’éveil, Nichiren Daishonin déclare (57) : «Autrement dit, c’est grâce au mot Kyo que notre pratique est possible, car il permet à l’état d’éveil du sage, à sa sagesse et à l’objet de cette sagesse, dont la nature essentielle est difficile à imaginer, de devenir, tels quels, l’objet de notre cognition par la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et l’esprit. Grâce au mot Kyo, Myohorenge apparaît dans toute sa splendeur devant nos yeux » . Ceci est explicite du fait que, puisque notre Une pensée momentanée dans les neuf états est forcément celle de l‘objet de la cognition, l’éveil ne peut également apparaître qu’en tant qu’objet de la cognition. Il ne peut apparaître seulement en tant que concept. En effet, par nature le concept est évocateur d’une substance dont la qualité varie grandement selon la capacité de l’esprit individuel, alors que la substance engendrée par le nom est invariable lorsque celui-ci est la forme. D’autre part, le fait que notre pratique est possible se justifie en cela que, pour devenir l’objet de notre cognition par les cinq sens, l’objet doit être matérialisé. Sa mise en pratique, rendue dès lors possible, est donc production de la substance et de ses fonctions. Il est effectivement dit (58) « ... L’entité réelle de la loi de la doctrine originelle n’aurait jamais pu être claire s’il l’avait simplement expliquée ».

Dans notre école, un dharma est une structure provisoire. Que ce soit un concept, un arbre un kangourou ou un cri, tout phénomène est une structure provisoire. Or, tout phénomène momentané ayant une forme et un esprit est nécessairement une substance dont les fonctions ne peuvent que se manifester. Aussi faisons nous donc naturellement apparaître un corps lors de la récitation, puisque nous le formulons. Donc, la formulation du corps du Bouddha originel est l’apparition de son corps, ainsi que de ses fonctions. Du reste, ce principe s’étend à toute production de forme et ceci éclaire la nature même des productions individuelles dans les six voies. En effet, les paroles, les pensées et les actes physiques usuels engendrent continûment les formes multiples des souffrances individuelles, et cela, nul ne le voit, nul ne le sait sauf le Bouddha. Quant à ce qui concerne la production de l’éveil, c’est-à-dire Nam Myoho Renge Kyo, le Daishonin indique effectivement (59) : « Le nom possède la vertu d’aboutir immanquablement à la substance ».

Et pour nous confirmer plus encore le lien entre la forme de l’objet, en le Bouddha, l’expression qu’il en fait sous la forme phonétique, et la production de ce nom par les êtres, le Souverain de la Loi nous enseigne (60) « Myoho Renge Kyo provient du Bouddha, sur la base de son état de vie. Aussi, avoir la foi, comprendre et pratiquer le corps même de Myo qu’il a révélé, permet de faire apparaître toutes les oeuvres et vertus sans qu’il en manque une seule ». Si, éventuellement, la question de la filiation de tout ceci avec l’enseignement du Vénéré Shakyamuni se posait, sachons que celui-ci a déclaré (61) :

« Pour qui recherche la vision correcte,

Il n’y a que noms et formes.

Celui qui veut juger et connaître en vérité

Ne connaîtra lui aussi que les noms et formes.

Qu’un esprit imbécile multiplie les notions

Et s’attache à distinguer quantités de dharma,

Il n’y aura jamais autre chose

Que les noms et les formes ».

D’autre part, Zhiyi indique (62) « Lorsqu’on parle de Myo, Myo est le nom de ce qui est inconcevable ». Or, l’un des sens de Myo est « doter ». (63) « D’un point de vue scientifique, l’esprit et la matière sont considérés comme existant séparément. Or, en fait le cœur est doté tel quel de la matière et, de même, la matière également est dotée du cœur. On ne peut comprendre cela sans comprendre Myo » . En d’autres termes, chaque dharma, ou phénomène provisoire, exprime forcément son esprit par la forme et c’est la raison pour laquelle le Tiantai déclare « Il n’est pas une couleur ni un parfum qui ne soit dans la voie du milieu ». En somme, chaque chose est dotée des dix états, des cent états, des mille Ainsi et des trois mille mondes. Nichiren Daishonin écrit dans « En une vie devenir le Bouddha » : « On donne ainsi le nom de Myo à l’inconcevable corps merveilleux de la réalité unique de la voie du milieu. Pour désigner ce cœur merveilleux, on peut également utiliser le mot de dharma ». Chaque chose est donc bien l’expression de Une pensée trois mille, dont le 26° Grand Patriarche Nichikan Shonin dira « Une pensée trois mille a le double sens d’inclure et d’imprégner ». « Inclure » désigne l’infinité passée de la forme/pensée présente en terme d’effet, et « imprégner » désigne l’infinité future de la forme/pensée présente en terme de cause. Ce présent sans durée est celui de la simultanéité de la cause et de l’effet pour toute forme/pensée, pour tout dharma. D’une manière très concise Nichiren Daishonin affirme à ce propos, dans son « Questions et réponses sur l’adoption du Sûtra du Lotus » : « La vie n’est rien d’autre que Une pensée ». Ainsi, ce principe d’égalité fait que l’éveil, comme les neuf autres états, se situe nécessairement dans la forme et, dans la même logique, Nichiren Daishonin déclare, dans les « Instructions relatives à la capacité qu’ont les végétaux de devenir le Bouddha » : « Si l’on filtre et si l’on épure le principe de Une pensée trois mille, le grand mandala apparaît.... Finalement, c’est parce que l’on ne connaît pas la Loi merveilleuse de la simultanéité de la cause et de l’effet (Myohorenge) que se forment des doctrines entachées d’erreurs. Ne l’oubliez surtout pas ». Tel est le point de vue de notre école et Nichikan Shonin précise : « Selon la doctrine de cette école, la réalité d’Une pensée trois mille est une réalité tangible ». Ceci se rapporte bien à l’Objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur, et notre pratique consiste bien à matérialiser l’éveil sous sa forme, à savoir Nam Myoho Renge Kyo.

D’autre part, et concernant « Renge », Zhiyi nous indique (64) : « La fleur du lotus (Renge) n’est pas une métaphore. Elle reçoit le nom de substance » . L’ensemble phonétique « Myohorenge » n’est donc pas métaphorique, il ne sert pas de renvoi vers un concept, il n’est pas symbolique de quelque chose, il est la matière même de la simultanéité de la cause et de l’effet. Aussi Zhiyi nous confirme-t-il (65) « La fleur de lotus de la Loi (Myohorenge) est difficile à comprendre. C’est pourquoi elle est comparée au végétal. Lorsque (le disciple à) la réceptivité aiguë comprend immédiatement le principe en entendant le nom, il n’y a pas lieu d’emprunter la métaphore ». Il est hautement probable que nous ne soyons pas des disciples de faculté aiguë ! En connaissance de cause, Zhiyi indique que pour les disciples dotés de facultés moyennes ou inférieures des métaphores sont utilisées. Ces métaphores, enseignées dans le Lotus, sont les paraboles, pour les êtres de racine moyenne, et la causalité linéaire pour ceux de racine inférieure. Cela étant, et bien que l’utilisation des paraboles puisse parfois remplir d’une certaine satisfaction, il faut certainement en passer un jour à la vitesse supérieure. Pour ce faire, Zhiyi nous donne une indication par les phrases suivantes (66) : « Entendre la profondeur sans concevoir de crainte ; entendre la vastitude sans concevoir de doute. Entendre le non profond et le non vaste et pourtant avoir le courage en son cœur ». Or, la triple utilisation que Zhiyi fait du terme « entendre » incite à penser que le nom, porteur de la forme du fait de la phonétique, est l’épaisseur, la matière profonde, la vastitude, dans le cadre de la Loi. Par contre, là où une traduction est possible, nous trouvons systématiquement le non profond, le non vaste, le métaphorique en somme. Entendre le profond enseignement du Bouddha sans concevoir de crainte ou de doute se rapporte à ce propos de Miao-Le : « Le bouddhisme est vaste et profond comme l’océan, seul l’être courageux ose y entrer ». Entendre le non vaste et le non profond exprime une certaine forme de bienveillance qui fait, des troubles divers des êtres, le tremplin permettant de dépasser ses propres limites.

Dans notre école, pour cette raison, la lecture du gongyo s’effectue dans une phonétique particulière. (67) « Il est vrai qu’une traduction [du texte] est plus compréhensible. Faire gongyo de la sorte, toutefois, serait incorrect au regard de la tradition de la Nichiren Shoshu car, si nous lisons le Sûtra, c’est en tant que pratique plutôt que pour la compréhension ». De fait, la production de l’éveil ne passe pas par la compréhension mais par la formulation d’un corps, celui-ci possédant alors sa causalité propre, sa substance et ses fonctions.

En résumé de cette approche succincte de la causalité, le Souverain de la Loi a affirmé (68) : «Fondamentalement, les religions relevant des voies extérieures ignorent la loi de causalité ». Et, en toute logique pour ce qui concerne notre école, on obtient l’effet par la cause puisque, d’évidence, toute autre cause que l’éveil produira un effet qui sera autre que l’éveil. Cela parce que la cause et l’effet sont simultanés.

Outre cela, le Daishonin nous enseigne (69) « Le profond des phrases désigne Nam Myoho Renge Kyo de la Une pensée trois mille en tant que pratique effective, vision correcte immédiate, Loi merveilleuse du degré de dénomination de l’éveil véritable dans le passé infini, sans qu’il y ait recours à d’autre pratique ». Le commentaire du Souverain de la Loi précise « C’est le modèle, la source de l’identité de l’éveil dès ce corps où l’homme ordinaire est l’ultime » . Le « degré de dénomination » désigne le point où tous, du plus élevé au plus bas, ne peuvent malgré tout faire apparaître l’éveil en eux-mêmes qu’en le produisant. Cette logique, issue de la simultanéité de la cause et de l’effet, efface définitivement toutes les approches anthropocentriques établissant l’accumulation d’oeuvres, en vue d’établir un effet sans en produire la cause. Pour l’éveillé, on obtient l’effet par la cause puisque Myohorengekyo est la cause et l’effet de la boddhéité, c’est-à-dire le corps et l’esprit du Bouddha originel. En outre, Myohorengekyo étant à la fois la cause et l’effet de l’éveil, il est nécessairement corps immuable « à l’origine ». Pour préciser ce qu’il entendait par le « modèle », le Souverain de la Loi a également déclaré (70) :«... il est naturel que Nichiren Daishonin ait révélé le Bouddha de l’origine du passé ( Nam Myoho Renge Kyo) en tant que substance du Dharma à propager. Toutefois, du point de vue des prédispositions, c’est à dire des êtres, on ne peut voir l’origine du passé ailleurs que dans le Dai Gohonzon de l’Estrade des préceptes, qui est la corporéité de Nichiren Daishonin, lui-même constituant le passé lointain identique à la fin du Dharma et la fin du Dharma(71) identique à l’origine du passé».

Concernant le concept de « Passé lointain », Nichiren Daishonin déclare dans la transmission orale de la doctrine: « Le passé lointain ne varie pas, ni n’est créé ; il signifie tel qu’à l’origine. Le Bouddha permanent existant à l’origine est tel qu’à l’origine. C’est ce qu’on nomme le passé lointain ». Alors, si l’on envisage nos existences, que serait donc ce « passé lointain » devant justement nous servir de modèle? Prenant les choses dans l’autre sens, qu’est-ce donc que cette causalité ordinaire où la cause et l’effet tissent, par leur non simultanéité, la durée linéaire. Quelle origine peut-elle montrer ? « Quelque chose » hors la causalité, une cause elle-même sans cause, un principe supérieur où tout retourne en fin de parcours sans produire d’effets ! Inversement, qu’est-ce donc que cette causalité où la cause et l’effet sont simultanés ? Quelle origine peut-elle montrer ? Ce qui parait certain c’est que si la cause et l’effet sont simultanés, l’une est l’autre et l’autre est l’une. Si c’est le cas, il n’y a donc pas d’origine à chercher dans un temps linéaire. S’il n’est pas, en soi, de temps et d’espace, nous ne sommes donc pas dans un temps et dans un espace. Nous les produisons continûment du fait de notre positionnement physique puisque (72) «La forme, étant d’existence réelle, est dite non destructible ; bien que l’on ne puisse la détruire, en raison de son impermanence, on dit que la forme est vacuité ». Alors le « modèle » montre nécessairement notre origine hors le temps dans l’éveil, et ceci ne se justifie bien sur que si nous le produisons. Dans les autres cas, c’est le cycle « infini » dans les six voies.

Pour résumer, acceptons le fait que seule la qualité de notre vie, immédiatement, constitue l’aune de notre rapport avec les choses qui nous entoure, et qu’il n’est pas de réelle qualité là où il n’y a pas d’adéquation. Le Daishonin nous indique (73): « La voie pour devenir Bouddha ne réside-t-elle pas dans les deux dharma de la sagesse et de son objet ? Ainsi, ce qu’on appelle objet est la substance des innombrables dharma. Ce qu’on nomme sagesse est l’aspect d’éclairer la substance même (des phénomènes) et de faire apparaître (le principe véritable)... Lorsque cette sagesse et son objet s’unissent, c’est l’éveil sans changer d’apparence ».

Nous lisons (74) « C’est par le fait de croire et recevoir cette fleur de lotus substantifique de la Loi merveilleuse qu’apparaît le substance et, simultanément, l’application de la fleur de lotus substantifique de la Loi merveilleuse. Autrement dit, si la substance seule existe, mais que nous n’en avons pas conscience, c’est comme si elle n’existait pas ». La substance désigne l’éveil suprême du Bouddha, et cette dernière est présente en chaque dharma au même titre que la substance des neuf autres états. Cela étant, et par ignorance, les applications diverses effectuées par la multitude des êtres, les actes en sommes, sont ceux de la souffrance, de l’avidité, de l’animalité,... au mieux d’une joie bien temporaire.

D’autre part, sur le principe, la mise en pratique est ce qui découle de la sagesse, c’est à dire que les actes expriment la capacité d’adaptation aux objets et il s’agit bien là d’une sagesse très relative puisque nous pouvons en voir les divers effets dévastateurs sur les êtres. Par contre, dans le cas de la rencontre avec la Loi, l’être ordinaire commence à pratiquer et donc à agir selon l’enseignement du Bouddha, (75) mais lorsque cette sagesse existe à l’origine, c’est cette sagesse qui provoque la pratique. Autrement dit, lorsque le Bouddha prend conscience du Myoho Renge Kyo de la doctrine essentielle, aussitôt apparaît la pratique correspondante ». Myoho Renge Kyo est donc l’action du Bouddha dont l’état, incommensurable, est la sagesse et l’objet de celle-ci. Dès lors, la Une pensée trois mille en tant que pratique effective, vision correcte immédiate, est typiquement de notre ressort, à nous, quelques soient nos troubles, puisque c’est la Loi merveilleuse du degré de dénomination. Nommer, en terme de fonction, est donc produire la substance, et produire la substance fait que « l’être ordinaire est identique à l’ultime ».

En conclusion, il nous apparaît que les objets de croyance des êtres sont aussi multiples que leurs actes, puisque l’acte s’appuie nécessairement sur « quelque chose » que l’on croit vrai. Or, peu nombreux sont ceux qui remettent en question la qualité de leurs objets de référence, au vu de la pauvreté des résultats obtenus dans leur vie quotidienne. Malgré tout, il y a une parfaite identité entre les objets en lesquels on croit et la qualité ressentie à chaque instant. Cela, le Bouddha le voit, les êtres ne le voit pas, car ils sont persuadés que leur réalité personnelle se cristallise « à cause » d’événements qui leur semblent extérieurs. Cependant, Nichikan Shonin à déclaré à ce propos (76) « Le Honzon représente l’objet facteur de lien. L’objet suscite la sagesse et la sagesse guide la pratique. C’est pourquoi, si l’objet est incorrect la sagesse et la pratique, en conséquence, le sont aussi ». En d’autres termes l’acte, quel qu’il soit, s’effectue nécessairement en fonction d’un environnement donné et d’un choix personnel qui signe une préférence, un « vrai » auquel on se réfère et en lequel on croit. La souffrance individuelle et collective a donc toujours pour origine les objets de référence de chacun. Ces objets engendrent alors naturellement, par leur cristallisation dans la pensée, la parole et l’acte physique, le monde individuel et sa qualité particulière. Le même auteur déclare d’ailleurs :« La foi étant à l’origine de la récitation de Daimoku, elle est la merveille de la cause originelle. La récitation étant la conclusion de la foi, elle est la merveille de l’effet originel. Autrement dit, ce phénomène est la causalité de la Une pensée dont l’origine et la conclusion sont instantanées ». Si nous remplaçons cette forme d’acte :« la récitation », par n’importe quel acte effectué, quel qu’il soit, nous avons là un principe général d’une grande profondeur qui élucide la qualité même de l’infinité des dharma. En d’autres termes, tous les actes sont la conclusion de la croyance individuelle et de ses objets de référence. Alors, en ce qui concerne l’éveil originel de toutes les formes, Nichiren Daishonin enseigne, dans son enseignement oral « Le passé infini est Nam Myoho Renge Kyo. L’éveil véritable, c’est ouvrir le non produit».

Enfin, la grande loi inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet a pour métaphore la fleur de lotus. Cette fleur voit son fruit devenir dur et noir en automne . Le fait que le fruit soit, tel la pierre, difficile à briser, renvoie au fait que les êtres ne peuvent être ni teintés par les passions, ni détruits par les souffrances de la vie et de la mort. A l’intérieur de la substance des multiples êtres, les vertus du Bouddha sont présentes, intactes. Les quatre vertus du Bouddha sont celles de la permanence, de la félicité, du moi véritable et de la pureté.(77) L’éveil du Bouddha à la non naissance ni extinction, qui transcende le temps et l’espace, exprime la vertu de permanence. L’éveil du Bouddha, état de vie paisible, qui transcende les afflictions dues aux souffrances et aux successions de vies et de morts, exprime la vertu de félicité. Il exprime aussi le grand moi, libre et autonome, délivré du petit moi, tourmenté par les attachements illusoires, c’est-à-dire la vertu du moi. Enfin, il exprime la vertu de la pureté, délivrée des souillures et des mauvaises actions, sources de malheur, provoquées par ces dernières ». Telles sont les caractéristiques infrangibles de nos existences et, quoique nous puissions penser de dissemblable du fait de nos multiples alibis, « Tout est le lotus, rien ne s’en éloigne », affirme le Daishonin.

Nichiren Daishonin enseigne également (78) : « De même, tous les êtres possèdent intérieurement, à l’origine, les quatre vertus de la permanence, de la félicité, du moi et de la pureté. Le fait qu’elles soient intérieures et n’apparaissent pas à l’extérieur, est semblable au premier aspect de la graine du lotus enfermé dans sa cosse dure. Ceci est appelé la corbeille de l’ainsi venu. Finalement, en réalisant la pratique, le fait d’obtenir l’effet et la rétribution de boddhéité ainsi que l’apparition claire des quatre vertus est appelé corps de Dharma. Toutefois, les quatre vertus naturelles du début et les quatre vertus acquises par la pratique de la fin ne forment qu’un et sont en égalité totale ». Or, cette origine et cette fin sont, à l’ordinaire, le corps et l’esprit du commun dans les six voies. Seul le fait de nommer, c’est-à-dire de produire la forme, distingue ces deux qualités extrêmes que sont l’éveil et l’illusion.




Namu


De la prise de refuge.



L’éveil sans égal, sans supérieur, de la boddhéité a nécessairement son objet puisqu’il ne saurait y avoir une quelconque connaissance de « rien ». La connaissance ou, par extension, la sagesse, sont donc une mesure de l’objet auquel elles s’appliquent. Autrement dit, si la sagesse est infinie l’objet dont elle provient, dont elle est la forme transposée, est également infini. Dès lors, la question qui s’imposa naturellement au Bouddha, juste après son éveil, fut probablement la suivante : « Comment vais-je pouvoir exposer aux êtres l’objet de mon infinie sagesse ? ».

En conséquence, Shakyamuni élabora sa réponse durant une cinquantaine d’années d’enseignement.

Conformément aux capacités perceptives des êtres, le Bouddha se devait en effet de leur faire miroiter des objets propres, pour certains, à flatter leurs tendances les plus élevées, et pour d’autres à éveiller un sens certes engourdi mais encore capable de distinction. Telle fut la logique développée dans des sûtra provisoires tels les Agama : 

« Tous les multiples mouvements sont impermanents, douloureux et sans ego, le nirvana est une sérénité éternelle ».

Ou encore cette strophe relative à l’impermanence :

« Les multiples mouvements sont impermanents

Car soumis à la loi de naissance et disparition,

Une fois naissance et disparition éteintes

L’extinction paisible se fait joie ».


Mettre en lumière l’impermanence phénoménale ne pouvait qu’entraîner l’adhésion d’un certain nombre d’individus dans toutes les classes de la société indienne. Ce fut le cas.

Mettre en lumière le fait que : les phénomènes étant conditionnés, rien ni personne n’existe d’une façon indépendante et en tant que tel, et qu’il est donc vain de chercher un quelconque substrat stable qui serait un « en soi » de type « âme », en entraîna également un grand nombre.

L’instabilité de ce monde et la vacuité constitutive de tout phénomène furent des objets, des jouets plus précisément, que le Bouddha distribua à des disciples dont les lumières les plus aiguës ne faisaient en réalité que renforcer l’épais brouillard de leur illusion.

Alors, imaginez donc ! Une extinction paisible qui se fait joie et sérénité éternelles face à un monde de souffrances mouvementées! Quelle dose minimale d’égarement n’était-elle pas suffisante pour s’engager sans plus réfléchir dans une telle voie ?

Cependant, passée la période des concepts « attractifs », la nature des objets révélés dans le Sûtra du Lotus, exposé durant les huit dernières années de sa vie, change considérablement. Nous lisons en effet dans le chapitre Juryo 1:

« Ma terre pure est indestructible. Pourtant les êtres la voient brûler entièrement et se plaignent, s’effraient de la profusion des diverses souffrances. Ces êtres aux multiples fautes, par la conditionnalité de leurs mauvais actes, même après un éon asamkhya2, n’entendent pas le nom des trois trésors3 ».

C’est un changement de ton radical. Les phénomènes impermanents et douloureux deviennent indestructibles et purs. En somme, le Bouddha voit sa terre, notre terre, pure et indestructible, et cette perception tranche nettement avec la vision qu’en ont les êtres qu’il désigne et qu’il qualifie par l’expression : « ceux aux multiples fautes ».

La raison de cette différence de perception se trouve dans l’expression « par la conditionnalité de leurs mauvais actes ». Il s’agit ici de la relation cause/condition ou In/En 4. La cause (In), qui se trouve être inhérente en chaque chose, correspond au karma ou, si l’on préfère, à ce qui est immédiatement antérieur au fait perceptif 5. La condition (En), existe tant dans la matière que dans le spirituel et désigne le monde objectal de la pensée momentanée. Dès lors, il va de soi que si l’être a le cœur (In) animé par l’ignorance, par la cupidité et par la colère, tous les objets (En) de sa pensée prendront nécessairement la couleur de son état intérieur. Il verra donc le monde en flammes alors qu’il ne s’agira en fait que du prisme de ses troubles 6. Et même si, bouddhiquement parlant, la rétribution des actes apparaît continuellement dans le monde de la forme, c’est-à-dire comme objet de la pensée momentanée, il n’en reste pas moins vrai que l’état intérieur masque continûment la réalité intrinsèque aux objets de la perception. Or, l’acte libérateur qui consiste à s’éveiller ne peut résider nulle part ailleurs que dans le rapport objectal. C’est pour cette raison, du reste, que Shakyamuni exhume des objets de plus en plus profonds et les offre aux êtres, en relation avec leurs capacités perceptives, puisque le but insigne du Bouddha est : ouvrir les êtres à la vue et à la sagesse du Bouddha.

Il s’agit donc, pour le Bouddha, d’inciter les êtres à produire les mêmes objets que sa sagesse éclaire, et non pas à élaborer graduellement en eux une sagesse finalement susceptible de percevoir la réalité partagée par les éveillés. La raison en est, dans l’optique de la production de l’éveil, que la production de forme est naturellement antérieure à la perception de celle-ci puisqu’il est patent, humainement parlant, que nous ne percevons jamais notre production de forme au travers de nos actes mentaux, oraux et physiques. Nous ne faisons en effet que le constat « sensible » et bien tardif de ses modifications les plus saillantes, en en cherchant vainement les causes hors de nous-mêmes.

Ainsi, tant le concept de conditionalité que celui de vacuité ou encore de nirvana, entre autres concepts, permirent au Bouddha de signaler des objets non perçus à ses disciples. La mise en pratique de ces concepts, de ces noms, développa chez certains êtres la capacité de percevoir certains aspects de la réalité, de s’éveiller partiellement, et donc de partager une petite partie de la vue des Bouddha.

Une bien petite partie en fait puisque, après plus de quarante années d’enseignement, Shakyamuni déclare dans le Sûtra aux sens infinis : « Jadis, je me suis assis sous l’arbre de la bodhi, dans le lieu de la Loi et ce, pendant six ans, à la suite desquels j’ai obtenu de réaliser l’éveil suprême et parfait. Je contemplais tous les dharma7 avec les yeux du Bouddha mais ne les ai ni exprimés ni expliqués. Pour quelle raison ? Je savais que la nature et les désirs des êtres étaient inégaux. Leur nature et leurs désirs étant inégaux, j’ai enseigné divers dharma... Ainsi, pendant plus de quarante ans, je n’ai pas encore révélé la vérité. C’est pourquoi l’éveil des êtres présente des disparités et pendant longtemps ils n’ont pu obtenir de réaliser l’éveil suprême ». Or, si l’acquisition de la vue de la conditionnalité empêche certaines souffrances, si l’obtention de la vue de la vacuité en supprime d’autres, l’objectif du Bouddha est toutefois d’amener les êtres à partager totalement son éveil ultime.

Après cette déclaration le Bouddha enseigna donc le Sûtra du Lotus et tenta, dans le chapitre, Hoben,8 d’indiquer l’objet de sa sagesse : « La sagesse de tous les bouddha est infiniment profonde et incommensurable. Le seuil de cette sagesse est difficile à comprendre et difficile à passer. Ni les hommes de l’état d’écoute9 ni ceux de l’état d’éveil par les facteurs10 ne sont capables d’y parvenir ».

Ainsi en est-il de ce « seuil » qui sépare la sagesse accumulée de l’éveil ultime.

Cependant, distinguant le cycle infini des six voies11, des quatre voies saintes12, l’état d’écoute de la doctrine du bouddha est révélateur du fait que si l’on ne peut voir les mêmes objets que le Bouddha, si l’on ne peut partager sa vision et percevoir l’aspect réel des phénomènes, on peut à tout le moins entendre le nom des objets désignés. Alors, dans ce sens, l’audition du nom précède, puisqu’elle la construit, la capacité de percevoir la forme. Il est effectivement expliqué13 : « Bien que les trois trésors soient présents en permanence, les êtres les nient et, non seulement n’essaient pas de les entendre, mais ne peuvent même pas les voir ». La distinction entre « n’essaient pas » et « ne peuvent même pas » parle d’elle-même, et si l’état d’écoute désigne bien l’entrée dans la voie de la boddhéité, puisque l’acceptation du nom de l’objet de l’éveil crée une similitude de perception entre le profane et l’éveillé, l’état d’éveil par les facteurs, qui suit l’audition et la mise en pratique du nom, est révélateur du fait que l’objet a pour fonction de créer une sagesse adaptée. En d’autres termes, les troubles ordinaires deviennent, par l’entremise de l’entrée dans la voie par l’audition, les objets mêmes de l’éveil partiel grâce aux objets plus profonds indiqués par l’éveillé. Pour cette raison, Zhiyi 14 déclare 15 : « La foi parfaite c’est entendre le profond et ne pas s’en effrayer, entendre le vaste et ne pas douter ». Or, si le terme « entendre » renvoie à l’audition, les termes « profond » et « vaste » éclairent assurément l’objet de la sagesse du Bouddha.

Cela étant, traitant de tous les concepts énoncés durant quarante deux ans d’enseignement, Shakyamuni déclare ensuite, dans le Lotus 16: « En ne me servant que de noms ou de termes provisoires [j’ai conduit et guidé tous les êtres vivants afin de leur révéler la sagesse du Bouddha] »


Qu’en est-il alors du changement d’objet au sein de l’enseignement définitif de Shakyamuni, puisque même des disciples l’ayant suivi durant des dizaines d’années ne pouvaient partager sa vue ?

Dans l’enseignement provisoire l’impermanence et la conditionalité des multiples phénomènes qui, en tant que concept, ouvre sur un aspect authentique de la réalité objectale, entraîne un concept également profond : les multiples phénomènes sont sans ego et donc vides « d’en soi » fixe 17. Quant à l’affirmation : tous les mouvements sont souffrances, elle ouvre sur le concept de : sérénité et pureté du nirvana. Le nirvana apparaît donc à ce moment comme l’objet ultime de la sagesse du Bouddha. Que cet objet soit ineffable se justifie en cela qu’il est l’opposé en creux du monde perçu par l’humain, et cette position de non objet ne lui interdit pas d’apparaître comme le but de l’existence pour certains.

Ainsi en était-il des quatre sceaux de la Loi, des enseignements provisoires, que sont :

  1. l’impermanence des multiples mouvements,

  2. les multiples dharma sont sans ego,

  3. tous les mouvements sont souffrances,

  4. sérénité et pureté du Nirvana.

Cependant, dans l’enseignement définitif ces quatre sceaux deviennent quatre vertus qui expriment la qualité même du Bouddha. L’objet ultime de l’éveil n’est donc plus en dehors de la vie quotidienne ,ni au-delà de ce monde « troublé ». Ainsi :

l’impermanence des multiples mouvements devient la vertu de la permanence ;

les multiples dharma sont sans ego, devient la vertu du moi véritable ;

tous les mouvements sont souffrances, devient la vertu de la félicité ;

et enfin la sérénité et pureté du Nirvana devient la vertu de la pureté.

Le Souverain de la Loi Nikken Shonin déclare effectivement 18: « L’éveil du Bouddha à la non naissance ni extinction, qui transcende le temps et l’espace, exprime la vertu de permanence. L’éveil du Bouddha, état de vie paisible, qui transcende les afflictions dues aux souffrances et aux successions de vies et de morts, exprime la vertu de félicité. Il exprime aussi le grand moi, libre et autonome, délivré du petit moi, tourmenté par les attachements illusoires, c’est-à-dire la vertu du moi. Enfin, il exprime la vertu de la pureté, délivrée des souillures et des mauvaises actions, source de malheur, provoquées par ces dernières ».

C’est, en d’autres termes, ce que Shakyamuni enseigne dans le chapitre Juryo du Sûtra du Lotus lorsqu’il affirme : « Il n’y a ni flux ni reflux de la naissance et de la mort, ni vie dans ce monde ni anéantissement plus tard... Le Bouddha voit clairement toutes ces choses là sans erreur... ».

Une telle déclaration contraire au bon sens le plus commun, assortie de quelques autres, fait que le Lotus, contrairement au reste de l’enseignement de Shakyamuni, n’exprime guère une volonté d’adaptation aux capacités des auditeurs. En effet, exprimant la vue de tous les Bouddha les objets révélés dans le Lotus impliquent leur acceptation et leur non rejet, alors seulement la sagesse relative à ces objets peut apparaître chez le disciple.

Concernant son enseignement, l’objet, clairement désigné par le Bouddha dans ce même chapitre, est : « Tous les dieux, hommes et asura de ce monde croient que, après avoir quitté le palais des Shakya, le Bouddha Shakyamuni s’assit à l’endroit de la révélation, non loin de la ville de Gaya, et atteignit là l’illumination suprême. Pourtant, hommes de foi sincère, le temps est sans limite ni borne - cent, mille, dix mille, cent mille myriades d’éons (se sont écoulés) depuis que j’ai réellement atteint la boddhéité ».

Shakyamuni indique également : « Depuis que j’ai atteint la boddhéité, une période inconcevablement longue s’est écoulée. La longueur de ma vie est d’innombrables éons. Ma vie a toujours existé et ne finira jamais ».

En outre, parlant de son éveil dans le passé lointain il indique également : « Et toujours, depuis, j’ai été en ce monde pour enseigner la Loi. J’ai aussi guidé et protégé les hommes de cent, mille, dix mille, cent mille,...autres mondes ».

Tels sont certains des objets développés par Shakyamuni dans l’enseignement définitif. Dès lors, si la totalité des cinquante années d’enseignement qu’il a délivré découlent bien de l’éveil suprême, notons néanmoins que des concepts plus superficiels que d’autres ne deviennent pas subitement profonds, n’aboutissent pas aux mêmes objets, sous le prétexte que tous proviennent d’un même corps d’enseignement. Pour cette raison, alors qu’il exposait aux êtres sa propre vue sans tenir compte de leurs prédispositions, Shakyamuni mit en garde ses disciples en leur déclarant, dans le chapitre des « Maîtres de la Loi » du Lotus : « Les sûtra de mon enseignement sont innombrables. Il y a ceux que j’ai déjà enseignés, ceux que j’enseigne et ceux que j’enseignerai. Parmi tous, le Sûtra du Lotus est le plus difficile à croire et à comprendre ». Or, notons que si « croire » permet d’accepter ce que l’esprit ne peut concevoir, permet de « ponter » sur ce qui dépasse ses seules capacités, « comprendre » exprime l’éveil partiel ou total du disciple, et ceci nous confirme bien que dans le bouddhisme la foi a pour seule fonction de se transmuer en sagesse, cette dernière étant la finalité ultime. Inversement, du reste, pour des doctrines sans sagesse, puisque glorifiant des concepts creux, la foi n’aboutit nécessairement qu’à la foi en ces mêmes concepts.

Ainsi est-il mis fin, en principe, dans l’enseignement définitif, à l’objet « nirvana »19, comme étant le but ultime de la voie bouddhique.

Ainsi est-il mis également fin, en principe, aux espoirs futiles d’un monde autre, pur et éternel, situé après la mort ou à l’ouest.

La raison en est que le monde des neuf premiers états, de l’enfer aux souffrances incessantes à l’état de bodhisattva, n’est jamais séparé du monde du bouddha puisque il s’agit du même . Approfondissant davantage encore ce point Nikken Shonin affirme 20 « A l’origine, l’enseignement du chapitre Juryo rend compte du fait que le dharma du Bouddha est éternel, comme le monde infini de tous les dharma... Faire naître une profonde croyance envers l’enseignement de la doctrine originelle, c’est-à-dire l’essence inconcevable de l’indestructibilité de la vie, et en avoir la compréhension, est correct ». De plus, souhaitant expliciter les « cause/condition » des êtres, en général, il déclare, 21« La pureté existe là où il y a la souillure. Là encore se trouve solennellement la loi de causalité. La loi de causalité implique que la cause et l’effet sont, tels quels, simultanés et, en même temps, que la cause devient l’effet et que, de plus, l’effet devient la cause d’où va apparaître l’effet ». Cette logique découle de la partie versifiée du chapitre des « Moyens » où il est enseigné que « Les multiples phénomènes sont l’aspect réel », cette réalité ne pouvant être partagée que par les éveillés. Pour en parler succinctement, il y est affirmé l’égalité de principe de tous les phénomènes en cela que tous, manifestant la non dualité de la matière et de l’esprit, révèlent la simultanéité de la cause et de l’effet. C’est ce à quoi tous les Bouddha des trois phases du temps se sont éveillés. En d’autres termes, pour nous les êtres, si la souillure de l’existence découle d’une approche « empirique » où la cause et l’effet semblent séparés, la pureté naît de l’éveil à leur simultanéité. Parallèlement, si la qualité de vie du Bouddha se caractérise par l’éveil à la simultanéité de la cause et de l’effet, les égarements et souffrances multiples des êtres non éveillés entretiennent cette illusion partagée qui consiste à ne pas s’ouvrir au fait que toute existence, dans sa singularité, est à la fois effet et cause d’elle-même.

Que l’existence individuelle soit à la fois effet et cause d’elle-même implique dans l’immédiat au moins deux constats. Le premier est que tout existant provisoire, tout dharma, est à la fois corps, pensée et état intérieur momentanés. Le second est que, étant tel, il est à la fois producteur d’un perspectivisme unique, racine d’une sphère subjective où toute mesure effectuée n’est que la mesure de la subjectivité, et à la fois producteur d’une influence réelle sur ce qui constitue son monde extérieur. A ce propos, notamment, l’enseignement bouddhique développe « Les quatre visions de l’eau unique »22. Ce principe est que, selon leur état de vie, différents êtres voient un phénomène unique de manière différente. Voyant de l’eau, l’esprit affamé y voit du feu ; l’homme voit de l’eau ; l’être céleste y voit de l’hydromel et le poisson y voit sa demeure. Cependant, Nichiren Daishonin souligne que l’eau est l’eau, et ceci entraîne que, vu d’un état ou d’un autre, l’objet servant de prétexte à une quelconque projection n’en conserve pas moins sa réalité en tant que tel. Néanmoins, le point de vue subjectiviste est tellement enraciné dans le corps, si immédiatement antérieur à la perception objectale, qu’il est difficile pour un poisson de ne pas prendre l’eau pour sa demeure, qu’il nous est difficile d’admettre, pour les mêmes raisons, que les objets que nous percevons ne sont que l’expression de notre état intérieur et qu’il nous est difficile d’admettre, enfin, que l’éveillé perçoit des objets que nous ne percevons pas.

C’est la raison pour laquelle le Bouddha enseigne, développe des concepts de plus en plus profonds, que ces concepts nomment certains aspects de la réalité et que la mise en pratique de ces concepts, de ces noms, permet de percevoir l’objet désigné par ce qui le nomme.

Dès lors, la notion même de refuge, dans le Bouddha, dans la Loi et dans la communauté, implique naturellement de retourner sa propre vie à l’objet correct, au principe véritable, afin de modifier notre perception en l’approfondissant.

Cela peut bien sûr entraîner un frémissement d’étonnement pour le grand nombre ! Quelle importance pourrait donc avoir l’objet en regard du fait que seule la foi est importante ; qui plus est, comment un objet, à l’exclusion des autres, serait-il le principe véritable ? Et « pour quelles raisons », se demande l’être relativement « sain » et de bonne foi ?

Déjà nous mettons l’accent sur le fait que le monde perçu n’est que le monde intérieur. En effet, dans le cas contraire tout être partagerait spontanément l’ultime réalité de l’infinité des phénomènes, y compris son propre corps, sa propre existence, et il est de fait que cela n’est réalisé par personne, fut ce par le plus grand des croyants. D’autre part, si l’être éveillé à la réalité perçoit les phénomènes en fonction de son état intérieur23, lui aussi, comment pourrait-il se faire qu’il ne puisse dégager de sa perception une forme vocale, une forme imagée, une forme physique en somme de ce qui l’imprègne, de ce qui ne fait qu’un avec sa propre existence ? Eveillé à la réalité ultime, comment quelque chose pourrait lui faire obstacle ? En outre, pourquoi faire preuve d’une naïveté telle que l’expression d’un principe correct ne puisse se situer que dans le monde spirituel, alors qu’il est patent que tous les principes énoncés jusqu'à ce jour ont une double forme physique : les caractères des mots, et vocale ? Il est d’autre part évident que les résonnances de l’application de ce dont ils sont porteurs apparaissent dans le monde de la forme. Alors, si l’on considère qu’un concept est une mise en forme entraînant la mise en forme de l’esprit de celui qui le met en application, il est patent que seule la qualité de la forme produite en l’être constitue le paramètre du jugement.

Inversement, du reste, il va de soi que le perspectivisme de la mentalité de chacun vis-à-vis d’un concept vague et sans grande substance fait que le dit concept ne sert, en général, qu’à véhiculer les opacités de chacun. Ainsi, plus le concept est vide de substance et plus il peut accueillir, sans trop se déformer puisqu’on le réutilise, les multiples errances. De plus, il est parfaitement illusoire d’imaginer que la qualité ou la grandeur de la foi ajoute une quelconque valeur à l’objet en lequel on croit. Par contre, il est de fait que la foi rend effectifs les éventuels excès déraisonnables inhérents au concept, au nom, à l’objet. A ce propos, d’ailleurs, il y a une nette corrélation entre les désagréments et souffrances usuels et le fait de conférer à des objets une qualité qu’ils ne possèdent pas. Or, les efforts et l’attention investis pour l’achat d’un réfrigérateur sont, en général, plus importants que ceux déployés pour distinguer le vrai du faux dans ce que l’on croit vrai ou faux. Certains, par exemple, arc-boutés sur une vieille confusion continuent à justifier le manque de perspicacité, voire le parti pris, d’un « philosophe » par le contexte historique, culturel, social,... D’autres, dans la même « logique », justifient telle tendance individuelle, telle déviation, par la notion de contexte génétique, familial, social, coutumier, traditionnel,... D’autres encore justifient leurs choix et leurs comportements, qui relèvent en réalité de la bêtise et de l’avidité, par le biais de notions usuelles comportant une vertu « blanchissante » telles la compétition, la concurrence, le marché. Ainsi en va-t-il de la logique usuelle signant le manque d’envergure. Cependant, à la réflexion, où peut-on trouver quoique ce soit en ce monde qui soit non contextuel ? Qui n’apparaisse pas de quelque chose et dans quelque chose ? Or, s’il est naturel que tout être, tout phénomène, prenne appui sur lui-même et sur son environnement pour exister, il n’est pour autant ni automatique, ni indispensable, que son refuge, la base d’où il s’élance justifie que ses actes soient fangeux. Il convient certainement de distinguer entre la pseudo réalité figée d’un contexte en général passé, et la potentialité sans limite présente en l’existence individuelle. Dans ce sens la qualité personnelle, en terme d’acte, ne peut être uniquement contextuelle. Shakyamuni a effectivement déclaré 24 : « Le vrai caractère des dharma conditionnés est inconditionné, et ce caractère inconditionné lui-même n’est pas conditionné : ce n’est qu’une expression imaginaire forgée par la méprise des êtres ». En conséquence, tout justificatif de la médiocrité individuelle ou collective apparaît n’être que la marque d’une erreur de jugement ou, au pire, l’expression d’une pitoyable mauvaise foi. Ce, quelque soit l’extraordinaire aplomb que seul un piètre reflet peut engendrer lorsqu’il semble justifié. D’ailleurs, Nietzsche n’a-t-il pas écrit 25 : « Quelle somme de vérité supporte un esprit, quelle somme de vérité ose-t-il ?... L’erreur est une lâcheté » ? Est-il vraiment si difficile de se faire à l’idée que seule la pensée et le comportement individuels ont de l’importance, puisque chaque individu porte la collectivité et l’influence, dans une solitude de fait . Dans la même logique l’impureté découlant d’une perception linéaire et bêtement « causale » de l’existence n’est pas « en soi », même collective, mais bien « re-produite » individuellement.26

Alors, pour résumer, puisqu’un principe est une mise en forme, rien ne lui interdit d’être forme, d’être objet, et notre digression, bien que traitant de formes mentales, ne devrait malgré tout pas conduire à autre chose qu’à des formes physiques : les multiples existences.

Dans ce sens, concernant les illusions diverses et le mal-être individuel, il s’agira là aussi d’une mise en forme. Il est effectivement dit :27 « Quelles sont les raisons qui provoquent la détresse, la tristesse, la souffrance et l’ennui ? Et bien, toutes proviennent du fait que l’on est incapable d’effacer son ego et qu’on s’attache à son petit moi ». Or, le « moi » étant la source de la perception d’une certaine réalité, propre à chacun, les souffrances et inconforts individuels et collectifs lui sont clairement imputables. Là encore, notons qu’il s’agit d’une constante production de forme : l’incontournable structure d’une réalité singulière.

Eclairant les diverses strates composant « l’individu », au sens large, le bouddhisme considère que tout ce qui est, toute forme, possède une virtualité « conscientielle » se déclinant en neuf niveaux. Cette approche, dérivant de l’éveil à la réalité des phénomènes, est toutefois difficilement abordable dans sa totalité et, en conséquence, nous ne développerons dans l’immédiat que son application à l’humain. Les six premières consciences sont les consciences visuelle, auditive, olfactive, gustative, tactile et mentale. Ces six consciences correspondent aux six racines que sont les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et l’esprit. Celles-ci étant adaptées aux six types d’objets par lesquels ce qui constitue l’environnement de la pensée momentanée individuelle se manifeste perpétuellement. « Mais ce n’est pas tout. En réalité, au fond, il y a une autre dimension de la pensée appelée la septième conscience ». La septième conscience ne fait guère l’objet d’une auto inspection et est décrite comme étant le « cœur des désirs et des haines ». Il s’agit de la partie sous-jacente à ce que l’on va spontanément décréter comme étant ses propres choix. Plus profondément encore se trouve une dimension appelée « conscience réceptacle » ou huitième conscience. Elle est dite contenir le cœur de nos passions et illusions, que nous portons depuis un temps sans origine. En tant que chose « portée » ou « accumulée », cette dimension est continûment antérieure au corps, à l’esprit et à l’environnement du sujet. En tant que réalité présente de chacun elle est, pour nous humains, l’incontournable matrice de l’anthropocentrisme. En tant que cause (In), ou karma, elle est ce qui entraîne son effet nécessaire, et de cela découle que les six premières voies constituent un cycle sans origine. Pourtant, selon l’enseignement du Bouddha, cette huitième conscience contient également une qualité infrangible, pure et éternelle : l’éveil suprême et son objet. Cette ultime qualité du corps et de la pensée est nommée neuvième conscience. Elle est l’objet de la sagesse et la sagesse de l’éveillé. Ceci constitue du reste, nous allons le voir, l’objet fondamental de pratique dévoilé par le Bouddha.

D’autre part, si, parallèlement à ces neuf niveaux de conscience inhérents à toute forme, nous envisageons le fait « matière/esprit », l’enseignement bouddhique décrit les cinq aspects constitutifs de cette pseudo dualité. Nous lisons à ce propos : 28« Le domaine des cinq agrégats traverse les deux dharma de la forme et de l’esprit. Les cinq agrégats sont la forme, la perception, la conception, la volition et la conscience de l’acte ; ils sont spécifiques à chaque individu et constituent le tréfonds du contenu de l’esprit ». La forme, l’aspect du corps ou la structure provisoire de tout phénomène est le dharma de la forme, les quatre autres agrégats correspondent au dharma de l’esprit. Or, si la forme est bien une structure provisoire, il en va également de même pour la perception, pour la conception, pour la volition et pour la conscience de l’acte. En effet, la perception est forme singulière puisque appuyée sur une charpente perceptive immédiatement antérieure : le corps. La conception est également une forme provisoire puisque la résonance de l’objet en l’esprit et la cristallisation d’une image en résultant signent la particularité du comportement individuel. Il en va de même pour la volition ainsi que pour la très relative conscience de l’acte, toutes deux également formes provisoires de la pensée. Ainsi la pensée est-elle, à nos yeux, nécessairement forme29.

Dès lors, tant la pensée momentanée, avec ses multiples objets, que l’architecture physique, sont formes provisoires. Shakyamuni explique effectivement :30 « Quand les agrégats apparaissent, déclinent et meurent, ô moines, à chaque instant vous naissez, vous déclinez, vous mourez ». Pour cette raison, le mal-être individuel ne peut avoir de réelle durée sauf s’il est re-produit et, s’il est existant, comment pourrait-il ne pas avoir une forme singulière puisque, dans les faits, nul autre que son producteur, c’est-à-dire soi-même, ne peut le partager réellement ?

Si, dans le bouddhisme, la pensée momentanée est conçue comme une forme, il n’en est pas de même pour la majorité des penseurs. En effet, le commun admet généralement que toute conscience est représentation d’un objet dont elle se distingue. Cette approche a permis d’en inférer ce mythe qu’est l’objectivité du sujet. En outre, l’accord relatif sur les « choses identiques », que les êtres établissent par ce code qu’est la langue, conforte plus encore la dualité sujet/objet. Quant à nous, nous récusons cette objectivité attribuée au sujet puisque, ni l’approche empirique, ni celle du travail de la pensée, ne permettent jamais autre chose qu’une mesure superficielle du regard porté et non du phénomène qui, lui, échappe. Par exemple, « on » ne perçoit pas davantage la réalité d’une pomme en croquant « cette » pomme, qu’en pensant « la » pomme. De plus, qu’ « on » s’étrangle avec la dite pomme ou bien qu’ « on » la trouve rouge et terne, mais sucrée, ne renseigne que sur « la » relation personnelle de « on » avec la pomme et non sur la pomme en elle-même. En somme, nous tenons pour difficilement contestable le fait qu’un sujet ne peut se départir de son perspectivisme dans toute opération de sa pensée ou de son corps, recouvrant ainsi le phénomène servant de support projectif.

Cependant, les avis relatifs à la conscience, ou à la pensée momentanée, sont multiples. Cela provient globalement de cette surprenante division que certains n’ont pas hésité à opérer entre la matière et l’esprit. Ceux-ci, de la tribu hagarde des spiritualistes, imaginent maintenant encore que l’aspect « éthéré » de leurs représentations du monde sont nécessairement la marque d’une noble transcendance, voire d’une divine qualité. Entre les rares beautés de l’inféodation à une force supérieure ou de la production du concept, l’hésitation palpite, presque guerrière, nécessairement plus délétère que vaine. Fort heureusement, un penseur réellement sérieux, tel F. Nietzsche, déclare 31, concernant Parménide : « En séparant brutalement les sens de l’aptitude à la pensée abstraite, donc de la raison, comme si c’étaient deux facultés entièrement différentes, il a détruit l’intellect lui-même et poussé à cette distinction entièrement erronée entre l’esprit et le corps, qui pèse, surtout depuis Platon, comme une malédiction sur toute la philosophie ».


Mais la pertinence Nietzschéenne est exceptionnelle. Ainsi, non seulement Descartes attribuait « avec certitude »32 les états de conscience au sujet de la conscience et non à son corps, mais en outre il croyait l’âme susceptible 33 de penser plusieurs choses dans un même temps, tout en étant parallèlement consciente de sa pensée.

Nous laissons à M. Descartes le soin de se dépatouiller avec ses certitudes quant à une évidente scission entre le corps et la conscience. Par contre, nous rendons grâce au Bouddha qui nous affirme : « La non dualité de la matière et de l’esprit est l’ultime » puisque, si le concept d’âme ouvre une certaine voie pour la réflexion, (et le moins que l’on puisse en dire est que cela se conçoit fort aisément), il n’en est pas moins vrai que le concept de non dualité de la matière et de l’esprit ouvre la voie de l’éveil en ce corps, par soi-même. Qui plus est, nous n’avons jamais entendu parler d’un éveil à la réalité des phénomènes par le biais d’une recherche sur ce qui est sensé leur être supérieur, par nature ! Cela se justifie par le fait, nous semble-t-il, qu’une prémisse onirique conduit nécessairement à des conclusions irréalistes. D’autre part, à l’analyse, nous ne sommes guère en mesure d’admettre que nous puissions là, maintenant, « penser plusieurs choses dans un même temps ». Notre impéritie nous égare probablement, mais nous supposons que la rapidité avec laquelle la pensée momentanée change d’objet en a perturbé plus d’un et, si nous avons conscience de notre pensée, il s’agit moins de la vertu d’une instance transcendante que de la pensée présente de l’objet de la pensée immédiatement passée !


Pour d’autres, 34« La conscience des états psychiques ne peut pas être comprise comme une conscience de quelque chose de différent d’elle, mais doit pouvoir être décrite comme une familiarité immédiate de l’activité psychique avec elle-même, sans autre apport réflexif ».

Observons les cinq premières des neuf consciences évoquées plus haut. La vue, le toucher, l’odorat, l’ouïe et le goût sont des consciences possédant leurs objets propres dans le même laps de temps et, ce, en permanence. La preuve en est que si l’on fait soudain allusion au contact de notre plante de pied dans notre chaussure, ou au léger bruit de fond qui, avant qu’ils soient évoqués, ne constituaient pas l’objet de notre conscience momentanée, ils deviennent provisoirement existants, non pas pour leurs consciences respectives qui les percevaient déjà, mais pour la pensée momentanée qui prend incessamment ses objets dans une conscience ou une autre. Dans ce sens, la « familiarité » de la pensée momentanée avec ses anciens ou nouveaux objets éclaire indiscutablement le tronc commun de l’activité constante des six consciences. Plus précisément, il s’agit du tronc commun de l’activité des huit premières consciences puisque si nous évoquons notre enfance, notre travail, notre père ou notre dernier cancer généralisé, les objets qui émergent en notre pensée signalent une zone singulière qui, bien que nommée mémoire, est cristallisée dans un vaste réseau de structures « conscientielles » : le corps. Comment supposer, en effet, qu’une résonance, voire une éventuelle cicatrice, puissent avoir une forme sans en être une ?

Par conséquent, la « présence sensible », résultant des six sens et de leurs objets respectifs, est permanente. Par contre, le fait que l’acte momentané de conscience se focalise sur un objet ou sur un autre autorise l’impression de pointillisme, voire de liberté, que d’aucuns se plaisent à remarquer parfois lorsqu’ils tentent d’observer la pensée.

Dans cette perspective certains déclarent : 35« Si l’on ne veut pas limiter la vie consciente à un pointillisme d’actes, il doit y avoir une conscience englobante qui confère une unité aux actes de conscience particuliers. Une conscience qui se rappelle un souvenir précis ne peut le faire qu’en se représentant simultanément la continuité de la conscience passée par rapport à la conscience actuelle. Si une telle unité n’existait pas, la conscience actuelle ne pourrait en aucun cas être perçue comme porteuse d’une conscience n’ayant plus lieu ».

D’entrée nous nous étonnons de l’expression « Si l’on ne veut pas limiter la vie consciente à un pointillisme d’actes... » et nous affirmons, bien au contraire, que de très nombreuses contradictions philosophiques, des limites en somme, proviennent de la naïve acceptation de la « continuité » de la conscience, comme si celle-ci s’imposait à l’évidence pour tout ce qui s’estime capable de réflexion !

Après tout, pourquoi ne pas considérer la Une pensée momentanée comme un pointillisme d’actes ? Vasubandhu, dans une perspective toutefois bien plus vaste, a effectivement déclaré : 36 « L’instant, c’est l’acquisition de la nature propre périssant immédiatement ». Pour autant, « une conscience se représentant simultanément la continuité de la conscience passée par rapport à la conscience actuelle » nous paraît bien onirique. Nonobstant même l’irréflexion qui consiste à croire en la permanence de la conscience, une simultanéité implique au moins deux objets dans le même laps de temps et, sauf à dédoubler l’instance nommée conscience, ce que certains du reste n’hésitent pas à envisager, nous ne voyons là en réalité qu’une succession de représentations d’objets. Qui plus est, il s’agit, dans le cas cité, de croire que la conscience actuelle se représente simultanément la continuité de la conscience passée. Belle aporie que ce cul de sac où une conscience actuelle, donc présente et sans réelle durée, perçoit simultanément un souvenir précis et la continuité d’une conscience passée ! Ne serait-ce pas qu’une simple succession d’objets re-construits ? ! De plus, que les objets momentanés de la conscience soient une fraction de temps « extérieurs », une fraction de temps « intérieurs » en termes de résonance, et qu’à une image re-construite d’un objet partiellement perçu dans le présent succède une image re-construite d’un objet partiellement perçu dans le passé, ce processus entraînant un sentiment de re-connaissance, se justifie naturellement et fonde cette idiosyncrasie particulière qu’est la « familiarité ».

En outre, si nous en revenons à la théorie bouddhique des cinq agrégats, citée plus haut, nous voyons le terme de « conception » venir à la suite de la « perception ». A propos de la conception, le Daishonin explique :37 « La conception se saisit des images pour leur donner consistance ». En d’autres termes, l’influx est mis en forme et cette « consistance » est fabriquée à partir de matériaux déjà présents en l’observateur. Or, cette mise en forme est un acte de reconstruction issu d’un penchant identificatoire 38 qui ne peut être qu’antérieur à la perception. Il s’agit donc bien, pour le moins, de familiarité !

Qui plus est, il est également indiqué 39 : « Tout d’abord, la conscience effectue la compréhension et la distinction, puis la perception reçoit, la conception s’empare de l’image, la volition provoque répulsion ou attraction, la forme alors s’en trouve affectée ». Que la conscience établisse la re-connaissance des objets qui la concerne, avant que la perception reçoive, implique bien que la conception « s’empare » de l’image puisqu’elle récupère les images falsifiées d’objets extérieurs en les assimilant aux siens propres. Négligeant le dissemblable, la conception opte pour le similaire. Par conséquent, l’objet de la perception est sans aucun doute antérieur, en soi, à la perception de l’objet40. Dès lors, nous pouvons assurément en déduire que l’objet ,soi disant perçu en l’esprit, est, en fait antérieur en l’être, et présent dans sa réception perceptive. Strictement parlant, il n’y a donc pas d’objets de la perception, mais plutôt production perceptive de sa propre mesure. Ou, si l’on préfère, il n’y a guère de réelle dualité sujet/objet mais sujet « reflété ». Alors, se targuer d’être « réaliste », voire d’être « pragmatique ».. !

D’autre part, l’expression « la forme s’en trouve alors affectée » nous renseigne utilement sur le fait que la conscience discriminante, qui « effectue la compréhension et la distinction », se trouve à la fois antérieure et postérieure à l’immédiateté du corps, puisque elle l’oriente et l’affecte. La forme est, dans ce sens, inéluctablement pérenne.

Par ailleurs, évoquons brièvement le phénomène nommé mémoire. Communément, « la mémoire est considérée comme la faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passés et ce qui s’y trouve associé. Il s’agit donc de l’esprit, en tant qu’il garde le souvenir du passé ».

Nous voyons dans cette définition une triple difficulté. D’abord, l’indiscutable incertitude quant à la réalité « en tant que telle » du souvenir exhumé ; ensuite, qu’il s’agit non pas d’une résurgence « objective », mais d’une re-traduction présente suspecte en cela que la résonance passée du fait exhumé intervient très probablement quelque part. Sinon comment pourrait-elle ne pas être définitivement effacée ? Enfin, nous soutenons que si l’image, et ce qui s’y trouve associé, apparaît bien en la pensée, nous ne pouvons concevoir qu’une instance non localisable, telle l’esprit, en soit si naturellement le dépositaire antérieur. D’où vient, du reste, cette illusion selon laquelle, dès lors que les images apparaissent dans ce qu’on nomme « esprit », celui-ci existerait comme une instance distincte du corps, comportant d’innombrables tiroirs d’où pourrait sortir la totalité de nos sentiments et autres affections passés ? Comment et où « l’esprit » pourrait-il stocker un ensemble indéfini, mobile, éminemment variable et quelques fois faux de faits passés alors même qu’il fonctionne ? En vertu de quoi ne serait-il pas forme ? En quoi est-il connu pour ne pas naître de la forme ? Plus précisément, comment une forme, même mentale, pourrait-elle naître de ce qui n’en a pas ? N’y aurait-il pas plutôt eu, « à l’origine », une navrante précipitation qui aurait amené à conclure à la réalité d’une « substance » permanente et indivisible, étrangère aux changements et aux imprévisibles « accidents » circonstanciels, faisant office de chréode dans laquelle se sont engouffrés en hâte et sans plus de discernement tous nos chers éthérés ?

A la réflexion, la pensée est bien trop « bonne » avec elle-même pour n’être pas forme ! Pour ne pas être attachement à une forme ! En ce qui nous concerne, nous ne voyons, comme source et comme instance immédiatement antérieure à la pensée momentanée, que le réseau sensible nommé corps. Il est en effet naïf de croire que la pensée est libre ou dans un état de « vacuité », de vide. Elle est forme, de la même manière que chacun des cinq autres sens sont des formes, antérieures à la perception, puisque engendrées. En effet, comment quelque chose ayant pour caractéristique d’être « présent » pourrait ne pas provenir de ... ?

En outre, même le fait de réfléchir sur un objet n’a pour effet que de produire des connexions d’images dont l’origine est indiscutablement l’architecture « physique », le corps, puisque celles-ci apparaissent dans un « mental » particulier. En effet, comment pourrait-on croire que la réflexion puisse sourdre du seul objet de la pensée, ou qu’elle puisse provenir de l’immédiateté de l’esprit affecté par une image d’objet ! De fait, le terme de « réflexion » n’est que le nom donné à une succession d’images d’objets en soi. En conséquence, comment pourrait-on imaginer que l’image consécutive à la prise d’objet en l’esprit provienne, en résonance, d’une origine autre que celle d’un vaste réseau sensible, organique, dont l’esprit jaillit 41 ? Plus généralement, du reste, nous ne concevons pas qu’une information existe sans un support, ni qu’un support ne soit pas information et, quelle que soit l’incapacité perceptive de l’observateur, toute structure est message, sens, qualité. Ainsi, dans les cas où la pensée semble ne pas être objectale, comme pendant certaines des phases du sommeil, elle est néanmoins forme multiple de son origine : le corps.

Par ailleurs, Zhiyi 42, de l’école chinoise Tiantai, nous affirme : « Il n’est pas possible de dire qu’ Une pensée soit antérieure aux multiples phénomènes, pas plus que les multiples phénomènes soient antérieurs à Une pensée... Tout ce que l’on peut dire est qu’ Une pensée est les multiples phénomènes et que les multiples phénomènes sont la Une pensée ».

Le Un, de Une pensée, nomme la plus brève mesure du flux de la conscience. Les multiples phénomènes désignent l’infinité phénoménale. La synchronie « Une pensée / multiples phénomènes » ouvre sur le constat suivant : tant la Une pensée que les multiples phénomènes expriment une existence réelle en soi. Ils ne peuvent être « désubstantialisés » ni sous l’angle de leur conditionnalité, ni sous celui de leur vacuité. Dans ce sens, le « Un » éclaire tant la permanence de l’objectalisation que la qualité momentanée. Quant à l’expression « Une pensée est les multiples phénomènes », elle montre que la pensée est continûment objectale, et l’expression « les multiples phénomènes sont Une pensée » indique que, pour le Bouddha, tout phénomène momentané est Une pensée momentanée. En conséquence, tout phénomène est à la fois sujet percevant, en tant que sujet reflété, et objet perçu, en tant que support de reflet pour l’observateur.

Sur le principe, selon cette école, la Une pensée est dénuée de caractère particulier et ainsi est donc dite vacante. Il n’y a pourtant pas de phénomène dont elle ne puisse se trouver pourvue et est donc dite conditionnelle. Dans les faits, cependant, n’étant réellement ni dépourvue de caractère particulier ni strictement conditionnelle, elle est dite médiane. L’infinité et la diversité des singularités momentanées expriment dès lors la voie médiane. La Une pensée apparaît donc comme un schème, une forme, dont les caractéristiques momentanées expriment la pérennité. Le vingt sixième Souverain de la Loi Nichikan Shonin a déclaré : « Une pensée trois mille43a le double sens d’inclure et d’imprégner ». En terme d’effet la Une pensée est inclusive en cela qu’elle est une confluence présente de deux tendances passées : elle-même en tant que somme ou forme, et le phénomène perçu en tant que somme ou forme. En terme de cause la Une pensée imprègne en cela que nous n’imaginons pas qu’une cause n’ait pas son effet ,puisque les deux sont simultanés. Le Un de Une pensée est donc simultanéité de la cause et de l’effet, en d’autres termes il est nécessairement forme. Pour cette raison Miao Le44 indique « Il ne peut se faire qu’une couleur, une odeur ne soient de la voie du milieu ». La forme/pensée provisoire étant à la fois effet et cause d’elle-même, l’odeur, la couleur, la Une pensée en somme, montrent la voie médiane exposée par le Bouddha. Telle est la perception de l’éveillé, et Nichikan Shonin nous rappelle : « Selon la doctrine de cette école, la réalité de Une pensée trois mille est une réalité tangible ».

Dès lors, si l’on envisage la simultanéité de la cause et de l’effet sous l’angle de la qualité sensible intrinsèque, les dix états sont nécessairement formes. Inversement, toute forme, tout phénomène est état, est effet et cause simultanés, est couleur, est odeur, est forme, est Une pensée.

Par ailleurs, l’image en l’esprit des objets des cinq premières consciences est nécessairement une transcription subjective d’un fait déjà accompli, passé, dans la mesure où, quelle que soit la rapidité de l’influx transmettant l’information, il prend un certain temps. Ainsi, l’image en l’esprit est perpétuellement celle d’une réalité objectale passée. Dans ce sens, à strictement parler, seul le corps est dans une relation sensible présente alors que l’image en l’esprit est nécessairement le passé immédiat de l’objet perçu. En cela, la primauté du corps sur le fait perceptif implique que l’objet perçu est la représentation du seul « soi-même », que les objets perçus sont la marque déjà passée de leur présence, et qu’ils sont simultanément le passé de l’observateur en cela qu’ils signalent son « vouloir voir » antérieur à la perception présente. Cette non-dualité de fait, la perception et le vouloir voir antérieur45à celle-ci, et l’illusion de dualité dans le présent, qui en découle, fondent l’aspect circulaire des six voies46dites maléfiques. Plus précisément, Nichiren Daishonin déclare, dans son enseignement oral : « Renge47 représente les deux lois de la cause et de l’effet, c’est aussi l’unité totale de la cause et de l’effet ».

« L’unité totale de la cause et de l’effet » désigne le « Un » qui éclaire la pensée momentanée en terme d’effet et de cause. En cela, le « Un » nomme un corps, un état, une couleur ou une odeur, un phénomène en somme. Nous lisons également :48« La substance est, telle quelle, identique à Un ». Le « Un », désignant l’ensemble substance/fonction, a pour fondement la simultanéité de la cause et de l’effet ou, pour éclairer la permanence des structures, « l’unité totale de la cause et de l’effet ». Ce « Un » désigne également l’unité du passé, du présent et du futur, puisque Le grand sage Nichiren indique : « Bien que le passé, le présent et le futur soient trois, lorsqu’on les considère selon le principe inhérent au cœur de la Une pensée, ils sont alors sans pensées discriminatoires ». Dès lors, le choix d’objet, par le biais de la discrimination, est « Un », le vouloir et le voir sont également « Un ». En conséquence, le « vouloir voir » est nécessairement pérenne. Lapidaire, Nichiren Daishonin a affirmé : « Tout la vie n’est que Une pensée ».

Par ailleurs, nous l’avions évoqué plus haut :49« Les cinq agrégats sont la forme, la perception, la conception, la volition et la conscience de l’acte ; ils sont spécifiques à chaque individu et constituent le tréfonds du contenu de l’esprit ». Dire que la forme et les quatre aspects de la pensée constituent « le tréfonds du contenu de l’esprit » place non seulement la forme dans la position de socle déterminant, mais surtout de concrétion de penchants « lointains » dont la pensée momentanée n’est, à l’ordinaire, qu’un épiphénomène. Zhiyi enseigne, dans son « Mots et phrases du Lotus » : « Chaque faculté cognitive50 possède les dix états, chacun d’eux comprenant en lui tous les dix. Puisque chacun de ces cent états comporte les dix aspects on arrive au total de mille ». Chaque organe des sens est une construction singulière et évolutive. C’est une somme d’effets dans le présent et chaque organe exprime, par sa forme et sa sélection perceptive, un état dans les dix en tant que charpente globale (le nez d’un ouistiti se distingue par sa forme et ne peut avoir la même sélection d’objets que celui d’un requin marteau), et les dix états virtuellement (cognition induisant la peur, la colère, la chasse, l’appétit sexuel...). Ainsi, outre la charpente perceptive, la forme, qui est à peu près « stable » de la naissance à la mort, les objets perçus sont sélectionnés au détriment des autres objets et les organes des sens ne re-connaissent en réalité que ce pour quoi ils sont re-produits. Les objets d’attrait, de répulsion, indifférents ou significatifs sont donc antérieurs aux organes des sens puisque ces organes sont l’effet de ces objets. Sur le principe, cependant, le fait que les dix aspects, dont la forme en premier lieu, naissent et meurent continûment en relation étroite avec les dix états, implique, plus encore que la seule « évolution », le changement nécessaire de la forme.

Ce corps donc, cette base bien trop flagrante pour être perçue fait, en conséquence, que l’éveil s’accomplit nécessairement dans « ce » corps. En somme, ce qui est le plus profond, le plus inimaginable, le plus secret relativement au produit nommé « esprit » est donc la forme momentanée, c’est à dire le corps. C’est bien entendu dans cette optique que Shakyamuni à déclaré dans le Samyutta Nikaya « Ceci, ô disciples, n’est pas votre corps ni le corps des autres ; il faut le considérer comme l’œuvre du passé ayant pris forme, réalisée par la pensée devenue palpable ». Pour cette raison, Shakyamuni a également enseigné que l’humain, où qu’il aille, ne pouvait jamais s’élancer d’un autre socle que celui constitué par ses actes. Et si, humainement parlant, nous percevons ce « socle » comme produit par un passé difficilement mesurable, l’enseignement définitif de l’éveillé nous incite à nous ouvrir au fait que, cette pseudo infinité passée étant seulement l’infinité présente, aucune contrainte ne nous interdit réellement l’éveil dès ce corps. En d’autres termes, et bouddhiquement parlant, le présent ne naît du passé que dans l’illusion.

Ainsi, la pensée momentanée étant l’effet d’une cause antérieure, elle ne s’élance jamais d’autre chose que d’elle-même. Pourtant, l’extraordinaire potentialité de principe de la pensée momentanée nous semble ne souffrir aucune limitation. Alors, seule la modification immédiate de la production de la pensée, de la parole et de l’acte physique peut constituer un changement de socle salvateur. En d’autres termes, l’éveil de la pensée momentanée ne peut se produire qu’au travers du recours à la forme de l’éveil, ne peut apparaître que dans la production de l’éveil 51. Tel est le sens de « prendre refuge ».

C’est dans cette optique que Miao Le a déclaré : « Le principe fait naître la foi, la foi provoque inévitablement la pratique ». Le principe désigne l’objet auquel s’est éveillé le Bouddha. Lorsque les êtres entendent le nom de l’objet perçu par le Bouddha, le nom apparaît comme étant un principe. Dès lors, la croyance en le principe, et la pratique du nom, engendre l’apparition de l’objet en le disciple. Paradoxalement, et là se trouve la grande bienveillance du Bouddha, la pratique du nom, par le disciple, est donc l’expression d’une sagesse provenant d’un objet qui tend à se construire, qui n’est pas encore présent. Alors, dans ce cas précis, celui du disciple, le nom précède effectivement la forme.

Evoquant l’objet dans lequel le disciple prend refuge, un passage du Lotus enseigne 52 : « D’un cœur unique désirant voir le Bouddha, ils ne ménagent ni leur corps, ni leur vie ». Le commentaire de Nichiren Daishonin indique « Unique représente Myo, cœur représente Ho, désirant représente Renge, voir représente Ge et Bouddha représente Kyo. Propager les cinq caractères de Myoho Renge Kyo c’est, de soi-même, ne ménager ni son corps, ni sa vie ». Ce qui est « unique », c’est-à-dire « Un » est la merveille (Myo), cela désigne, dans ce contexte, la croyance en le principe, c’est-à-dire « la voie unique et pure ». Le « cœur », lui, désigne tous les dharma, le phénoménal (Ho). En outre, le fait que « désirant » équivaille à « Ren » et « voir » se rapporte à « ge »53, montre bien que le perçu est toujours le vouloir. Dans ces conditions, alors, désirer voir en soi le Bouddha d’un cœur unique, quelques soient les circonstances, équivaut à ne ménager ni son corps, ni sa vie, de soi-même. En d’autres termes, si l’audition du nom précède la capacité de percevoir la forme désignée par le nom, le fait de croire en le principe et de le pratiquer précède la réalisation du principe en soi-même. Le nom, le principe, étant l’éveil, il s’agit bien d’une remise en cause de ce dont on provient ordinairement.

Dans cette doctrine, nous l’avons évoqué, le « voir » est nécessairement l’expression du désir antérieur. Sur un plan théorique, en effet, la cause (In) et l’environnement (En) sont non duels, et ceci fonde la pérennité des souffrances dans le cycle des six voies puisque l’observé est antérieur à la perception.. Le désir de voir éclaire donc la croyance globale, le choix d’objet définissant la qualité même de l’acte présent dans son environnement. Si nous désignons le « désir antérieur » propre à chacun par les termes de « croyance en... » nous trouvons, chez Nichikan Shonin54 : « La foi étant à l’origine de la récitation de Nam Myoho Renge Kyo, elle est la merveille de la cause originelle. La récitation étant la conclusion de la foi, elle est la merveille de l’effet originel. Autrement dit, ce phénomène est la causalité de la Une pensée dont l’origine et la conclusion sont instantanées ». Telle est la production de l’éveil, ou de n’importe quel autre état, à l’origine. Le vouloir et le voir est donc « Un », puisque l’origine et la conclusion sont instantanés. Toute la vie n’est que Une pensée nous disait le Bouddha originel. En conséquence, le « voir » ne montre ordinairement que le désir, n’est que la marque de la croyance. Pour cette même raison, le Bouddha n’a pas de croyance : étant éveillé il voit ! D’autre part, usuellement, le fait de croire apparaît comme une « re-connaissance » d’objet. L’objet se trouve donc être à la fois antérieur et présent. Etant antérieur et présent, il est également futur et ceci nous permet de comprendre pourquoi le cycle des six voies est déclaré sans origine discernable. De plus, cette réalité se cristallise tant dans la production de l’esprit que dans la production du corps puisque, les deux étant formes, ils ne peuvent guère exister sans être effet. A ce sujet, du reste, Nichikan Shonin nous enseigne 55 :« Lorsque l’on croit au Honzon en son cœur, le Honzon teinte notre cœur. S’opère alors la merveille de la cause originelle de l’identité du monde du Bouddha et des neuf mondes. Lorsqu’avec la bouche, nous récitons la Loi merveilleuse, le Honzon teinte notre corps. S’opère alors la merveille de l’effet originel de l’identité des neuf mondes et du monde du Bouddha. La sagesse et son objet fusionnent. Comment la forme et l’esprit pourraient-ils être séparés ? ».

Le fait de croire est donc bien une mise en forme en l’esprit, une mise en forme de l’esprit. L’acte, vocal ou physique, est la mise en forme du corps et, plus précisément, une mise en forme du corps et de son environnement. L’acte momentané, mental, vocal ou physique est donc « Un », il est la simultanéité de la cause et de l’effet, à l’origine.

Le Bouddha, qui ne se distingue de l’être ordinaire que par sa qualité de vie et sa sagesse sans égal, provient également à chaque instant de « quelque chose ».

Nyorai, ou Ainsi venu, est un des qualificatifs de l’éveillé. 56« Le Nyo (Ainsi) de Nyorai désigne le principe véritable, constant dans le monde des phénomènes. Ce qui est apparu après avoir stimulé l’éveil par ce principe, c’est Rai (venu) ». Le « principe véritable » représente l’objet auquel s’est éveillé le Bouddha. Sachant qu’il ne saurait y avoir une connaissance de « rien », la grandeur de l’objet de la connaissance se manifeste nécessairement dans la grandeur ou la profondeur de la sagesse. Pour cette raison, 57 « L’état de vie du Bouddha est l’objet et la sagesse ». En d’autres termes, le Bouddha vient Ainsi, à chaque instant, du principe auquel il s’est éveillé. En cela porte-t-il en lui la loi conforme au principe véritable. Ce principe véritable, objet de l’éveil et sagesse de l’objet, tout phénomène en est muni, sans distinction. L’actuel Souverain de la Loi indique à ce propos :58 « Le principe ultime désigne le principe naturel le plus profond, c’est-à-dire dépourvu d’artifices, présentant l’aspect originel du principe véritable. Lorsque le sage voit ce principe, il donne un nom à toute chose, ce qui signifie que la Loi unique inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet existe au moment le plus fondamental, avant même dénomination. Toutes les choses sont donc, telles quelles, la Loi unique inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet.... Comme fondement de cela, il y a la Une pensée de la loi du coeur ».


« La Loi unique inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet » est, comme indiqué, inconcevable pour les êtres non éveillés. La cause (In), également appelée karma, ne se situe pas dans le monde phénoménal. Etant l’immédiate antériorité de la pensée consciente elle est d’avantage « propension » que phénomène. Elle est désignée par le terme de merveille (Myo). Nous lisons effectivement 59« Quel est alors le sens de Myo ? Seul est appelé merveilleux cela d’inconcevable qui est le cœur de notre Une pensée. Inconcevable signifie que ni l’esprit, ni les mots, ne peuvent l’atteindre ». Humainement, en effet, nous ne percevons jamais autre chose que son effet : l’objet de la pensée momentanée ! Or, comme celui-ci nous semble provenir, soit de l’environnement objectal de la pensée, soit du travail de cette dernière, nous ne sommes en mesure que de constater sa présence, jamais sa cause en nous. Sous cet angle, le temps, là, semble nous glisser entre les doigts puisque l’objet de la pensée momentanée est toujours « ayant été »60. Mais, puisque nous constatons une présence constante d’objets changeant, le grand sage peut également nous indiquer « Pour désigner ce cœur merveilleux, on peut également utiliser le mot de dharma. Et on nomme cette doctrine « Fleur de lotus »61 pour en illustrer le caractère inconcevable, par métaphore et en référence à ce que l’on connaît des choses».

Le terme de dharma, ou phénomène, habilité à désigner Myo peut s’entendre selon nous de deux manières. La première est que, dans la mesure où la cause ne devient son effet simultané que par le biais des facteurs environnants (En), la Une pensée est celle d’un objet : donc elle est forme reflétée. La seconde est que, naissant de son antériorité (Myo), elle est discernement, vouloir voir : donc forme antérieure et postérieure. En cela est-elle Un, en cela est-elle dharma. En cela aussi, les multiples phénomènes sont nécessairement l’aspect réel permanent. Cela étant, si la cause, le karma, ne réside pas dans la forme, si l’effet ne réside pas non plus dans la forme, la merveille (Myo) est que les dix états, les cent états, les mille ainsi et les trois mille mondes existent indiscutablement en potentiel dans la simultanéité de la cause et de l’effet.

Pour cette raison, la déclaration du Souverain de la Loi citée plus haut : « La loi de causalité implique que la cause et l’effet sont, tels quels, simultanés et, en même temps, que la cause devient l’effet et que, de plus, l’effet devient la cause d’où va apparaître l’effet » ouvre sur deux approches d’une inégale profondeur. L’approche la plus simple, la seconde partie de la phrase, est que la cause est en même temps effet, l’effet est en même temps cause et ceci se conçoit dans le cadre d’une linéarité temporelle. Tout un chacun est alors à même de réaliser que sa propre existence, entre l’identité et l’altérité, naît d’elle même au sein de son environnement. La seconde approche est que, la cause et l’effet étant simultanés, ils n’ont pas d’origine, ils sont l’origine. Dès lors, si l’expression « simultanéité de l’effet et de la cause » semble, dans le cadre de l’adaptation, relever du « logique », l’expression « simultanéité de la cause et de l’effet » renvoie à l’insondable : l’éveil immédiat de chaque dharma. Zhiyi nous indique fort à propos 62 « Lorsqu’on parle de Myo, Myo est le nom de ce qui est inconcevable ». Or, si Myo nomme une réalité inconcevable, il s’agit bien de l’éveil en tant que corps. Nichiren Daishonin, Souverain des enseignements de la merveille de la cause originelle, ayant révélé l’éveil dans la forme sous le triple aspect des trois grandes Lois ésotériques enseigne : « Les gens de notre époque considèrent les cinq caractères de Myoho Renge Kyo comme un simple titre mais ce n’est pas cela. Myoho Renge Kyo est un corps et ce corps a un cœur ».

Exprimant sa volonté d’expliciter ce point, Nikken Shonin a déclaré 63 : « Parce que la doctrine principale est identique à la substance inconcevable, Myoho Renge Kyo est l’origine du passé infini. Parce que la substance est identique à la doctrine principale inconcevable, elle est la Loi merveilleuse de l’objet et de la sagesse existant à l’origine et demeurant en permanence... En fait, la nature et l’aspect de la pratique sont parfaitement identiques, qu’il s’agisse du Bouddha originel ou des êtres, c’est-à-dire du maître et des disciples. Il n’existe pas la moindre différence entre le Myoho Renge Kyo que récite le Bouddha originel et celui que nous récitons. Ce fait est particulièrement digne de louanges ».

Alors, puisque nous ne pouvons nous extraire de la relation objectale, le Bouddha, dans sa grande bienveillance, nous offre l’objet de son éveil. 64« Si l’on évoque l’essentiel, le principe ultime de la Loi enseigné dans le Lotus de la Loi merveilleuse, il s’agit du grand dharma exprimant la véritable ainsité qu’a attestée le saint avant le passé hors du temps. Lorsque (cette Loi merveilleuse) est présente dans le cœur du Bouddha, celui-ci atteint alors un état de vie immense et absolu, ineffable, inexplicable aisément par des mots... Lorsque le Bouddha, de par son immense compassion, désire sauver les êtres de leurs souffrances grâce à son éveil ultime, il se force à expliquer par des mots le contenu et l’essence de son éveil... Autrement dit, lorsqu’il est gardé dans le cœur du Bouddha Originel, c‘est Myohorenge. Lorsqu’il est présenté sous la forme de65l’objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur... c’est Myohorengekyo ». La formalisation du principe fondamental de la totalité des phénomènes, la pratique révélée à partir de la substance de l’ouverture immédiate à l’éveil, à l’origine du passé hors du temps, c’est Myohorengekyo. 66 « Autrement dit, c’est grâce au mot « Kyo » que notre pratique est possible, car il permet à l’état d’éveil du sage, à sa sagesse et à l’objet de cette sagesse, dont la nature essentielle est difficile à imaginer, de devenir, tels quels, l’objet de notre cognition par la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et l’esprit. Grâce au mot « Kyo », Myohorenge apparaît dans toute sa splendeur devant nos yeux ».


Nous n’ignorons pas que dans le monde du rêve, c’est-à-dire celui de l’humain, le nom, le concept désigne des caractéristiques similaires et, par contre coup, efface et nie la singularité de ce qui est sensé être désigné par le nom. Bête métaphore de l’obscurité des six voies oblige. Cela étant, seule la non perception de l’aspect réel des phénomènes fait que celui-ci ne peut être matérialisé par le nom, par la forme. Par exemple, le Souverain de la Loi Nikken Shonin a enseigné que considérer « l’Objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur » comme un symbole, revient à le considérer à tort comme un instrument. Or, la notion même de symbole exprime l’incapacité à montrer la forme de ce qui est sensé n’être que spirituel et, en conséquence, interdit l’accès des êtres à l’aspect réel, c’est-à-dire à la forme de l’éveil. Dès lors, non seulement le « symbolisme » est la marque de la superficialité, du rêve, mais, de plus, est l’expression de l’incompréhension et du mépris de la forme. Pourquoi, donc, perpétuer cette croyance qui consiste à penser que la réalité ne serait pas forme ? Que l’aspect réel, une fois partagé, ne serait pas sagesse de la forme et donc nom ? Le Bouddha, lui, porte en son corps l’objet et la sagesse découlant de l’objet. Il peut donc exprimer l’objet, auquel il s’est éveillé par l’entremise de sa sagesse, par un nom.

Concernant cette « union obscure de la sagesse et de son objet » Nichiren Daishonin enseigne : 67 « La voie pour devenir Bouddha ne réside-t-elle pas dans les deux dharma de la sagesse et de son objet ? Ainsi, ce qu’on appelle objet est la substance des innombrables dharma. Ce qu’on nomme sagesse est l’aspect d’éclairer la substance même (des phénomènes) et de faire apparaître (le principe véritable). Lorsque cette sagesse et son objet s’unissent, c’est l’éveil sans changer d’apparence ».

L’apparition du principe véritable, la Loi merveilleuse et l’Objet fondamental de vénération pour l’observation du coeur, est donc le fait du Bouddha. Par analogie, la sagesse imparfaite des six voies éclaire, d’une certaine manière, un monde qui lui est propre au sein de l’infinité des dharma. La vie de chaque individu montre alors son « principe » par son aspect physique, sa pensée et sa relation unique avec son environnement. En cela retrouve-t-on les « cause/condition » des êtres « aux multiples fautes ». Or, si le « Nyo » de Nyorai désigne le principe dont provient le Bouddha à chaque instant, ce terme désigne également la vacuité inhérente en tout. Dès lors, les dix mondes étant présents en toute forme sous l’angle de la vacuité, la forme/pensée produite à chaque instant montre un choix qui, s’il n’est pas celui de l’éveil à l’objet de la cognition, est alors celui d’une souffrance ou d’une autre 68. Au regard de cette infinie liberté de principe, Zhiyi a déclaré 69 : « C’est lorsque, après avoir entendu, on pratique, qu’on peut parvenir à la compréhension du principe parfait ».

D’autre part, Nikken Shonin nous rappelle 70 : « La pratique concrète de la Une pensée trois mille71 permet de manifester l’intégralité du monde des dharma et en faire le monde de la Loi merveilleuse. La Une pensée en tant qu’objet comprend aussi bien les êtres au lien direct, qui ont foi et respect, que les êtres au lien contraire, qui médisent et offensent ». La « Une pensée en tant qu’objet » éclaire donc le principe de la réalité phénoménale et, inévitablement, « les multiples phénomènes sont l’aspect réel »72. Et si, comme cité plus haut, le Grand Sage Nichiren indique « Ainsi, ce qu’on appelle objet est la substance des innombrables dharma » il enseigna également 73 : « Lorsque, vénérant en tant que Honzon le Myoho Renge Kyo de notre cœur, la nature du Bouddha dans notre cœur, nommée Nam Myoho Renge Kyo, est appelée et apparaît, c’est ce qu’on nomme le Bouddha ». Dès lors, par l’entremise de la récitation de la Loi, l’objet « substance des innombrables phénomènes » est désigné sous une forme physique, le Honzon, en notre propre existence. Nam, en outre, marque la prise de refuge en l’objet Myoho Renge Kyo et, en conséquence, Nam Myoho Renge Kyo est la sagesse et l’objet de la sagesse. D’autre part, réciter Nam Myoho Renge Kyo correspond également à prendre refuge en la Loi et en la Personne : le Bouddha.

A l’ordinaire, nous constatons ce qu’est notre existence en terme d’effet, sans trop pouvoir en discerner le fondement, l’origine. Par exemple, la surprenante assurance avec laquelle un quidam quelconque s’estime fondé à décréter « le vrai », comme ça, parce qu’il est lui, n’a pour corollaire que le désarroi où le plonge l’incompréhension noire et patente de sa propre réalité, au fil du temps. Nous sommes là tous concernés. Qui plus est, infiniment rares sont ceux qui, au sein de leurs actes quotidiens, naturellement, perçoivent spontanément l’immense qualité de vie du Bouddha en eux. Alors, afin de les y aider, le Bouddha désigne l’objet et donne la sagesse de l’objet au travers du nom. Récitant Nam Myoho Renge Kyo, les êtres peuvent à ce moment mesurer l’absence de l’objet « éveil suprême de la boddhéité » en eux. En effet, si, d’une certaine façon, le manque constitue une mesure de l’objet, la mesure du manque ne peut que définir un objet. Alors, la mesure de l’absence, du manque, devient apparition de l’objet et, en cela, les troubles, cristallisant la forme du manque, équivalent ainsi à l’éveil74. C’est, en d’autres termes, ce que nous indique Miao Le 75: « Même celui qui ne possède pas encore l’esprit véritable d’ouverture à la boddhéité aura de nombreuses oeuvres et vertus, s’il possède la relation avec l’objet correct de la sagesse » ou, comme l’exprime d’une manière fort concise le grand sage Nichiren 76 : «  A vertu obscure, rétribution lumineuse ».

Fondé sur la profondeur de l’enseignement bouddhique le Souverain de la Loi a déclaré 77 : « ... les êtres de l’époque de Shakyamuni sont parvenus au degré de l’éveil égal78, puis sont retournés au degré de l’homme ordinaire à l’identité de dénomination, puis sont devenus Bouddha... Ceci représentant l’essentiel de la doctrine de notre école, c’est un point vraiment difficile. L’ainsi venu de l’éveil originel aux trois corps en un seul comprend cette profonde signification ».

Le degré de l’éveil égal est, selon la doctrine, encore situé dans l’obscurité fondamentale puisque, même à ce niveau de réalisation, la grandeur de la sagesse ne peut entraîner l’éveil. La raison en est que la sagesse, en tant que cause, que moyen, ne produit qu’une sagesse égale ou inférieure en terme d’effet et, en outre, découlant de sa relation à un objet, elle ne peut évidemment l’engendrer avant que celui-ci n’existe79. Or, l’état de bouddha, comme tout état, est cause et effet simultanés, c’est-à-dire corps. Le degré de dénomination, où sont revenus tous les disciples de Shakyamuni, est donc celui, propre à l’homme ordinaire, où aucune sagesse ne peut remplacer la production de la forme par le nom. Cela parce que le nom est la forme et, pour cette raison, Zhiyi a déclaré à propos du cinquante deuxième degré, celui de l’éveil ultime : « Seul le Bouddha peut y entrer ».

En conclusion, le Daishonin a enseigné dans le traité « Les multiples phénomènes sont l’aspect réel » 80 : « L’homme ordinaire est les trois corps dans leur substance et est le Bouddha originel. Le Bouddha est les trois corps dans leur fonction et est le Bouddha éphémère... Toutefois, l’illusion et l’éveil étant dissemblables, l’être et le Bouddha sont différents. L’enfer montre l’apparence de l’enfer :c’est son aspect véritable. S’il se transforme en avidité, ce n’est plus l’apparence véritable de l’enfer. Le Bouddha a l’apparence du Bouddha, l’homme ordinaire a l’apparence de l’homme ordinaire ; la corporéité des innombrables dharma est la corporéité de Myoho Renge Kyo ».


Les neuf mondes, de l’enfer aux souffrances incessantes à l’état de bodhisattva, définissent tant la forme et la charpente perceptive de l’observateur, que le monde objectal perçu. Dès lors, prendre appui sur, prendre refuge dans, par la récitation de Nam Myoho Renge Kyo devant le Gohonzon, permet l’apparition du monde du Bouddha dans les neuf mondes. Concernant la lecture du Sûtra, Zhiyi nous a expliqué 81 : « La lettre est la respiration du corps de la Loi ». Dès lors, la production du corps de la Loi par le nom, devant l’objet « corps de la Loi », est le refuge d’où s’élance l’être ordinaire, devenant ainsi semblable à l’ultime : le Bouddha.

« Si on récite Nam Myoho Renge Kyo avec une foi forte, sans aucune autre pensée, alors le corps de l’homme ordinaire est le corps du Bouddha. C’est ce qu’on nomme l’éveil dès ce corps par la clarté obtenu seul et naturellement » a enseigné Nichiren Daishonin.

1 Bouddhisme de l’école Fuji, N°62 P.3.

2 Très longue durée.

3 Le Bouddha, la Loi et le moine.

4 Deux éléments du principe : « Multiples phénomènes/Aspect réel », dans le chapitre Hoben du Sûtra du Lotus. « Seulement de Bouddha à Bouddha l’aspect réel des dharma est saisi dans son intégralité : Ainsi est l’aspect (So), la nature (Sho), l’essence (Tai), la capacité (Riki), la production (Sa), la cause inhérente (In), le facteur (En), l’effet (Ka), la rétribution (Ho), et l’absolue égalité de l’origine et de la fin (Hon matsu kukyoto).

5 Immédiatement antérieur au fait perceptif, non pas en tant que ce qui est « avant », mais ce d’où naît le fait perceptif à chaque instant.

6 E.Kant,: « En réalité, la représentation de toutes les choses est la représentation de notre état intérieur ». Posthume (n°3929) de 1769. Dans « L’ultime raison du sujet » Manfred Frank, Actes Sud ,1988.

7 Terme Sanskrit dont la racine (dhr) signifie « soutenir ». Ecrit avec d minuscule, il signifie phénomène, structure provisoire. Avec un D majuscule, il signifie la Loi du Bouddha.

8 2°chapitre du Sûtra du Lotus, chapitre des Moyens.

9 skt. Shravaka, jap. Shomon. 7° état, désigne celui qui écoute l’enseignement du Bouddha.

10 Skt. Pratyekabuddha, jap. Engaku. 8° état, désigne l’état de vie de celui qui s’éveille partiellement grâce aux facteurs.

11 Joie temporaire, tranquillité, colère, animalité, avidité, souffrances incessantes.

12 Etat d’écoute (de la doctrine du Bouddha), d’éveil par les facteurs, de bodhisattva et de bouddha.

13 Nikken Shonin, B.E.F. N°62 P.5.

14 (538-597) Fondateur de l’école Tiantai en Chine.

15 B.E.F. N°45 P.10/11.

16 Dans le deuxième chap. Hoben. « Traité sur l’enseignement, la pratique et la preuve ». Nichiren.

17 Cela étant, notons que si le concept de vacuité semble augmenter ou compléter le concept de conditionnalité, plus profondément encore la solennité des causes (In) et conditions (En) constitue bien le vrai puisque les innombrables phénomènes sont l’aspect réel permanent.

18 B.E.F. N°57 P.6.

19 traduit le plus souvent par « extinction sans reste »

20 B.E.F. N°9 P.5.

21 B.E.F. N°56 P.2.


22 B.E.F. N°20.

23 Il s’agit dans ce cas de la non dualité sujet/objet.

24 Traité de la grande vertu de la sagesse. Nagarjuna. Tr. E. Lamotte. Institut Orientaliste. Louvain 1976. P.2081

25 Dans « Vie et Vérité », textes choisis par Jean Granier. P.U.F.1998. P.137.

26 Avec finesse, H.Bergson explique en substance que les signes avant-coureurs d’un événement novateur ne se révèlent qu’après l’apparition de l’événement, ils n’apparaissent jamais si l’événement ne se produit pas. La production d’un événement novateur met en forme et cristallise donc son passé. « La pensée et le mouvant ».

27 B.E.F. N°61 P.3.


28 B.E.F. N°52 P.14.

29 Signalons que, si la pensée est forme, se pose alors le délicat problème de savoir en quoi l’image de l’objet en l’esprit est-elle bien celle de l’objet même, mais nous y reviendrons.

30 L’enseignement du Bouddha. Walpola Rahula. Ed. du Seuil. Paris 1961. P. 55.

31 Dans « Vie et Vérité ». P.29.

32 Dans « L’ultime raison du sujet ». P.69.

33 ibid P.28.

34 ibid P.41.

35 ibid P.51.

36 « Instant et cause » Lilian Silburn. Librairie philosophique J.Vrin. Paris 1955. P..277.

37 « En une vie devenir le Bouddha » A. Gouvret. Arfuyen 1993.

38 « Dans notre pensée, l’essentiel consiste à intégrer les données nouvelles dans des schèmes anciens, à réduire la nouveauté à l’identité ». Nietzsche. Vie et vérité. J. Granier. P.U.F. 1971. P.156.

39 « En une vie devenir le Bouddha » A. Gouvret. Arfuyen 1993.


40 « L’esprit veut l’identité ; il veut pouvoir classer une impression des sens dans une série existante ; de même que le corps s’assimile les matières organiques ». Nietzsche. Vie et vérité. P.157.

41 « Il y a donc dans l’homme autant de « consciences » qu’il y a d’êtres qui constituent son corps. Ce qui distingue ce « conscient » que d’habitude on s’imagine unique, l’intellect, c’est justement qu’il demeure protégé et exclu de ce qu’il y a d’innombrable et de divers dans l’expérience de ces diverses consciences ».

F. Nietzsche, Vie et Vérité, P.110.

42 538-597.

43 Ichinen sanzen. Désigne, en résumé, la qualité de la forme/pensée momentanée.

44 711-782. Sixième patriarche de l’école chinoise Tiantai.

45 Non dualité de la cause, In, et du facteur, En.

46 Tranquillité, joie temporaire, orgueil, animalité, avidité et souffrances incessantes.

47 Simultanéité de la cause et de l’effet.

48 Nikken Shonin, B.E.F. N°52, P.18.

49 B.E.F. N°52.P.14.

50 Littéralement « les six entrées » : les cinq organes des sens et la pensée. La cognition est consécutive à la stimulation d’un organe des sens par un objet.

51 « Et que dire du Moi ! Il est devenu une fable, une fiction, un jeu de mots : il a tout à fait cessé de penser, de sentir et de vouloir ! ... Qu’en découle-t-il ? Il n’y a plus la moindre cause spirituelle ! » F. Nietzsche « Crépuscule des idoles » Folio. Essais. Paris 1974. P.40.

52 B.E.F. N°34.P.7/8.

53 Renge est la simultanéité de la cause et de l’effet.

54 B.E.F. N°44.P.3.

55 B.E.F. N°44.P.2.

56 B.E.F. N°53.P.4.


57 B.E.F. N°53.P.9.

58 B.E.F. N° 57.P.12.

59 Nichiren Daishonin dans « Devenir le Bouddha » Arfuyen.

60 Probablement dans le même sens, le Souverain de la Loi a déclaré (B.E.F.N°3.P.9) « Ce qu’il y a de pire, est que nous sommes acculés avant que nous en ayons conscience. C’est de cette manière que notre esprit nous trahit ».

61 Renge : simultanéité de la cause et de l’effet.

62 B.E.F. N°52 P.2.

63 B.E.F. juin 1994 P.5.

64 B.E.F. N°59.P.9.


65 Honzon.

66 B.E.F. N°59 P.12.

67 B.E.F. N°61 P.11.

68 « Quelque incompréhensible que cela puisse paraître, on est en fin de compte forcé de supposer qu’il y a dans l’inconscient quelque chose comme un savoir à priori ou, mieux, une [présence] d’événements dépourvue de tout fondement causal. Quoi qu’il en soit, notre concept de causalité se révèle impropre à l’explication des faits ». C.G. Jung dans « Synchronicité ».

69 B.E.F. 45 P.12.

70 B.E.F. juin 1994 P.11.

71 Dans notre école, « pratique concrète de Une pensée trois mille » signifie Nam Myoho Renge Kyo.

72 Jap. Shoho Jisso.

73 B.E.F. N°61 P.9.

74 jap. Bonno soku bodai.

75 B.E.F. N°42 P.18.

76 B.E.F. N°42 P. 20.

77 B.E.F. janvier 1994. P.7.

78 51° degré des 52° de l’évolution vers l’éveil , pour les bodhisattva.

79 Dans le cadre de la pratique de la voie bouddhique.

80 B.E.F. N°16 P.12. Shoho Jisso Sho.

81 Les doctrines de l’école japonaise Tendai. J.N.Robert. Maisonneuve et Larose, Paris 1990. P. 277.




Le « Quintuple sens obscur ».



Dans la « Lettre de Sado » le Grand Sage Nichiren écrit 1 : « A la lumière des sûtra, la noirceur du corbeau comme la blancheur du héron relèvent de la forte teinture de leurs actes du passé. Les voies extérieures ne connaissent pas cela et le qualifient de « naturel ». Les hommes de ce monde, même si je tente de les sauver en soulignant leurs actes erronés, affirment avec ténacité ne pas être eux-mêmes dans l’offense à la Loi... ».

Dans le commentaire de ce texte, le Souverain de la Loi Nikken Shonin définit ce qui caractérise l’enseignement du Bouddha : l’éclaircissement de la cause (nyoze In), de la condition (nyoze En), de l’effet (nyoze Ka) et de la rétribution (nyoze Ho). En effet, aux yeux de tous les Bouddha, n’importe quel phénomène, dans son environnement, dévoile la Loi inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet. Pour cette raison, relativement à l’approche usuelle des êtres ignorant la voie bouddhique, Nikken Shonin indique 2: « Les philosophes des voies extérieures utilisent souvent les mots « hasard » ou « naturel ». C’est parce qu’ils ne peuvent fournir d’explications qu’ils disent que c’est ainsi dans la nature ».

L’emploi d’expressions comme « c’est le hasard » ou « c’est naturel » ont effectivement pour fonction de recouvrir d’un voile pudique l’incompréhension manifeste de la causalité de l’objet désigné. Il en va du reste de même de l’emploi des noms, sans exception. En effet, si les noms servent à distinguer les formes les unes des autres (un baobab n’est ni un citron ni un chef de gare), ils ne permettent en aucune manière d’éclairer la qualité intrinsèque à la forme désignée. Et même si l’objection naturelle à ce constat peut être « qu’ils ne sont pas faits pour ça », il n’en reste pas moins cruellement dommageable que rien ne semble être fait pour ça ! A la réflexion, d’ailleurs, rien n’a jamais été réellement envisagé pour « ça », car la perception de la causalité intrinsèque à la forme ne relève pas de l’activité d’un sens, du langage, de la mesure ou de l’analyse, mais du partage de la qualité même de la forme. Or, si dans le dernier cas il s’agit nécessairement du dépassement de « soi », dans le premier il ne s’agit que de la mesure de soi-même ou de l’appareil permettant l’observation 3, ce qui revient évidemment au même.


Bien que l’éveil à la réalité des phénomènes constitue l’essence de la liberté, comme l’enseigna Shakyamuni, le seuil de la sagesse des bouddha est difficile à franchir. C’est dans cette perspective que le Bouddha nous engage avec bienveillance sur la voie de l’éveil dès ce corps, en nous enseignant la Loi inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet. Cette Loi ouvre effectivement sur la qualité ineffable de la substance de chaque dharma. Dès lors, 4 « Lorsque le Bouddha transmet ses enseignements aux êtres, c’est dans le but de leur montrer le principe correct de la causalité, pour leur faire pratiquer l’ascèse appropriée ». Fondamentalement, donc, la perception du « principe correct de la causalité » engendre la pratique de l’ascèse appropriée, librement et individuellement. Cependant, bien qu’objectale, cette réalité perçue par le Bouddha est nécessairement transposée dans des mots et nous apparaît alors n’être plus qu’un concept abstrus, éventuellement « gérable » par la raison, et entrant de gré ou de force dans les classifications qui lui sont usuelles. Rien, en somme, qui, favorisant une vaste et novatrice mise en forme de l’esprit, puisse l’empêcher de ramener toute chose à sa dimension. Ainsi en va-t-il des frontières par trop étanches et réductrices du sens ! Or, éclairant la réalité phénoménale, c’est-à-dire nous-mêmes aussi bien que l’infinité des formes, il en découle que le non partage, la méconnaissance de ce principe, entraîne systématiquement son contraire, c’est-à-dire sa mésestimation, sa transgression, voire son mépris. Et cette « naturelle » obscurité, par voie de conséquence, conforte les êtres dans le sentiment qu’ils ne sont pas les auteurs de leur réalité environnementale, les empêche de réaliser que leur état n’est jamais conditionné et les autorise, en outre, à espérer en vain d’hypothétiques jours meilleurs. Il en va d’ailleurs de même pour certaines écoles de pensée se croyant rattachées à l’enseignement de l’éveillé. Ignorant, ou préférant ignorer l’enseignement du Sûtra du Lotus, elles rejettent la simultanéité de la cause et de l’effet et retombent ainsi, après avoir frôlé la voie de l’éveil en ce corps, dans la boue inextricable de la cause et de l’effet séparés. De cela découlent toutes leurs incompréhensions relatives au corps, (puisque l’esprit s’en trouve malgré lui alourdi), aux phénomènes, (le monde des noms sans substance et de « l’aléatoire »), et à la causalité de chaque chose plus généralement. Or, tout étant causal, il ne peut se faire, précisément, que l’enseignement du Bouddha n’éclaire pas la réalité phénoménale. Comment, du reste, un éveil pourrait-il se réaliser sans objet ?


Fort de cette approche, Nikken Shonin souligne 5 non sans humour que si les souffrances usuelles sont multiples, si les êtres sont imprégnés de divers poisons, il leur est beaucoup plus facile de détecter une quelconque souffrance physique et d’y porter promptement remède que de distinguer les maladies qui affectent leur l’esprit6. Pourtant, ces maladies mentales engendrent en permanence des effets particulièrement perturbants. La vue du « soi » en tant qu’existant, la croyance aux extrêmes que sont l’anéantissement et la permanence et, à la base, les trois poisons de l’obscurité, de l’avidité et de la colère qui, non seulement sont ignorés mais seraient vigoureusement contestés par le premier quidam venu, engendrent en permanence leurs effets pervers. Et il s’agit bien de perversion car chacun peut estimer n’avoir pas souhaité les épreuves qui façonnent sa réalité et, qui plus est, penser sincèrement avoir fait de multiples efforts vertueux 7. En conséquence, l’idée même de chercher un « remède » ne se produit que rarement, puisque les termes « hasard » et « naturel » peuvent indéfiniment masquer les plaies de l’esprit et l’infection qui y couve. C’est ce qui découle, sans erreur possible, de la non perception de la simultanéité de la cause et de l’effet.

Au sein du chapitre Juryo du Sûtra du Lotus, dans la parabole de l’excellent médecin, il est écrit : « Je laisse maintenant, ici, ce bon remède pour vous. Vous devez l’absorber et ne pas penser qu’il est inefficace ». Dans la « Transmission orale de la doctrine » le commentaire du Daishonin indique 8 : « Dans la Fin du Dharma,[ce bon remède] désigne Nam Myoho Renge Kyo. « Ce » se rapporte au quintuple sens obscur. « Bon » signifie que la chose que les Bouddha des trois phases aiment est les cinq caractères du Daimoku 9... Par l’absorption (de ce remède), on devient le triple corps sans artifice et la maladie de l’éveil premier en ce monde est soulagée. C’est ce que font Nichiren et les siens qui récitent Nam Myoho Renge Kyo. ».

Si, globalement, la « maladie de l’éveil premier » désigne toutes les doctrines bouddhiques antérieures au chapitre Juryo du Lotus, où Shakyamuni révèle que son éveil ne s’est pas produit en Inde, à Gaya, mais dans un très lointain passé, « ce remède » désigne le médicament adéquat à notre époque et ce, en relation nécessaire avec son éveil « à l’origine ». L’analyse de ce point est effectuée par Zhiyi au travers du « quintuple sens obscur » et, explicitant sous un angle théorique l’enseignement définitif de Shakyamuni, nous allons découvrir qu’il est alors concevable que, dans le cadre de l’éveil du Bouddha, le nom soit la substance.

Le quintuple sens obscur est constitué du nom, de la substance, de l’intention, de l’application et des enseignements.

En bref, l’exégèse effectuée par Zhiyi est la suivante : pour le nom, le titre du Sûtra du Lotus (Myohorengekyo), désigne la Loi merveilleuse non duelle avec la fusion des trois vérités10, en sa comparaison avec la fleur de lotus substantifique où la fleur et le fruit sont simultanés. Pour la substance, la substance du Lotus est l’aspect réel (jisso). L’intention est le précepte essentiel de la simultanéité de la cause et de l’effet du véhicule unique de la boddhéité. L’application correspond à la suppression des doutes et à l’apparition de la croyance. Enfin, il s’agit de l’enseignement suprême et parachevé, en regard de tous les sûtra, pour l’enseignement. En outre, il est convenu, dans cette école, que ce quintuple sens obscur permet, par delà la lettre, d’avoir accès au sens profond du sûtra, lequel possède un pouvoir sur la pratique contemplative effectuée par le disciple11.

Dans notre école, concernant « le nom », il est dit 12 que cela désigne le nom du Sûtra du Lotus. Il est également indiqué 13 « que toute chose possède un nom qui permet de définir, de traduire sa condition. En ce qui nous concerne, il s’agit du principe véritable, fondement et essence de toutes les choses, auquel le Bouddha s’est éveillé. Le nom de ce principe véritable est Myoho Renge Kyo et, dès lors, l’intégralité des dharma en possède le sens ». « Le principe véritable ... auquel le Bouddha s’est éveillé » est la substance des innombrables phénomènes, et cet objet de l’éveil sous-tend les mots et les phrases, donc les formes, déployées par Shakyamuni durant cinquante ans. Quant à l’expression « En ce qui nous concerne », elle renvoie à l’école orthodoxe préservant réellement la substance de l’éveil du Bouddha. Shakyamuni affirmait effectivement « Qu’un esprit imbécile multiplie les notions et s’attache à distinguer quantités de dharma, il n’y aura jamais autre chose que les noms et les formes ». D’autre part, la phrase « l’intégralité des dharma en possède le sens » éclaire bien la profonde sagesse de l’éveil, en tant que production de forme, dans son adéquation totale avec l’infinité phénoménale.

« La substance » renvoie à la substance désignée par « le nom » du Sûtra du Lotus. « Il s’agit de la substance même de toute chose, de sa nature intrinsèque. Par l’énoncé du nom du Dharma merveilleux, il est évident que la substance du principe véritable n’est pas autre chose que la substance du Dharma de Myohorenge ». Séparant les vues extérieures de la voie du Bouddha, l’expression « Il s’agit de la substance même de toute chose » montre vis-à-vis de quoi l’éveil se produit et il apparaît, dès lors, que ce monde est ultimement existant en soi. En effet, la « nature intrinsèque » de toute chose renvoie au constat suivant : qu’il y ait un observateur on non le phénoménal est, tel quel, l’ultime. Or, si le monde a une quelconque réalité celle-ci est nécessairement substantielle ; si le monde exprime sa substance, il ne reste plus alors qu’à s’y éveiller. Toutefois, pour triviale que puisse sembler cette proposition, nous soulignons incidemment qu’un grand nombre de points de vue philosophiques ou religieux ne peuvent malgré tout s’y reconnaître. Soit parce que ce monde n’est pas le « bon », soit parce que notre « essence » s’en distingue par nature, soit parce qu’il n’y a rien à tirer de compréhensible de cette effervescente et précaire vie en ce monde puisque le « phénomène » est strictement chose en... ou de....l’esprit ! Quant à la seconde phrase, elle précise que la substance du principe véritable est nécessairement forme, puisque nom.

« L’intention » indique la cause et l’effet, c’est-à-dire la causalité la plus ultime de ce qu’est le Sûtra du Lotus, sous quelle forme il apparaît. « L’intention désigne les actions constituant la base de toutes les causes entraînant des effets. De par le Dharma merveilleux, la cause et l’effet sont simultanés, phénomène se produisant lorsqu’on pratique [ la substance inconcevable] ». « L’intention désigne les actions » en cela que les actes, les paroles du Bouddha, sont l’effet de son éveil sous la forme de la sagesse et que cette forme, transposée sous l’aspect des sûtra, devient la cause potentielle de la sagesse pour les disciples. C’est dans ce sens que les cinquante années d’enseignement de Shakyamuni servent de « base de toutes les actions entraînant des effets ». Il convient néanmoins de noter le fait que la cause de la sagesse, les sûtra, ne peut avoir pour effet en le disciple qu’une sagesse égale, dans le meilleur des cas, ou, le plus souvent, inférieure au texte. Or, selon le sûtra, la sagesse développée y est plus ou moins profonde, et même le Lotus, qui provient de la volonté de révéler enfin la vérité, selon les paroles mêmes du Bouddha, ne révèle pas l’objet de son éveil « à l’origine ». Là se trouve la limite des enseignements de Shakyamuni en terme de cause d’éveil. Toutefois, la phrase « De par le Dharma merveilleux, la cause et l’effet sont simultanés... » explicite le fait que, dans l’enseignement définitif de Nichiren Daishonin, la transmission de l’éveil est effectuée directement sous formes objectales, le nom et la forme ; puisque l’éveil est à la fois cause et à la fois effet. Cela se conçoit du reste pour l’excellente raison que toute forme est à la fois effet et cause d’elle-même. Dans ce sens, l’expression « ...lorsqu’on pratique [la substance inconcevable] » désigne le corps même du Bouddha originel : Myoho Renge Kyo. Pour cette raison, dans la perspective de l’accès à l’éveil, il est très clairement enseigné 14: « Ainsi, le bouddhisme est parfaitement doté de la voie de la causalité où l’on obtient l’effet par la cause ». Comment croire, en effet, qu’une cause qui ne serait pas l’éveil, mais la sagesse en découlant, pourrait simultanément engendrer un effet d’un registre autre que celui d’une sagesse parcellaire ? Cela équivaudrait à croire qu’un phoque puisse « naturellement » devenir maire de New York ! La forme produite étant « principielle », dans notre école, il est également enseigné 15« La récitation de Nam Myoho Renge Kyo vers cet objet correct (de la sagesse) nous permet de parvenir immédiatement à la vue correcte ».

« L’application » possède le sens de « fonction ». Elle précise la Loi dont traite le Sûtra du Lotus, ou sa fonction dans le fait de guider les êtres. « L’application désigne ensuite la fonction de chaque chose et de chaque phénomène. L’application du Dharma merveilleux est la fonction de guider les êtres, celle-ci se manifeste à partir de l’état de vie ultime de la boddhéité ». « La fonction de guider les êtres, ...qui se manifeste à partir de l’état de vie ultime de la boddhéité » renseigne utilement sur certains points : l’objet de la relation est supérieur à l’intention présidant à l’acte relationnel ; les troubles sont, de fait, notre ordinaire, mais cela ne peut réellement constituer un handicap puisque nous produisons justement l’éveil grâce à eux ; quel que soit l’objet de notre pensée, la production du Bouddha16 est nécessairement l’apparition d’une sagesse supérieure ; la pratique de la Loi guide vers l’état ultime de la boddhéité alors que les autres pratiques ne guident que vers ce qu’est leur objet, puisque « l’intention » y est déjà contenue17. En somme, l’application de la substance de l’éveil (Nam Myoho Renge Kyo), engendre nécessairement sa fonction puisqu’il y a, selon le bouddhisme, une absolue identité entre la substance et la fonction. Nikken Shonin a déclaré dans ce sens 18 : « Lorsque « le nom » désigne ce qui se rapporte à Myohorengekyo, toutes les voies s’ouvrent alors dans la Loi merveilleuse ». En d’autres termes, si Nam Myoho Renge Kyo est à la fois la substance et la fonction de l’éveil, le réciter, en terme de fonction, établit la substance en le corps de l’être ordinaire, et les troubles deviennent alors le combustible du feux de la sagesse.


« Les enseignements » indiquent le contenu du Sûtra du Lotus, autrement dit, ils désignent sa structure. « Les enseignements désignent les paroles que le saint prononce. Ce terme englobe toutes les éthiques, morales, philosophies et religions écloses depuis les origines de l’humanité. Les contenus des enseignements sont... aussi vastes que divers. Toutefois... les enseignements présents dans les cinq caractères du Dharma merveilleux sont l’explication correcte de la relation de valeurs hiérarchiques entre tous ces enseignements jusqu'à l’enseignement suprême ». Comme nous l’avons évoqué plus haut, outre le sens, qui n’est en général que le contenu délétère des mots issus du cycle des six voies, les mots et les phrases sont des substances, et c’est vis-à-vis de leurs valeurs respectives que s’établit la hiérarchie menant jusqu'à l’éveil suprême.


Dans l’optique de l’éveil, donc, le nom cristallise la substance ainsi désignée, et la causalité inhérente à cette substance développe naturellement ses effets. Cependant, ce principe s’applique en réalité à toute chose et, si l’on prend un nom tel le « viagra », nous trouverons une couleur et une substance, une causalité inhérente en potentiel, son application entraînera en principe des résonances qui ne sont probablement pas celles des pastilles « valda », et les ingrédients la constituant correspondent aux principes. En ce sens, tout nom entraîne une substance, et sa causalité intrinsèque produit naturellement ses effets lors de son utilisation. Cette approche nous éloigne fortement de l’idiosyncrasie humaine où, précisément, les noms ne sont pas sensés ouvrir sur une substance. Et, de fait, ils en contiennent peu. Malgré cela, le Daishonin a indiqué, par exemple, que l’audition attentive des propos d’un groupe de personnes, sans que nous intervenions, nous permet de découvrir que leurs paroles expriment nécessairement les six premières voies, de la joie temporaire à la souffrance. Ainsi, les mots, et leur articulation sous forme de phrases, au même titre que l’assemblage physique du corps ou le schème de la pensée, sont pour le Bouddha l’expression d’états et, quant bien même nous ne le percevrions pas aisément, nous pouvons pour le moins admettre que si la substance, la qualité intrinsèque, a nécessairement une forme, celle-ci peut être vocale, quelque soit l’état.

Parmi les dix volumes constituant « Le sens occulte du Lotus », Zhiyi en consacre six et demi au nom du Sûtra, Myoho Renge Kyo et, parmi eux, cinq et demi pour le seul idéogramme de « Myo ». De plus, dans le souci d’établir une distinction avec ce qui est concevable, Zhiyi indique19 : « Lorsqu’on parle de Myo, Myo est le nom de ce qui est inconcevable ». En effet, « Myo » est un caractère, donc un nom, et celui-ci renvoie nécessairement à une substance, à une causalité interne, aux effets de son application et aux principes contenus. Or, parmi les significations de « Myo » il y a, entre autres, : ouvrir, doter et faire renaître. Tous ces termes désignent, aux yeux du Bouddha, la qualité potentielle inhérente à tout phénomène. A savoir que tout dharma est doté 20 de la triple vérité de la vacuité, du provisoire et du milieu, de la matière et de l’esprit, des dix états dans les dix états, des trois mille et, pour conclure, de la Une pensée trois mille. « Myo » exprime donc l’inconcevable. En d’autres termes, tout dharma est susceptible de manifester l’éveil suprême, et telle est la substance désignée par « Myo ». Dès lors, les qualificatifs que sont ouvrir, doter et faire renaître explicitent les fonctions résultant de l’application de « Myo ». Cela est inconcevable. Pourtant, la « Transmission orale de la doctrine » nous certifie que « Une pensée trois mille signifie perfection et merveille », et si, humainement parlant, nous ne percevons les phénomènes que comme « étant », donc comme des effets ayant leurs causes, et les plaçons « naturellement » dans un temps et dans un espace, dans les catégories masquantes et figées de la raison et du langage, le Bouddha les perçoit dans leur médianité originelle. Autrement dit, l’ensemble momentané substance/fonction, en tant qu’effet d’une « infinité » et cause simultanée d’une « infinité », montre dans l’instant son origine. C’est dans cette optique que Zhiyi a déclaré, dans son « Grand arrêt et examen » : « Il n’est pas une couleur ni un parfum qui ne soit de la voie du milieu ». Dès lors, si, usuellement parlant, des termes comme couleur, odeur, ceci, cela, ont pour unique fonction de distinguer ce qui est désigné de ce qui ne l’est pas, en négligeant sa qualité foncière, le Bouddha, quant à lui, donne le nom de l’éveil immédiat de toute substance, de tout dharma.

Le principe théorique sous tendant cette virtualité est, tel que nous l’indique le Daishonin : 21« La triple vérité inconcevable de l’identité de la vacuité, du provisoire et du milieu représente le principe correct, immuable, permanent à l’origine, permettant d’élucider le véritable sens de tous les dharma ». Ce « principe correct », immuable et permanent à l’origine, désigne la « Une pensée » en tant qu’acte, en cela que toute forme est « Une pensée ». Et si, dans les neuf premiers états, l’infinité des formes/pensées est bien la matérialisation de ce principe, dans l’éveil la manifestation ultime de ce principe est la double forme de Myoho Renge Kyo et de l’Objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur. En conséquence, contrairement à ce que recouvre l’acception prosaïque et commune du terme de « valeur », souvent attribuée au seul fait humain, nous soutenons que, si toute chose relève des causes et conditions, il se trouve là une réelle qualité de « liberté » puisque tout change constamment, de plus si toute chose est vacante « l’égalité » de principe est fondée, et enfin si toute chose est médiane sa « respectabilité » de fait ne supporte alors plus aucune restriction. En d’autres termes, la vénérable nature du Bouddha existe en toute chose puisque, si la conditionnalité phénoménale entraîne le concept de « non en soi fixe » dans l’enseignement provisoire, elle ouvre sur l’immutabilité des dix états dans les dix états au sein de chaque forme dans l’enseignement définitif. 22 « La vérité du provisoire est l’explication fondée sur la pensée de l’existence réelle du point de vue du principe véritable » enseigne en effet Nikken Shonin. Il en ressort que, du point de vue du « principe véritable », la forme conditionnelle est l’ultime, à l’origine.


1) Concernant Myo, dans la « Transmission orale de la doctrine » nous lisons23 « Le monde des dharma est Myoho ; le monde des dharma est Renge ; le monde des dharma est Kyo ». Si tout dharma montre sa « Une pensée » à travers l’aspect, la couleur, l’odeur, le son.., Myo désigne ce qui lui est immédiatement antérieur,24 c’est-à-dire nyoze In, la cause inhérente, le karma. Dés lors, la forme provisoire, conditionnelle et vacante (Ho), montre l’infinité passée. Plus précisément, cependant, une infinité linéaire se terminant sur un point, l’instant présent sans durée, ne se peut, car un infini ne saurait avoir de borne. Or, tout existe bien et, ce, d’une manière indiscutablement causale. Dans ce sens, et tel est précisément le propos de l’enseignement définitif, l’infinité ne peut être que le présent conditionnel et non pas l’indéfendable et onirique « durée » de quoi que ce soit. Du reste, strictement parlant il est parfaitement contradictoire de chercher une durée ou une antériorité à un « non en soi fixe ». Dès lors, nous pouvons apprécier à sa juste valeur la concision du Souverain de la Loi qui affirme 25« ...le concept de création ne représente pas le véritable éveil du Bouddha. La vérité réside dans la présence ». Cette déclaration devrait heurter le sentiment intime du grand nombre, car nul ne peut se situer autrement qu’en tant qu’aboutissement, que « somme » génétique, culturelle, historique en quelque sorte. Dans ce sens, le concept de « création », sensé justifier la condition dans l’instant, entraîne naturellement l’adhésion à ce concept et, en conséquence, l’entrée dans l’imbroglio des causes et des effets multiples induisant éventuellement la notion d’un « créateur » tel le hasard, dieu, la nature, le destin... En cela, l’éveil est synonyme de courage et de responsabilité, puisque la perception de la causalité de la « présence » ouvre sur une bienveillance active et illimitée envers tout ce qui est. Du reste, et quelques soient les points de vue passés, présents ou futurs, l’existence n’est jamais autre chose que la présence de... Or, né du spectre de « l’en soi qui perdure » et d’une médiocre observation de la causalité, le concept de « création » sous-entend une linéarité dont l’origine et la fin sont nécessairement obscures et, par voie de conséquence, une lecture de la « présence » également obscure. Ou, ce qui revient au même, à une approche catégorisée par la distinction : moi/non moi, bien/mal, jaune/rouge, ceci/cela. Par contre, l’idée contenue dans le fait que « la vérité réside dans la présence » traite de l’infinité inhérente au présent, sans commencement ni fin, et ouvre dès lors sur l’apparition naturelle du fondement de l’éthique individuelle. Pour cette raison, Myo est la merveille et nomme l’inconcevable : l’éveil immédiat dès ce corps, sans distinction de forme ou de capacité. En outre, que « le monde des dharma soit Renge », c’est-à-dire la simultanéité de la cause et de l’effet, confirme le fait que, contrairement à une approche linéaire, trop humaine, du phénoménal où la cause et l’effet sont séparés, tout dharma est « à l’origine ». Quant à Kyo, dans ce contexte, il exprime l’absolue pérennité de toute structure, de tout dharma. Zhiyi nous le confirme de la façon suivante 26: « La forme, étant d’existence réelle, est dite non destructible (Chu) ; bien que l’on ne puisse la détruire, en raison de son impermanence (Ke), on dit que la forme est vacuité (Ku) ». Nous comprenons, dès lors, que « Aux yeux du Bouddha, le monde des dharma, c’est-à-dire l’intégralité de toute existence, possède la signification de Myo et est doté de vérités profondes et de valeurs infinies ».

Les enseignements provisoires, antérieurs au Lotus et basés sur une causalité linéaire, ont affirmé le besoin d’une durée infinie et « nécessaire » de multiples pratiques afin de parvenir par degré, un jour, à l’éveil. En effet, à l’aune de l’éveil suprême les troubles étant multiples, définir l’essence de chacun d’eux et y remédier devait forcément prendre un temps considérable27. Pourtant, le Lotus révèle la notion de « non production », et cela entraîne que28 « ..l’intégralité des choses est parfaitement présente dans une seule. Dès lors, la substance de la vie y est parfaitement présente et, si l’on ouvre telle quelle cette vérité, sans qu’il soit nécessaire de transformer notre vie, tout y est parfaitement présent ». Cette approche concerne tous les phénomènes sans restriction aucune et, en somme, 29« une existence, un dharma, communique avec toutes choses et est, tel quel, une existence inconcevable ». « Inconcevable » se rapporte nécessairement à ce qui se distingue de l’éveil, c’est-à-dire aux neuf premiers états, puisque, selon la doctrine de l’école,30 « Lorsqu’on perçoit son moi véritable, nous-mêmes, tels quels, devenons l’intégralité du monde des dharma ».

Autrement dit, la substance à laquelle renvoie Myo est l’éveil véritable et, plus précisément, 31« ..la nature originelle, la substance de la loi de la cause et de l’effet de boddhéité intervenant dans la profonde attestation intérieure du Bouddha, est Myohorengekyo ».

2) Concernant la simultanéité de la cause et de l’effet, ou Renge, fleur du lotus dans sa transposition métaphorique, Zhiyi a déclaré 32« La fleur du lotus n’est pas une métaphore. Elle reçoit le nom de substance... Autrement dit, ce nom est celui de la substance de la concentration33du Sûtra du Lotus et n’est pas une métaphore ». Que Renge soit le nom de « la concentration du Sûtra du Lotus » désigne à l’évidence la qualité même de l’état accompagnant la perception de la simultanéité de la cause et de l’effet. D’autre part, étant état, cette substance ne peut ne pas être un corps, celui des multiples phénomènes. Comme l’indique Zhiyi, du reste, « La fleur du lotus n’est pas une métaphore. Elle reçoit le nom de substance ». Etant corps, cette réalité ne peut alors qu’être nommée et, dans ce sens, Zhiyi ajoute que si le disciple est de réceptivité aiguë, il comprend immédiatement le principe en entendant le nom de la Loi. Pour les racines inférieures, nous dit-il, le nom de la Loi devient systématiquement le nom d’une métaphore. Pour cette évidente raison, effectivement, 34 «La cause et l’effet ne formant qu’un tout, est appelé Loi unique inconcevable ».

3) Concernant Kyo, il est dit 35  « La voix en vibration (Kyo) est l’action du Bouddha ». Il s’agit ici de l’équivalent de « Une couleur, Une odeur », et cela nous confirme que toute structure provisoire, le son compris, est un état, de la souffrance incessante à l’éveil ultime. D’autre part, nous lisons 36 « Lorsque le sage, observant le principe, donna un nom à toute chose, ce fut la Loi unique, inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet. Lui donnant un nom ce fut Myohorenge ». En somme, lorsque le principe est gardé dans le cœur du Bouddha originel, c’est Myohorenge. Lorsque le Bouddha l’exprime du point de vue de la pratique, le formalise en somme, alors, le caractère Kyo se trouve inclus 37. Et, tel que l’indique le Daishonin 38« Autrement dit, c’est grâce au mot Kyo que notre pratique est possible, car il permet à l’état d’éveil du sage, à sa sagesse et à l’objet de cette sagesse, dont la nature essentielle est difficile à imaginer, de devenir, tels quels, l’objet de notre cognition par la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et l’esprit. Grâce au mot Kyo, Myohorenge apparaît dans toute sa splendeur devant nos yeux ». Incidemment, notons que Zhiyi, se penchant sur les quatre autres manières possibles de traduire en chinois ce terme d’origine sanskrite, à affirmé :39 « Il ne faut pas utiliser les autres mots ». Loin de tout arbitraire, puisque le nom est la substance..., n’est-ce pas !

Ainsi, c’est par le fait même que le Bouddha perçoit les dix états dans les dix états, en chaque chose, que la production de l’éveil dans la forme est rendue possible. En effet, percevant l’état de la forme, il peut alors l’élever. A contrario, les doctrines issues de l’illusion ne peuvent assurément percevoir que l’emploi de mots ou le rapport à un objet quelconque puissent avoir le moindre impact, dans la mesure où « l’intention » inhérente à la forme, sa causalité, ne leur apparaît pas. Ces doctrines n’ont en réalité que la croyance en ..., pour sous-tendre les actes de leurs fidèles sensés être en rapport avec ... 40 Ceci justifie d’ailleurs leur utilisation massive de concepts creux permettant l’inutile sauvegarde de leur imaginaire, tel que le « symbole ». Dans ce contexte, du reste, toute analyse « scientifique » des phénomènes, ou toute recherche du « sens », toute herméneutique, ne peuvent aboutir qu’à la négation de l’objet concerné, qu’à l’observation du propre reflet du « chercheur ». Visant à éclairer le fondement de cette logique, le Daishonin a enseigné, dans son « Traité sur l’objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur »41 : « La notion de Une pensée trois mille couvre l’animé et l’inanimé... l’inanimé possède forme et esprit, il possède les dix nyoze... Si l’on n’attribue pas d’enchaînement causal à la forme et à l’esprit des herbes et des arbres ; il ne sert à rien d’implorer l’image sculptée ou peinte d’un objet de vénération ». « La notion de Une pensée trois mille couvre l’animé et l’inanimé... » éclaire la qualité sensible intrinsèque à la forme provisoire, conditionnelle et vacante, ainsi que sa capacité à accéder, telle quelle, à l’éveil ultime. Cela, seul le Bouddha le perçoit. Du point de vue humain, par contre, si l’enchaînement causal des phénomènes, forme et esprit pour une fois confondus, saute aux yeux de tous, même à ceux du plus irréfléchi des êtres, c’est bien évidemment le sentiment de linéarité temporelle dans laquelle le phénomène semble s’inscrire qui interdit à l’observateur d’en percevoir la substance. De plus, parallèlement à cela, la pseudo « continuité » ordinaire du fait perceptif met en évidence la négation entretenue des objets des sens qui, seuls, constituent la réalité du rapport immédiat au monde. Il nous apparaît, dans ce sens, que la pensée commune « surf » bêtement, décalée, sur la présence passée des choses. Dès lors, que le Bouddha soit appelé « l’éveillé » nous renseigne donc probablement sur l’opacité nommée sommeil qui nous caractérise. Pour résumer, seule la perception, et donc le partage, de la causalité inhérente aux phénomènes ouvre l’accès à la possibilité d’élever la forme, telle quelle, à l’éveil suprême. Miao Le indique dans ce sens 42 : « Une herbe, un arbre, un caillou, un grain de poussière, ont tous la nature du Bouddha, sont tous soumis à la loi de la cause et de l’effet... ». C’est également ce que déclare Nagarjuna dans son traité de la voie du milieu : 

« Ce qui est produit par des causes,

Cela, dis-je, est identique à la vacuité.

C’est aussi identique à de simples mots.

C’est en outre le sens de la voie moyenne »43.

La voie moyenne, développée par le Bouddha, ouvre sur la qualité, l’état de la substance et, d’évidence, il ne peut se faire que la substance soit autre que causale et vacante. Dès lors, « de simples mots », au même titre que n’importe quelle agencement, ouvrent systématiquement sur une qualité : l’un des dix états. Telle est la perception des éveillés : toute structure provisoire, conditionnelle et vacante, est un état, une qualité, et montre ainsi la voie médiane. C’est la raison pour laquelle seul le Sûtra du Lotus, exposant la vue des Bouddha des trois phases du temps et des dix directions, est qualifié par Shakyamuni comme étant « difficile à croire et à comprendre ». Nichiren Daishonin indique du reste à ce sujet que cette difficulté « à croire et à comprendre » est double, selon Zhiyi. Elle concerne d’une part le point de vue de la doctrine, et d’autre part le point de vue du jugement. Du point de vue de la doctrine, le Lotus déclare la possibilité d’accéder à l’éveil pour tous les êtres qui en avaient été exclus par l’ensemble des sûtra antérieurs. Le Lotus révèle, en outre, que le Bouddha n‘a pas obtenu l’éveil en Inde, à Gaya, mais dans un passé immensément lointain, et le Daishonin souligne que ces deux langages étaient comme l’eau et le feu. Du point de vue du jugement, il s’agit de l’évidente difficulté à admettre, et qui plus est à comprendre, que l’inanimé puisse également obtenir l’éveil, sans changer de forme.

Par souci de clarté, Nikken Shonin précise que les enseignements antérieurs au Lotus 44« n’enseignent pas d’éternité temporelle, interdisant ainsi l’adoption de la présence mutuelle des dix mondes ». En effet, conformément à l’approche linéaire et réductrice des enseignements provisoires, les phénomènes étant perçus « comme tels », ils semblaient mettre eux-mêmes en évidence, au travers de leurs différences, l’infinité des modifications et purifications de toutes sortes qui leur était indispensable pour pouvoir enfin, un jour, postuler à l’éveil sans égal. Le karma passé « infini » équivalait en somme à une quasi fixité de la condition « présente » des phénomènes45. Les dix états ne se possédaient donc pas mutuellement. Traitant du chapitre Hoben, il indique également46 : « ...la doctrine contenant Une pensée trois mille expliquée par l’aspect véritable du Dharma merveilleux, étant encore enseignée par le Bouddha de l’éveil premier en ce monde, elle ne possède pas de source. Elle a donc le défaut de ne concerner que le présent. Par contre, grâce à l’ouverture et à la révélation opérée au chapitre Durée de la vie, tous les êtres ayant un lien avec le corps du Bouddha du passé infini, tous, apparaissent en tant que substance de Une pensée trois mille. C’est là que le véritable enseignement est révélé ».

La révélation du passé infini, évoqué comme suit par Shakyamuni: « à l’origine j’ai pratiqué les austérités de bodhisattva », fait que tous les phénomènes, tous les êtres ayant un lien avec le corps du Bouddha du passé infini, tous, apparaissent en tant que substance de Une pensée trois mille. L’expression « les êtres ayant un lien » signifie tout ce qui est,  puisqu’il y a identité de principe entre toutes les formes. Dès lors, tout ce qui est montrant son origine hors le temps, toute forme est susceptible d’accéder immédiatement à l’éveil ultime. La possession des dix états dans les dix états, à l’origine, et tous les êtres qui apparaissent en tant que substance de Une pensée trois mille, fonde l’accès immédiat à l’éveil de la forme, de toutes les formes, dès ce corps. Poursuivant donc cette approche le Daishonin a déclaré « Chaque caractère du Lotus est un Bouddha vivant de l’illumination suprême, mais avec nos yeux d’êtres humains, nous voyons seulement des caractères », et cela nous confirme que de « simples mots » sont des états, à l’instar de tout phénomène conditionnel et vacant.

En outre, le Daishonin enseigne 47: « Les cinq caractères de Myohorengekyo ne sont pas les phrases du Sûtra, ils n’en sont pas le sens. Ils en sont uniquement le cœur ». Dans son commentaire, Nikken Shonin souligne cette double négation de la lettre et du sens. La lettre, ou les paroles, ont en principe vocation à transmettre un sens. La pluralité des paroles et des sons émis par l’infinité des êtres peuvent être alors envisagés sous l’angle de l’élévation ou du bas niveau du sens exprimé. En outre, si l’on analyse le sens en fonction des dix états, tous les sons et bruits expriment alors une qualité, un état. Toutefois, si, pour l’humain, les mots et leur sens, lui étant antérieurs, sont des concepts vagues et pesants, guère aisés à articuler pour exprimer sa singularité, ils sont malgré tout suffisants pour véhiculer le sens étroit des horizons inhérents à son monde, c’est-à-dire une des six premières voies. En ce qui concerne l’éveil ultime, par contre, les mots et leur sens ne peuvent être adaptés pour nommer une telle qualité, un tel état, une telle substance. Ils n’en sont pas la forme. Myoho Renge Kyo n’est donc ni le titre ou les phrases, ni le sens global ou partiel du Lotus, mais « l’intention », la qualité même présidant à l’enseignement de tous les sûtra, c’est-à-dire l’éveil ultime. C’est l’objet que Shakyamuni laisse transparaître en filigrane dans le Lotus lorsqu’il déclare : « Je déployais ainsi mon énergie, sans chercher aucune autre chose dans les dix directions de l’espace ; je m’occupais sans relâche de cet objet pendant des milliers d’éons complets et, cependant, je ne pouvais arriver à posséder le Sûtra désigné par le nom de la Loi ». Il ressort de cette phrase que le principe véritable est perçu, dans l’éveil, en tant qu’objet, que celui-ci est, dans le même temps, nom, et que l’enseignement de cet objet par les mots est le Sûtra dont le titre, ou le nom, est la Loi. D’autre part, quant à la relation entre « le nom de la Loi » et « l’objet » cherché par Shakyamuni Nikken Shonin nous précise : « ... Il est naturel que Nichiren Daishonin ait révélé le Bouddha du passé hors le temps( Myohorengekyo) en tant que substance du Dharma à propager. Toutefois, du point de vue des prédispositions, c’est-à-dire des êtres, on ne peut voir le passé hors le temps que dans le Dai Gohonzon de l’Estrade des préceptes... ».

C’est la raison pour laquelle le Daishonin, dans sa grande bienveillance, nous indique : 48« ...Pendant ces vingt huit ans, [je] n’ai eu d’autre pensée que de m’efforcer d’introduire les sept caractères, cinq caractères de Myohorengekyo dans la voix de tous les êtres du Japon ». Les cinq caractères correspondent à l’objet, Myoho Renge Kyo, les sept caractères correspondent à la sagesse de l’objet, Nam Myoho Renge Kyo, et « ... introduire... dans la voix » signifie que seule la formulation est l’apparition immédiate de l’éveil sous la forme de la fusion de la sagesse et de son objet.

A propos des phrases des vingt huit chapitres du Lotus, il est enseigné 49 : « .. en remontant jusqu’au commencement de la doctrine originelle, leur signification rejoint les cinq caractères de Myohorengekyo en tant que nom, substance, intention, application et enseignement, éveil du Bouddha originel de l’hors le temps ». En d’autres termes, les trois grandes lois ésotériques 50 développées par le Daishonin correspondent à l’observation du cœur du profond des phrases du Lotus. Nikken Shonin nous dit à ce propos 51: « Dès lors, les cinq, sept caractères de Nam Myoho Renge Kyo sont, tels quels, présent en permanence depuis le passé, en tant que corps du Dharma du Gohonzon52, origine des trois grands dharma ésotériques... C’est à partir de là qu’est apparu l’enseignement effectué au cours de toute sa vie par Shakyamuni ».

Dès lors, le Daishonin peut déclarer 53« Les sûtra du Petit véhicule, ceux du Grand véhicule, ainsi que le Sûtra du Lotus existent en tant que mots, mais ne peuvent constituer le remède aux maux des êtres. Parce que ces mots sont graves et le remède est faible ». Ainsi, le sens des sûtra, qui constituent l’effet de la sagesse du Bouddha, ne peut plus servir de cause quant à l’obtention de l’éveil, ceci du fait de la faiblesse de la causalité inhérente aux mots et au sens de ces derniers. Plus largement, du reste, concernant les sûtra, tant le nom, que la substance, que l’intention, que l’application et que les enseignements ne révèlent substantiellement la cause et l’effet de l’éveil de Shakyamuni, à l’origine.


En ce qui concerne notre école, fondée par Nichiren Daishonin, l’éveil s’obtient en cristallisant la cause et l’effet de l’éveil à l’origine, c’est-à-dire Nam Myoho Renge Kyo devant le Gohonzon. Et si le Daishonin a déclaré 54«  Il n’est pas de production dans le principe de réciter à haute voix Myoho Renge Kyo», c’est que les dharma étant « à l’origine », la pratique ne s’effectue pas en vue de ceci ou de cela mais est l’apparition immédiate du Bouddha dès ce corps. Dans cette logique, en conséquence, la fonction du nom est d’entraîner immédiatement la substance, puisque le Daishonin indique également « Le nom possède la vertu d’aboutir immanquablement à la substance ».

Selon la doctrine de l’école, si l’on considère le Honzon de la doctrine originelle, la Personne est le Dharma et le Dharma est la Personne, au fondement du passé infini. Dès lors, concernant le quintuple sens obscur, Nikken Shonin enseigne 55: « Myohorengekyo, où les termes « la Personne est le Dharma » correspondent au sens obscur du nom. Le Honzon de l’unicité de la Personne et du Dharma correspond au sens obscur de la substance. Le Daimoku56, pratique réelle et attestation vécue, correspond au sens obscur de l’intention. Le précepte, éclairant le fondement du bien et du mal, enseignement aux êtres où les trois grands Dharma ésotériques sont révélés, correspond au sens obscur de l’application. Toutes les explications partant de la relation entre tous les enseignements et établissant un jugement comparatif, allant jusqu'à la comparaison de l’ensemencement et de la récolte et à la révélation du Honzon de la doctrine de la merveille absolue, correspondent au sens obscur des enseignements. Tel est le sens correct du quintuple sens obscur du profond des phrases... ».

Lorsque le sens, surabondant, non seulement s’applique à toute chose mais, de plus, fusionne avec la substance de l’éveil en chaque phénomène, il s’agit alors de la sagesse supérieure dont l’objet est « la substance des innombrables dharma ».

Le quintuple sens obscur a donc pour but de dévoiler l’enseignement originel du Bouddha et, plus encore, l’objet, sous les aspects du nom et de la substance, puisque l’enseignement est nécessairement la transposition verbale de l’objet « substance des innombrables dharma », auquel le Bouddha s’est éveillé, à l’origine. Dès lors, concernant notre relation personnelle à l’objet il est enseigné : « Myohorengekyo provient du Bouddha, sur la base de son état de vie. Aussi, avoir la foi, comprendre et pratiquer le corps même de Myo, qu’il a révélé, permet de faire apparaître toutes les oeuvres et vertus sans qu’il en manque une seule ». Le Bouddha, étant éveillé, voit la simultanéité de la cause et de l’effet en chaque dharma. Aussi, le fait de croire, de ne pas rejeter et de pratiquer la substance de la Loi, à la fois cause et effet de l’éveil, entraîne naturellement l’ascèse appropriée en cela que chacun s’éveille, par lui-même, naturellement, à la substance de sa propre vie, à la fois cause et effet, à l’origine ! Il s’agit de l’éveil à l’infinité phénoménale, son propre corps et son propre esprit plus qu’inclus : simultanés, non duels, à l’origine.

La simultanéité de la cause et de l’effet, une fois perçue, ouvre donc sur la permanence de la Une pensée/forme des dix états dans les dix états. Miao Le indique : « Aspect réel donc les dix états, les dix états donc ... le corps et la terre ». Ainsi, « l’absorption de ce bon remède » par la croyance, et sa mise en forme par la pratique vocale, entraîne l’apparition de la structure de l’éthique personnelle.

Ou, comme l’affirme le Daishonin :57 « L’esprit de l’enseignement que propose le sage se retrouve dans la pratique ».

1 Dans le « Bouddhisme de l’école Fuji » N°65 P.5.

2 ibid P.16.

3 Nous ne voyons pas, en effet, que les appareils dits « d’observation », résultant d’une « logique », soient autres que le produit de concepts, donc de noms et, par là même, de l’erreur quant à l’aspect réel des phénomènes.

4 B.E.F. N°67 P.11.

5 ibid P.1.

6 Il est vrai qu’à l’ordinaire les êtres identifient leurs souffrances et maladies physiques comme étant d’une origine autre qu’ « eux-mêmes », et leurs souffrances mentales comme étant bien « eux-mêmes », mais « à cause de ... » diverses choses qui leur apparaissent « extérieures » à leur volonté. Leur propre esprit, lui, leur semblant toujours évidemment « normal » et exempt de tares.

7 « Ce que le monde nomme vertu n’est d’ordinaire qu’un fantôme formé par nos passions, à qui on donne un nom honnête pour faire impunément ce qu’on veut ». La Rochefoucauld, dans « Humain trop humain » de F.Nietzsche ; Livre de poche, Paris 1995.

8 B.E.F. N°65. P.1

9 Myoho Renge Kyo.

10 Ennyû funi myoho.

11 Les doctrines de l’école japonaise Tendai. J.N.Robert. P.206/207.

12 B.E.F. N° 52 P.3.

13 B.E.F. N° 65 P.3.

14 B.E.F. N°56 P.6.

15 B.E.F. N°56 P.9.

16 Nam Myoho Renge Kyo.

17 « L’application » constitue pour les êtres un concept véritablement obscur et, de fait, ne percevant déjà pas « l’intention », ou causalité inhérente en chaque chose, les causes d’erreur et de désarroi inhérentes à leur relation aux noms et aux formes sont nécessairement multiples.

18 B.E.F. N°52 P.7. 

19 B.E.F. N°52 P.2.

20 ibid P.13

21 B.E.F. N°52 P.2.

22 ibid P.8.

23 ibid P.1.

24 Par « antérieur » nous n’évoquons pas l’instant précédent l’immédiateté perceptive/réactive, mais ce dont elle provient à chaque instant. Cela distingue en partie, sur le plan logique, l’enseignement provisoire de l’enseignement définitif.

25 B.E.F. N°63 P.10.

26 « Les doctrines de l’école japonaise Tendai ». J.N.Robert. Ed.Maisonneuve et Larose. Paris 1990.P.159.

27 Notons d’ailleurs que, tant le nombre des préceptes, que la durée nécessaire pour atteindre l’éveil, ne sont pas relatifs au poids des troubles individuels, mais proportionnels à la superficialité de l’enseignement suivi. Hors le bouddhisme, quoi qu’il en soit, il ne s’agit plus que du cycle infini des six voies.

28 B.E.F. N°53 P.6.

29 ibid. P.10.

30 ibid. P.12.

31 B.E.F. N°57 P.11.

32 idem.

33 Samadhi.

34 B.E.F. N°57 P.13.

35 « Enseignement oral » de Nichiren Daishonin.

36 B.E.F. N°57 P.12.

37 B.E.F. N°59 P.10/11.

38 ibid P.12

39 B.E.F. N°60 P.16.

40 Et si certains expriment leurs espoirs par le biais de pratiques vocales, de gestes rituels et de pèlerinages dans des lieux dits saints, seul le fait de « croire » les entraîne à produire des actes dont ils ne peuvent jamais, à leur grand dam, mesurer les effets réels.

41 « La doctrine de Nichiren », G. Renondeau. P.U.F. Paris 1953. P. 217 / 218.

42 Ibid P. 219.

43 Nous nous situons donc à des lieues de la pensée de Héraclite qui affirme « Je ne vois rien que le devenir. Ne vous laissez pas tromper....Vous employez les noms des choses comme si elles avaient une durée fixe, mais même le fleuve, où pour la deuxième fois vous descendez, n’est plus le même que la première fois ». « La philosophie à l’époque tragique des grecs ». F. Nietzsche. Folio, Gallimard, 1975.

44 B.E.F.N°66 P.5.

45 De plus, comme l’emploi des mots, qui sont nécessairement antérieurs à tout être, a pour fonction de distinguer ceci de cela..... !

46 B.E.F.N°63 P.5.

47 B.E.F.N°64 P.1/2.

48 B.E.F.N°67 P.11.

49 B.E.F.N°59 P.13.

50 La Loi : Nam Myoho Renge Kyo ; le Bouddha : l’objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur ; l’estrade des préceptes.

51 B.E.F.N°61P.13.

52 Objet fondamental de vénération pour l’introspection du cœur. 

53 B.E.F.N°64 P.3.

54 B.E.F. N°64 P.4.

55 B.E.F.N°65 P.3.

56 Myoho Renge Kyo.

57 B.E.F. Juin 1994 P.6.




I N D E X


Ainsi venu _ skt. tathagata, jap. nyorai. Un des dix qualificatifs du Bouddha. Celui qui est parvenu à la réalité même, et celui qui en est venu ainsi. Nichiren indique: " En vertu du principe, on dit Ainsi et en vertu de la sagesse on dit Venu".


Auditeur _ skt. shravaka, jap. shomon. Fait partie des deux véhicules avec l'état d'éveil par les facteurs. Etat désignant celui qui écoute l'enseignement du Bouddha. Sortant du cycle des six premiers états, il est la première des quatre voies saintes. Cet état de vie se caractérise par la recherche de la Voie bouddhique et se transmue en état d'éveil par les facteurs lorsqu'il s'y engage.


Bodhisattva _ jap. bosatsu. Celui qui aspire à l'éveil.

L'état de bodhisattva est le neuvième des dix états. Dans l'enseignement du petit véhicule, ce qualificatif concerne le bouddha Shakyamuni dans ses vies antérieures. Dans l'enseignement du grand véhicule, il désigne une qualité potentiellement existente en chaque forme de vie. Cet état se caractérise par une bienveillance infinie envers tout ce qui est.

Bodhisattva sorti de la terre _ jap. jiyu no bosatsu.

L'état de bodhisattva est le neuvième des dix états.

L'expression "Bodhisattva sorti de la terre" apparait dans le quinzième chapitre du Sûtra du Lotus. Ils sortent des fissures de ce monde pour authentifier l'éveil originel de l'Ainsi venu. A leur chef, Jogyo, Shakyamuni effectue la transmission de la Loi originelle.

Cent Mondes ou états _ Principe formulé par Zhiyi, sur la base du Sûtra du Lotus, selon lequel chacun des dix états contient les dix états. Ce calcul sert de base à l'édification de la théorie de Une pensée trois mille. Deux lectures sont envisageables:

1) l'état étant la qualité subjective du ressenti individuel, tout être dans un état quelconque peut faire surgir n'importe lequel des dix états à chaque instant.

2) la forme de l'être étant son état objectif dominant, ou monde, il contient potentiellement les dix états et en exprime un, à chaque instant, sur un plan subjectif.


Chu _ Véritable voie du Milieu. Le "milieu", selon l'école Tiantai, se perçoit dans une lecture unique de la triple vérité. "Une couleur, une odeur sont sans aucun doute de la voie du milieu". Notre école suit évidemment cette approche théorique, et son fondateur Nichiren, la cristallise dans la triple forme de l'éveil originel. A distinguer de la voie moyenne de Nagarjuna qui, elle, repose sur le concept de la vacuité (ku).

Cinq agrégats _ skrt. Skandha, jap. Go On. Appellation des cinq composantes provisoires et circonstancielles de toute forme. Ces composantes étant elles-mêmes composées nous les nommons agrégats.

shiki: couleur, matière, forme. Les six organes des sens sont inclus dans cette définition du fait matériel.

ju: perception. Fonction des six sens.

so: image en soi, représentation. Cadre mnémonique et affectif résonant des marques laissés par les "objets" physiques et mentaux.

gyo: volition, décision d'acte. Résultante de l'image en soi s'appliquant à l'objet percu.

shiki: conscience de l'acte. Qualité sensible du discernement permettant la modification ou le maintien de la perception, de l'image en soi et de la volition. Cette conscience possède neuf niveaux de profondeur, le dernier étant l'éveil originel.

Du fait de la non dualité de la matière (1° shiki) et de l'esprit ( ju.so.gyo.shiki), l'aspect ou matière montre la causalité hors le temps de la conscience et celle-ci l'influence à chaque instant.


Cycle des six voies _ jap. Rokudô rinne. Ce concept qualifie la réalité ordinaire de toute forme dans les trois phases du temps. Celon ce concept, les êtres errent depuis un passé sans origine dans les six premiers états qui sont l'enfer, l'avidité, l'animalité, la colère, la tranquilité et la joie temporaire. L'audition et la mise en pratique de l'enseignement de l'Ainsi venu ouvre l'accès aux quatre états de vie supérieurs appelés "les quatre voies saintes".

Ces quatre états de vie supérieurs sont particuliers à l'enseignement qui les engendrent et, par là même, les enseignements non bouddhiques ne les conceptualisants pas ne peuvent y mener.


Deux véhicules _ Voir le septième et le huitième états: Auditeur et éveil par les facteurs.


Dharma _ terme sanskrit dont la racine [dhr] signifie soutenir. Il s'agit donc de l'architecture provisoire de tout forme. Communément, le "d" minuscule pour dharma nomme

les multiples phénomènes, alors que le "D" majuscule indique la Loi ou l'enseignement du Bouddha.

Dix Ainsi _ (junyoze). Principe de réalité exprimant la sagesse du bouddha et ne figurant que dans la traduction du Sûtra du Lotus effectuée par Kumarajiva (344-413).

" Seulement de bouddha à bouddha

l'aspect réel des dharma est saisi dans son intégralité.

Ce qui signifie que pour tous les dharma:

Ainsi est l'aspect, la forme,(nyoze so)

Ainsi est la nature, le caractère,(nyoze sho)

Ainsi est l'essence, la corporéité,(nyoze tai)

Ainsi est la capacité, le pouvoir,(nyoze riki)

Ainsi est la production,(nyoze sa)

Ainsi est la cause inhérente,(nyoze in)

Ainsi est le facteur, la condition,(nyoze en)

Ainsi est l'effet,(nyoze ka)

Ainsi est la rétribution,(nyoze ho)

Ainsi est l'absolue égalité de l'origine et de la fin".

(nyoze hon matsu kukyoto)

Cette théorie ouvre sur l'identité de principe entre toute forme et le Bouddha, elle éclaire également l'inconcevable pérennité des dharma.


Dix états _ (jikkai).Ou dix mondes. Définition des qualités de vie propre à tous les phénomènes. Nous distinguons d'une part le ressenti subjectif factoriel (état), potentiel en toute forme, d'autre part le fait que chaque forme exprime une réalité objective (monde). Le cheval, bien qu'exprimant objectivement un type particulier d'animalité peut ressentir la colère, la joie, la souffrance ou tout autre état subjectif. Ainsi, les dix états existent latents en tout être, quelque soit le monde de représentation inhérent à ses capteurs et donc à sa forme propre, qui elle, exprime le monde de l'animalité, le monde humain ou celui de la colère, etc... Ces dix états sont:

- l'état d'enfer, (jap. jigoku)

- l'état d'avidité, (jap. gaki)

- l'état d'animalité, (jap. shikusho)

- l'état de colère, (jap. shura)

- l'état d'humanité ou tranquillité, (jap. nin)

- l'état de joie temporaire ou ciel, (jap. ten)

- l'état d'auditeur ou d'étude, (jap. shomon)

- l'état d'éveil par les facteurs, (jap. engaku)

- l'état de bodhisattva, (jap. bosatsu)

- l'état de bouddha. (jap. butsu)

Nichiren déclare dans son "Enseignement Oral" que les dix mondes existent à l'origine. Cela signifie que, du fait de la simultanéité de la cause et de l'effet depuis un passé hors le temps, la réalité de la forme/pensée exprimant un monde ou un autre est l'ultime réalité de chaque dharma provisoire.

Dix mondes _ voir dix états.


Doctrine éphémère _ ou théorique ou provisoire. (en opposition à essentielle, concrète ou définitive). Qualifie les quatorze premiers chapitres du Sûtra du Lotus.

Eveil par les facteurs _ skt. pratyekabuddha / jap. engaku. Huitième des dix états. L'un des deux véhicules avec l'état d'auditeur. A l'origine, ces êtres antérieurement des Auditeurs, ressentent partiellement l'éveil en percevant l'impermanence des phénomènes ou les douze liens causaux. Cet état indique l'apparition de l'éveil "progressif" dans la vie de l'être ordinaire qui entre dans la voie bouddhique. Du reste, ces éveils partiels sont la Voie.


Fusion parfaite des trois vérités _ jap. Ennyu no santai. Principe révélé par Zhiyi dans la "doctrine parfaite". Chacune des trois vérités (ku.ke.chu) contient les autres. Elles ne sont plus considérées séparément comme c'est le cas dans "l'enseignement particulier". Cet axe de perception ouvre sur la médianité originelle théorique.


Gishin _ (781-833) Premier successeur du grand maître Dengyo (767-822) dans l'école japonaise Tendai. Dernier tenant de l'orthodoxie quant à la pensée de Zhiyi.


Gohyaku jintengo _ Période extrêmement lointaine, indiquée dans le chapitre "Durée de la vie" du Lotus, où Shakyamuni atteint l'éveil originel.

Hinayana _ Un des deux grands courants du bouddhisme. Appelé péjorativement "petit véhicule" car son enseignement vise à une libération personnelle et illusoire des naissances et des morts.


Hoben _ ( moyens). deuxième chapitre du Sûtra du Lotus. Partie la plus importante de la doctrine théorique (14 premiers chapitres). Il y est notamment expliqué que la sagesse humaine la plus grande se heurte a un "seuil difficile à franchir":< les multiples phénomènes sont l'Aspect réel >.

Huisi _ (515-577). Deuxième fondateur de l'école chinoise du Tiantai. Disciple de Huiwen et Maître de Zhiyi.


Huiwen _ (entre 450 et 550). Premier fondateur de l'école Tiantai, Maître de Huisi. Introduisit les concepts de voie moyenne (chu) et d'éveil soudain.


Jisso _ Aspect réel, la réalité des choses, l'aspect suprême de l'existence.

Juryo _ (durée de la vie). seizième chapitre du Sûtra du Lotus. Partie la plus importante de la doctrine essentielle (14 derniers chapitres). Il y est évoqué, entre autres, l'accès à l'éveil de Shakyamuni dans un passé extrêmement lointain, sa non apparition et non disparition dans les trois phases du temps, la véritable cause, le véritable effet et la véritable terre. Selon Nichiren, l'objet fondamental de vénération apparait en filigrane lors de cette cérémonie.

Ke _ existence temporaire, mutabilité évidente des choses, non substance fixe de tous les dharma (phénomènes).

Kosa _ Abréviation de l'Abhidharma kosa sastra écrit par le savant indien Vasubandhu, vers la fin du 4°siècle.


Ku _ skt. sunyata. vacuité, vide, latence.

Les phénomènes étant composés à chaque instant, leur naissance et leur mort simultanés implique une non permanence d'un quelconque "en-soi". Ce concept se déduit de la mutabilité de l'existence (ke). Nagarjuna semble avoir donné à ce concept une prétention "médiane" en cela que la vacuité peut se définir comme ce qui n'est ni existence ni non existence. Seuil difficile à franchir pour les écoles négligeant le Sûtra du Lotus.

Mahayana _ " Grand véhicule ". Second grand courant de pensée du bouddhisme avec le Hinayana. Enseignements qui, reposant sur la pensée du fondateur Shakyamuni, affirment la prééminence de la qualité de vie de bodhisattva sur l'extinction personnelle illusoire vis à vis des naissances et des morts. Les commentaires effectués par les grands commentateurs successifs furent nombreux, et l'on peut distinguer, entre ces écrits, les enseignements relevants du provisoire ou du définitif.

Miao Lo _ (711-782) Sixième patriarche du Tiantai chinois à partir de Zhiyi. Ses commentaires sur l'oeuvre du maître Zhiyi sont réputés permettre un accès plus facile à sa pensée.

Mille Ainsi _ Ce calcul, dix états multipliés par dix états multipliés par dix ainsi, participe de l'élaboration du principe de Une pensée trois mille. Cela signifie qu'il n'est pas une forme, pas un organe sensoriel, qui ne soit éclairé et élucidé par Shakyamuni dans son explication des dix Ainsi.

Nagarjuna _ Grand penseur indien entre 150 et 250 après J.C. Ecrivit de nombreux commentaires sur les sûtra du mahayana. Connu en particulier pour son élaboration de la

" Voie moyenne" ou Madhyamika, édifiée sur la base de la vérité de la vacuité.


Nichiren Daishonin _ (1222 - 1282). Fondateur en 1253 de l'école bouddhique Japonaise Nichiren Shoshu. S'inscrit dans la lignée de Shakyamuni en Inde, Tiantai et Miao Lo en Chine et enfin Dengyo au Japon. Considéré par l'école Nichiren Shoshu comme étant le Bouddha de la Cause Originelle ou Bouddha Fondamental.


Nirvana _ A l'origine, délivrance des souffrances de toutes sortes. Selon certaines écoles en sortant du cycle des naissances et des morts, selon d'autres en réalisant cette qualité de son vivant sans trancher ses propres troubles.


Non dualité de la matière et de l'esprit _ jap. Shiki shin funi. Un des dix principes de non dualité formulés par Miao-Lo (711-782) dans son commentaire du Hokke Gengi de Zhiyi. Nichiren dira par la suite: " La non dualité de la matière et de l'esprit est l'ultime". Ce principe, qui relève de la médianité originelle, relégue dans le camp du monisme spiritualiste la grande majorité des écoles de pensée de l'origine à nos jours.

Non dualité du principal et du support _ jap. Esho funi. Egalement formulée par Miao-Lo, cette non dualité indique le champ d'application de la rétribution des actes. Elle explicite, avec les non dualité de la matière et de l'esprit, de l'être et de l'environnement, la totale égalité de l'origine ( l'aspect de la forme et sa perception particulière du monde des formes) et de la fin (la rétribution dans la matière du corps et de l'environnement). Le principal correspond à l'être ou à la subjectivité, le support correspond lui à l'environnement ou à l'objectivité.


Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur. _ jap. Dai Gohonzon. Objet inscrit par le grand sage Nichiren le 12 octobre 1279, comme étant le but ultime de sa venue en ce monde. De même que tout objet, ce ne peut être un symbole. Cet objet possède les caractéristiques suivantes:

- Seul et unique Dai Gohonzon de l'estrade des préceptes de l'enseignement originel,

- Coeur du chapitre "Durée de la vie" de l'enseignement

originel,

- Grande Loi cachée au fond des écrits,

- Terre originelle difficile à concevoir,

- Fusion de la sagesse et du lieu,

- Entité du Nyorai,

- Existence fondamentale et éternelle des dix états,

- Corps qui spontanément reçoit et emploie depuis le

passé hors le temps,

-Matérialisation de " Une pensée trois mille",

- Unité de la personne et de la Loi.


Ouverture des trois véhicules pour révéler le véhicule unique _llljjj jap. Kaisan ken'ichi. Les deux véhicules correspondent aux états d'auditeur et d'éveil partiel par les facteurs. Le troisième est le véhicule de bodhisattva. Les deux premiers caractérisent l'enseignement du petit véhicule, et le troisième, l'enseignement du grand véhicule provisoire. Le Sûtra du Lotus, où grand véhicule définitif,

affirme: "Les Bouddha, par des moyens habiles, font des

distinctions dans le véhicule unique du Bouddha et

l'exposent comme s'il y en avait trois...Dans toutes les

terres de Bouddha de l'univers, il n'y a qu'un véhicule suprême".


Passé hors le temps _ jap. Kuon ganjo.

Kuon représente l'infini temporel et ganjo signifie la racine, l'origine. Dans les termes de la logique usuelle, pour qui le temps est une durée "physique", les deux mots sont difficilement associables. Dans notre optique, Kuon est l'instant originel absolu, dont nous dirons qu'il est "équivalent" à l'instant présent (kuon soku mappo), alors

que Ganjo nomme l'éveil véritable atemporel en terme d'effet. Dès lors, on ne peut "voir" le passé hors le temps de notre vie que dans l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection. Nichiren Daishonin explique dans l'enseignement oral:

" Kuon ne varie pas ni n'est créé; il est tel qu'à l'origine. Le Bouddha permanent existant à l'origine est tel qu'à l'origine. C'est ce que l'on nomme Kuon ".


Production en dependance _ skrt. Pratitya samutpada, jap. Engi. Ce concept établit que tous les êtres ou phénomènes ne peuvent apparaître qu'en fonction de l'existence d'êtres ou de phénomènes. Rien ne peut exister de sa propre volonté dans l'indépendance absolue des autres choses. Ce concept ouvre sur la simultanéité de la cause et de l'effet depuis le passé hors le temps, et sur les non dualités de la matière et de l'esprit, de l'être et de l'environnement.


Rejet du provisoire pour révéler l'originel _ jap. Hosshaku Kempon. Rejet, par le Bouddha, de son identité provisoire pour révéler sa nature originelle. Cette expression fut utilisée deux fois. 1)_Dans le chapitre Durée de la vie, où Shakyamuni révèle son éveil dans le lointain passé de gohyaku jintengo. 2)_ Lors de la persécution de Tatsunokuchi, où Nichiren rejette l'identité provisoire du bodhisattva Jogyo et se révèle être le Bouddha Originel du passé hors le temps. En relation, l'inscription des premiers Honzon s'effectue après la tentative de décapitation.


Rétributions directes et indirectes _ jap. shoho et eho.

shoho: sho, signifie sujet, le principal,

eho: e, signifie dépendre, le support,

ho: dans les deux cas signifie rétribution des actes.

Le corps et l'esprit de l'être relève donc de la rétribution directe et son environnement, en tant que support, de la rétribution indirecte. Selon une autre lecture, la perception d'un monde d'êtres adaptés, ou sagesse, est la rétribution directe, l'environnement est la rétribution indirecte et les cinq agrégats, constitutifs de toute forme/pensée, relèvent des rétributions indirectes pour le premier et directes pour les quatre autres.

Simultanéité de la cause et de l'effet _ jap. Inga guji.

Réalité inconnue par les tenants des doctrines rejetant le Sûtra du Lotus. Son titre, Myoho Renge Kyo, contient, entre autre, le principe lui-même. Zhiyi à ce sujet déclare: " A présent, le mot < Renge > ne doit pas être compris comme un symbole... Il est pur et sans tache et explique les subtilités de la cause et de l'effet. Le nom de < Renge >, ou fleur de lotus, a été donné à cet enseignement. Ce nom désigne la véritable entité du Sûtra du Lotus et n'est ni une comparaison ni une image ". Appelée "la merveille" dans notre école, elle reste inconcevable pour qui distingue entre réalité et sagesse, entre multiples phénomènes et aspect réel, entre cause et effet. Cette simultanéité contient les dix états dans les dix états, les dix ainsi et les trois différenciations depuis le passé hors le temps, et s'exprime perpétuellement dans la forme provisoire des phénomènes. Sa réalité "physique" permanente et inconcevable est Myoho Renge Kyo.


Stupa précieux _ Stupa contenant les "reliques" du Bouddha Taho et sortant de la terre dans le onzième chapitre du Sûtra du Lotus. Sa présence, ainsi que celle du Bouddha Taho, authentifie l'éveil originel du Bouddha Shakyamuni dans le passé extrêmement lointain. Nichiren en dira: " A l'époque des derniers jours de la Loi, il n'existe d'autre stupa précieux que les hommes et les femmes qui pratiquent le Sûtra du Lotus. Il s'ensuit donc que ceux qui récitent Nam Myoho Renge Kyo, quel que soit leur statut social, sont eux-mêmes lae stupa précieux.."


Sûtra du Lotus _ skt.Saddharma pundarika sûtra.

chin. Miaofalianhuajing. jap.Myoho renge kyo.

Titre complet: Sûtra de la fleur de lotus de la loi merveilleuse. Texte mahayaniste indien dont plusieurs traductions ont été effectuées. La plus largement utilisée est celle de Kumarajiva (344-413). Ce texte sert de référence principale aux écoles Tiantai et Nichiren.

Sûtra du Nirvana _ Ensemble des enseignements que Shakyamuni aurait délivrés avant sa mort ou relatifs à son entrée dans le Nirvana.


Tiantai _ Ecole bouddhiste née en chine au 6° siècle, portant le nom du mont où s'est retiré le moine Zhiyi.


Trois corps (du bouddha) _ skt. Trikaya. Ce sont:

- le Corps de la Loi, (Dharma kaya / Hosshin)

- le Corps de rétribution, (sambhoga kaya / Hoshin)

- le Corps de communication, (nirmana kaya / ojin).


Trois différenciations _ San seken.ou domaines.

Ces trois différenciations sont:

- les cinq agrégats (go on)

- shiki, matière,

- ju, perception,

- so, image en soi,

- gyo, volition, décision d'acte,

- shiki, conscience de l'acte.

- les groupes d'affinités, peuple, êtres. Groupe d'affinité modélisant la forme/pensée provisoire individuelle. (shujo)

- les lieux, les territoires (kokudo)

Ces trois différenciations participent, avec les dix états et les dix ainsi, de la théorie de "Une pensée trois mille".

Trois grands Dharma ésotériques _ San Dai Hiho.

Objet de la transmission essentielle effectuée par Shakyamuni à Jogyo lors de l'enseignement du Sûtra du Lotus. Ce sont:

- l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection du coeur,

- Nam Myoho Renge Kyo,

- l'Estrade des préceptes de la doctrine originelle.


Une pensée trois mille. (ichinen sanzen). Une pensée (ichinen) désigne le laps de temps le plus court, dans l'existence de la forme/pensée. Trois mille est indicatif de la multiplicité des dharma dans le temps et l'espace. Cette somme de trois mille vient des dix états dans les dix états, des dix ainsi et des trois différenciations ou domaines. Cette théorie découlant de l'éveil prend forme dans Myoho Renge Kyo et l'Objet fondamental de vénération pour l'introspection.


Vasubandhu _ Lettré bouddhiste indien ayant vécu entre le 4° et le 5° siècle. Considéré comme le vingt et unième des vingt quatre successeurs du Bouddha Shakyamuni.


Voie médiane _ voir chu.


Zhiyi _ (538-597). Fondateur de l'école Tiantai. Successeur des moines Huiwen(?) et Huisi (515-577) qui élaborèrent la véritable voie médiane et le principe de l'unité des trois vérités ( ku.ke.chu). Zhiyi affirma et démontra la supériorité du Sûtra du Lotus à son époque.

Son disciple Tchang-ngan compila ses cours sur le Sûtra du Lotus. Ce sont le Hokke Gengi ( Sens profond du Sûtra du Lotus ), le Hokke Mongu ( Mots et phrases du Sûtra du Lotus) et le Maka Shikan (Grande concentration et intuition). Dans ce dernier, Zhiyi révéle le domaine de l'insondable ou le principe théorique d'ichinen sanzen

( Une pensée trois mille ).