Cours n°8
L’enseignement du Bouddha Originel
Le passé long et étendu
Dans le chapitre Durée de la vie du sutra du Lotus, le vénéré Shakyamuni enseigne : « Ainsi, depuis que j’ai réalisé l’Eveil, le temps écoulé est extrêmement long et étendu. Ma longévité est d’une infinité incalculable d’éons et je demeure en permanence sans m’éteindre ».
Le présent cours va porter sur le concept bouddhique de « kuon ». « ku » signifie long dans le temps, et « on » signifie étendu dans l’espace.
Alors que les êtres ont vu Shakyamuni naître en inde dans une famille princière, quitter les siens et réaliser l’éveil vers l’âge de trente ans, celui-ci leur révèle que, en réalité, sa vie est infinie dans le temps et dans l’espace. Le Souverain de la Loi explique que ce concept de « Long et étendu » se rapporte à la longévité du vénéré Shakya. « Dès lors, si l’on réfléchit au temps et à l’espace à partir de l’expression « kuon », ces notions prennent alors des valeurs infinies, absolues, dépassant le cadre de notre pensée spéculative et de notre évaluation ». On va donc en parler mais sachons, dès le début, qu’il va nous être difficile de tout comprendre. En effet, nous sommes, nous, plongés dans les notions de temps et d’espace, et nous allons évoquer des choses qui ne s’y meuvent pas.
Roberte : Aurais-tu un exemple de choses qui ne sont ni dans le temps ni dans l’espace ?
Oui. Quand tu es amoureuse, par exemple, ça dure un certain temps avec quelqu’un. Tu peux donc lier un temps et un espace, qui est le lieu des objets, à la qualité de vie que tu ressens. Cependant, quelle que soit la qualité de la relation, tu n’épuises en rien ce type fort de sentiment, cet état, pour l’infinité des êtres. Certains continuent à s’exclamer « Ah ! L’amour ! », comme si rien ne leur manquait. Cet état est donc situé en dehors du temps et de l’espace, comme les dix autres.
Roberte : Cela fait onze états ?
Non, dans un il y a dix. Le Souverain de la Loi enseigne : « L’unité et la diversité sont mutuellement identiques dans le temps et dans l’espace ». C’est la Une pensée momentanée.
Sachons tout d’abord qu’Emmanuel Kant, bien que de formation monothéiste, a pu déclarer : « J’affirme que la qualité de l’espace et du temps, que je prends comme la condition de l’existence des objets, ne réside que dans mon mode d’intuition et non dans ces objets eux-mêmes ». Ca, c’est quand même honnête de sa part. Kant nous dit, en d’autres termes, que le temps et l’espace sont toujours notre sentiment personnel, notre mode singulier d’intuition nous permettant de situer les choses, mais que le temps et l’espace ne sont pas « en-soi » et identiques pour tout, qu’ils ne sont pas dans les objets. Chacun, chaque forme, chaque dharma, perçoit un temps et un espace qui ne sont, en réalité, que ce qu’il engendre à chaque instant et à son insu. Je vais, pour illustrer ce point, reprendre l’exemple de l’escalier qui est dangereux, pour la « même » personne, à l’âge quinze mois et à celui de quatre vingt douze ans, mais ne l’est pas à dix huit ans. Dans tous les cas de figure, le corps est ce qui induit la dangerosité ou la non dangerosité de l’escalier. Le corps, dans sa relation avec l’environnement, nous incline constamment à un sentiment particulier et changeant de l’espace et du temps. C’est aussi insensible que constant, mais nous ne le percevons pas. Dès lors, quoiqu’il en soit de nos souvenirs des déclarations de Kant, lorsque le vénéré Shakya déclare qu’il ne s’éteint pas, qu’il demeure en ce monde en permanence et que sa vie est infinie dans le temps et dans l’espace, forcément, nous, avec nos opinions d’êtres ordinaires, on a du mal à le suivre.
Le Souverain de la Loi enseigne : « Les connaissances de notre terre, des constellations, ou encore des galaxies, au sein de l’univers, auxquelles est parvenue la science moderne, autorisent dans une mesure certaine une véritable cognition fondée sur l’observation et la démonstration expérimentale. Cependant, au-delà, il ne s’agit dès lors plus que de postulats et de spéculations. En astronomie, à partir de la constatation du phénomène d’expansion de l’univers, on a induit de manière théorique que l’existence de l’univers, à son tout début, proviendrait du « big bang ». Je ne pense pas, toutefois, que l’on puisse ponctuer le début du temps ». En outre, voir des planètes s’éloigner demande un point fixe d’observation, ce que nous n’avons pas, et quelque chose qui se découvre, un jour, mû, ne peut facilement établir un point premier de son « départ ». Une nouvelle découverte, une vue plus fine, remettent toujours en cause la croyance précédente. Quoiqu’il en soit, « ponctuer le début du temps » semble en effet constituer une vue bien étroite. Souvenons-nous que les anciens grecs furent révoltés et amusés lorsque certains vinrent leur parler du concept de « création ». Pour eux, c’était un non-sens.
Il poursuit : « De même en ce qui concerne le problème spatial : l’univers est-il fini ou infini ? Malgré les progrès scientifiques et la richesse en appareils de calculs et de mesures en tous genres, personne n’est encore capable de le déterminer. Les méthodes scientifiques étant fondées sur des définitions et des extrapolations faites sur le modèle limité de l’accumulation de preuves obtenues une par une, il ne pourrait en être autrement ». Tout nouveau constat de fait implique une nouvelle théorie pouvant l’inclure. Ceci n’a pas de fin. En outre, c’est une vue de l’esprit de croire qu’un appareil, quel qu’il soit, pourrait augmenter la capacité perceptive d’un esprit médiocre.
« Il convient, dès lors, d’adopter une attitude honnête et modeste et de reconnaître, sans affectation, le caractère infini du temps et de l’espace, de leur existence en tant que vie du monde des phénomènes et, du point de vue de l’éternité, de l’existence du Bouddha » lisons nous encore. Lorsqu’il nous dit de « reconnaître le caractère infini du temps et de l’espace, et de leur existence en tant que vie du monde des phénomènes », il nous dit bien que le temps et l’espace relèvent du phénomène, et non pas que celui-ci est dans le temps et l’espace. Le temps et l’espace ne sont qu’une production momentanée de la relation corps/environnement, c’est-à-dire de l’état.
« Le bouddhisme, quant à lui, considère que le contenu de la vérité réside dans le fait que l’intégralité du monde des phénomènes repose sur la loi des causes, conditions, effets et rétributions. Il révèle en même temps que ce principe réside dans la présence mutuelle des dix mondes, dont la substance inconcevable est la vérité de la vacuité, la vérité de la conditionnalité et la vérité de la médianité ». La base de la logique que le Bouddha développe est que tout phénomène, quel qu’il soit, apparaît en fonction des causes et des conditions, et montre l’aspect des effets et des rétributions. La cause, c’est ce qu’on nomme le karma, c’est l’ensemble des actes passés constituant l’acte présent. Les conditions, qui ne sont pas duelles avec la cause, sont ce qui permet l’apparition de l’effet momentané. Cet effet est la rétribution des actes. L’ensemble des causes/conditions, qui est un, ne nous est pas perceptible, mais les effets qu’il engendre en continu nous le sont : c’est le corps, l’esprit et l’environnement momentanés. Le corps, l’esprit et le monde phénoménal sont donc la rétribution des actes de chacun. Dès lors, voir, sentir, penser, qui sont des effets, sont nécessairement le passé immédiat de notre aspect réel. Il est en effet enseigné dans l’école : « Le véritable aspect des phénomènes se situe avant le discernement ou la différenciation des phénomènes ». Prendre conscience de quoi que ce soit : « bleu », « chaud », « je », est le passé de notre aspect réel. On ne peut donc voir, en tant que phénomène, car nous sommes tous des phénomènes, ce dont nous provenons à chaque instant. En fait, dans le monde humain le terme même de cause ne devrait pas exister. Ce n’est qu’une somme d’effets. « Il est impossible que les phénomènes puissent être des causes » martèle à juste titre Nietzsche. Rien ne produit ceci, rien n’entraîne cela, le concept « mêmes causes mêmes effets » est une illusion. Ce ne sont que des vues humaines effrayées par la conditionnalité des choses et essayant, plutôt mal que bien, de mesurer, de construire, de prévoir. Mais la causalité ne peut, par principe, être observée par l’humain, car nous ne voyons que ses effets.
« Notre corps, ou nous-mêmes, existe en fonction des causes et des conditions, et montre l’aspect des effets et des rétributions », nous dit le Souverain de la Loi. Montrer l’aspect des effets et des rétributions est donc le propre de tout phénomène provisoire et momentané. Mais la cause, ou plutôt le concert de causes, la symphonie de causes présidant à l’apparition de l’effet nous échappe. Pourtant, puisqu’il y a indiscutablement des effets, ne doutons pas de l’existence de causes. Quant à : « ..ce principe réside dans la présence mutuelle des dix mondes, dont la substance inconcevable est la vérité de la vacuité, la vérité de la conditionnalité et la vérité de la médianité », cela signifie que le lieu des dix mondes est la présence, et que cette présence, tout en étant conditionnelle et vacante, est médiane, c’est-à-dire absolue, inconditionnée, hors le temps et l’espace, en permanence. Tel est ce que perçoit le Bouddha, et ceci constitue la base logique sur laquelle nous pouvons éventuellement édifier nos réflexions.
Dès lors, sachant que tout apparaît en tant qu’effet, il va de soi que tous les « actes » humains nommés « volonté », « décision », « choix », ne sont fondés sur rien.
Nancy : Mais pratiquer est bien l’expression d’une volonté ?
Nous allons y venir. Mais Nietzsche affirme que la volonté, la pensée, sont des effets. Notons pour l’heure que considérer l’existence de l’acte en terme de cause n’est qu’une vue de l’esprit. L’acte est un effet. C’est d’ailleurs pour cela que le cycle des six voies est sans origine. « Des évènements se produisent, mais il n’y a pas d’acteurs » disait Shakyamuni.
Et, concernant le contenu de la profonde sagesse du Bouddha le Daishonin écrit : « C’est réaliser l’effet des dix ainsi de l’aspect réel comme étant la substance fondamentale de la Loi ». Cela signifie que le corps et l’esprit de tout ce qui est sont des effets. La simultanéité de la cause et de l’effet constitue la substance fondamentale de la Loi. Grâce à cette logique nous quittons, dès lors, le monde humain de la consécutivité des choses, pour entrer dans celui où tout est inconditionné. Ou, si vous le préférez, l’être et ses conditions sont Un. C’est la non-dualité de l’être et de l’environnement. Cela l’humain ne peut le voir. Il n’est pas d’effet sans cause, bien entendu, mais la perception des causes n’appartient pas à notre registre perceptif.
L’enseignement du petit véhicule, qui rompt avec les voies extérieures, contient l’information suivante : le triple sceau de la Loi. Ce triple sceau est : Les actes sont instantanés, les phénomènes sont dénués de soi, et l’extinction des souffrances est sereine et pure. Les actes sont instantanés car la pensée, la parole et l’acte du corps s’imposent. C’est. Les phénomènes sont dénués de soi réel, car le petit moi protéiforme qui s’impose à tous n’est pas un acte libre. Et enfin, l’extinction des souffrances du petit moi est sereine et pure, car le véritable soi intégrant l’infinité phénoménale est, lui, riche d’une infinie profusion de qualités.
La fusion de la vacuité, de la conditionnalité et de la voie médiane signifie que, bien que nous pensons être faits par les circonstances, notre existence personnelle est inconditionnelle. Elle jaillit à chaque instant d’une infinité de possibles, grâce à la conditionnalité, mais elle est elle-même l’infinité phénoménale. Chacun ne découvre donc, à travers son corps, son esprit et son environnement, qu’un « vouloir être » inconscient qui lui est antérieur, non pas dans le temps, mais dans sa nature profonde. Vu par le Bouddha chaque phénomène est inconditionnel, absolu. Un phénomène n’est jamais créé ou fabriqué par des choses qui lui seraient étrangères. La vie que vous avez, que nous avons, n’est jamais faite par les circonstances. C’est pourtant bien ce que voit l’humain, certes, mais il ne « voit » pas, il rêve. Le Bouddha, seul, est éveillé. Le corps, la pensée et l’environnement sont Un, et ce Un est absolu, sans commencement ni fin. C’est la Une pensée momentanée. Ce Un est le lieu de la fusion des dix états, à l’origine, en permanence.
D’autre part, nous pouvons tirer de cela le point suivant : dans le monde des six premières voies rien n’agit jamais sur rien. Jamais quelqu’un ne meurt « à cause » de la guerre, de la tempête ou de la méchanceté de son voisin de palier. L’individu est toujours porteur, à son insu, des modifications instantanées de son corps et de son environnement. Où qu’il aille il montrera toujours, à qui sait voir, sa manière singulière et inconditionnelle d’apparaître et de disparaître dans le même instant. Pour cette raison le Souverain de la Loi enseigne que tous les saints : « Ont ouvert la vie qu’ils subissaient depuis un passé infini ». Pour tout ce qui est, l’existence est subie. On ne peut s’y soustraire, mais on peut s’y éveiller.
Brigitte : Donc on ne produit rien.
Tant qu’on traite des six premières voies, il n’y a guère de production. C’est l’état naturel des choses. Tout est subi. Mais ne me demandez pas pourquoi il y a des tortues et des concierges. En réalité, nous ne voyons rien des phénomènes. Entrer dans la voie bouddhique, par contre, fait que l’on devient acteur. Le Daishonin enseigne : « Même les neuf mondes sont présents dans le monde du Bouddha sans commencement, et même le monde du Bouddha existe dans les neuf mondes sans commencement ». Chaque phénomène montre, par son aspect, un état, et au sein de cet état il y a les dix autres. Et l’évolution, le changement possible de ce phénomène s’effectue au sein des dix états par la pratique de la voie.
« L’ensemble des multiples phénomènes du monde des phénomènes se divisant en loi de la forme et loi du cœur, les animaux, les végétaux, les montagnes, les rivières, la terre, les innombrables étoiles, les planètes, tous les corps célestes montrent l’aspect de l’alliance et de la rupture, la naissance et la mort, la séparation et l’harmonie des cinq éléments : terre, eau, feu, vent et espace. Le bouddhisme proclame que ces cinq éléments, tels quels, constituent les existences des deux lois, forme et cœur ». Nous, humains, faisons une distinction entre la matière et l’esprit. Pourtant, vu de l’éveil, il s’agit d’une non-dualité. En outre, il ne s’agit en réalité que de l’harmonie provisoire des cinq éléments qui constituent toute choses. Nous savons que nous sommes composés de deux tiers d’eau. Nous sommes également composés de minéraux, de métaux, de sels composant le corps humain, et toutes ces choses, auxquelles nous ne pourrions nous identifier si nous les rencontrions devant nous, sont dans un mouvement constant. Ce flux constant d’éléments, harmonieux ou pas, car on peut tomber malade, vieillir, est provisoire, il naît et meurt dans le même instant et communique avec la totalité de son environnement. Tout phénomène, de par le monde, est composé des mêmes choses et change en fonction de la séparation ou de la réunion de ses composants. Alliance et rupture, harmonie et séparation, naissance et disparition des uns ou des autres font ce que nous sommes et ce que l’on perçoit. Et, au sein de ce mouvement, l’humain pensera avoir à faire à de la matière, ou à de l’esprit, alors que ce ne sont toujours que les cinq éléments. Ceci nous permet sans doute de pouvoir corriger cette image que nous avons d’un moi perdurant à l’identique.
Le présocratique Anaximandre déclare : « C’est de l’illimité que sont issues toutes choses qui naissent, et c’est à lui que retournent toutes choses qui se corrompent ». Il n’y a rien à y rajouter. Empédocle a dit : « Les éléments (Terre, eau, feu et vent) sont non-engendrés ». Ils sont donc permanents. Il dit encore : « Tantôt de par l’amour, ensemble, ils constituent une unique ordonnance, et tantôt chacun d’eux se trouve séparé par la haine ennemie ». C’est exactement ce que nous disions plus haut. Cet assemblage provisoire des éléments par l’amour, ou ce désassemblage par la haine est ce qui permet le changement phénoménal. Nous trouvons également, toujours chez Empédocle : « C’est à partir de ces éléments que toutes choses sont formées et ajustées. Et ce sont eux aussi qui forment la conscience, le plaisir et la douleur ». Conscience, plaisir, douleur, en termes d’états, ne naissent donc que de l’eau, de la terre, du vent et de l’espace. Et quand il dit que c’est ainsi que « toutes choses sont formées et ajustées », ajustées, les unes par rapport aux autres, signifie que dans le monde des phénomènes, puisque tous sont absolus et qu’ils ne peuvent ni apparaître ni disparaître, ces phénomènes sont en appui les uns sur les autres. Etant en appui les uns sur les autres, aucun n’influence l’autre. Et ceci autorise chaque phénomène à réaliser, dans l’instant, sa propension. Guerre, famine, accident, maladie, vieillesse, joie, etc …, tout est harmonie globale des phénomènes en appui les uns sur les autres. Pour un phénomène donné donc, rien ni personne ne peut être cause, condition, méchant, injuste, salaud. Ce vers quoi tend chacun, il le trouve toujours, car il n’est pas de dualité être/environnement.
Dans le chapitre des Moyens du Lotus nous trouvons : « Ainsi est l’aspect, ainsi est la nature, ainsi est la substance,.. ». Le Souverain de la Loi commente de la façon suivante : « L’aspect se rapporte à la forme. La nature se rapporte au cœur. La substance, quant à elle, désigne la substance des deux lois, forme et cœur. Il s’agit des deux lois, forme et cœur du monde des phénomènes dans son ensemble, c’est-à-dire toutes les existences. Dès lors, l’existence de la forme et du cœur, autrement dit de la matière et de l’esprit, transcende toutes les transformations dues au temps, toutes les vicissitudes. Elle est infinie et éternelle ». La substance, ou corporéité, d’où jaillissent les deux lois de la matière et de l’esprit, ne peut être observée car le corps et l’esprit en naissent continûment. Elle est infinie et éternelle, nous dit-il. On peut donc considérer que la substance, étant infinie, fusionne avec l’intégralité des phénomènes dans l’instant. En outre, étant éternelle, elle est à l’origine. Pour cette raison elle « transcende toutes les transformations dues au temps, toutes les vicissitudes ». Dès lors, la substance existe toujours en tant que fusion complète avec l’infinité phénoménale. Mais de cette fusion complète naissent à chaque instant, soixante-quatre naissances et morts simultanées dans l’espace d’un claquement de doigts, ce qu’on nomme le corps et l’esprit. Le corps et l’esprit ne peuvent donc ni apparaître ni disparaître. Nous, humains, verrons la vieillesse, la maladie, l’accident, la mort, mais en fait il n’en est rien. On ne peut échapper à l’existence, elle s’impose. Exister n’est pas dû au courage, à la chance, à un choix, à la volonté, à un effort, exister n’est qu’un effet. Le non-être n’est pas, disait Parménide.
Dans la partie provisoire du Lotus, Shakyamuni va donc enseigner que l’intégralité des multiples phénomènes sont son propre corps. Et dans la partie définitive du Lotus Shakyamuni va affirmer que sa présence est permanente dans le temps. D’un point de vue spatial son corps s’étend à tout, et, du point de vue temporel, il est immuable. Telles sont les deux grandes choses que l’on peut extraire, parmi d’autres, du Lotus. En outre, comme le Bouddha n’est pas extérieur au monde, n’est pas différent par nature des autres phénomènes, cela implique que tout phénomène s’étend à tout dans l’espace et est permanent. C’est ce à quoi le Bouddha s’est éveillé.
Fort de cette logique, le Souverain de la Loi enseigne : « Les sciences modernes expliquent la formation de la terre et l’apparition des êtres vivants dans un processus limité. S’agissant là de connaissances de l’humanité développées dans le cadre scientifique, je suis toujours prêt à les considérer de manière positive. Toutefois, si l’on prend uniquement ces connaissances scientifiques comme critères pour tout, on tombe alors dans l’attachement à la cognition scientifique qui, comme je l’ai soulevé plus haut, renferme une grande quantité de domaines non encore définis et donc incertains. Et si, pour ces raisons, on nie le véritable aspect du monde des phénomènes et de la vie, dépassant le cadre scientifique, cette attitude devient alors une entrave à la vision claire de la vie et du véritable aspect et à l’obtention de la véritable paix spirituelle, dépendant des œuvres et vertus de la foi exposée par le bouddhisme ». Au regard de la profondeur de vue du Bouddha, il est de fait que l’observation des choses par les humains ne mène ceux qui y croient qu’à l’humain. Et cela c’est au mieux, car au pire, ce sont les voies inférieures. Ce qui ne saurait constituer un exploit. Qui plus est, si cette croyance qu’est « l’objectivité scientifique » est forte, elle devient alors une véritable entrave à une vision claire et large de l’aspect réel de nos vies.
Nancy : La science, une croyance ?
Evidemment. Que A soit égal à A ne veut rien dire. C’est une vue de l’esprit. C’est une croyance. La tautologie permet seulement de construire des sarbacanes et des moteurs de jet. Rien, donc. En digne élève de Husserl, Heidegger affirme : « La science ne pense pas ».
Nous avons dit que dans le monde des six premières voies l’existence s’impose, nul n’y échappe. Tout n’est qu’effet et rétribution. Mais, Nichikan Shonin a écrit : « Lorsque l’on croit au Honzon en son cœur, le Honzon teinte notre cœur. S’opère alors la merveille de la cause originelle de l’identité du monde du Bouddha et des neuf mondes ». Attention, vous l’avez remarqué, le terme de cause vient d’apparaître à l’instant. Dans cette logique, s’il est donc un moment où nous pouvons parler de cause, c’est celui où, bien qu’ayant l’esprit pollué au sein des six voies, nous croyons en ce que voit le Bouddha. Il s’agit alors du surgissement du monde du Bouddha au sein de neuf mondes. Le surgissement de la croyance en les objets que le Bouddha désigne est donc appelé « cause ». Et « cause originelle », de surcroît, puisque tout n’est qu’effet. Il s’agit là, pour tout dire, de l’infinie bienveillance du Bouddha Originel. Le fait d’entendre, de garder et de ne pas rejeter, est le moment où il y a en nous quelque chose d’identique à ce qu’il y a en le cœur du Bouddha. Croire, dans notre école, équivaut à voir. C’est la merveille de la cause originelle. Nichikan Shonin poursuit : « Lorsque, avec la bouche, nous récitons la Loi merveilleuse, le Honzon teinte notre corps. S’opère alors la merveille de l’effet originel de l’identité des neuf mondes et du monde du Bouddha ». Lorsque l’on croit, le Bouddha entre dans les neuf mondes de notre cœur. Lorsque l’on récite avec la bouche, notre propre corps dans les neuf mondes laisse apparaître l’action du Bouddha. Réciter la Loi n’est donc pas une cause, mais un effet. Si je pratique matin et soir, c’est l’effet d’une croyance qui est là matin et soir. La cause en est que je ne peux rejeter les concepts profonds révélés par le Bouddha. Je ne peux certes pas les rejeter, par exemple, au profit du libéralisme, du monothéisme ou de l’hégélianisme. Ne rejetant pas, on peut alors considérer que la foi est une cause. Mais la foi n’est pas un acte. C’est une disposition favorable vis-à-vis de… C’est une propension. C’est une écoute qui reçoit en ressentant de la joie et qui garde. Le Daishonin enseigne : « Recevoir est facile, garder est difficile. Or, l’éveil réside dans le fait de garder ». La merveille de la cause originelle est donc de croire en le Bouddha Originel, Myoho Renge Kyo, et en le Honzon. Le Bouddha, lui, ne croit pas, il voit. Nous, par contre, nous rêvons, nous ne voyons pas. Il n’existe pas de point de vue réellement objectif pour l’humain, nous ne voyons que notre corps disait à juste titre Merleau-Ponty. Dés lors, le fait de garder ces objets propres à l’éveil du Bouddha va nous permettre, au fur et à mesure, de pouvoir véritablement les voir. Nous aurons ainsi ouvert une disposition, un œil supérieur à celui que nous possédions jusqu’ici.
Michèle : C’est la purification des six racines.
Cela en fait partie.
Nichikan Shonin poursuit : « La foi étant à l’origine de la récitation du Daimoku, elle est la merveille de la cause originelle. La récitation étant la conclusion de la foi, elle est la merveille de l’effet originel. Autrement dit, ce phénomène est la causalité de notre Une pensée, dont l’origine et la conclusion sont instantanées ». Hormis cette merveille de la cause originelle, qui est le fait de croire et de ne pas rejeter, toute notre vie n’est qu’effets. En outre, la phrase : « ce phénomène est la causalité de notre Une pensée, dont l’origine et la conclusion sont instantanées », signifie que toute notre existence, à l’ordinaire, repose sur l’acceptation de ce qui apparaît en la pensée comme étant vrai. Nous ne sommes donc, à l’ordinaire, que croyance. Cela est vrai pour le chef de gare, pour le pédophile et pour le requin marteau. Ce qui apparaît en leur pensée est accepté comme étant leur vrai, comme étant le vrai. Tous les êtres vivent donc dans la croyance que ce qu’ils voient, pensent, ressentent, est « vrai ». Or, il faut le dire, comment croire que ce qui apparaît en tant qu’effet subjectif puisse être appelé cause ? « Penser est une chose qui n’arrive jamais » affirme Nietzsche.
Joëlle : Mais on a quand même la volonté de croire.
Je ne pense pas. A l’ordinaire, ce qui apparaît en la pensée est systématiquement considéré comme vrai. Or, c’est un effet. La volonté est un effet, comme la pensée, martèle Nietzsche. Mon sentiment personnel est que, dans les six voies, la croyance est en général un effet, on n’a pas le choix, on y est contraint, on croit ce que l’on « voit ». Mais seul croire en Myoho Renge Kyo est la merveille de la cause originelle. Car on accepte, dans ce cas, un « objet » que le Bouddha voit, mais que nous ne pouvons « voir ». Encore une fois, dire que la vie est permanente induit le sentiment d’une durée. Or, ce n’est pas le cas. Mais nous allons y venir. Pratiquer matin et soir c’est, au fond, ressentir que nous n’avons pas une qualité supérieure d’actes à placer dans notre existence. On ne peut donc pas ne pas le faire.
Joëlle : Au début, quand on a commencé à pratiquer, c’est parce qu’on était dans l’attente de quelque chose.
C’est sûr. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas rejeté. Mais cette attente est un effet et non une cause.
Michèle : On espérait aller mieux.
Tu attends, tu cherches, et puis à un moment tu prends, tu acceptes, en pensant avoir trouvé. Il en est certains qui, entendant le Daimoku, fuient immédiatement. Il en est certains qui, immédiatement, y sont sensibles et décident de pratiquer. Dans les deux cas il s’agit d’effets. Ils ne peuvent pas faire autrement. Si l’on veut appeler cela cause, rien ne nous en empêche. Mais cela n’est pas exact. Si l’on souhaite affiner ce point, mieux vaut penser, à mon avis, que nous n’avons jamais pu être autres que ceux qui entraînent une infinité d’êtres par leur pratique personnelle et leur progression vers l’éveil. Cela me semble à la fois plus vaste et plus réaliste. A travers l’infinité des mondes et des espaces nous avons toujours cherché, trouvé et pratiqué la voie en entraînant l’infinité des êtres. C’est ce à quoi il convient de s’éveiller. Rien n’a d’origine. Si l’on veut considérer que commencer à pratiquer est une cause, pourquoi pas ? Mais le Daishonin nous indique, en substance, que ceux qui pratiquent et propagent cette Loi ont servi des milliards de Bouddha dans le passé. Il nous faut nous éveiller au fait que tout est en permanence, à l’origine, et que la personnalité s’étend à l’ensemble du monde des phénomènes. Cela clarifiera notre logique.
Le vénéré Shakya, pour exprimer par une parabole le temps écoulé depuis qu’il a réellement obtenu l’éveil, déclare dans le chapitre Durée de la vie : « Un homme réduit en poussière trois mille grands mille mondes. Il se dirige ensuite vers l’est et, après avoir dépassé cinq cent mille millions de myriades d’infinis éons de mondes, il dépose un grain de poussière. Il poursuit sa route et, après avoir de nouveau dépassé cinq cent mille millions de myriades d’infinis éons de mondes, il dépose un autre grain de poussière et ainsi de suite ». Shakyamuni demande alors au bodhisattva Maitreya : « Lorsque l’homme a épuisé le nombre infini des poussières cosmiques, quel peut être le nombre de mondes qu’il a traversés » ? Maitreya répond en substance que ces mondes sont incommensurables. Shakyamuni lui dit alors : « Même si l’on prend le nombre incalculable, infini de mondes dans lesquels un grain de poussière a été semé, ainsi que tous les mondes dans lesquels aucun grain n’a été semé et que l’on réduit le tout en poussière, estimant que chaque grain de poussière correspond à une durée de temps d’un éon, la durée totale, incommensurable, infinie, représentée par ces grains de poussière, ne saurait atteindre la durée de temps depuis que, dans le passé, j’ai obtenu l’éveil, qui est encore de cent mille millions de myriades d’infinis éons ». On ne peut plus, dès lors, mesurer la durée de la vie du Bouddha. Or, « La pérennité longue et étendue du monde du Bouddha et, par extension, des neufs mondes, explicitée par cette parabole, est inhérente aux vicissitudes de ce monde sujet à toutes sortes de variations dûes au temps et, en même temps, les transcende » commente le Souverain de la Loi. Il en ressort que les neuf mondes, c’est-à-dire nous, comme le monde du Bouddha, seront toujours existants en terme de « passage de temps subjectif » en même temps que nous les transcendons. En d’autres termes, au sein des neuf mondes il y a toujours vicissitudes, passage du temps et conditions, mais en réalité rien n’est dans un temps et un espace « objectifs » et en soi. Rien n’est fait par les conditions. Mais c’est ce que nous, humains, voyons.
Dès lors, nous devons nous éveiller à ce que voit le Bouddha et que pour l’heure nous ne voyons pas. « Le monde des phénomènes relevant du corps du Bouddha explicité dans le chapitre Durée de la vie transcende toutes les notions et possède un caractère, une immensité infinie. Pour cette raison, on peut pénétrer dans ce monde uniquement par le seul mot de foi ». Dans notre école il est fréquemment indiqué : « Veuillez croire et comprendre ». Il n’est jamais dit : « Veuillez comprendre et croire », cela n’existe pas. L’humain n’est pas plus armé pour comprendre le monde du Bouddha que la chauve-souris. Augmenter ses connaissances, par exemple, ne fait que rajouter à des connaissances antérieures. Ce n’est pas un saut dans l’inconnu, cela ne fait que rajouter quelque chose sur une base humaine déjà existante. Croire en l’enseignement du Bouddha, par contre, c’est, sur une base donnée, accepter un objet totalement hors de portée. Ainsi la compréhension est-elle contrainte de se hisser au niveau de l’objet accepté. Croire, en effet, permet de voir, c’est-à-dire de comprendre, de contenir en soi. Le sentiment, la réflexion, la logique, la raison, n’étant que des effets incontrôlables, ne sont pas armés pour opérer ce type de transformation de soi.
Le grand maître Zhiyi a écrit : « La foi permet de comprendre immédiatement le principe que l’on entend ».
Dans le chapitre des Moyens du Lotus Shakyamuni déclare à ses disciples, qui l’ont suivi des dizaines d’années, « Ce que l’éveillé a mené à l’accomplissement c’est la Loi primordiale et rare, difficile à comprendre. Seul un éveillé peut, avec un autre éveillé, la partager ». En fait, même si le monde était rempli de personnes toutes semblables à Sharihotsu, qui représente la sagesse, et que ces personnes épuisaient leur pensée en tentant de mesurer la sagesse de l’éveillé, elles ne pourraient y parvenir. La sagesse du Bouddha n’est donc pas abordable par la réflexion, par la sagesse, ni par l’association des sagesses. Sharihotsu, une troisième fois, demande au Bouddha de bien vouloir leur enseigner la Loi car le Bouddha a jusqu’ici répondu : « Arrête, arrête, n’insiste pas davantage, ma Loi est sublime, difficile à comprendre et à croire. En l’entendant, les outrecuidants ne lui accorderons à coup sûr ni foi ni respect ». A ce moment, certains disciples ont dû se dire : « Pourquoi insiste-t-il ainsi sur la foi, en nous prévenant qu’on ne pourra pas comprendre ses propos » ? Etre disciple, c’est suivre le Bouddha grâce à la foi. Or, l’outrecuidance est la confiance excessive en soi-même, c’est l’estime exagérée de soi. L’éveillé déclare ensuite : « Puisque tu m’as demandé par trois fois de prêcher la Loi, comment pourrais-je ne pas la prêcher ? Ecoute à présent avec lucidité et réfléchis y bien, je vais pour toi enseigner la Loi ».
A peine Shakyamuni eut-il tenu ces propos que cinq mille orgueilleux se levèrent de leur siège, saluèrent l’éveillé et se retirèrent. Il s’agissait d’une troupe d’êtres aux racines de crimes profondes et graves, d’outrecuidants prétendant avoir acquis ce qu’ils n’avaient pas acquis, et attesté ce qu’ils n’avaient pas attesté. C’est parce qu’ils avaient de tels défauts qu’ils ne demeurèrent point. A ce moment le Vénéré du monde resta silencieux et ne les retint pas. Alors l’éveillé dit à Sharihotsu : « Il n’y a plus, désormais, dans la multitude qui m’entoure de branches ni de feuilles, mais uniquement un pur joyau ». Le pur joyau est, nécessairement, le fait de croire en la sagesse de l’éveillé, sans même pouvoir la comprendre. Les branches et les feuilles désignent alors la foultitude des avis de chacun sur ceci ou cela. Alors, Shakyamuni peut enfin enseigner : « Multiples phénomènes/Aspect réel », permettant ainsi à certains disciples de s’éveiller à l’identité du corps du Bouddha, et du leur par extension, et de l’infinité phénoménale.
Ensuite, lorsque Shakyamuni envisage de révéler le contenu du chapitre Durée de la vie, il sait qu’il va encore remettre en cause tout ce que ses disciples croient. Il sait qu’il va briser leur petite sagesse. Alors, « Le vénéré Shakya prit le soin de faire des préparatifs à grande échelle. Le premier préparatif fut l’apparition du stupa précieux de l’Ainsi-venant Nombreux trésors. Le second fut l’apparition des grands bodhisattva jaillis de terre. Il fit alors naître le doute dans l’esprit de toute l’assemblée. Ce faisant, il anéantit les connaissances et la sagesse de tous les êtres, et put alors révéler le corps du Bouddha présent en permanence depuis le passé long et étendu, ainsi que son territoire au sein du monde des phénomènes, notions dépassant de loin la sagesse et les connaissances de l’assemblée » commente le Souverain de la Loi. Lors de l’apparition dans les airs du stupa précieux, qui constitue le premier point, l’Ainsi-venant Nombreux trésors dit en substance : « Parfait, parfait, tout ce que le vénéré Shakya a enseigné est juste ». Ceci afin d’éviter l’apparition du doute en l’esprit des disciples. Et, second point, juste avant que le Bouddha Shakyamuni enseigne le chapitre Durée de la vie, les grands bodhisattva jaillis de terre, ses disciples originels, viennent garantir sa durée de vie. En effet, ces êtres qui jaillissent de terre en montrant de grandes vertus sont absolument inconnus des disciples de Shakyamuni. C’est donc qu’il les a entraînés et formés bien avant d’apparaître en Inde. Shakyamuni considère alors qu’il peut révéler qu’il n’a pas obtenu l’éveil en inde, à Gaya, quelques dizaines d’années auparavant, mais qu’il est éveillé depuis un temps incommensurable. Les grands bodhisattva jaillis de terre, suivis de la foule de leurs disciples, attestent en effet physiquement de cette réalité. « Ce faisant, il anéantit les connaissances et la sagesse de tous les êtres, et put alors révéler le corps du Bouddha présent en permanence depuis le passé long et étendu » disions-nous.
Le monde dans lequel nous sommes est désigné par les termes : « Monde de l’endurance ». Seul le Bouddha est dit pouvoir endurer ce monde. Nous, les humains, ne le pouvons guère. Le Souverain de la Loi enseigne à ce propos : « Obtenir l’éveil de la voie du milieu, appelé l’endurance de son corps vivant, c’est-à-dire de notre corps, tel quel, signifie obtenir l’endurance de la nature non produite de toute existence.. ». S’éveiller au fait que toute existence ne peut ni apparaître ni disparaître, que rien n’est produit, est « pouvoir endurer ». Le Daishonin enseigne : « Le monde actuel de l’endurance s’est départi des trois calamités et a quitté (le cycle des ) quatre périodes cosmiques. C’est la terre pure présente en permanence. L’Eveillé, par le passé ne s’est jamais éteint et, dans le futur, n’apparaîtra point. Ceux à qui il a prêché sont de même substance, c’est-à-dire la présence permanente de trois mille (mondes et de trois domaines dans notre cœur) ». Ce monde de l’humain, chaotique, qui n’est tissé que d’une infinité d’effets qui lui échappent et lui interdisent toute certitude quant à son avenir, devient, grâce à l’enseignement du Bouddha Originel, une terre pure et paisible. La raison en est que, dans le Honzon, il y a les neuf mondes, de l’enfer à l’éveil ultime. Les neuf premiers mondes du Honzon transcrivent cette rive, d’où nous pensons observer la réalité. Le Bouddha originel, Myoho Renge Kyo, qui lui, est au centre, est l’autre rive, celle de l’éveil ultime. Ainsi liés au monde du Bouddha les neuf mondes de notre cœur peuvent, face au Honzon, obtenir de partager la substance même de l’éveillé. Nous pouvons dès lors réaliser que nous sommes en permanence, et que cette terre, qui est perçue comme le lieu de l’apparition des multiples souffrances, est en réalité également présente en permanence. En effet, la raison en est que notre environnement et nous-mêmes, qu’on le veuille ou non, ne forment qu’une seule chose. Nous pouvons alors, grâce à notre rapport au Honzon, nous éveiller au fait que notre propre vie est permanente et pure, sans commencement ni fin. Ceci parce que les neuf mondes et le monde du Bouddha sont réunis dans l’objet fondamental de vénération pour l’observation du cœur. L’existence, malmenée jusque là par les vicissitudes ordinaires liées au monde des êtres, s’ouvre dés lors sur sa pureté et sa permanence.
« L’Eveillé, par le passé ne s’est jamais éteint et, dans le futur, n’apparaîtra point. Ceux à qui il a prêché sont de même substance » enseigne le Daishonin.. Le Souverain de la Loi commente : « Cette phrase fait référence au corps du Bouddha « ne s’éteignant pas tout en montrant l’extinction et n’apparaissant pas tout en montrant l’apparition » révélée dans le chapitre Durée de la vie. Le passage suivant : « ceux à qui il a prêché sont de même substance » signifie que les êtres présents lors de l’assemblée dans les airs, au dessus du mont sacré des aigles, manifestèrent un corps unique et inséparable du corps de Bouddha du vénéré Shakya, permanent et présent à l’origine. Simultanément à la présence des neuf mondes au sein du monde du Bouddha sans commencement, le monde du Bouddha fusionna dans l’éveil des neuf mondes sans commencement ». Cela signifie que, grâce à la croyance, le monde du Bouddha apparaît au sein des neuf mondes des êtres sans commencement. Et, toujours grâce à la croyance, le monde du Bouddha put fusionner avec les neuf mondes. « Tous les disciples interrompirent l’obscurité fondamentale et parvinrent au premier degré de station et, de là, à l’éveil égal. (Toutefois), cette explication est faite du point de vue des phrases, c’est-à-dire hors de la substance ». Le premier degré de station correspond au point de non régression où le bodhisattva ne peut plus replonger dans les six voies, et se dirige inéluctablement vers l’éveil. Parvenu à ce degré, il perçoit que rien ne peut ni apparaître ni disparaître. Quant au degré de l’éveil égal, cela signifie le sommet du parcours du bodhisattva, juste avant l’éveil ultime. Mais notons que le grand maître Zhiyi déclare, à propos du passage du degré d’éveil égal à celui d’éveil ultime : « Seul le Bouddha peut y entrer ». Cela signifie que seule la récitation de Myoho Renge Kyo est entrer. Poursuivant son commentaire le Souverain de la Loi précise : « Par contre, si on lit : « ceux à qui il a prêché sont de même substance » d’après l’intérieur de la substance, autrement dit d’après le profond des phrases, les êtres qui, en présence du vénéré Shakya entendirent le chapitre Durée de la vie eurent foi et comprirent que leur vie était elle-même présente depuis le passé lointain et étendu comme celle du vénéré Shakya » Ceci correspond à la réalité des êtres du point de vue du Temps. Du point de vue de l’espace : « Ils s’éveillèrent à l’identité de leur corps omniprésent dans le temps et l’espace, et du monde des phénomènes ». Les êtres s’éveillèrent donc au fait que leur vie était permanente et sans origine, mais, de plus, qu’elle était l’infinité phénoménale.
Brigitte : L’entendre, c’est déjà bien, à nous maintenant d’y croire et de le réaliser.
Effectivement. C’est ce à quoi on peut s’éveiller en pratiquant matin et soir. On réalise alors que notre terre est pure et paisible. Notre vie devient pure et paisible.
Nichijun Shonin a déclaré : « Dans notre école, la Loi est la Personne, la Personne est la Loi ». Cela signifie que, pour nous, une Loi qui serait antérieure aux phénomènes est une loi médiocre, provisoire. Il n’y a pas de loi antérieure aux phénomènes et il n’y a pas de phénomènes avant la loi. Les phénomènes sont la Loi, la Loi est les phénomènes. L’Eveillé montre la Loi en tant que existant dans le monde phénoménal. La Personne du Daishonin, apparue au Japon au treizième siècle, est Myoho Renge Kyo, Bouddha originel depuis le passé hors le temps. Ce qui nous permet de réaliser que notre personnalité, à nous tous, est nécessairement hors le temps. Il n’y a donc pas « quelque chose » avant notre présence. Le Souverain de la Loi affirme en effet : « Dans le fait que notre substance soit, telle quelle, la substance de la Loi merveilleuse, réside l’unicité de la Personne et de la Loi ». Autrement dit, jamais, jamais, nous ne fûmes postérieurs au « monde », placés dans le monde. Ou, si vous le préférez, c’est une seule et même chose que l’être et le « monde ». Cela n’a pas d’origine et la présence est donc permanente. Personne n’est jamais apparu à un moment, après l’existence du « réel ». Nous sommes l’immédiateté du réel, à chaque instant. Cela, le Bouddha le voit.
Il y a donc une grande différence entre l’enseignement provisoire du vénéré Shakya, qui déclare en substance qu’il a obtenu l’éveil il y a un temps infiniment lointain, et l’enseignement du Bouddha Originel Nichiren Daishonin, qui ne traitera absolument pas de son éveil dans le passé. Le Souverain de la Loi déclare en effet : « L’enseignement développé par le vénéré Shakya étant fondé sur le corps du Bouddha de l’effet originel, doté des trente deux signes distinctifs, lorsqu’il prêcha son caractère éternel et permanent du point de vue temporel, il utilisa la parabole des cinq cents grains de poussière symbolisant l’infini, pour montrer son éveil dans le passé. A l’opposé, l’éveil dans le passé lointain et étendu, enseigné par Nichiren Daishonin, étant l’éveil de l’homme ordinaire au degré de la cause originelle et de dénomination, il n’y avait aucun sens à ce qu’il évoque un éveil dans le passé ». Le vénéré Shakya utilisera donc l’étendue infinie du passé et de ses actions méritoires pour exprimer la profondeur de son éveil, alors que, tout au contraire, le Bouddha Originel révèle son origine hors le temps et la non dualité de son propre corps et de l’infinité phénoménale. Dès lors, dans cette doctrine tous les phénomènes sont absolus, à l’origine, en permanence.
La Loi ne peut donc être antérieure aux phénomènes, ni les phénomènes être antérieurs à la Loi. La Loi est les phénomènes, et les phénomènes sont la Loi. Identiquement, un Bouddha délivrant un enseignement relatif à une Loi qui lui serait antérieure est un Bouddha dont l’enseignement est provisoire. C’est la raison pour laquelle lors de l’éveil, les êtres réalisent : « l’identité de leur corps, omniprésent dans le temps et l’espace, et du monde des phénomènes ». Le Souverain de la Loi enseigne encore que les êtres, grâce à l’enseignement du Bouddha, peuvent s’éveiller à l’éternité de leur personnalité. Cela signifie que cela même qui nous caractérise et nous distingue de tout autre phénomène est sans origine. Ce « sujet unique et permanent » que nous sommes ne peut donc ni apparaître ni disparaître. Cette personnalité n’est jamais « faite » par les événements, elle n’est jamais à cause de ceci ou grâce à cela. Elle est. En outre, concernant « l’espace », il est clair que les végétaux et les territoires, c’est-à-dire l’environnement, « sont présents dans la substance intérieure du Bouddha et que l’intégralité du monde des phénomènes de l’univers est le corps des œuvres et vertus du Bouddha ». Cela signifie, en ce qui nous concerne, que notre propre corps et son environnement sont nécessairement l’expression des œuvres et vertus de notre vie. Nous ne sommes jamais plongés dans un monde angoissant, pollué, guerrier où cultivé. Le monde dans lequel nous pensons être est nous-mêmes. Dès lors, au vu de l’instantanéité de l’existant, croire et réciter Nam Myoho Renge Kyo, qui est l’effet de la boddhéité, est acquérir immédiatement de profondes racines de bien en son corps, en son esprit et dans son environnement. Il ne s’agit donc pas du phénomène « d’accumulation », qui sous-entend une causalité linéaire bien trop humaine, mais de l’apparition immédiate de l’éveil en tant qu’être ordinaire dans les six voies. « Un homme tombant à terre se relève en s’appuyant sur la terre » dit en substance le Daishonin. Pratiquer est l’émergence de l’effet de l’éveil, et ceci constitue alors la terre sur laquelle nous nous appuyons. Je sais bien que ceci peut sembler plus difficile d’accès que les logiques linéaires usuelles. Mais la vie n’est pas linéaire et, si l’on garde ce qui vient d’être dit en tête, les souffrances mentales inhérentes aux six premières voies peuvent s’estomper.
Lorsque le vénéré Shakya affirme : « Ainsi, depuis que j’ai réalisé l’Eveil, le temps écoulé est extrêmement long et étendu », lorsqu’il révèle par-là même l’origine de son éveil, il convient de comprendre qu’il fait allusion à l’éveil en tant qu’effet. La cause même de son éveil n’est pas évoquée. Le Souverain de la Loi nous explique donc : « Au fond de la révélation de l’originel de Shakyamuni, autrement dit la révélation de l’effet originel dans le passé lointain et étendu, se trouve l’obtention de la voie par le Bouddha Originel, homme ordinaire au degré de l’identité dénomination, égal à l’ultime, cause originelle du passé infini ». Autrement dit, Myoho Renge Kyo, substance du Bouddha Originel Nichiren Daishonin, est la cause originelle du passé infini. Cela signifie que le temps et l’espace infinis sont issus, dans leur dimension la plus élevée, de l’éveil originel, de la même manière qu’ils naissent de l’enfer, de l’avidité et autres états hors de l’éveil. Quant à « homme ordinaire au degré de l’identité dénomination », cela signifie que le fait de nommer Nam Myoho Renge Kyo rend notre degré actuel, à nous tous, tels que nous sommes, semblable à l’ultime, sans avoir à le modifier.
Si vous préférez, comme toute forme, Myoho Renge Kyo est un état. C’est donc la simultanéité de la cause et de l’effet, mais cette fois dans l’éveil, alors que toutes les autres formes sont les formes des autres états et, plus particulièrement, des six premiers. Nous en sommes, en tant qu’humain, évidemment l’expression. En outre, convenez avec moi que notre existence s’impose à chaque instant en tant qu’effet. Et bien la grande bienveillance du Bouddha Originel consiste en ce qu’il nous offre son propre état, également en terme d’effet, c’est-à-dire Myoho Renge Kyo, et que nous pouvons dès lors, quelle que soit notre situation ou notre état intérieur, exprimer par la voix, l’effet de l’éveil ultime. Exprimer l’effet de l’éveil jour après jour, mois après mois, année après année « c’est l’apparition du Bouddha » affirme Nichikan Shonin. Il n’y a dès lors plus de distinction entre le saint et le profane dans le fait de ne pas rejeter et de prononcer. Le Daishonin. enseigne : « En effet, l’enfer atteste de l’effet de boddhéité en tant que part d’enfer. Ainsi, trois mille phénomènes attestent de l’effet de boddhéité en tant que part de la substance de chacun. Tel est notre véritable éveil dès ce corps… A présent Nichiren et les siens attestent de l’effet de boddhéité en tant que part récitant Nam Myoho Renge Kyo ». Alors même que les conditions, en général, ne concourent pas dans le sens de notre accès à l’éveil, que rien ne nous y entraîne spontanément, le seul fait de croire et de garder nous le permet. C’est notre seule opportunité. Plutôt que de nous laisser submerger par les flots d’idées récurrentes qui nous singularisent depuis un temps infini, inlassablement, invariablement, il convient de « croire et de comprendre », c’est-à-dire de nous éveiller.
A propos de l’objet d’introspection « substance de l’infinité phénoménale », le grand maître Zhiyi affirme : « Lorsque l’objet et la sagesse s’harmonisent, la cause et l’effet naissent ». S’il n’y a pas l’harmonie de la sagesse et de le substance de l’infinité phénoménale, nul ne peut donc prétendre comprendre quoi que ce soit au réel. Myoho Renge Kyo seul, c’est-à-dire le Bouddha originel, est la simultanéité de la cause et de l’effet. Myoho Renge Kyo est l’infinité phénoménale hors le temps. Zhiyi s’y est éveillé, l’a pratiqué, et n’a put le transmettre car le temps n’était pas propice. Mais pour nous, humains, nous ne pouvons voir que la conditionnalité, nous ne pouvons que constater le déroulement des phénomènes dans le « temps ». Le terme même de cause, dans le monde humain, n’a donc aucune signification. Ce n’est que grâce à la bienveillance du Daishonin que nous pouvons entrer dans le monde de la cause originelle par la croyance. Notre capacité se limite à cela. Ensuite, graduellement ou brutalement, nos yeux se dessillent et les objets que nous gardions en nous par la croyance nous apparaissent. Ils ne s’agit pas du travail de la réflexion ou d’un quelconque effort intellectuel. « Voir » est le résultat de l’ouverture de la capacité perceptive par la croyance. Ou, si l’on préfère, les qualités inhérentes à l’objet gardé par la croyance se répandent en la personne. Dans notre école, la compréhension ne peut être antérieure à la croyance. Le Daishonin a déclaré, en substance, que l’intelligence sans la croyance augmente les vues hérétiques.
« Entendant la présence permanente de la cause originelle du Bouddha, les êtres s’éveillèrent au fait qu’eux-mêmes, possédant la même causalité que le Bouddha, étaient présents en permanence ». Tel est ce que l’on peut faire dans cette existence. La sérénité envahit alors le corps et l’esprit.
Nous avons donc abordé, autant que faire se peut, le concept de « kuon », le « temps long et étendu ». Cependant, dans la doctrine de l’école, nous parlerons plutôt du passé de « kuon ganjo », « ganjo » signifiant le « début de l’origine ». Nous nous souvenons avoir cité le Souverain de la Loi, au début du cours, disant, à propos du « big bang » : « Je ne pense pas, toutefois, que l’on puisse ponctuer le début du temps ». Dès lors, que pouvons nous penser d’un concept tel « le début de l’origine du passé long et étendu » ? Le Souverain de la Loi enseigne : « La source même du bouddhisme se trouve dans l’expression « le début de l’origine lointaine et étendue ». L’expression « début de l’origine » laisse supposer l’existence d’un commencement. Or, en fait, le début de l’origine contient la substance de la Loi sans commencement ni fin. Autrement dit, dans la présence permanente du corps et de l’esprit du monde des phénomènes résident, tels quels, les dix mondes présents à l’origine. Dès lors, lorsque la Une pensée s’ouvre à la véritable substance, Nam Myoho Renge Kyo, celle-ci traverse alors le passé et le futur sans commencement ni fin ». En d’autres termes, « le début de l’origine lointaine et étendue » n’est pas quelque chose qui relève du temps et de l’espace, mais de la qualité, c’est-à-dire de l’état. Le début de l’origine lointaine et étendue est une qualité. Pourquoi ? Parce que le temps et l’espace sont des qualités, de l’enfer à l’éveil ultime. Et la durée de la vie des êtres dans les six voies, qui naissent et meurent continûment, avec un monde, un espace, et un corps donnés, est également une qualité : leur état intrinsèque. Dans cette logique nous renversons donc les notions usuelles de temps et d’espace au profit de celle de qualité de l’état, d’où naissent le temps et l’espace.
Dans le chapitre Durée de la vie nous lisons : « Vous devez croire et comprendre les paroles sincères et véridiques de l’Ainsi-venant ».
Je vous remercie de votre attention.