Cours n°5

 

L’enseignement du Bouddha Originel

Les huit conceptions erronées

 

Dans le bouddhisme, l’appellation « voies extérieures », qualifie tout ce qui est extérieur au bouddhisme. Il s’agit donc de toutes les philosophies et religions de par le monde. Dans son « Traité qui ouvre les yeux » le Daishonin enseigne : «  Bons ou mauvais, les enseignements des voies extérieures ne permettent à aucun d’entre les disciples de s’éloigner des vies et des morts. S’ils suivent un bon maître, ils tombent après deux ou trois vies dans les mauvaises voies, s’ils suivent un mauvais maître, ils tombent dans les mauvaises voies dès la vie suivante ». Autrement dit, que l’enseignement soit bon ou mauvais, hors la voie du Bouddha il n’est pas d’issue. Tout retombe toujours dans la souffrance, l’animalité, l’avidité et l’ignorance.

« Finalement, les enseignements des voies extérieures ne permettent pas de s’extraire des six voies de l’illusion que sont l’enfer, l’animalité, l’avidité, la colère, la tranquillité et la joie temporaire » déclare le Souverain de la Loi. Cela signifie que tout ce qui est issu de l’esprit des êtres dans les six premières voies, telles les philosophies et les religions, ne peut mener ceux qui les suivent qu’à la qualité de vie de leur auteur. Partant des six voies, tout y retourne. Les états les plus élevés des six voies sont l’état de tranquillité et celui de ciel, qui est un état de joie provisoire où, dans ses niveaux les plus élevés, l’on exerce une autorité sur un grand nombre. Et ces deux états sont considérés comme étant le sommet de la condition humaine, tant par ceux qui fondent une doctrine que par ceux qui la suivent. « Seul le fait que ces enseignements ne sont pas fondés sur la loi de causalité correcte, les rend imparfaits » dit-il également. Par exemple, « croire en l’existence d’un dieu situé hors de la causalité, s’opposant ainsi au principe de l’effet résultant d’une cause, provoque une compréhension fantaisiste et déformée de la religion et du monde... En ce point réside l’erreur de considérer comme cause ce qui n’en est pas une, autrement dit de s’attacher à une cause qui ne mène pas à l’éveil en croyant qu’elle y mène ». En somme, tous les êtres vont dans le sens de chercher une cause produisant l’effet le plus élevé mais, comme ce qu’ils appellent cause n’est qu’un effet, leur démarche reste vaine. Tout ne fait, en somme, que rester dans les six voies, même si la prétention des philosophes et autres religieux est grande, et leur orgueil sans limite.

Le Souverain de la Loi a déclaré : «  La particularité des êtres du monde des désirs, c’est-à-dire nous, se résume à un mot : l’égo, qui est recouvert par l’obscurité fondamentale. L’intégralité des êtres plongés dans les six voies, en proie à cet égo, s’obstinent dans leur position et luttent mutuellement. Dès lors, en l’absence de solutions vis-à-vis de l’égo, les conflits et les luttes se produisant en ce monde n’auront de cesse… Toute individualité de l’ensemble des êtres en ce monde, jusqu’à chacun d’entre nous, possède cet égo auquel il s’attache opiniâtrement. La solution à l’égo réside dans la connaissance des relations de cause, condition, effet et rétribution, non seulement au sein des six voies mais également dans les quatre voies saintes ». Autrement dit, si nous, qui pratiquons, pouvons réaliser que ce que nous sommes ne résulte à chaque instant que de causes et de conditions, qu’on ne peut jamais le percevoir, et qu’en fait tout apparaît en tant qu’effet et rétribution, si nous pouvons nous mettre dans la tête qu’il n’y a pas lieu là de glorifier un petit « je » dressé sur ses ergots, nous pouvons déjà nous désaccoupler de ce sentiment puissant du « moi » qui renaît sans cesse. En effet, il n’est pas une forme qui ne s’exprime en hurlant « je ». Il nous faut parvenir à comprendre cet ensemble cause/condition, et à réaliser que ce n’est jamais visible, que ce n’est jamais dans le monde, mais qu’il n’apparaît toujours qu’en termes d’effets et de rétributions. L’effet étant la Une pensée momentanée, « j’aime », « j’aime pas », « chaud », « froid », « peur », « triste », et la rétribution étant globalement le « monde » dont la Une pensée émerge. Non seulement chaque être existe en tant que rétribution, c’est-à-dire que sa pensée momentanée est celle de l’enfer, de l’avidité, et ainsi de suite jusqu’à la tranquillité et au ciel, mais en outre l’ensemble du monde phénoménal, à commencer par son propre corps et son environnement, sont toujours la rétribution des actes depuis une infinité. Dès lors, écrasé par une pensé dont il n’est pas le maître, puisque c’est un effet dont il n’est pas la cause, et « jeté » dans un « monde » qui a une couleur unique pour lui et qui paraît pourtant être le « même » pour tous, l’être n’a pas d’issue. Donc, pour l’humain, rien ne peut exister en tant que cause lui permettant de l’extraire de ce maelström où la pensée s’impose, où le « monde » s’impose, et où il n’est pas de point d’appui, d’axe lui permettant de se modifier. On peut, certes, croire être « cause » ou l’espérer, mais cela n’existe pas.

Brigitte : C’est le cycle des six voies.

Exactement. Celui dont Shakyamuni dit qu’on ne peut en découvrir l’origine !

« Les voies extérieures, ne résolvant pas l’existence du moi de chaque individu, qui est la cause fondamentale de la souffrance, débouchent nécessairement et immanquablement sur une impasse ». Le Souverain de la Loi déclare encore : « Tous les êtres sont prisonniers de l’idée de leur existence. Là déjà réside la cause fondamentale de leurs souffrances… Nous n’existons que par l’association de causes et de conditions. Le fait de la nécessaire présence de causes et de conditions fait de notre existence un moment éphémère ». Et, pour dire le vrai, tout est carrément instantané et les causes conditions sont toujours immédiatement « antérieures » au surgissement momentané du réel. Ce qu’on nomme le « karma », c’est-à-dire la cause, ou les « actes » antérieurs introduisant « l’acte » présent, et les conditions, ne sont en fait qu’une seule et même chose que ne pouvons voir. En effet, ce dont tout jaillit à chaque instant est une « antériorité » qui n’est pas dans le temps. Comme le disait Schopenhauer, le noyau de notre être n’est pas dans le temps. Et pourtant, en tant qu’effet momentané, il y a bien le sentiment d’un « je » qui perdure.

Michèle : Dans d’autres cours tu évoquais un « vouloir voir ».

C’est ça. Ce qui apparaît, pour un sujet donné, est toujours l’expression d’un « vouloir voir » antérieur. On peut appeler « cause/condition » ce vouloir être, ce vouloir voir ou ce vouloir sentir qui montre un monde de l’enfer, de la tranquillité … Le Daishonin enseigne que ni l’esprit ni les mots ne peuvent y atteindre. La raison en est que l’objet de la conscience en résulte. C’est un effet, et les mots, qui en sont la transposition, sont encore plus tardifs. Seule l’interaction corps/environnement est le présent, la conscience est le passé immédiat du réel.

Jean-claude : L’objet de la conscience a toujours un train de retard, et les mots encore plus.

Il faut être réaliste !

« Seule la réunion des causes et des conditions fait l’existence présente. Or, lorsque la cause/condition de la vie arrive à son terme, ce sera la mort dans le registre humain » dit le Souverain de la Loi. Cela signifie que nous, humains, verront qu’il y avait et qu’il n’y a plus telle ou telle existence, mais ce n’est le propre que de notre registre perceptif. Nous ne voyons jamais que la mort de « l’autre ». Alain a dit fort justement que l’angoisse de la mort est une angoisse de l’imagination. « Il y a peut-être parmi vous des gens qui ont la conception selon laquelle, au moment de la mort, rien ne subsiste de nous. C’est une erreur. La souffrance ou le bonheur perdure irrémédiablement en fonction des causes, des conditions et du karma. Cependant cela ne perdure pas en fonction du moi ». C’est-à-dire que quelque soit le vouloir conscient de faire ceci ou de faire cela, ce qui perdure de notre vie ne dépend pas de ce petit moi. Pourquoi ? Parce que le moi, qui est un phénomène instantané et protéiforme, « j’aime ceci », « je n’aime plus cela », « je suis bien ici », « j’irais mieux là-bas », qui prend à chaque instant le nouvel objet d’identification qui s’impose, ce moi n’est rien vis-à-vis du flux qui constitue l’individu et son environnement à chaque instant. Ce flux, qui n’a pas d’origine, est la pensée, le corps et l’intégralité de l’environnement du sujet. Dès lors, le petit moi qui gigote au-dessus de tout ça, telle une balle de ping-pong sur des flots déchaînés, s’identifiant à tel objet qui s’impose, puis immédiatement après à tel autre, est absolument sans arme pour orienter un flux dont il n’est que l’effet instantané. Ce n’est donc jamais en fonction du moi que la vie peut s’orienter vers le bonheur. Si la vie se modifiait en fonction du moi tout le monde serait top bonheur. Or… En réalité, le moi n’est pas décisionnaire. C’est tout ce flux que nous ne voyons jamais et que le bouddhisme nomme « rétribution des actes », depuis l’infinité.

Brigitte : S’il suffisait de dire « je veux être heureux » pour l’être !

Ben oui ! Tout le monde serait blonde, avec les yeux bleus et un petit cul !

L’aspect erroné de cette conception des choses est qu’il y a une ignorance grave de la causalité. « Or, en chaque chose existe immanquablement une cause entraînant forcément un effet. De plus, dans cette Loi immuable, il y a immanquablement les conditions et la rétribution. Donc, les causes, conditions, effets et rétributions représentent le point le plus important pour l’être humain, dans le fait même qu’il vive…. C’est pourquoi lors du Gongyo vous lisez « ce qui signifie que pour tous les phénomènes ainsi est l’aspect, ainsi est la nature, ainsi est la corporéité,.. ». Si l’on ne comprend pas fondamentalement ce principe on ne peut rien comprendre à la logique de la vie en tant qu’être humain ». C’est à nous de réaliser, en pratiquant et en étudiant, d’où viennent ces causes/conditions, et d’admettre qu’il n’y a pas d’issue dans la logique, ni dans le raisonnement, ni dans le travail de la pensée en général car celle-ci n’est qu’un effet. La pensée ne sert qu’à distinguer la porte de toilettes de celle du frigo.

Nancy : C’est déjà pas mal !

C’est vrai que c’est utile pour vivre en tant qu’humain, mais pour le reste…

Le Souverain de la Loi affirme encore : « Lorsqu’on tombe dans la souffrance on cherche à qui en vouloir. Mais pratiquement personne ne s’en veut à lui-même. Tout le monde reporte la cause à l’extérieur de lui-même. Il s’agit là d’une profonde erreur. Je suppose que vous, qui récitez Daimoku, vous en avez conscience. Dès lors, ou se trouve l’erreur en nous ? Mais si vous récitez avec foi Nam Myoho Renge Kyo vous le comprendrez immanquablement. C’est une évidence, même en partant de la logique du bouddhisme de la période de la fin de la Loi ». Cela signifie que même si l’on prend la logique de l’enseignement du Bouddha Originel, qui affirme qu’il n’y a pas de linéarité temporelle, qu’il n’y a pas de linéarité causale, que tout est « à l’origine », sans espace et sans temps en soi, ce qui est la vie de chacun n’est que lui et provient de lui. En quittant cette logique linéaire, qui semble flatter celle de l’humain, il apparaît que l’étant est absolu, inconditionné et existant par lui-même. Jamais un phénomène ne peut être fait par les circonstances. Comme l’assène Nietzsche : « Il est impossible que les phénomènes puissent être des causes ».

Alors que nous disions au début que les causes/conditions font la personne, ce qui pouvait entraîner une lecture selon laquelle la pensée et le corps étaient le jouet de circonstances « extérieures », dans l’enseignement définitif ce tissu circonstanciel s’étendant à tout est la personne. En cela chaque phénomène est individualisé et absolu. Jamais quelque chose n’est engendré par quelque chose d’autre. Le vénéré Shakyamuni a affirmé : « Des phénomènes se produisent, mais il n’y a pas d’acteurs ».

Jean-Denis : C’est la différence entre la logique de l’interdépendance des tibétains et la non dualité être/environnement de l’enseignement définitif.

Certes ! Si l’on considère sérieusement l’instantanéité des choses, et bien dans cette instantanéité, qui n’a pas d’épaisseur, l’ensemble infini des phénomènes est un corps unique. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’on obtient l’éveil, on réalise que l’on est l’infinité phénoménale. Il n’y a donc pas, en réalité, de séparation entre moi et ce qui n’est pas moi. Dans l’instantanéité, dans la mesure où tout est à l’origine, tout n’est qu’un corps unique, c’est ce que le Bouddha nommera Corps de la Loi. Nous sommes issus, à chaque instant, d’un corps unique où nous retournons dans le même instant. Notre réalité profonde s’étend donc à tout ce que nous percevons comme n’étant pas nous-mêmes. La souffrance des six voies provient alors du fait qu’on se sent « dans » un monde qui nous apparaît « extérieur », dans une société, dans un univers. Or, c’est faux.

Michèle : Pourquoi tu parlais d’un « vouloir voir » puisqu’on est issu de quelque chose qui n’est pas nous-mêmes ?

Non ! C’est le contraire ! Tout est nous-mêmes ! Mais le moment de l’efficience, qui n’a pas de durée, est nécessairement l’expression d’une singularité. Et toutes les singularités instantanées sont uniques. « L’instant est l’apparition de la nature propre périssant immédiatement » disait Vasubandhu. Et le moi profond, permanent, est « antérieur » à l’apparition de la nature propre. L’instant est l’apparition d’une forme/pensée singularisée, jaillissant d’une infinité qui n’est autre qu’elle-même. « Un phénomène contient tout les phénomènes ». Mais avec nos yeux nous serons naturellement enclins à penser que tel phénomène est petit, insignifiant, trop jeune, trop vieux, trop grand, malade, impur, etc.. Nous ne percevons jamais l’en soi du phénomène. Le Bouddha, par contre, perçoit l’en soi de l’infinité phénoménale et peut ainsi affirmer : « Un phénomène contient tout les phénomènes ».

Brigitte : Nous, nous ne pouvons que le croire.

Yes. Et nous y éveiller.

Le Souverain de la Loi a enseigné : « Mesdames et Messieurs, vous considérez votre existence en terme d’être, c’est-à-dire que vous pensez exister en ce monde. Cependant, si l’on considère cette existence du point de vue du principe véritable, il ne s’agit pas d’être, mais de provisoire. En effet, chaque chose, chaque phénomène qui existe, apparaît de manière provisoire en fonction de causes et de conditions. C’est pourquoi tous les phénomènes revêtent l’aspect du provisoire. Par ailleurs, ce principe véritable implique l’existence simultanée de la vacuité, de la conditionnalité et de la voie du milieu… Si l’on n’arrive pas à comprendre la vacuité, la conditionnalité et la voie du milieu, on ne peut jamais se libérer réellement de l’emprise du moi ». Cela signifie que tout est toujours conditionnel puisqu’il faut la réunion d’une infinité pour constituer une structure provisoire. Il y a donc des conditions qui sont « utilisées ». Ensuite, tout est toujours vacuité parce que cette réunion provisoire repose sur une infinité de possibles. C’est-à-dire qu’il n’y a aucune restriction quant à la possibilité du changement de la forme/pensée. Il y a donc nécessairement une infinité de richesses inhérentes à la chose conditionnée. Et enfin tout est toujours la voie du milieu car la forme/pensée provisoire est toujours achevée et ne peut ni apparaître ni disparaître. Le corps, l’environnement et la pensée momentanés sont permanents. En cela, à chaque instant, cette réunion provisoire de conditions, sur une base infinie de possibles, est toujours ce « vouloir être » inconscient immédiatement antérieur à l’apparition de la forme/pensée singulière. Il s’agit de la présence.

Le Daishonin a écrit : « Renge signifie la simultanéité de la cause et de l’effet, cela signifie également l’unité de la cause et de l’effet ». Cette unité de la cause et de l’effet est le Un de la présence momentanée. Cette Une pensée inhérente à la présence instantanée est l’unité de la cause et de l’effet. C’est également la simultanéité de la cause et de l’effet. Ceci caractérise tout phénomène. La présence momentanée du corps et de l’esprit, la Une pensée en somme, qui est l’aboutissement des rétributions « depuis » l’infinité, ne peut ni apparaître ni disparaître. Pour affiner un peu plus, à vrai dire, elle n’est pas dans le temps.

Tout montre des différences. Il n’y a pas deux phénomènes identiques, chacun d’entre eux est singulier et ne peut être identique à lui-même dans le temps. A ne peut être identique à A. La personnalité, ce qui distingue un être d’un autre, est éternelle.

Brigitte : Et toutes les conditions qui lui permettent de changer ?

C’est la personnalité elle-même. Toutes les conditions dont l’être semble émerger, différent à chaque instant, sont lui-même. Les conditions ne sont pas autres que lui. C’est le principe de la non dualité de l’être et de l’environnement. En outre, les causes et les conditions ne sont pas deux non plus. Ceci est inconcevable pour nos petits cerveaux.

Michèle : Les conditions ce sont les phénomènes ?

C’est ça. Il s’agit de l’inconcevable causalité qui agence à chaque instant les cinq éléments que sont l’eau, la terre, le feu, le vent et l’espace.

Brigitte : Ce qui compose les milliards de phénomènes partout, tout le temps, et à chaque instant.

Imaginez que nous tendions un drap, à quatre, en prenant chacun un coin, et que nous placions une bille de plomb dessus. A l’endroit où elle se stabilise les fibres vont marquer une forme en creux, c’est le phénomène, mais en fait toutes les fibres vont être orientées par la présence, vont permettre la présence. Toutes proportions gardées il en va de même, surtout si l’on considère que le drap s’étend à tout dans toutes les directions. Une structure provisoire, un corps, utilise une infinité de conditions qui sont « orientées » pour son apparition. Chaque phénomène est comme cela par rapport à tous les autres phénomènes. Parce que ce n’est pas deux ou, plus exactement, parce que l’unité est la multiplicité. Le lieu que la bille informe n’est pas autre que les fibres.

Nancy : Et les clones.

Ah ! Le mythe de l’identité ! C’est une plaisanterie. C’est de l’infantilisme. Cela n’a pas de sens. C’est une « logique » de myope.

Brigitte : Tous les phénomènes sont de connivence avec tous les phénomènes, dans la singularité.

C’est cela même. Les textes anciens disaient que les phénomènes sont en appui les uns sur les autres. Cela signifie qu’il ne peut se faire qu’un phénomène influence un autre phénomène. Cela n’existe pas. Tous se servent mutuellement les uns des autres pour montrer ce qu’ils sont à chaque instant. Mais il n’y a jamais d’incidence du mouvement ou de l’action de l’un sur l’autre. Jamais personne ne meurt noyé à cause de .. Cela n’existe pas.

Brigitte : Chaque phénomène est absolu.

Voilà. Un phénomène ne peut dépendre des conditions, parce qu’il est les conditions. C’est son mouvement à lui, sa manière singulière de changer. Il n’y a pas, là, d’hétérogénéité. Ni d’altérité. C’est ce que dit le Bouddha.

Jean-Denis : Dès lors, il n’est pas d’interdépendance des phénomènes au sens classique.

Plutôt une fusion. Parce que dans l’instantanéité des choses il n’y a qu’un corps unique. Le Souverain de la Loi déclarait, à propos du Corps de la Loi : « ou que vous alliez, vous êtes dedans ». Comme le disait Schopenhauer : «  On ne peut pas plus tomber hors de l’existence qu’on ne peut tomber hors de l’espace ». Ce qui est très beau. De la même manière on ne peut tomber hors du Corps de la Loi puisque c’est tout.

Concernant la sagesse du Bouddha le Daishonin a écrit : «  C’est réaliser l’effet des dix ainsi de l’aspect réel, comme étant la substance fondamentale de la Loi ». Que le corps, l’esprit et le reste apparaissent en tant qu’effet, que tout apparaisse en tant qu’effet et que rien ne puisse jamais être « cause », est la substance fondamentale de la Loi. Il s’agit bien sûr de la simultanéité de la cause et de l’effet. Telle est la sagesse du Bouddha.

Nancy : Ah !

Le Souverain de la Loi a déclaré : « Tous les saints se sont éveillés en rejetant la vie qu’ils subissaient depuis un passé infini ». L’éveil, c’est réaliser que nous n’avons jamais été l’acteur de notre existence. Nous lisons, dans les sutra de la sagesse : « On dit bodhisattva en raison de l’inexistence de l’être, et de l’annulation de la notion d’être vivant. Le monde des êtres est une expression pour l’absence d’être, parce que le monde des êtres n’existe pas.

Il n’existe pas d’être vivant dans l’être vivant ». Cela signifie que rien, dans les six voies, ne possède le principe de son existence. Tout apparaît en tant qu’effet. Et les êtres survivent en se débattant pour gagner de l’argent, pour guérir, pour obtenir ceci ou cela sous prétexte que cela leur semble indispensable. Or, tout leur est imposé et, en réalité, seul leur propre éveil est indispensable. Jamais il n’y a eu un acte, en tant que cause, sous le ciel. Ce n’est qu’une vue humaine. Nous venons de le citer, il convient de : « s’éveiller à l’effet des dix ainsi ».

Brigitte : Alors, ce n’est pas la peine de s’emmerder.

Il est vrai que penser ne sert à rien. Ce n’est pas un acte. Penser en courant dans tous les sens ne sert de rien. « Car l’irrésolution guide, dans leur poitrine, une pensée errante ; ils se laissent emporter, à la fois sourds et aveugles, stupéfaits … » disait Parménide.

Jean-Denis : On ne peut pas sortir de ce que nous sommes par la réflexion.

Non. Par contre on peut s’éveiller.

Brigitte : Oui, hors la pratique, qu’on fasse ceci ou cela…

Comme nous le disions tout à l’heure, ce n’est pas le moi qui est décisionnaire. Ce n’est qu’un épiphénomène. L’objet momentané de la pensée, qui est un effet, ne peut diriger ce flux insondable qui s’étend à tout et dont il provient, à l’origine. La pensée, le corps et l’environnement sans limite sont ce flux immobile. Le moi, là, n’est rien. C’est le passé immédiat de notre aspect réel. Le Daishonin a déclaré : « Le passé infini est l’originel, le présent est l’éphémère ».

Hors le monde du Bouddha, qu’a donc dit Parménide ? : « De la manière dont à chaque fois la divinité tient le mélange des membres aux courbes nombreuses, ainsi la pensée se présente aux hommes. Car c’est un même se dont s’avise la nature des membres pour tous les hommes, car ce qui prédomine est pensée ». Ce qui, à chaque instant, organise le corps et sa gestuelle particulière dans son environnement va se traduire par ce que l’on peut nommer l’objet de la pensée, ou, plus simplement, la pensée. Autrement dit, la pensée vient du corps, c’est une traduction tardive de la relation corps/environnement. La pensée n’est donc jamais un acte. En outre, le rapport corps/environnement, instantané, est le seul présent qui soit, et la traduction en un objet mental est le passé de l’aspect réel de l’individu. Et pourtant, tout le monde se dit « c’est moi qui pense ça »! « C’est une action, de ma part, que de penser » ! Ce qui est bien présomptueux. Shakyamuni disait : « ‘Je pense’ est une idée fausse et une présomption ». Seul un paltoquet peut déclarer : « Je pense, donc … ». On peut s’en rendre compte, par exemple, lorsqu’on est obnubilé par une marée d’idées noires, ou par une passion amoureuse. Le flux d’idées qui nous envahit est irrépressible, c’est comme ça, on ne peut s’y soustraire par un acte de « volonté ». Et cela ne vient toujours que de la relation momentanée corps/environnement. Ce n’est pas la conséquence d’une décision telle : « Je vais me sentir amoureuse de dix heures à onze heures et demi, après j’ai autre chose à faire », ou encore : « Tiens je vais flipper grave pendant une heure…

Brigitte : Après je vais à la plage, tranquille.

Rires.

Bien sûr, cela vous fait rigoler. Vous trouvez ça comique. Mais les êtres sont malgré cela certains d’être les auteurs de leur pensée, d’être décisionnaires. L’humain est puéril disait Shakyamuni.

Nous l’avons déjà évoqué, les motifs de l’apparition d’une pensée sont toujours postérieurs à cette pensée, et non pas antérieurs. C’est une tromperie, une reconstruction, que de croire que des pensées naissent de motifs. De même, se dire : « J’ai fait ceci parce que j’ai pensé que.. » est une illusion. L’acte s’impose, circonstanciel, et les justificatifs suivent. Qui plus est, le Daishonin a écrit : « Bien que l’objectivité et la subjectivité soient une dualité, la non dualité de l’objectivité et de la subjectivité est le témoignage intérieur (de l’éveillé) ». On ne voit donc jamais autre chose que ce que le corps nous impose. Tout est donc éminemment subjectif.

Jean-Denis : C’est ce que représentent les Bouddha Shakyamuni et Taho sur le Honzon.

C’est cela. Shakyamuni représente la sagesse du Bouddha, et donc l’aspect subjectif, alors que Taho représente les multiples phénomènes, c’est-à-dire l’objectivité. Il s’agit alors, dans le Honzon, de la fusion du sujet et du principe observé, ou de l’objet. Et si, d’un coté nous avons la fusion de la sagesse et de l’en soi des multiples phénomènes, nous avons, de l’autre coté, chez l’humain, une non dualité du sujet percevant et de l’objet perçu. C’est l’illusion de la dualité : moi et ce qui ne l’est pas. Dès lors, avant même d’envisager que l’on puisse fusionner avec l’en soi de l’infinité phénoménale, il nous faut déjà nous départir de la projection de notre propre corps sur les choses. Ce qui n’est pas vraiment humain. Cependant, ne pas rester bloqué sur des sentiments tels que « je vois ceci, les choses sont comme ça » constitue le premier pas. Parce que, comprenez bien que les kangourous et les sauterelles voient également des choses qui leur semblent vraies et pour lesquelles ils sont, par groupe d’affinité, d’accord. Nous ne sommes pas mieux placés, pour juger du vrai, que les lézards. Il n’est pas d’objectivité, à strictement parler, en tant qu’humain. Je passe sur les concepts d’abrutis tels « réal politique, pragmatisme, sécurité, réalisme, temps réel, solennité… » et autres. Ce ne sont que des mots sans substance.

Dans notre école, « Le véritable aspect des phénomènes est situé avant le discernement ou la différenciation des phénomènes ». Ce qui signifie que l’aspect réel de notre vie est toujours antérieur au fait de percevoir, d’entendre, ou d’avoir un objet dans la conscience. Percevoir, entendre, avoir un objet dans la conscience est nécessairement un effet circonstanciel dont nous ne sommes nullement maître. L’aspect réel est toujours « antérieur » à l’effet qu’il produit, c’est lui qui engendre l’intégralité phénoménale que nous percevrons comme un sujet dans un environnement.

Brigitte : C’est la pensée qui nous empêchent de le voir.

Ah oui ! Bien sur, la pensée va se croire « dans le présent » et au milieu d’un environnement qui n’est pas elle. Ce qui induit l’avidité, l’animalité, la colère et ainsi de suite.

Brigitte : Quelque part le je c’est l’attachement au corps, idem pour les animaux.

Le Daishonin dit que : « le lépreux redoute la mort, que la vache a peur du feu », tout ce qui est hurle « Je ».

Passons maintenant aux choses sérieuses : les huit conceptions erronées. Dans le chapitre Durée de la vie Shakyamuni enseigne : « C’est pour sauver les êtres qu’en manière d’expédients je montre le nirvana, alors qu’en réalité je ne suis pas passé en disparition et demeure ici, en permanence, à prêcher la Loi… Je demeure ici constamment, mais grâce à la force de mes pouvoirs divins je fais en sorte que les êtres aux conceptions erronées, bien que je sois proche, ne me voient pas ». Le Bouddha montre donc sa naissance et sa mort mais, en réalité, il n’en est rien. Il montre également aux êtres aux conceptions erronées qu’il n’est pas en ce monde, alors qu’il y demeure en permanence et qu’il enseigne la Loi.

Concernant les êtres aux conceptions erronées il est dit : « Ce sont les gens qui s’attachent à des chimères, à des absurdités et à des mensonges... En fait, les êtres s’illusionnent sur leur nature, et en raison de leur vues chimériques ils s’illusionnent sur le principe de la vérité objective ». Il y a quatre conceptions erronées, entraînant les souffrances, et à ces quatre conceptions erronées se rajoutent quatre autres, ce qui fait donc huit conceptions erronées qui constituent la base de la souffrance des êtres. Cela concerne les êtres hors de la voie bouddhique, et également ceux dans la voie bouddhique. Les quatre premières concernent les non bouddhistes, et les quatre autres les bouddhistes.

Les quatre premières causes de souffrance…

Nancy : Hors du bouddhisme ?

Oui, les plus petites, celles que la pratique de la voie peut trancher. Le hinayana et le mahayana provisoire, par exemple, le peuvent. Mais ces quatre premières conceptions sont le lot commun des êtres et la cause de leurs multiples souffrances. « Ces quatre conceptions erronées sont énoncées par les voies extérieures, qui sont ignorantes de la notion de cause et de condition du bouddhisme. Premièrement, il y a la pensée illusoire de considérer comme permanentes la vie humaine ainsi que les vicissitudes de la société ». Le Souverain de la Loi déclare donc que considérer la vie humaine et les vicissitudes de la société comme permanentes entraîne des souffrances. Or, tout le monde sait bien qu’il « dure », qu’il est « lui-même », « hier j’étais là-bas, demain je reviens ici », et s’il y a bien une chose qui s’impose, malgré de petits changements, c’est le sentiment de permanence de sa propre existence. Quant à la société, le monde dans lequel on est « immergé », ce qui vient à l’esprit c’est également qu’il est permanent. On peut déplorer certains aspects du « monde », penser qu’il devrait plutôt être comme ceci ou comme cela, penser qu’il se détériore ou s’améliore, il est là. Ces deux vues de la permanence : ma vie, le monde, s’imposent à tout un chacun comme étant vraies. Le mari qui part le matin et dit à sa femme : « Je rentre vers vingt heures ma chérie » n’entend pas en réponse : « C’est qui, je ? ». Tout le monde sait qui il est, et où il est. C’est pourtant la première conception erronée : permanence du moi et du monde. Soulignons en outre que le sentiment d’être plongé dans un « monde » est une idée fallacieuse. En effet, si tout est instantané on est jamais plongé dans quelque chose de pré-existant.

Jean-Denis : C’est concomitant.

On peut le dire, mais concomitant implique deux ou plus. Or c’est un. Si tout est instantané on est jamais dans quelque chose d’extérieur. Ce n’est pas tant qu’on participe de quelque chose de vaste, nous sommes le vaste.

La seconde conception erronée est « prendre la souffrance pour de la joie ». Cela désigne toutes les pensées et activités des êtres des six premières voies. En effet, les êtres se jettent sur ce qu’ils appellent des plaisirs, des joies, des composants du bonheur, mais toutes ces choses disparaissent avec le temps et les laissent en proie à un égo obsédant et à l’insatisfaction. Tous les désirs des êtres des six voies ne font que surajouter le malheur au malheur. Arriver à quelque chose, perpétuer son nom, obtenir ou garder le pouvoir, la renommée, tout cela est vain. Tout ce que les êtres envisagent en terme de plaisir ou de joie, le Bouddha le voit comme de la souffrance.

Jean-Denis : Cela ne fait que conforter le moi.

Exactement, or, il n’y a pas. C’est donc une cause de souffrance.

La troisième conception erronée est de croire pur ce qui est impur. Cela signifie que les êtres s’illusionnent en croyant pur tout ce qu’ils pensent ou font, car chacun est sûr d’avoir de bonnes raisons d’avoir pensé ou agi comme il l’a fait. Cela s’applique à tous. En effet, bien que les actes des êtres aillent dans tous les sens à chaque instant, chacun peut justifier de ses pensées ou de ses actes parce qu’il est Lui. Et en cela chacun est persuadé d’avoir agi au mieux parce qu’il « n’avait pas le choix ». Tous les êtres vivent donc avec un sentiment de pureté relatif à leurs pensées ou à leurs actes. Combien de personnes enterre-t-on qui sont mortes en étant sûres d’avoir bien agi ? Combien se sont dit avant de mourir : « Le monde est méchant », « Ah ! si on m’avait écouté », ou « Après tous les efforts que j’ai faits », ou encore « Personne ne m’aime », tous estiment avoir agi dans la pureté, tous estiment qu’ils sont normaux, qu’ils sont « biens ». C’est croire pur ce qui est impur.

Enfin, la quatrième conception erronée c’est de s’attacher au moi alors qu’il y a absence de moi. S’attacher à quelque chose qui n’existe pas, c’est se casser la gueule. Shakyamuni a enseigné, à propos des non pratiquants de la voie : « Ainsi ces êtres sans sagesse pensent, et ils se disent : Ai-je existé dans le passé ou n’ai-je pas existé dans le passé, qu’ai-je été dans le passé, qu’est ce que ayant été antérieurement j’ai été dans le passé, ou alors ils se disent : serais-je dans le futur, ne serais-je pas dans le futur, que serais-je dans le futur, ou alors ils se disent : suis-je, ne suis-je pas, que suis-je, cet être d’où est-il venu. Ceci, Oh moines, est appelé spéculations, jungle d’opinions, perversions d’opinions, liens d’opinions. Mon disciple, ne pensant pas ainsi, l’illusion du moi, ce lien, se détache ».

Shakyamuni dit encore : « Toutes ces idées diverses relatives à la théorie du moi, ou à la théorie du monde, le disciple les abandonne. Il se dit : ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon égo ». Il apparaît donc que, dès le début de son enseignement, Shakyamuni réfute le moi et le monde en tant qu’existants. « Ayant arraché le penchant pour l’idée fausse et la présomption : Je suis, ayant rejeté l’ignorance et ayant obtenu la connaissance, mon disciple est libéré de la souffrance dans la vie présente » dit-il enfin. Dès le début le « Je suis » est rejeté car il ne naît que des causes et conditions, naissant de causes et de conditions il n’est pas en soi.

Ces quatre premières conceptions erronées, que sont la permanence de la vie humaine et de la société, prendre la souffrance pour de la joie, croire pur ce qui est impur et enfin l’attachement au moi, sont le propre des six premières voies, c’est-à-dire des voies extérieures au bouddhisme. Quant aux disciples qui se sont engagés dans la voie bouddhique, ils ont en principe tranché ces conceptions erronées. Ils ont rejeté la permanence en proclamant l’impermanence de toutes choses, ils ont affirmé que les joies des êtres étaient de la souffrance, ils ont critiqué la pureté en déclarant impurs les actes de la pensée, de la parole et de l’action, et enfin ont nié le moi en démontrant qu’il ne pouvait y en avoir. Le hinayana et le mahayana provisoire ont donc réussi a faire ce travail qui consiste à remettre de l’ordre dans la jungle délétère des pensées humaines.

Pourtant, au vu de l’enseignement définitif du Bouddha Originel, décréter, sur la base d’une bien petite sagesse, l’impermanence, la souffrance, l’impureté et le non moi, revient à s’opposer aux véritables permanence, félicité, pureté et soi du grand véhicule et, en particulier, du sutra du Lotus. Dès lors, les êtres qui ont quitté les six premières voies de l’existence pour pratiquer la voie bouddhique, mais s’attachent à la petite sagesse du hinayana et du mahayana provisoire, s’opposent en fait à l’aspect réel enseigné dans le grand véhicule qui est la permanence, la félicité, la pureté et le soi.

Jean-Denis : On entre dans la voie médiane.

Exactement. Les enseignements provisoires ont fondé leur logique sur la conditionnalité de tout ce qui est et sur la vacuité des choses et des êtres. Mais cela revient à s’opposer au fait que la personnalité, en réalité, ne peut ni apparaître ni disparaître. le Souverain de la Loi affirme en effet : « Ils se font des illusions au sujet des quatre vertus permanentes et immuables du bouddhisme que sont la permanence, la joie, la pureté et le soi qui expliquent l’objet merveilleux de la boddhéité ». Autrement dit, dans l’éveil on réalise que tous les phénomènes ont un soi et sont permanents. Et tous les phénomènes sont potentiellement inondés de joie et de pureté.

Concernant les enseignements provisoires du bouddhisme, qui ont rejeté les quatre premières conceptions erronées, et restent attachés à une petite sagesse le Souverain de la Loi déclare : « Premièrement, c’est considérer comme impermanent ce qui est permanent, deuxièmement prendre la félicité pour de la souffrance, troisièmement croire impur ce qui est pur et, quatrièmement, penser que le soi est non-soi ».

A propos de : « c’est considérer comme impermanent ce qui est permanent », cela signifie que, bien que nous sommes fréquemment abasourdis par l’impermanence des choses et des êtres, le corps et l’esprit ne peuvent ni apparaître ni disparaître. Autrement dit, voir l’impermanence des choses est une vue humaine qui s’oppose à la sagesse du Bouddha. Dans la doctrine de l’école, Kyo est la perfection de la permanence. « Kyo contient les vertus de la permanence. Notre vie change en permanence et, pour finir, nous mourons. C’est la vie et la mort. Mais dans le bouddhisme on explique que la mort donne elle même naissance à la vie suivante. Les autres religions ne saisissent pas ce principe. Les diverses philosophies occidentales ou les universités explorent des philosophies prétentieuses de la vie, sans toutefois pouvoir énoncer clairement le sens de l’existence. Pourtant existe le lien de cause à effet liant le passé au présent, et le présent au futur. On nomme ce lien le karma ». Il y a une permanence absolue du corps et de l’esprit. Les deux phénomènes de l’ « apparition » et de la « disparition » des êtres et des choses sont uniquement une vue humaine. Il en va de même pour l’effort. En effet, dans notre école nous trouvons le concept de non-dualité de l’ascèse et de la nature innée. Cela signifie que, pratiquant la voie, notre nature innée a toujours été de manifester l’éveil en ce monde et d’entraîner une infinité avec nous. Or, nous avons le sentiment d’avoir rencontré le bouddhisme il y a tant de temps, d’avoir pratiqué tant d’années, d’avoir fait tant d’efforts, mais il n’en est rien. « Accepter cette Loi c’est la propager ». Réciter le Daimoku entraîne une infinité, et telle est notre nature propre, à l’origine.

Le deuxième point : « prendre la félicité pour de la souffrance » peut se traiter de la façon suivante. Quand nous pratiquons matin et soir, d’autres font d’autres choses. Nos proches peuvent même se dire, dans leur petite tête : « Pourquoi perd-il son temps depuis des années avec son ascèse. Il devrait plutôt venir avec moi s’éclater en faisant ceci ou cela. Ce n’est pas la peine de pratiquer tant de temps lorsqu’il fait beau ». Vu de l’extérieur pratiquer est une ascèse que l’on s’impose, une souffrance inutile. Certains donc, pratiquants ou non, considèrent la pratique de la voie comme une souffrance. En effet, les êtres, en général, pensent n’avoir pas le temps de pratiquer, ils ont bien d’autres choses importantes à faire plutôt que de pratiquer. Ils sont tellement sûrs de leur moi, sûrs de pouvoir décider des choses, de faire des choix, d’avoir une « volonté » à toute épreuve, que la pratique du bouddhisme leur semble être une béquille dont ils sont fiers de pouvoir se passer par surplus de force. Ce qui est pitoyable.

Nancy : Un groupe de laïcs, exclu de l’école, a récemment réduit drastiquement la pratique du Gongyo quotidien.

C’est un manque patent de bienveillance vis-à-vis de tout ce qui est.

Les êtres prennent donc la félicité, la pratique, pour de la souffrance. Comment la pratique, qui est le comportement du Bouddha, serait-elle de la souffrance ? Dans l’enseignement du Daishonin, le Bouddha Originel est Myoho Renge Kyo. En tant qu’objet, c’est la substance de l’infinité des phénomènes. Namu correspond à prendre refuge, abandonner son moi, retourner sa vie. Dès lors, prononcer Nam Myoho Renge Kyo est la sagesse fusionnant avec l’objet. Le fait de croire et de réciter Nam Myoho Renge Kyo, pour nous humains, équivaut à agir comme si nous possédions la sagesse du Bouddha. Namu équivaut alors à la félicité. En effet, dans la doctrine de l’école Namu est la perfection de la félicité. Le Daishonin a affirmé que : « Réciter Nam Myoho Renge Kyo est La joie parmi les joies ». Il semble, donc, que seule l’agitation de notre esprit nous fasse souffrir.

« Namu signifie retourner sa vie ». Mais l’objet vis-à-vis duquel s’effectue cette prise de refuge est prioritaire. Si on prend refuge dans un objet médiocre la vie devient comme l’objet, c’est-à-dire médiocre. Quoi qu’il en soit, prononcer Namu permet d’effacer son moi. De ce point de vue il s’agit d’une ascèse, surtout pour ceux qui sont encombrés d’un moi tentaculaire et puissant. « Namu possède le sens d’effacer le moi. Autrement dit, le fait de retourner sa vie matin et soir implique de disparaître soi-même vis-à-vis de l’objet de la foi ». Lorsqu’on se consacre matin et soir, en récitant Namu Myoho Renge Kyo, et en essayant de ne pas laisser les pensées qui s’imposent s’installer en notre esprit, on rejette son moi. Il s’agit du rejet de ces récurrences qui nous façonnent depuis un passé infini. Ces suites de mots, de phrases qui montent et s’imposent en nous singularisant sous la forme de préoccupations, d’angoisses, de tiraillements, de certitudes, d’impatiences qui nous façonnent à notre insu peuvent êtres rejetées comme non-moi. La pratique matin et soir est donc le lieu de l’abandon du moi. C’est le moment de rejeter ce moi fugitif et superficiel afin de s’éveiller au fait que le vrai moi est l’intégralité phénoménale. Mais ceci implique donc de disparaître au profit de l’objet, qui est l’éveil. « La détresse, la tristesse, la souffrance et l’ennui proviennent uniquement du fait que l’on est incapable d’effacer son égo et qu’on s’attache à son petit moi » dit le Souverain de la Loi. Or, lorsque l’on est dans la détresse, la tristesse, la souffrance et l’ennui on est absolument persuadé qu’il s’agit d’un acte volontaire, alors qu’en fait nous subissons le flux de pensées. Je n’est pas décisionnaire.

Brigitte : Il en va de même dans la joie.

Yes ! On souffre moins mais il s’agit du même enfermement. Seul l’attachement au petit moi en est responsable. Si on libère notre moi de ces saletés gluantes et récurrentes que nous nommons nos pensées, nous nous éveillons au fait que nous sommes l’infinité phénoménale. La raison en est que nous sommes en permanence.

« Lorsque je récite Daimoku je retourne ma vie au Bouddha. Aussi, quoiqu’il arrive rien ne m’ébranle. Et il en est ainsi pour tout en ce monde. C’est de là qu’apparaît l’état de vie de la véritable sérénité. Lorsqu’on retourne véritablement sa vie on trouve la félicité au sein des quatre vertus de permanence, joie, pureté et soi. » dit-il encore. Namu c’est « tendre son corps et sa vie vers le Bouddha, obéir à l’enseignement du Bouddha, et ramener sa vie et ses racines à l’origine de son cœur ». 

Nancy : C’est beau ça.

N’est-ce pas ? Lorsque l’on pratique en arrivant à ne pas se laisser envahir par ce qui monte d’une manière assourdissante, on ramène sa vie et ses racines à l’origine de notre cœur. C’est-à-dire à ce qui est avant la pensée. Là se situe la grande félicité de la permanence.

« Le mot Namu exprime la véritable félicité. La sérénité, la joie, par rapport à la souffrance, représente la signification de Namu au sein de Nam Myoho Renge Kyo. Lorsque l’on pratique notre vie atteint alors la véritable quiétude ». Dans ces conditions, nous comprenons mieux pourquoi le Souverain de la Loi avait expliqué que pratiquer pour guérir d’une maladie, par exemple, fait quitter la voie correcte.

Nancy : Oui.

Il s’agit de la même idée. Lorsque l’on pratique, c’est pour abandonner son moi. Dès lors, même les souffrances générées par l’image que l’on a de notre maladie doivent être rejetées comme étant non-moi. « Myoho représente la vertu du soi. Vous possédez tous un moi, un petit moi égotique. Ce dernier contient les notions de permanence de la vie, et de l’égoïsme. En fait, beaucoup sont incapables de rejeter leur égo et se rendent ainsi malheureux en raison de leur cupidité, de leur colère et de leur stupidité. Comment faire pour se libérer de cet égo ? En pratiquant, l’égo étroit et petit s’ouvre à son identité avec Myoho ».

Le troisième point : « Croire impur ce qui est pur », il s’agit en fait de la causalité. Dans notre école, la pureté est Renge, il s’agit de la loi merveilleuse, inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet. « Renge exprime la pureté. A la base, nous pouvons considérer que notre vie est souillée. Si nous considérons les choses de ce point de vue, notre corps et notre esprit sont impurs. Pourtant grâce aux œuvres et vertus inconcevables de la simultanéité de la cause e t de l’effet, l’illusion et l’éveil sont également simultanés. Ainsi notre vie impure devient-elle pure ». L’idée que la vie est impure résulte du sentiment d’être dans telle ou telle condition, avec tel age, telle maladie, tel passé. On se voit coincé dans une situation qui fait qu’on ne peut pas faire autrement qu’être ce que l’on est. Telle est la vue humaine, enlisée dans la consécutivité et la linéarité. En réalité, puisque la cause et l’effet sont simultanés, les dix mondes sont présents immanquablement dans tout ce qui est. Ils ne peuvent ni s’effacer, ni disparaître. L’état d’éveil ultime peut donc jaillir de tout existant. Ainsi peut-on donc quitter une vie impure, où nous nous croyons être la conséquence de ceci ou de cela, pas assez de culture, trop con, trop vieux, trop jeune, pour obtenir sur le champ une vie pure où nous sommes à l’origine, en permanence.

Enfin, le quatrième et dernier point : « Penser que le soi est non-soi ».

« Myoho représente la vertu du soi ». Le soi véritable ne peut ni apparaître ni disparaître. Il est antérieur au mouvement phénoménal. Myo signifie la merveille et Ho désigne les phénomènes. Ho, le phénomène singulier, jaillit de la merveille et y retourne dans le même instant. Si le phénomène singulier qui est moi, moi je, moi je, qui jaillit continûment de la merveille, c’est-à-dire de ce qui est immédiatement antérieur à l’infinité phénoménale, si ce « moi je » saute, alors, à ce moment, je réalise que je suis l’infinité phénoménale. Le véritable soi se révèle lorsqu’on s’éveille au fait que nous sommes Myoho, quelle que soient les conditions « objectives » dans lesquelles on se trouve. « Les dix mondes sont dès lors mutuellement présents dans notre propre vie, dans un état de liberté absolue. Autrement dit, lorsque vous récitez le Daimoku avec foi dans Myoho, la substance de la Loi, votre vie devient véritablement la vie de Myoho. Alors apparaissent les magnifiques œuvres et vertus de la perfection du soi, c’est-à-dire la transformation du petit moi en grand soi ».

A propos du concept bouddhique : « Les souffrances des vies et des morts équivalent au nirvana », le Souverain de la Loi enseigne qu’il convient de : « S’éveiller au fait que la substance des vies et des morts n’est ni crée ni détruite ». La naissance et la mort instantanées de tous les phénomènes nous échappent, car nous savons qu’en sept ans l’organisme humain s’est complètement renouvelé, mais on ne voit rien, qu’on perd plusieurs centaines de grammes de peau par mois et qu’on ne voit rien non plus. De même les vies et les morts des milliards de structures et sous structures qui nous façonnent à chaque instant, qui sont « nous-mêmes », nous échappent. Et bien, dans la myopie qui nous caractérise, les vies et morts « visibles » des choses ou des êtres qui semblent apparaître et disparaître n’est qu’un cadre projeté par la condition humaine. Le chapitre Durée de la vie du Lotus enseigne en effet :  « L’aspect du monde est présent en permanence ». La vie et la mort ne sont qu’une fantaisie de l’humain.

Rires dans la salle.

Du reste, si on considère les autres formes d’existence, il semble que les éléphants, par exemple, perçoivent la mort des leurs et sentent approcher leur propre mort, mais il est de nombreuses espèces pour lesquelles la mort n’est pas. Il y a une absolue pérennité de ce qu’ils ont à faire. Un chat n’est pas terrorisé lorsqu’il sent sa mort venir.

Brigitte : C’est vrai. Il n’y a pas de malaise à l’approche de la mort. Il y va.

Ils n’ont pas cette peur de l’abandon du moi qui caractérise l’humain.

Dans l’enseignement du Lotus est révélée la permanence des trois corps du Bouddha. En outre, il est enseigné dans l’école que ces trois corps ne sont « Ni verticaux, ni horizontaux ». Cela signifie que les trois corps du Bouddha sont situés en dehors des linéarités temporelles et spatiales. Le commentaire de ce point enseigne : « Puisque les trois corps du Bouddha sont en dehors du temps et de l’espace, cela signifie que la personnalité de chaque être est également en dehors du temps et de l’espace ». Le temps et l’espace, qui sont des modes de l’intuition selon Kant, ne sont donc que des productions instantanées et variables de la relation corps/environnement du sujet. Mais la personnalité ne peut ni apparaître ni disparaître. Qui plus est : « Les végétaux et le territoire, c’est-à-dire l’infinité environnementale, sont présents dans la substance intérieure de la personne ». Dès lors, ce sont toujours les œuvres et vertus de la personne qui sont perçues comme étant le corps et l’environnement du corps. Autrement dit le corps et l’environnement, qui sont non deux, sont les œuvres et vertus de la personne, et celle-ci ne peut ni apparaître ni disparaître. Ou, si l’on préfère, dans l’instantanéité il n’est qu’un corps unique et permanent.

On peut également dire que, dans l’éveil, le soi véritable et immuable est tout ce qui apparaît comme étant « non-moi ». La véritable personnalité est constituée par tout ce que l’on perçoit comme autre, pas soi, étranger.

Brigitte : Ce qu’on voit comme étant soi est une sélection, en fait.

C’est ça. Nous voyons toujours une dualité. Il en va de même pour ce qu’on va devenir, être vieux ou malade peut nous sembler être autre que « nous-mêmes ». Etre superman sur son cheval, tomber, et se retrouver tétraplégique peut sembler devenir autre que « soi-même ». Or, l’instantanéité de la structure est toujours l’achèvement ultime et complet de son infinité. Il s’agit toujours d’harmonie globale.

Brigitte : C’est pour cela qu’il n’y a pas de disparition. Il y a toujours mouvement, convergence d’une infinité de phénomènes.

Voilà. Réunir et séparer dans l’instantanéité. On croirait entendre Empédocle : « Il n’y a pas de naissance pour aucune des choses mortelles ; il n’y a pas de fin par la mort funeste ; il y a seulement mélange et dissociation des composants du mélange. Naissance n’est qu’un nom donné à ce fait par les hommes ». Le fait de vieillir, par exemple, que la peau se ride ou que les cheveux deviennent blanc est nécessairement dû au fait que rien ne dure à l’identique, que tout est instantané. Il y a donc naissances et morts simultanées d’une structure qui ne peut être absolument identique à elle-même en tous points. Mais nous n’en percevons pas les infimes évolutions. Seuls les gros changements nous sont perceptibles. « Tiens ! T’as pas grossi mon ange ? ». L’instant est toujours le lieu de la réunion et de l’achèvement de ce qui contribue à agencer la structure provisoire. Il s’agit de la présence, permanente. Tout instant est ultime, car il s’agit de la simultanéité de la cause et de l’effet. La cause et l’effet sont Un, c’est le Un de la présence. Il s’agit du corps, de son environnement et de la Une pensée qui en sourde. Ca va ? Pas de suicides dans l’air ?

Jean-Claude : La longévité de chaque dharma, de chaque phénomène est la même ?

Anaxagore a dit que le phénomène est ce qu’on perçoit des choses invisibles. Ce qui apparaît en notre esprit, à nous humain, n’a rien à voir avec l’en soi des choses. Qu’on dise « il est jeune », « il est vieux », « il apparaît », « il n’y a pas », n’a rien à voir avec ce que le phénomène est en lui même puisqu’il s’étend à tout. Le grand Parménide disait : « L’étant touche à l’étant ». Dans la réalité on ne peut donc ni voir apparaître, ni voir disparaître, puisque l’on ne voit rien. On ne fait que voir son corps disait Merleau Ponty.

Jean-Denis : On est comme dans une nuit noire avec une lampe torche. On éclaire seulement une parcelle au détriment de tout le reste.

Qui plus est, avec la lumière d’une torche on ne peut probablement plus voir l’infinité des étoiles qui, elles, brillent. Le phénomène est ce qui nous masque la réalité de la chose. L’aspect inconcevable de la structure provisoire est la réunion momentanée d’une infinité de structures qui coopèrent et dont on dira « cela est ». Mais ce « cela est » qu’on nommera champignon, barbe à papa ou femme, masque le tissu de structures s’étendant à tout dans l’instant.

Brigitte : Ce qui nous égare c’est que nous sommes bloqués par notre corps et sa charpente perceptive. Alors qu’il fait lui-même partie de l’ensemble et y contribue.

Chacun « voit » le monde selon ce que son corps lui impose. Une structure osseuse est achevée, conformément à son « vouloir être », même si elle participe au maintient d’autres structures qu’elle ne « verra » pas du tout, qu’on nommera par exemple un beau mollet, qui lui-même sera fini et achevé, alors même qu’il contribue à d’autres structures plus grandes, et ainsi de suite. De la même manière notre existence momentanée participe à des structures à la fois plus petites et plus vastes qui s’étendent à tout. Par exemple, il ne peut y avoir de guerres et de morts sans la réunion de structures qui aspirent à cet état conflictuel. Parce que c’est leur manière d’être « au mieux ». Mais ce n’est pas visible pour l’humain. Celui qui sort acheter son pain et prend une balle dans la tête n’est pas sorti pour prendre une balle dans la tête. Il participe de l’ensemble parce que c’est son « vouloir » inconscient de perdre les siens, de finir comme cela. Et il continuera à mourir à trente cinq ans avec des croissants dans les mains.

Rires.

Brigitte : Quand tu disais que la personnalité ne peux ni apparaître ni disparaître…

Elle est aussi complète lorsque l’enfant a cinq ans, que lorsque le vieillard est grabataire. C’est la même.

Brigitte :C’est la personnalité qui structure à chaque instant le corps

Le corps et l’environnement. Qui ne sont qu’un. En outre, cela peut être une personnalité dans les six premières voies. Auquel cas rien ne changera. Cela peut également être une personne qui commence à s’engager sur la voie de l’éveil. La Une pensée va donc, elle, pouvoir se modifier. Au sein d’une réalité physique donnée et incontournable, par exemple « j’ai quatre vint dix ans », l’essence de la personnalité, qui est la Une pensée, peut néanmoins s’éveiller sur le champ. Dès lors, bien que l’on dise « personnalité immuable », elle peut l’être dans le cycle sans fin des souffrances répétitives, mais dès qu’elle quitte un peu ce cycle la personne est sur la voie de l’éveil. Elle peut alors s’éveiller sans se retrouver autre qu’elle-même et réaliser ainsi sa permanence. Dans une réponse à un disciple le Daishonin écrit : « Ainsi pourrez vous devenir le Bouddha sans commencement ni fin ». Et ce, quelles que soient les conditions de son existence, que nous désignons par le terme de « rétributions des actes ».

Nancy : C’est pour cela que le suicide est déconseillé ?

C’est l’horreur. On garde le même profil environnemental, plus le geste. Donc c’est moins.

Brigitte : Cela aggrave...

Bien sûr. Mais regardez les Bouddha. Le Bouddha ne meurt pas à cause de conditions qui lui seraient « extérieures ». Il est dit qu’on ne peut tuer un Bouddha. Autrement dit le Bouddha ne peut être atteint par quelque chose qui le ferait mourir. Donc le Bouddha entre dans le nirvana de son plein gré. Il entre de son plein gré au même titre, pourrait-on dire, qu’une personne qui met fin à ses jours. La différence est que l’un meurt pour échapper, croit-il, à des conditions insupportables, alors que l’autre, étant lui-même la totalité du réel, sait qu’il ne peut ni apparaître ni disparaître. Il ne part donc pas en fuyant une réalité. Ayant achevé ce qu’il avait à faire, ayant entraîné avec lui une foule d’êtres dans l’éveil, il entre. Entrer n’est pas mourir. On pourra bien dire « Ah ! Nichiren est mort à cause de son estomac, complètement délabré par tout ce qu’il a subi… », il est en réalité entré le jour où il l’a décidé, après avoir accompli l’inimaginable. Et sans rejeter le monde puisqu’il est l’infinité phénoménale, à l’origine, en permanence.

Brigitte : En fait, pour qu’il y ait personnalité il faut qu’il y ait un corps. Même pour le Bouddha.

Oui, l’école du Tendai avait expliqué que le corps est permanent. Et le Souverain de la Loi a confirmé qu’il n’y a pas d’esprit sans corps ni de corps sans esprit. Chaque instant est constitué de la réunion et de la dispersion.

Brigitte : L’angoisse de la mort c’est alors l’attachement à un corps qui n’est pas durable en soi, à l’identique. C’est s’attacher à une image fausse.

C’est l’attachement à l’idée de l’identité.

Brigitte : Le Bouddha, lui, il choisi d’apparaître et de disparaître de telle ou telle manière, ici ou là.

Oui, car il n’est que la présence. Le nirvana n’est pas l’extinction de l’existence mais l’extinction des souffrances. Mais le Bouddha possède toujours les dix mondes en lui. Avec notre vision linéaire de la réalité il ne nous est pas facile de comprendre, mais les trois corps du Bouddha ne sont ni dans le temps, ni dans l’espace. Par exemple, le Daishonin a expliqué qu’au moment de la mort, la personne qui a pratiqué et propagé la Loi traverse une infinité de mondes, rencontre une infinité d’êtres, leur enseigne la Loi et, dans le même instant reprend un corps. L’infinité des mondes traversés et l’action d’enseigner la Loi à une infinité montre un état de vie qui est la charpente même du corps. Dans l’espace de temps extrêmement bref entre la « mort » et la « naissance », la qualité de vie du Bouddha ou du bodhisattva jaillit tout en étant hors du temps et de l’espace. Mais il n’y a ni absence de corps, ni absence d’esprit. C’est toujours Un.

Jean-Denis : Cela me paraît logique. Chaque corps, ou chaque état déploie instantanément son propre espace temps. Il y a donc le même déploiement dans la « mort » que dans la « vie ».

Anaxagore avait donc raison, le phénomène est ce que l’on perçoit des choses invisibles. Imaginez qu’un kangourou vous affirme qu’il voit le monde tel qu’il est. Vous lui rétorqueriez sans doute « Toi, qui fait des bonds avec ta queue, tu es quand même mal placé pour juger du vrai. Alors que moi, qui suis humain, je sais bien ce qu’est le monde puisque je le vois ».

Michèle : Oui, et les poissons rouges pourraient dire « Pas du tout, c’est nous qui… ».

Pour finir, rappelons que dans la doctrine de l’école tout est en fusion parfaite. « Chaque instant de vie contient l’intégralité du temps et de l’espace. Autrement dit, la Une pensée momentanée contient l’intégralité du temps et de l’espace ». Dans l’enseignement parfait il est enseigné que : « Un phénomène est à la fois tous les phénomènes. Si l’on observe les états, de l’enfer le plus noir à l’état le plus élevé, celui du Bouddha, tous ces états se fondent de manière naturelle l’un dans l’autre sans que l’on puisse les dissocier, chaque existence n’existant plus par elle-même ». Cela signifie que chaque existence est faite de l’infinité phénoménale. « Le bien et le mal, le Bouddha et l’enfer, l’animalité et l’avidité, tous sont des existences liées, interdépendantes. Autrement dit, si l’on prend un phénomène, aussi fragmenté, aussi insignifiant soit-il, il représente une existence dotée de l’ensemble des phénomènes de l’univers. Il ne peut donc ni s’accroître, ni décroître ». Mais nous, nous voyons des individus de tel ou tel age, nous voyons qu’untel est mort trop jeune, qu’untel a duré bien longtemps, que ceci est trop grand, que ceci doit s’accroître, on a des idées sur les choses. Mais on ne voit rien. « Un phénomène ne peut ni s’accroître ni décroître ». C’est nous qui le voyons d’une manière étriquée.

« Dès lors, même un phénomène, puisqu’il est la substance merveilleuse de l’aspect réel de la voie du milieu, n’a pas à créer la moindre valeur. Puisqu’il est inutile de produire quelque chose, du point de vue du principe, cette voie du milieu est appelée sans artifice ». Autrement dit, la présence, telle quelle, dans l’avidité, la stupidité, la colère ou tout ce que vous voulez, cette présence qui, grâce à la foi, peut réciter Nam Myoho Renge Kyo, est le lieu de l’apparition de l’effet de l’éveil. Au sein d’existences qui peuvent nous sembler parfois étriquées, pas assez ceci ou pas assez cela, nous avons donc cette chance rare de pouvoir faire apparaître le corps du Bouddha en tant qu’effet.

Merci de votre attention.