Cours n° 14
L’enseignement du Bouddha originel.
Exister ? : corps et son.
Le Souverain de la Loi nous enseigne que « Le monde conditionné désigne toutes les vicissitudes de notre vie présente, provoquées par nos actes, eux-mêmes produits en fonction de causes et de conditions ». Il en ressort que ce sont bien nos actes, qui entraînent nos souffrances quotidiennes, mais que ces actes eux-mêmes sont produits par les causes et les conditions. Cela signifie que les actes du corps, de la pensée et de la parole naissent du fait des causes et conditions. Autrement dit, l’apparition momentanée d’une pensée ou d’une sensation quelconque s’effectue sans que le sujet soit décisionnaire, et n’est que la résultante de causes et de conditions. Le « sujet » ne fait qu’éprouver quelque chose à chaque instant. Par exemple, il y a quelques semaines, Nancy, tu ouvres la porte de ton placard mural, comme d’habitude, mais cette fois-ci il se décroche et t’écrase au sol…
Nancy : Quelle frayeur ! Et aucun signe avant-coureur !
Cet épisode est un petit traumatisme. Mais nous devons nous ouvrir au fait que, sans même qu’il y ait toujours des drames, la pensée naît continûment de l’interaction du corps dans son environnement. L’apparition des phénomènes en fonction des causes et des conditions a été un des premiers points de l’enseignement de Shakyamuni. En effet, bien qu’il ait tenté, quelques semaines après son éveil à Gaya, d’enseigner ce qu’il avait perçu à des auditeurs, il se rendit compte au vu de leurs airs hébétées qu’il devait commencer par les choses les plus simples. Il enseigna donc la production conditionnée. Tout ce qui est ne provient que des causes et des conditions.
Le penseur indien Asanga, au quatrième siècle de notre ère, écrit la chose suivante : « Le sens réel de la production conditionnée est le fait qu’il n’y a pas de créateur, le fait de la causalité, le fait qu’il n’y a pas d’être, le fait de la dépendance, le fait qu’il n’y a pas de moteur, le fait de l’impermanence, le fait que tout est instantané, le fait qu’il y a une continuité ininterrompue de causes et d’effets, le fait qu’il y a une conformité entre cause et effet, le fait de la variété des causes et des effets et le fait de la régularité des causes et des effets ». Il s’agit donc d’un flux continu de causes et d’effets, il n’y a pas de créateur derrière et tout est instantané. Or, si tout est instantané, rien n’a d’origine, mais tout apparaît en tant qu’effet. Telle est donc la lecture du réel transmise au quatrième siècle de notre ère en Inde.
Et, à propos des êtres qui, semble t-il aux esprits médiocres, perdurent à l’identique, Asanga enseigne, concernant la « durée » : « C’est une désignation pour indiquer la non-rupture de la continuité des formations dans la similitude d’espèce ». Et, de fait, appartenant à la formation « femme » au sein de l’espèce humaine, il est vrai que vous ne vous réveillerez jamais un matin kangourou, et un autre matin pissenlit. Bien que le vieillissement modifie en permanence le corps, il n’est pas constaté de rupture brutale de la continuité, telle est la « durée ».
A la question : « Qu’est-ce que l’impermanence ? », il répond : « C’est une désignation pour indiquer la rupture de la continuité des formations dans la similitude d’espèce ». Pour nous, humains, l’impermanence désigne l’apparition et la disparition de la foultitude des choses et des êtres. Or, le moment de la cessation, de la disparition, est la porte d’accès à la forme vers laquelle l’être est entraîné par sa propre propension. Et ce, quelle que soit la forme « kangourou » ou « pissenlit ». Mais il va de soi qu’étant apparue, une forme perdure dans la continuité. Né « cheval » , tu ne deviens pas un coup « zèbre », et le lendemain « caïman ». L’être n’est en fait que propension, mais nous ne voyons jamais que des corps « durable ».
A la question « Qu’est-ce que le temps ? », Asanga répond : « C’est une désignation pour indiquer la succession continue des causes et des effets ». Autrement dit, nous, humains, allons « percevoir » une succession de nos objets mentaux « j’ai pensé ceci, maintenant je pense cela », et « percevoir » une succession d’images « j’étais là-bas, maintenant je suis ici ». En réalité, et bien que nous percevions une succession linéaire, il y a en fait à chaque instant une foultitude inconcevable d’événements simultanés que nous ne percevons pas. Ce « tissu » inconcevable est fait de la naissance et de la disparition simultanées de l’infinité phénoménale. Et ce qui fait l’objet particulier de la conscience de chacun, à chaque instant, n’est qu’un infime phénomène au sein d’une infinité naissant et disparaissant immédiatement. Ainsi, « je ressens ceci, je pense cela, je vois ceci,.. » est nécessairement la négation d’une infinité bien réelle. Le petit moi égotique, fabriqué par un pauvre petit ressenti instantané, est donc l’expression d’un dédain de fait vis-à-vis de l’ensemble du réel.
Au vu du fait que, produit par les causes et les conditions, tout se transforme sans cesse le Bouddha originel enseigne : « Ce qu’on appelle « pouvoirs divins » est ce que nous, les êtres, manifestons en chaque acte, à tout moment. La naissance, la pérennité, la transformation et l’extinction sont toutes la substance des pouvoirs transcendantaux substantiels des trois mille phénomènes ». En somme, naître, se modifier ou rester à peu près « à l’identique » ; tomber malade, vieillir et enfin mourir, toujours en tant qu’effet dans le monde des phénomènes, est perçu par le Bouddha comme étant « les pouvoirs divins des multiples phénomènes ». Autrement dit, les uns vis-à-vis des autres, les uns pour les autres, les phénomènes montrent à chaque instant la naissance, le maintient, la dégénérescence et la disparition. Or, en réalité, chaque phénomène est absolu, inconditionné. Il ne peut ni apparaître ni disparaître, mais du fait de la conditionnalité perçue par l’humain chaque phénomène montre ce que l’autre est habitué à « voir ». Une chose ne peut apparaître ou disparaître si ce n’est par la propension inconsciente de celui qui va en être affecté. Il y a donc une « complémentarité » dans la perception d’une apparition ou d’une disparition, d’une maladie, d’un accident, d’un voisin de palier, de ce qu’on aime, de ce que l’on aime pas, etc. Pour le Bouddha, tout cela manifeste les pouvoirs divins des êtres, en tant qu’effet.
Catherine : On a donc l’environnement qui nous est propre ?
L’être et l’environnement, ce n’est « pas deux ». L’ensemble phénoménal est continûment l’expression d’une harmonie globale. Avoir une propension à mourir sous la torture va induire des phénomènes de guerre, de conflits sociaux, de rivalités ethniques. Tu peux aussi faire, inconsciemment, qu’une poutre tombe et t’écrase la cage thoracique, de façon à te faire mourir au bout de quatre jours, par moins dix degrés. Ce qui équivaut également à une torture.
Catherine : Pourquoi « divins » ?
Parce que pour le Bouddha cette harmonie globale des dix mondes, de l’enfer à l’éveil ultime, dépasse toute perception humaine. En outre, la merveille, Myo, est ce d’où naissent les multiples phénomènes ( ho) instantanés, et où ils retournent dans le même instant. Par contre, pour les êtres ordinaires, Myo, ce d’où naît l’infinité du réel, est l’obscurité la plus totale. Asanga, nous l’avons cité, déclare « qu’il n’y a pas d’être ». Cela s’entend dans le sens où ce qui n’est qu’un effet ne possède aucunement le principe de sa propre existence. Or, les humains se croient spontanément exister du fait de leur vouloir, ils croient penser, agir, décider de ceci ou de cela alors que tout s’impose à leur insu.
Michèle : Il n’y a pas d’être mais il y a du subir.
Parfaitement. Il y a du subir, incontestablement. Et, comme l’expliquent les sutra de la sagesse, il n’y a pas d’être vivant dans le monde.
Catherine : Mais il existe dans l’instant.
Bien sûr mais, à strictement parler, l’objet de sa conscience est le passé immédiat de sa réalité. Dès lors, on peut convenir qu’il dort et, comme son nom l’indique, seul le Bouddha est éveillé. Tout étant effet, il s’agit du cycle des six premières voies dont Shakyamuni déclare qu’on ne peut en discerner l’origine.
Le Souverain de la Loi enseigne : « Notre manière d’être, physiquement et spirituellement depuis les vies passées, constitue la cause de ce que nous sommes aujourd’hui ». Donc, cette « accumulation » sans origine d’actes et de comportements constitue la cause de ce que l’on va voir apparaître maintenant en tant qu’effets. Ce qui signifie que l’on ne peut juger de notre existence en ne considérant seulement que les « causes » dont nous avons le souvenir depuis notre naissance. Par contre l’important est l’infinité d’une manière d’être sans origine dont nous percevons maintenant certains effets. Et ce qui apparaît en tant qu’effet peut être considéré comme une cause engendrant des effets futurs. Nous sommes donc toujours dans la situation instantanée de montrer le passé infini de nos existences et de réorienter, si l’on pratique, les effets futurs.
Catherine : Donc, à l’ordinaire, on est toujours à peu près identiques à nous-mêmes ?
Bien sur. Il est enseigné que la personnalité est immuable, sans commencement ni fin.
Isabelle : On ne peut en changer ?
Non. Tu ne seras jamais Brigitte, Nancy ou Catherine. Et encore moins moi.
Rires.
La personnalité est, pour être plus précis, ni identique, ni différente. Elle n’est jamais autre tout en pouvant évoluer constamment. Elle peut en fait exprimer chacun des dix mondes. Elle est immobile, comme l’enseignait Parménide, c’est nyoze sho, la nature, le caractère. Elle est invariable comme l’enseigne l’école Tiantai.
Catherine : Mais comme les conditions changent, et que nous sommes un peu façonnés par nos manières de réagir aux conditions, on devrait un peu changer…
Cela serait envisageable si les conditions de nos existences nous étaient extérieures.
Catherine : Ah oui. D’accord !
Ben oui. Selon la doctrine, le karma, nyoze in, et les conditions, nyoze en, ne sont pas deux.
Michèle : Les conditions sont engendrées par le sujet, à son insu.
En ce qui nous concerne, nous, humains, il est certain que nous nous croyons être dans le monde. Tant Heidegger que Sartre ont cru pouvoir affirmer que nous sommes jetés dans le monde. Or, si tout est instantané, et c’est bien le cas, « être mis dans » est nécessairement trompeur. L’instantanéité des choses est également la simultanéité des choses.
Brigitte : Oui, alors, pour en sortir !!!
L’enseignement de celui qui en est sorti.
Nietzsche s’est-il exprimé sur ce sujet ? « Rigoureuse nécessité des actions humaines… Défaut absolu de liberté… Irresponsabilité de la volonté… Nous sommes en prison, nous ne pouvons que nous rêver libres, et non point nous rendre libres ». Nietzsche voit que la manière d’être, ce qui caractérise les êtres, est toujours quelque chose qui s’impose et dont ils ne pourront jamais sortir. Il voit que la « liberté » est une foutaise, que les choses s’imposent et que ce sont toujours des effets.
Michèle : Comme le ver à soie qui croit trouver sa « liberté » dans le fait de produire de la soie.
Exactement. Je vois qu’on a lu Nietzsche ! Une araignée ne peut pas ne pas tisser une toile, mais elle peut s’estimer libre ! Nietzsche dit encore : « Vous parlez à tord d’événements et de hasards. Jamais il ne vous arrivera rien d’autre que vous-mêmes. Et ce que vous appelez hasard … vous êtes vous-mêmes ce qui vous incombe et ce qui vous tombe dessus ».
Et plus loin : « Les faibles disent : c’est le hasard. Mais je vous dis : qu’est-ce qui aurait pu me tomber dessus, sans être attiré par ma pesanteur ? » C’est beau non ?
Nancy : Qui a dit ça ?
C’est Nietzsche. C’est beau cette métaphore de pesanteur singulière qui attire vers toi ce qui t’est propre. « Mes amis ! Je suis celui qui enseigne l’éternel retour. Voici, j’enseigne que toutes choses, éternellement reviennent, et vous-mêmes avec elles, et que vous avez déjà été là un nombre incalculable de fois, et toutes choses avec vous », dit-il encore.
Nancy : C’est fou ! C’est toujours Nietzsche ?
Oui. Il voit donc que l’on revient tout le temps, et avec les mêmes choses.
Catherine : Avec nos conditions propres.
Brigitte : On ne peut apparaître sans ce qui nous constitue.
Assurément. Et que nous dit le Bouddha originel ?: « Le passé infini est l’origine, le présent est l’éphémère ». Tout ce qui est montre l’expression d’un passé infini et, dans cette expression momentanée, tout montre sa réalité ultime. Il enseigne également : « L’instant suprême, c’est maintenant ». Le lieu de la présence instantanée est toujours le suprême, et il s’agit donc de l’acte physique, mental et vocal, au sein de la voie de l’éveil. Dans les autres cas, ce n’est plus que l’éphémère sans origine. Ce n’est plus que l’effet des causes et des conditions. Le passé est alors le futur. Autrement dit, réciter Nam Myoho Renge Kyo est le seul acte suprême, c’est-à-dire l’apparition immédiate du Bouddha en ce monde.
Le Souverain de la Loi enseigne : « On peut considérer le passé infini comme existant en permanence, depuis le sans commencement. En effet, la substance fondamentale de la Loi, Myoho Renge Kyo, est la simultanéité de la cause et de l’effet. Aussi, la Une pensée instantanée correspond, telle qu’elle, à l’éternité sans commencement. Cette une pensée existe elle-même à l’origine, elle est présente en permanence, et est sans commencement ni fin ». Autrement dit, jamais dans le passé, jamais dans le futur, on ne sera autre que « Une pensée » jaillissant à chaque instant. Et si la « Une pensée » jaillit à chaque instant, c’est qu’elle sourde nécessairement du corps dans son environnement. Cela est sans origine, en dehors des notions usuelles de temps et d’espace. Où, si l’on veut absolument considérer l’existence d’un temps en soi, c’est l’instantanéité. Mais, si tout est instantané, cela n’a pas d’origine, rien n’a d’origine, et c’est le cas. Il n’est que le jaillissement perpétuel de la Une pensée de l’enfer, de l’avidité, de l’animalité, de la colère, de l’humanité,…etc. Mais nous ne voyons que des corps.
Nietzsche a déclaré : « Notre pensée est de la même étoffe que toute chose ». Ca, c’est quand même fort ! Ce monsieur voit la matière et l’esprit comme étant la même chose. Qu’en est-il dans le bouddhisme ? Le Souverain de la Loi enseigne : « Pour le bouddhisme, les cinq éléments que sont l’eau, la terre, le feu, le vent et l’espace, constituent les existences des deux lois de la matière et de l’esprit… L’existence de la matière et de l’esprit transcende toutes les transformations dues au temps, toutes les vicissitudes. Elle est infinie et éternelle. Les deux lois de la matière et de l’esprit, dans cette infinité, s’ouvrent sous la forme des dix mondes, allant de l’enfer au monde du Bouddha et subsistent en permanence ». Il n’y a donc jamais un seul moment ou un seul lieu où il n’y a pas de matière ou d’esprit, qui ne sont qu’une seule et même chose, au sein des dix états. Comme l’enseigne le Daishonin : « A l’origine sont les dix mondes ». Il ne peut se faire qu’il y ait absence des dix mondes, juste un seul instant, puisqu’il s’agit de l’infinité phénoménale. Donc, à la question que posait un jour Jean-Denis, sur le fait humain relatif à l’existence de cette terre où nous sommes, nous pouvons répondre que le ressenti de la souffrance, de l’animalité, de la colère et de chacun des dix états n’a ni origine ni fin. Tous ces états ont toujours été, et les « formes » leur servant de support provisoires également. Quelle que soit la logique humaine s’évertuant à mesurer et à palper un secteur ou un autre du monde « observable », tout est les « dix mondes ».
Nietzsche nous dit encore : « L’instant infinitésimal est la réalité , la vérité supérieure, une image éclair surgie de l’éternel fleuve ». L’instant infinitésimal est l’instantanéité. Cette image éclair qui surgi de l’éternel fleuve, c’est l’instantanéité de la forme/pensée dans son environnement simultané. La Une pensée, n’a pas de durée, le corps est tel une cascade, tel un éclair disait Shakyamuni. Tout naît et meurt dans le même instant. L’éternel fleuve, d’où surgissent les formes/pensées, ces images éclairs, c’est la vacuité, riche de l’infinité des possibles. A chaque instant jaillissent les phénomènes exprimant les dix mondes dans une infinité sans limites.
Roberte : Nous vivons dans un monde sans limites.
Et bien que nous pensions pouvoir distinguer les étoiles, des galaxies, des supernova, des soleils, il s’agit toujours de l’enfer, de l’avidité, de l’animalité, etc. Si l’on considère, sous un angle « scientifique », que la matière n’est que de l’énergie, il apparaît alors clairement que les dix états n’ont aucune difficulté pour s’exprimer en tous lieux et en tous temps.
Le Souverain de la Loi nous enseigne : « Tant qu’il vit, l’être humain s’exprime en tant que son et en tant que corps, devenant alors écho et ombre après sa mort ». Il y a donc un corps, et des sons, qui représentent aussi bien ce qui est entendu que ce qui est proféré. Autrement dit, il y a un corps dans lequel résonne l’entendu. Qu’un petit hurle pour obtenir son biberon ou que la mère s’inquiète de savoir ce qui le pousse à crier, dans tous les cas de figure des mots résonnent en un corps. Ces mots sont des états. Et même si l’enfant ne peut traduire tout de suite ce qu’il entend en un langage compréhensible pour la mère, il a des mots, un langage à transmettre, et ces mots sont des états. Quant à la seconde partie de la citation : « devenant alors écho et ombre après sa mort », cela signifie que dans son instantanéité, l’humain est un écho en terme de sons et de « matière », et que cela n’a ni début ni fin. Autrement dit après la mort, qui n’est que le cadre usuel de la perception humaine, c’est pareil. Le mot « ombre », dans ce contexte, désigne le karma. Il n’y a donc qu’une « vibration », en terme d’empreinte, que nous traduirons par les termes de son et de corps.
Catherine : L’ombre, c’est le karma, mais il n’y a donc pas de disparition de la matière.
Non. Selon l’école Tiantai, le corps est permanent. On emploie le terme d’ombre car, pour l’humain qui reste, celui qui observe, il n’y aura plus de corps. Il est écrit que le bodhisattva voit que tous les phénomènes ne sont qu’une propension momentanée sous la forme d’un pouvoir édificateur, d’une structure provisoire, ce qui est exact. Mais pour en revenir au son, il faut comprendre par là que la parole est entendue. Parler n’est que la traduction de l’entendu, qui est un état. Le sujet n’est pas décisionnaire vis-à-vis de ce qu’il « entend ». Le corps est imposé, nous en prenons conscience à chaque instant, et la pensée est ce qui est entendu. Elle est un flux de paroles entendues en soi. Mais, dans les deux cas, l’être n’a aucune latitude.
Catherine : Cela s’impose.
Brigitte : A propos du son, cela ne concerne que les êtres humains ?
Non, non. Tout résonne. Tout ressent un entendu, c’est l’état.
Brigitte : Végétal, minéral, animal…
Il n’y a qu’un « entendu », qui est un terme générique pour désigner l’objet instantané de la perception. Ce n’est pas uniquement relatif à l’ouïe. Comprenez qu’un corbeau qui pousse son cri n’exprime que son « entendu » en lui. Et nous avons encore les sons et les formes. La théorie quantique parlera de cordes, ouvertes ou fermées, dont elle dira également que l’on peut les envisager sous la forme de sons et donc d’harmonie. C’est la raison pour laquelle Shakyamuni avait déclaré : « Pour qui recherche la vision correcte, il n’y a que noms et formes. Celui qui veut juger et connaître en vérité ne connaîtra lui aussi que les noms et les formes. Qu’un esprit imbécile multiplie les notions et s’attache à distinguer quantités de dharma (phénomènes), il n’y aura jamais autre chose que les noms et formes ». Ce qui nous amène nécessairement à Parménide d’Elée, lequel, considérant les humains affirme :
« L’embarras dans leur poitrine fait courir droit devant leur pensée errante ; ils se laissent porter, aussi muets qu’aveugles, effarés… ». Il voit donc que, selon les états qui apparaissent à chaque instant en leurs corps, les êtres jettent droit devant leur poitrine une pensée errante. C’est beau, non ?
Heidegger, qui a quand même un peu lu Nietzsche, déclare : « La parole est toujours déjà en avance sur nous. Nous ne faisons jamais que parler à sa suite ». Et aussi : « La parole parle elle-même ». Ce qui apparaît en nous sous la forme de pensées n’est en fait que des paroles entendues.
Catherine : Donc il n’y a pas de réflexion, à strictement parler ?
Tu m’ôtes les mots de la bouche. Des paroles se succèdent, selon l’état.
Brigitte : Ca vient de l’interaction du corps dans son environnement.
En effet. Le corps et l’environnement, qui sont un, sont le seul présent réel, et la pensée en découle. L’objet de la conscience, qui est nécessairement tardif, décalé, est toujours le passé de la réalité du sujet.
Brigitte : Mais la pensée et le corps ne sont pas deux choses distinctes.
Certes. Mais avoir conscience de… est le passé de l’objet perçu. Il y a eu un espace de temps qui, si infime soit-il, nous condamne à ne pouvoir que rêver notre existence. Car tout est instantané. Le « travail » de la pensée est donc incapable de nous permettre de comprendre notre réalité.
Catherine : Ce n’est qu’un vain retour sur ce qui s’est passé.
Yes ! La terre tremble, une poutre t’écrase les jambes. Point, c’est fini. Personne n’y est pour quoi que ce soit, le terre non plus ! La conscience prend acte de ce qui vient juste d’arriver, mais c’est trop tard, même pour un petit quart de seconde ! Quand tu flippes, pour un truc ou pour un autre, tu ne peux en toute liberté arrêter de souffrir dix minutes pour recommencer ensuite. Ton flippe te suit, là où tu es, tant que dure l’état.
Michèle : Donc on ne souffre que de ce que l’on pense.
Oui, mais ce n’est pas un acte en terme de décision. Shakyamuni a enseigné que les êtres ont pour matrice leurs actes, c’est-à-dire les actes du corps, de la pensée et de la parole. Mais il n’a pas insisté lourdement en disant que ce ne sont que des effets. Et pourtant, une matrice, c’est ce dont on sort. Jaillir en fonction des causes et des conditions est un effet.
Brigitte : Ah oui ! Je ne peux pas avoir les mêmes pensées que Roberte car nous n’avons pas le même corps, ni le même environnement !
Impossible. Vous allez ensemble au cinéma voir le même film, vous ne pouvez « voir » les mêmes choses.
Roberte : Tu veux toujours qu’on travaille ensemble Brigitte ?
Rires
Nietzsche a écrit : « Ce qui a été vécu survit dans la mémoire. Qu’il fasse retour, je n’y peux rien. La volonté n’y intervient pas. Pas plus que dans la venue d’aucune pensée ». Il déclare également : « Une pensée surgit en moi – d’où vient-elle ? à travers quoi ? je l’ignore. Elle se présente, indépendamment de ma volonté. Qui accompli tout cela, je n’en sais rien . Mais suis certainement plus le spectateur que l’initiateur d’un semblable processus ». Et Heidegger a précisé : « Parler est avant tout écouter », ce qui est parfaitement vrai.
Pour en revenir à l’enseignement de l’Eveillé, notons que la première des quatre voies saintes, shomon, qui signifie entendre l’enseignement du Bouddha, est ce qui permet de quitter le cycle infini des souffrances des six premières voies. « Entendre » permet donc de quitter les six voies. Cela signifie que l’on passe d’une situation où tout ce qui est, à chaque instant, est mû par un entendu en soi relevant des six premières voies, à un entendu qui ne vient pas du sujet, mais du dixième état, c’est-à-dire de l’enseignement de l’Eveillé. Entendre la parole du Bouddha, ne pas la rejeter, et se la remémorer alors qu’elle est d’une autre nature que celle qui jaillissait spontanément en nous depuis une infinité, c’est quitter les six voies.
Michèle : On quitte notre « entendu » personnel.
C’est cela. Tant le fait de pratiquer matin et soir, qui nous permet d’entendre la Loi, que d’assister à un cours ou d’aller au temple, nous permettent d’enrichir notre entendu usuel.
Le Souverain de la Loi nous enseigne que le beau et le laid de la vie des êtres humains, au cours des trois phases du temps, est déterminé à l’origine par ce qu’ils entendent.
Brigitte : Il dit entendre et non pas voir.
A mon avis, « entendre » est un terme générique pour la perception, en général. Mais ce qui est important à réaliser c’est que l’entendu ou le vu, pour toutes les espèces, est toujours considéré par le sujet comme étant absolument vrai. « j’ai vu ceci, j’ai entendu cela », dans tous les cas le sujet est sûr de ses perceptions objectales sans se remettre en cause lui même en tant que sujet. Pourtant, Kant dit à juste titre : « En réalité, la représentation de toutes les choses est la représentations de notre propre état intérieur ». C’est vrai mais cela ne peut servir à personne pour s’améliorer. Ainsi, ce que les êtres se remémorent ou imaginent comme étant le vrai constitue leur propre prison. Ainsi entendent-ils leur beau ou leur laid dans les trois phases. Tout ce qui est, comme nous le disions, est à la fois corps et son. Le Daishonin expliquait que, de même qu’une goutte d’eau de mer a la même saveur que l’océan, garder en soi, entendre en soi une partie de l’enseignement du Bouddha a la même saveur que l’éveil.
Brigitte : L’entendu a l’air plus important que le vu. Par exemple, dans les sutra il est dit : « Ainsi ai-je entendu » et non pas : « Un jour, j’ai vu le Bouddha ».
Il est à noter également que si vous voyez un beau paysage, il vous est difficile de le reproduire à l’identique. Alors que le son, les mots, constituent un objet que l’on peut se remémorer et transmettre à l’identique.
Vous connaissez tous les neuf consciences expliquées par le bouddhisme. Ce sont les cinq sens, la conscience ordinaire, le cœur des désirs et des haines en septième position, ensuite la conscience dite « réceptacle », qui comprend le corps et l’environnement du sujet, et enfin la neuvième conscience dite « immaculée » qui correspond à l’Eveil ultime ». A la question : « Qu’est-ce que l’organe mental ? » Asanga répond : « C’est l’objet de la huitième conscience qui participe toujours de la nature de la suffisance associée avec les quatre souillures : l’idée du moi, l’amour du moi, l’orgueil du « je suis » et l’ignorance. Et ceci est présent partout… ». Ainsi, selon lui, le fait d’être, à chaque instant, induit nécessairement « l’idée du moi, l’amour du moi, l’orgueil du « je suis » et l’ignorance ». Prenant tout pour argent comptant l’être ignorant s’illusionne, et il est bien drôle de constater que la philosophie occidentale s’est construite en partie sur l’orgueil du « Je suis ».
Brigitte : l’orgueil du « Je suis » empêche de voir sa propre réalité.
Bien sûr, c’est déjà le passé ! Asanga dit également : « Celui qui connaît cela abandonne l’attachement à l’idée que le « moi » éprouve, perçoit, veut, se souvient, se souille et se purifie. Il pénètre l’idée du non-moi ». Il n’y a pas de « moi » qui veut, c’est important, ou qui se souille, qui se purifie, qui se souvient. Il y a bien un « éprouvé », certes, mais il n’est pas dû à un quelconque objet qu’éprouve un « moi ». Car ils ne sont pas deux.
Brigitte : Donc le « moi » est décalé.
C’est ça, la souffrance dans les six voies.
Catherine : Et pourtant, on y est attaché, à ce « moi » !
D’ailleurs gardons à l’esprit que lorsque plusieurs personnes parlent entre elles, elles ont plus a cœur de dire ce qu’elles pensent ou ressentent plutôt que d’écouter les propos des autres. Chacune a son « vrai ».
Catherine : Tu crois que pour les animaux c’est pareil ?
Dans la mesure où il ne peut y avoir deux chats identiques… Percevoir ce qui n’est pas « soi » implique la vente d’un « je ». J’ai entendu un jour qu’une éponge, au fond de l’océan, perçoit le non-moi ! Réagir à.. signale un « moi » et un non-moi. Un cristal qui, lors de sa formation, inclut un corps étranger ou modifie sa trajectoire en fait de même.
Michèle : Mais le « moi » c’est aussi Une pensée trois mille ?
C’en est une petite partie, insignifiante. Car en fait Une pensée inclut le corps et l’environnement infini. Et donc, le sentiment fugitif du moi, masque l’infinité qu’il est. Le Souverain de la Loi enseigne que l’unité et la multiplicité sont mutuellement identiques à travers le temps et l’espace infinis. Mais nous allons y venir par la suite.
Le Daishonin nous exhorte de la façon suivante : « Au plus vite, rectifiez l’attachement en votre petite croyance. Et prenez immédiatement refuge dans le bien unique du véhicule véridique ». La petite croyance, c’est tout ce que l’on croit vrai : « je pense ceci, j’ai vu cela ».
Nancy : Ouais.
Et le Souverain de la Loi de préciser : « Notre vie quotidienne, elle-même, existe entièrement en fonction de notre type de foi et de vénération. Même ceux qui prétendent ne pas avoir de religion, d’une manière ou d’une autre ont foi en quelque chose. La vie quotidienne a existé dans le passé, existe à présent et existera dans le futur constamment sur la base de la foi et de la vénération ». Ce que l’on croit vrai ou ce que l’on vénère, qui est toujours le vu ou l’entendu, définit la qualité même de nos existences dans les trois phases. Dès lors : « … prenez immédiatement refuge » correspond à Namu, qui signifie « retourner sa vie aux racines de son propre cœur ». Namu va nous permettre de nous référer à autre chose qu’à ces « vrais » relatifs qui ne sont que nous-mêmes. Le Daishonin enseigne : « Seul est appelé Myo, la merveille, cela d’inconcevable qui est le cœur de notre Une pensée. Inconcevable signifie que ni l’esprit, ni les mots, ne peuvent l’atteindre ». La merveille, Myo, est ce qui est antérieur à la Une pensée, c’est ce dont provient la pensée. Tout à l’heure nous avons dit que le corps et l’environnement, qui sont instantanés et simultanés, qui ne sont pas deux, engendrent la pensée. Mais le Daishonin enseigne que la merveille, pour lui qui est éveillé, est le « lieu » d’où naissent et où disparaissent dans le même instant l’infinité phénoménale. C’est la raison pour laquelle l’esprit, et à plus forte raison les mots, ne peuvent y atteindre.
Dans ce sens nous pouvons comprendre l’humour du Bouddha originel qui déclare : « Il est difficile de comprendre que la récitation de Nam Myoho Renge Kyo est identique à la contemplation de la pensée. Les sots doivent cependant réfléchir à cette affirmation ». En effet, comme la pensée, au même titre que le corps et l’infinité phénoménale, est quelque chose qui s’impose, la seule manière de « prendre en main » sa pensée est d’observer ce dont elle provient. Suivre les objets de la conscience ne mène à rien, et tenter de faire le « vide » est illusoire car il n’y a qu’un « plein », qu’une effervescence continue. « Les sots », dans ce contexte, désigne ceux qui s’imaginent être les auteurs de leurs pensées, alors même qu’ils ne sont que les jouets de l’ignorance, de l’avidité et de l’orgueil. C’est la raison pour laquelle le Daishonin nous encourageait de la façon suivante : « prenez immédiatement refuge dans le bien unique du véhicule véridique ».
« Nichiren Daishonin apparut et montra clairement la substance fondamentale de la Loi originelle du passé infini » nous dit le Souverain de la Loi. Autrement dit, Nichiren s’étant éveillé, il communique aux êtres sa propre qualité de vie, la substance même de la Loi : Myoho Renge Kyo. A ce propos, essayez de concevoir qu’en tant qu’humains, il nous est strictement impossible de communiquer réellement ce que l’on ressent, avec des mots, à quiconque. Je sais bien que les êtres imaginent tout au contraire qu’ils communiquent quelque chose, mais il n’en est rien.
Catherine : Tu disais tout à l’heure que c’est par des mots que l’on communiquait notre état intérieur.
On essaie. Et il est vrai que les mots sont des états. Mais il n’est pas de partage réel de l’un à l’autre. Par exemple, ce n’est pas parce que vous ressentez que quelqu’un est plein d’orgueil, que vous partagez son état de vie. Tu aimes ta sœur, tu peux parler des heures avec elle et, en fin de compte, tu peux seulement imaginer que… Ce qui n’est rien. Or, et c’est un cas unique, de par sa grande bienveillance le Bouddha peut transmettre son propre état intérieur sous forme phonétique : Myoho Renge Kyo, et sous forme visuelle : l’objet fondamental de vénération pour l’observation du cœur. En somme, encore une fois, nous nous trouvons face au son et au corps.
Roberte : Myoho Renge Kyo est l’état même du Daishonin.
Voilà. C’est la raison pour laquelle le Daishonin enseigne : « Le nom a des vertus qui, immanquablement, touchent la substance ». Alors que, pour les humains, les mots qu’ils emploient ne touchent jamais la substance de l’objet désigné, dans l’enseignement du Bouddha originel le nom est la substance. Cela nous ramène à Nietzsche qui, dans sa grande sagacité déclare : « Une chose à laquelle un nom correspondrait exactement serait sans origine ». Si un nom correspond à la chose, est la substance de la chose, alors il est la chose. Ils ne sont pas deux et cela ne possède pas de point de départ, cela n’a pas d’origine, c’est l’origine ! Et cela ne peut aucunement être traduit en d’autres langues. Ainsi, Shakyamuni, Zhiyi et d’autres ont vu en eux même le corps de la Loi, mais n’ont pu que faire état de la sagesse qui en découle, sans pouvoir en transmettre sa substance.
Roberte : Oui, l’état de Bouddha est unique, mais tous n’ont pu le transmettre tel quel.
Pour cette raison, à la fin de sa vie Zhiyi passait des heures à réciter quelque chose qu’il n’a jamais transmis. Il n’y avait pour lui aucun moyen d’asseoir la transmission logiquement. Et bien qu’il sache que les caractères chinois composant Myoho Renge Kyo étaient la Loi suprême de l’éveil, la prononciation chinoise de ces caractères ( à peu près : miao fa lien yi tsing ) était différente de ce qu’il entendait en lui en tant qu’état d’éveil. Aucun sens ne pouvait découler d’une phonétique incompréhensible pour un chinois.
Nancy : C’est plus clair.
Le Daishonin enseigne : « Le profond des phrases est la Loi merveilleuse au degré de dénomination lors de l’éveil véritable dans le passé lointain, sans y mêler d’autres pratiques. C’est Nam Myoho Renge Kyo, contemplation correcte instantanée, pratique concrète d’Une pensée trois mille ». L’expression « profond des phrases » s’applique bien entendu au seul sutra du Lotus, cœur de l’enseignement du vénéré Shakya. « la Loi merveilleuse au degré de dénomination » désigne Myoho Renge Kyo, qui est l’éveil en tant que simultanéité de la cause et de l’effet, et que nous pouvons nommer, nous simples mortels, en tant qu’effet. En outre, dans l’exacte mesure où tout est instantané, la « contemplation correcte instantanée » est Nam Myoho Renge Kyo. La contemplation correcte ne relève donc pas, dans notre école, d’un « travail » de l’esprit, mais d’une formulation phonétique devant l’objet suprême. Réciter physiquement Nam Myoho Renge Kyo est alors l’apparition concrète de la sagesse du Bouddha, c’est-à-dire sa « Une pensée trois mille », instantanément. Par exemple, que vous observiez l’attitude d’un chacal ou d’un espadon, vous découvrirez que leur corps, leurs mouvements et les sons émis sont tous les expressions convergentes d’un type concret et particulier d’état d’animalité. Cela est vrai pour tout, et l’acte suprême de l’Eveillé est également l’expression concrète de sa substance : Myoho Renge Kyo.
Brigitte : Il y a identité entre le corps du Bouddha et Myoho Renge Kyo.
Exactement. Mais, pour lui, sa vie est la cause et l’effet simultanés de l’état d’éveil, alors que nous, qui errons dans les six premières voies, nous pouvons exprimer l’éveil en tant qu’effet, du sein de la souffrance ou de la bêtise.
Michèle : Nous, nous partons de l’effet de l’éveil, pour établir en nous la cause.
Voilà. Selon les textes, croire est la merveille de la cause originelle, et réciter Nam Myoho Renge Kyo est la merveille de l’effet originel. Dans ce sens, croire équivaut à voir ce que le Bouddha voit, puisque lui ne croit pas.
Michèle : Donc, comme nous n’avons pas en nous d’une manière développée la cause de l’éveil, nous partons de l’effet.
Et en cela nous devenons identiques à lui, car nous exprimons sa sagesse au moins matin et soir. Mais à force de produire l’effet, la cause se développe en nous sous forme de vertus.
Le Souverain de la Loi enseigne : « Comme l’indique l’expression « transmigration dans les six voies » il s’agit du monde de l’illusion et de la souffrance. Lorsqu’il prend refuge dans le bien unique du véhicule vrai, ce monde devient tel quel, et instantanément, le monde du Bouddha ». Nous sommes tous, autant que nous sommes, un monde unique, sans origine, impartageable avec le voisin, et contenant toutes sortes d’illusions et de souffrances. Lorsque nous pratiquons, par contre, l’intégralité de ce monde infini que nous sommes devient, tel quel, immédiatement, le monde du Bouddha. Prenant refuge, Namu, dans Myoho Renge Kyo, qui est le Bouddha originel, nous manifestons instantanément la sagesse du Bouddha. Nous abandonnons ainsi immédiatement tout ce à quoi nous avons été liés, en tant que souffrances multiples, depuis une infinité.
Un jour un disciple a demandé au Daishonin ce qu’il en serait s’il récitait Namu Nichiren, Le Daishonin lui répondit que cela n’aurait que la valeur de Namu, c’est-à-dire de la consécration, le terme de Nichiren n’étant pas, en soi, le Bouddha originel. Le Bouddha originel n’est que Myoho Renge Kyo.
Catherine : Peu importe l’état dans lequel on est lorsqu’on pratique, finalement alors ?
Exactement. Le sutra du sage universel indique : « Sans interrompre leurs mauvaises passions, sans se libérer des cinq souillures, ils purifient leurs racines et effacent toutes leurs fautes ». Réciter Nam Myoho Renge Kyo au sein des troubles est néanmoins l’effet de l’éveil ultime. En outre, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, au vu de la condition humaine, en général. Le second patriarche du Tendai japonais, Gishin, à la question : « Comment est-il possible de manifester le sublime sans avoir détruit la nature des trois poisons » répond : « La nature des trois poisons n’est autre que l’aspect réel ; c’est à cause de la sottise que l’aspect réel se transforme en égarements. Inversement, les quatre qualités ( de la sérénité, de la pureté, de la permanence et du Soi ) sont originellement ignorance ; c’est grâce à l’éveil qu’elles sont manifestées en tant que quatre qualités.. ». Gishin déclare également : « Il n’existe pas de glace opaque à part de l’eau transparente, et il faut enlever la glace durcie pour puiser l’eau… C’est pourquoi il faut rechercher l’éveil dans la pensée troublée par les passions, et il faut s’assurer le nirvâna dans la forme même des souffrances des naissances et des morts ». Ainsi, quelqu’un qui penserait que l’eau limpide et fluide est d’une autre nature que la glace durcie et opaque, serait mal parti. L’eau durcie et opaque de nos troubles est l’eau limpide et fluide de l’éveil, il suffit seulement de pratiquer. Dans notre école, les troubles équivalent à l’éveil mais, comme le précise le Daishonin le terme « équivaut », ou « soku », est Nam Myoho Renge Kyo. On ne peut donc affirmer qu’il faut se départir des troubles pour parvenir à l’éveil, c’est irréaliste.
Catherine : Ce n’est donc pas la peine d’essayer de bloquer sa pensée lorsqu’on pratique.
Brigitte : On ne peut pas, en plus ! C’est un effet !
Il faut considérer également que l’éveil se produit, en général, lors de souffrances importantes, au moment où le sentiment intérieur est celui de la proximité de la mort. Au moment de l’angoisse de l’urgence. Mais il y a aussi des cas plus sereins.
Nancy : Même l’éveil partiel ?
Oui. C’est au moment où l’on pense que tout est fini, qu’il est trop tard, qu’on ne pourra jamais, etc.
« Le Bouddha de la fleur du lotus substantifique de la durée de la vie de la doctrine originelle… se trouve parmi les disciples et bienfaiteurs de Nichiren », écrit le Daishonin. Il s’agit donc de nous, si nous pratiquons. Et le Souverain de la Loi commente : « La vie de celui qui récite Nam Myoho Renge Kyo réalise les œuvres et vertus du point de vue du triple corps : corps de la Loi, corps de rétribution et corps de communication, identiques à l’éveil du Bouddha originel de l’ensemencement. Aussi, grâce à la réalisation de ces œuvres et vertus, le lieu où vit cet homme devient immédiatement la terre du Bouddha. Le corps de celui qui récite Nam Myoho Renge Kyo exprime tel quel l’aspect de la Loi. C’est le sens de la phrase : le corps et le territoire sont Une pensée trois mille ». Le corps et le territoire, c’est-à-dire l’être et l’environnement, où encore Une pensée trois mille, « dans une relation de fusion merveilleuse, réalisent les œuvres et vertus des quatre vertus de la permanence, de la félicité, du Soi et de la pureté ». Autrement dit, lorsque nous récitons Nam Myoho Renge Kyo, les œuvres et vertus de la permanence, de la félicité, du Soi et de la pureté apparaissent en nous et notre environnement lui-même en est baigné. Ce qui ne nous est que difficilement concevable. L’accès, même partiel, à l’éveil entraîne donc le corps, l’esprit et ce qui n’est pas le corps. Le Souverain de la Loi précise en outre : « Notre esprit, existant en dépendance de notre corps, fait naître le profond éveil ». Bien que l’esprit existe en dépendance du corps, c’est-à-dire que la pensée est un effet de la relation instantanée corps/environnement, le fait de croire et de garder la Loi, qui dépend de l’esprit, fait naître le profond éveil dans le corps, dans l’environnement et dans l’esprit. Si l’on conserve cette même logique, mais que l’on considère cette réalité hors de l’enseignement du Bouddha, que trouve-t-on ? Parménide a déclaré, concernant l’existant : « Il est tout entier plein d’étant, aussi est-il tout entier continu, car de l’étant touche à de l’étant… Alors, immobile dans les limites de larges liens, il est sans commencement, sans fin, puisque naissance et mort sont bel et bien dans l’errance au loin, la croyance vraie les a repoussées. Le même et restant dans le même, il se tient en soi-même et c’est ainsi qu’il reste planté là au sol, car la nécessité puissante le tien dans les liens de la limite qui l’enclôt tout autour ; c’est pourquoi il est de règle que l’étant ne soit pas dépourvu d’achèvement ». Et Parménide nous expliquera encore : « En étant sans naissance et sans trépas il est entier, seul de sa race et non dépourvu d’achèvement. Jamais il n’était ni ne sera, car il est au présent, tout ensemble, un, continu ».
Nancy : C’est fou !
Parménide décrit donc avec sagacité le fait ordinaire des êtres dans leur relation avec leur « environnement ». L’être dans son environnement est achevé, à chaque instant, seul de sa race, c’est-à-dire incommunicable, immobile, sans commencement ni fin, au présent, Un, continu dans les limites de larges liens, empli d’étant. Cela constitue exactement le fait ordinaire de l’être, en tant qu’effet. Comme le souligne le Souverain de la Loi : « L’unité et la diversité sont mutuellement identiques à travers le temps et l’espace ». Tout n’est que « Une pensée trois mille », de l’enfer à l’éveil ultime. Dès lors nous pouvons comprendre que, s’il y a acceptation de la Loi en l’esprit et pratique physique quotidienne, nous et notre environnement sommes baignés des œuvres et vertus de l’acte. L’esprit qui est, à la base, dépendant du corps, peut orner les corps et l’environnement des œuvres et vertus.
Brigitte : On entraîne toujours notre environnement du fait de notre état ?
Pas si l’on ne pratique pas. Ce n’est alors qu’une harmonie globale, en tant qu’effet, où rien n’influence jamais rien. Ce n’est que lorsque l’on quitte les six voies, en pratiquant, qu’il y a un phénomène d’entraînement de notre propre monde. Par exemple le monde de ton frère aîné, celui de ton frère cadet et le tien n’ont aucun rapport ni aucune influence l’un sur l’autre. Même si vous viviez ensemble. Les mondes infinis s’entrecroisent dans l’instantanéité sans s’influencer les uns les autres. Pratiquer permet donc d’entraîner son propre monde, qui est infini, dans l’éveil.
Catherine : Ce sont les êtres qui nous entourent, qui nous sont proches, les animaux…
L’infinité qui a été, est et sera, proche.
Brigitte : L’éducation, alors ! C’est de la gnognote ?
Je reprendrai le propos de Gorgias qui déclare que les mots ne transmettent ni ce qui est, ni ce qui n’est pas. Donc…
Nancy : Bien vu ça !
Le Souverain de la Loi déclare, à propos de la perfection de sérénité : « Nam, de Nam Myoho Renge Kyo, signifie la véritable aisance opposée à la souffrance ». Nam a pour sens de prendre refuge, de retourner sa vie aux racines de son cœur. Il s’agit d’abandonner provisoirement son moi et ses purulences afin de permettre l’apparition en soi de l’objet suprême : Myoho Renge Kyo. La raison en est que les racines de notre propre cœur se trouvent dans ce d’où elles naissent, c’est-à-dire Myo, et elles y retournent simultanémént. Dès lors, Nam est la sagesse de l’objet correct Myoho Renge Kyo. Il s’agit de l’identité du saint et du profane, comme l’explique Miao Le. « Quand on récite Nam Myoho Renge Kyo sincèrement, en particulier en regardant le caractère Nam, on obtient un état de vie vraiment serein. Si vous récitez en comprenant cela, vous pourrez le constater profondément » nous dit le Souverain de la Loi.
Au début nous disions que le sentiment du moi s’impose, et constitue la base de nombreuses souffrances. Cela est vrai. Pourtant il existe également une perfection du moi. Le Souverain de la Loi enseigne : « Myoho est la perfection du moi ». Myo est la merveille, Ho, désigne les phénomènes qui en jaillissent à chaque instant avec leurs caractéristiques propres. Dans ce sens, réciter Myoho correspond à la perfection du moi, celui-ci s’étendant alors à la totalité des phénomènes. « Vous avez tous un « moi » en vous-même et ce « moi » possède une vision égocentrique ou des désirs égocentriques. Beaucoup se rendent malheureux avec leur cupidité, leur colère et leur sottise issues de ce « moi » puisqu’ils n’arrivent pas à s’en débarrasser » nous dit le Souverain de la Loi, et il est de fait que nous ne pouvons nous extraire du fait de voir, d’entendre, de ressentir, de juger, etc. Or, nous précise t-il : « On peut s’ouvrir au fait que ce « moi » est identique à la Loi merveilleuse (Myoho). Grâce à cette Loi merveilleuse, notre vie avec nos dix états présents mutuellement fusionne avec ceux de cette Loi merveilleuse et elle peut atteindre un état libre. Autrement dit, quand nous récitons Nam Myoho Renge Kyo en regardant les caractères de « Myoho » dans le corps de la Loi, dans le Gohonzon notre vie se transforme en vie de la Loi merveilleuse. Là se manifestent les grandes œuvres et vertus permettant à notre « petit moi » de se transformer en « grand moi » ; Ces œuvres et vertus sont appelées la « perfection du moi ». Nous nous percevons, en général, comme des phénomènes séparés du reste des êtres et des choses. Pourtant, dans l’instantanéité des choses, tout ne forme qu’un corps unique. Dès lors, concernant cette perfection du « moi » : « Il ne s’agit pas du petit « moi » mais du grand « moi », autrement dit d’un état de la Loi merveilleuse où le « Moi » est identique au monde des phénomènes car Myoho Renge Kyo exprime le « Myo » couvrant le monde des phénomènes où chaque phénomène se pénètre l’un l’autre ». Et ce point de vue nous rapproche encore de Parménide qui a déclaré : « En tout cas, tu apprendras en outre ceci : comment les phénomènes doivent être en leur apparaître, eux qui à travers tout pénètrent toutes choses ». Le Souverain de la Loi a un jour déclaré : « Où que vous soyez, vous êtes dans le corps de la Loi ». Et aussi : « Le sutra du Lotus considère le moi comme étant la fusion parfaite de la conditionnalité, de la vacuité et de la médianité, le moi étant inconcevable ».
Quand à la perfection de la pureté Le Souverain de la Loi enseigne : « Les caractères « Renge » signifient la pureté… Notre vie est souillée, c’est certain… Cependant, dans cette vie même, la cause et son effet existent simultanément grâce aux œuvres et vertus de « Renge » de l’inconcevable Loi merveilleuse. La vie possède les illusions et l’éveil à la fois. Les caractères de « Renge » ont pour œuvres et vertus le fait que « l’impureté est identique à la pureté ». « Renge » signifie la simultanéité de la cause et de l’effet, mais en général personne ne sait que cela existe, personne ne peut le voir. Bien au contraire, les êtres sont spontanément persuadés que leur impureté provient de leurs actes passés, de leur éducation, de leurs faibles moyens actuels, et sont au fait de leur stupidité, de leur avidité etc. Autrement dit, considérer notre existence présente comme étant le fruit d’un passé linéaire induit l’impureté, alors même que la vie de chacun est l’expression même de la simultanéité de la cause et de l’effet, sans origine. Là est la pureté.
Catherine : Mais les deux lectures peuvent exister.
Oui, mais il y en a une qui est cause de souffrances, et elle prédomine nettement. Lorsque Shakyamuni montre sur son corps les trente deux marques distinctives de l’éveil et les quatre vingt aspects, c’est pour montrer aux êtres les bénéfices visibles de l’accumulation d’actes saints. Lors, tous peuvent le comprendre. Le présent est le fruit du passé. A contrario, la doctrine du Bouddha originel est celle de « l’être ordinaire identique au suprême au degré de dénomination ». Ainsi, nul besoin de montrer la réalité d’une accumulation d’actes, seule la pratique présente est le futur et le passé de l’être. Nous avons donc encore le corps, celui du simple mortel qui récite, et le son, mais cette fois au degré ultime : l’apparition du Corps de la Loi. La raison en est que l’objet de la conscience étant le passé du vrai, seul l’acte physique est le présent. Ainsi Zhiyi enseigne : « La récitation de la lettre du sutra est la respiration du Corps de la Loi ». Et le Daishonin affirme : « L’instant suprême, c’est maintenant ». Nous pouvons alors comprendre que, dans notre école, jamais le Bouddha originel Nichiren Daishonin n’a évoqué son éveil dans le passé. La raison en est que nous passons d’une logique à une autre. La première postule un temps existant en soi, la seconde non. Tout est à l’origine.
Enfin, la perfection de la permanence : Kyo. Le Souverain de la Loi enseigne : « Vous connaissez les quatre souffrances que sont la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort. On est né, on vieillit, on tombe malade et on finit par mourir. C’est une chose absolument inévitable pour l’être humain. Cependant, il y a une noble vie perpétuelle sans transformation. C’est ce que signifie le caractère « Kyo ». On peut donc s’ouvrir au fait qu’il y a, en nous-même, une noble vie sans transformation, alors même que nous percevons exactement le contraire. La personnalité ne peut ni apparaître, ni disparaître. Pour autant, elle peut charrier l’enfer, l’avidité ou l’éveil.
Catherine : Tu veux dire qu’elle est immobile ?
C’est ce que disent le Tiantai, Parménide, Nichiren, et d’autres. Le Souverain de la Loi enseigne : « Kyo est la perfection de la permanence demeurant inchangée éternellement. Kyo signifie le trait vertical par rapport au trait horizontal. Cela signifie donc la permanence au niveau du temps ». Le trait horizontal désigne la foultitude des multiples phénomènes instantanés dans le monde des dharma, et le trait vertical indique le temps. Nous pouvons ainsi envisager, dans un premier moment, une certaine permanence dans le temps. Pourtant, plus profondément, la doctrine parfaite affirmera : « ni vertical, ni horizontal », et tel est notre enseignement. Les notions de verticalité et d’horizontalité nous permettent de nous faire une idée, mais elles sont fausses. Pour cette raison Parménide peut affirmer, à propos des êtres et des choses qui apparaissent et disparaissent : « Les choses absentes, regardes-les pourtant, par la pensée, comme fermement présentes. Car tu ne couperas pas l’étant à part de l’étant, qui ne se tiendra donc ni dispersé partout en toutes manières de par le monde, ni rassemblé ». L’étant est. L’étant ne peut être sans avoir toujours été. Et Nietzsche de dire : « Il me semble que tout a beaucoup trop de valeur pour que ce doive être aussi fugitif. Ma consolation est que tout ce qui fut est éternel : la mer le ramène à la surface ». Et pour les grecs de l’époque de Parménide, il était complètement inconcevable que ce qui est, avec tant de caractéristiques singulières, puisse surgir du « rien », du « vide », et y retourner.
Brigitte : Tout ce qui est, est sans origine, sans transformation, inconditionné. C’est nous qui induisons un temps, un espace…
Le Souverain de la Loi déclare encore : « Les jeunes ont leur avenir. Mais les personnes âgées se disent souvent « Je vais bientôt me retrouver dans un cercueil. Je n’ai plus rien à faire ». Mais grâce à la récitation de la Loi merveilleuse, nous pouvons ressentir le fait de vivre une vie éternelle. Quand nous en sommes conscients, notre esprit de recherche est sans limite. Nous vivrons éternellement même après notre mort grâce aux œuvres et vertus de la Loi merveilleuse, et nous pourrons les accomplir de plus en plus ». Les œuvres et vertus engendrées actuellement, étant notre propre existence, nous accompagnent où que nous soyons.
Brigitte : Cela est éternel.
Il poursuit : « Kyo, qui représente la perfection de la permanence, correspond à la vertu du vent. Le vent va n’importe où. Il devient un être au libre parcours dans le monde des phénomènes puisqu’une fois arrivé quelque part, il fusionne là ». Autrement dit, notre propre corps a la vertu de la permanence, il a la vertu du vent.
Brigitte : Alors que nous, nous voyons le corps à trente ans, et il a changé, on le voit à cinquante… On voit le vieillissement…
Telle est une partie de notre illusion. Le Daishonin enseigne : « Un seul cœur et une pensée sont omniprésents dans le monde des phénomènes ». Cela, on ne peut le voir, mais ce n’est pas une raison pour ne pas y croire et, ensuite, on peut s’y éveiller. Et le Souverain de la Loi déclare : ‘Du point de vue profond de la Loi merveilleuse notre cœur est omniprésent dans le monde des phénomènes. Nous ne le comprenons pas à cause de notre cœur rempli d’égarements ».C’est donc l’illusion qui nous fait souffrir et non la « réalité ».
Brigitte : Nous avons besoin d’un corps…
Il n’y a jamais « absence de corps ».
Brigitte : Le Bouddha, lui, emprunte un corps…
Michèle : Oui, le Bouddha apparaît avec un corps…
Ce n’est pas deux. Il n’y a jamais d’esprit sans corps, ni de corps sans esprit.
Catherine : Donc, il y a toujours corps. Même nous.
Le corps est permanent. Il s’agit toujours d’un assemblage provisoire dont on ne peut quantifier la présence ou l’absence à l’aune de notre seul jugement humain. Si l’on vous affirme que vous n’êtes constitués que de soixante dix pour cent d’eau et, pour le reste, de sels minéraux, et d’un tas d’autres choses visibles ou non, ce n’est pas un affront à votre personnalité. Si l’on vous dit que la matière et l’énergie sont une seule et même chose, vous pouvez sans doute l’accepter. Pour autant nous ne pouvons voir que la « matière », et non « l’énergie ». Si l’on étendait, là, devant vous, vos viscères ou votre système sanguin, vous seriez probablement horrifiés et diriez : « quelle horreur, ôtez ça de ma vue » et ne hurleriez pas : « c’est mon moi, c’est mon moi » !
Le Daishonin enseigne : « Ainsi, au moment où l’on récite Myoho Renge Kyo apparaît alors le Bouddha à l’éveil originel contenu dans notre cœur ». Et Zhiyi, lui, a déclaré : « Non seulement leurs mérites ne seront pas perdus, ni vains, mais de plus ils constitueront l’essentiel répondant au principe ». En premier lieu, les mérites engendrés par la pratique de la Loi merveilleuse ornent à chaque instant notre vie et ne peuvent s’effacer, ils sont hors le temps, ils emplissent l’espace et ne peuvent péricliter. Ensuite, « ils constitueront l’essentiel répondant au principe » peut se comprendre de la façon suivante. « Principe » signifie commencement, origine, cause première, primitive, originelle. Dès lors, lorsque Zhiyi affirme que les bienfaits issus de notre pratique correspondent au principe, il entend par là que la récitation de la Loi est l’apparition du Bouddha en ce monde. Dans le même esprit Nagarjuna a écrit : « Les racines de bien pleinement consacrées à l’éveil ne disparaîtront, ni ne seront réduites à rien, jusqu’à ce que l’on prenne place au cœur de l’éveil ». Les racines de bien que nous créons ne peuvent disparaître, car elles sont hors du temps, comme tout le reste. Et, plutôt que de considérer vainement une quelconque accumulation, sachons que la récitation de Nam Myoho Renge Kyo orne notre corps, de la même façon qu’un fruit peut être vert ou pleinement mûr. Dans les prières silencieuses nous lisons : « Afin que s’accroisse la lumière puissante, afin que s’épanouisse le fruit… ». Et donc le fruit s’épanouit, la lumière de la sagesse s’accroît, il ne s’agit pas d’accumulation mais il s’agit d’orner notre existence hors le temps.
Catherine : Qu’est-ce que ça veut dire : « pratiquer avec sincérité » ? On ne sait jamais si on est sincère.
Je crois que l’on peut être sincère et être complètement con. Je préfère le terme d’honnêteté. Abandonner honnêtement les vues à la con, c’est bien. Réciter honnêtement Nam Myoho Renge Kyo en délaissant, même provisoirement, ses petites angoisses égotistes, est de notre registre.
Dans le chapitre des Maîtres de la Loi du Lotus il est écrit : « S’il se trouve des gens qui reçoivent, gardent, lisent, récitent, comprennent et propagent, et retranscrivent ne serait-ce qu’une stance de ce sutra de la fleur de la Loi merveilleuse…sache-le, ces gens auront déjà fait offrande à des centaines de milliers de myriades d’Eveillés, auront accompli leur grand vœu auprès des Eveillés et c’est par compassion pour les êtres qu’ils seront nés sous forme humaine ». Si l’on est de ceux qui reçoivent, gardent, lisent et propagent ne serait-ce qu’une phrase pendant un jour, un an, trente ans, c’est que nous avons servi une infinité d’Eveillés et que nous existons actuellement par bienveillance envers les êtres. C’est à cela que nous devons nous éveiller le plus vite possible. Autrement dit, il n’y a que deux manières d’exister. Soit l’existence est consécutive, elle naît des causes et des conditions, elle s’impose, c’est imparable, soit on vit par bienveillance si l’on pratique. Mais nul ne peut s’extraire du fait d’être. Le Souverain de la Loi déclare : « Ce matin, vous vous êtes réunis ici et venez d’effectuer la pratique pendant une heure. Cela veut dire que dans ce Kyakuden, vous avez pratiqué le sutra du Lotus fondamental depuis le passé originel infiniment lointain. Il y a là un sens profond et des œuvres et vertus y résident ». Vous avez toujours été en ce monde pour pratiquer et propager la Loi. Il déclare également : « Les œuvres et vertus de cette Loi merveilleuse recouvrent non seulement la personne qui la pratique, mais aussi celles qui ont un lien avec elle, dans les deux phases du passé et du futur. Je le ressens vraiment… ». Autrement dit, pratiquer est propager, pratiquer est entraîner une multitude. Ce que nous sommes ne se limite pas à ce que nous croyons voir de notre corps. Et il dit enfin : « La récitation sérieuse de Nam Myoho Renge Kyo nous permet d’obtenir la vie de la Loi merveilleuse et d’avoir le lien avec beaucoup d’êtres, afin de les guider vers la pratique. Quand nous avançons avec une telle perception, notre vie quotidienne, ordinaire, et notre vie profonde se développent ». Par exemple, nous remarquons tous que la liste des défunts pour lesquels nous avons une pensée en pratiquant s’allonge avec le temps. Cette liste inclut nos proches, ceux qui nous ont touché, ceux que nous avons aimé ou détesté et, de fait, nous traînons avec nous un cortège d’êtres, que nous en soyons conscient ou non. Ceci correspond à une part « visible » de l’infinité de ce que l’on entraîne.
Nous allons finir avec Huisi (515 – 577), deuxième fondateur du Tiantai chinois, maître de Zhiyi. Un jour qu’il enseignait sur une montagne, un disciple lui demande : « Pour quelle raison ne descendez-vous pas de la montagne, afin de convertir les vivants ? » Le maître répondit : « M’étant égalé aux Bouddha des dix directions et des trois mondes, ma présence exclusive dans la montagne opère d’elle-même son influence salvifique sur tous les humains ». Et enfin, alors qu’il était proche de la mort, un jeune disciple entre, croit voir Huisi sans aucun souffle et pousse un cri. Huisi lui dit alors : « Vous êtes un vilain démon : Je suis sur le point de m’en aller. Extrêmement nombreuse est la foule des saints assemblés pour venir à ma rencontre, et parler du lieu de ma prochaine renaissance. Quelle idée vous prend de me gêner et de me troubler ? Homme insensé, sortez ! ». Huisi se remet en méditation, à un moment la salle est emplie de multiples parfums, les moines entrent et le trouvent le corps souple, le visage comme à l’accoutumé, entré dans l’extinction.
Je vous remercie de votre attention.