Cours n° 13

 

Nietzsche et le Bouddha Originel

Ceci est une sélection de textes en liaison avec l'enseignement de Nichiren. Ces extraits sont tous issus de la compilation globale : "Nietzsche, le premier toujours et partout".

En direction du printemps1881

Toute action, toute pensée, toute émotion apporte sa pierre à ton bonheur ou ton malheur futur ; elles construisent ton cœur, tes habitudes, il n’y a rien d’indifférent. Il faudra expier ta frivolité logique.

4. « J’ignore tout de ce que je fais ! J’ignore tout de ce que je dois faire ! » - Tu as raison, mais n’en doute pas : tu es fait ! à chaque instant ! De tout temps l’humanité a confondu l’actif et le passif, c’est son éternelle bourde grammaticale.

5. La croyance à la liberté de la volonté est une erreur originelle de tout être organisé,

8. Toute croyance à la valeur et à la dignité de la vie repose sur une pensée inexacte

12. Nous ne nous plaignons pas de la Nature comme d’un être immoral, quand elle nous envoie un orage et nous mouille : pourquoi nommons-nous immoral l’homme qui nuit ? Parce que nous admettons ici une volonté libre s’exerçant arbitrairement, là une nécessité. Mais cette distinction est une erreur.

14. Rigoureuse nécessité des actions humaines… défaut absolu de liberté… irresponsabilité de la volonté…Nous sommes en prison, nous ne pouvons que nous rêver libres et non point nous rendre libres

28. Le mourir-au-monde est déjà de l’orgueil.

37. Des fantômes comme la dignité de l’homme, la dignité du travail, sont les misérables produits de l’esclavage qui ne s’avoue pas à lui-même. ( V.P.2.p. 100. )

41. A chaque instant, si bref soit-il, il y a nécessité absolue de ce qui se passe en nous… Nous disons : je veux, là où nous devrions dire : « je suis forcé »…

( O.P.C. t.4.p. 487.)

42. C’est un non-sens de nous considérer comme une cause – que savons-nous des causes et des effets ! ( O.P.C. t.4.p. 495.)

Il n’y a pas de bien, pas de mal en soi. ( O.P.C. t.4.p. 495.)

50. L’acte n’est pas effacé par l’absolution. Le passé n’est pas passé, nos actes sont notre être ; de même que notre activité future nous appartient déjà. La mémoire n’est pas décisive. ( O.P.C.t.4.p. 531.)

51. Les gens naïfs croient encore que nous savons pourquoi nous voulons.

( O.P.C.t.4.p. 538.)

55.Un préjugé veut que nous connaissions le moi, qu’il ne manque pas de se manifester constamment ; mais on n’y consacre presque aucun travail ni aucune intelligence – comme si dans la connaissance de nous-mêmes l’intuition nous dispensait de l’étude. (V.P. 1.p. 286. )

56. Chaque jour je m’étonne : je ne me connais pas moi-même ! ( O.P.C.t.4.p. 572.)

57. 1° Nous ne connaissons pas les motifs de l’action ; 2° nous ne connaissons pas l’action que nous accomplissons ; 3° nous ne savons pas ce qu’il en adviendra. Mais nous croyons le contraire sur ces trois points. ( V.P.2.p. 164. )

60. Ce n’est pas grâce à la connaissance, mais grâce à l’exercice et à un modèle que nous devenons nous-mêmes ! ( O.P.C.t.4.p. 601.)

61. Nous sommes plus qu’un individu ; nous sommes aussi la chaîne entière, avec les tâches qu’impliquent toutes les destinées futures de cette chaîne. (V.P.2.p. 166.)

Eté 1881 – été 1882

 

 

75. Début août 1881 à Sils-Maria, 6ooo pieds au-dessus de l’homme et du temps. Ce jour-là, j’allais à travers bois, le long du lac de Silvaplana ; je fis une halte près d’un énorme bloc de rocher dressé comme une pyramide, non loin de Surlei. C’est alors que me vint cette pensée… ( E.H. p.160 )

76. Est-il, en cette fin du 19° siècle, quelqu’un qui ait une idée nette de ce que les poètes des époques fortes appelaient inspiration ? Si ce n’est pas le cas, je m’en vais le décrire. Pour peu que l’on conserve un grain de superstition, on ne saurait qu’à grand-peine repousser la conviction de n’être qu’une incarnation, un porte-voix, le médium de forces supérieures. La notion de révélation, si l’on entend par là que tout à coup, avec une sûreté et une finesse indicibles, quelque chose devient visible, audible, quelque chose qui vous ébranle au plus intime de vous-même, vous bouleverse, cette notion décrit tout simplement un état de fait. On entend, on ne cherche pas ; on prend sans demander qui donne ; une pensée vous illumine comme un éclair, avec une force contraignante, sans hésitation dans la forme – je n’ai jamais eu à choisir. Un ravissement dont l’énorme tension se résorbe parfois par un torrent de larmes, où les pas, inconsciemment, tantôt se précipitent ; tantôt ralentissent ; un emportement « hors de soi » ; où l’on garde la conscience la plus nette d’une multitude de frissons ténus irriguant jusqu’aux orteils : une profondeur de bonheur où le comble de la douleur et de l’obscurité ne fait pas contraste, mais semble voulu, provoqué, mais semble être couleur nécessaire au sein de ce débordement de lumière… Tout se passe en l’absence de toute volonté délibérée, mais comme dans un tourbillon de sentiments de liberté, d’indétermination, de puissance, de divinité… Telle est mon expérience de l’inspiration : je ne doute pas qu’il faille remonter à des milliers d’années pour trouver quelqu’un qui soit en droit de me dire : « c’est aussi la mienne ».

78. Le monde des forces ne souffre aucune diminution… Tel cet instant même : il s’était déjà produit une fois et de nombreuses fois, et il reviendra de même, toutes forces exactement distribuées telles qu’elles le sont maintenant… Homme ! ta vie tout entière sera de nouveau et toujours retournée tel un sablier, et toujours et de nouveau elle s’écoulera… Et alors tu te verras retrouvant chaque douleur et chaque plaisir, chaque ami et chaque ennemi, chaque espérance et chaque erreur, chaque brin d’herbe et chaque rayon de soleil, l’entier enchaînement de toutes choses… ( O.P.C. t. 5.p. 367. )

79. Cette doctrine est douce à l’égard de ceux qui se refusent à la croire, elle n’a point d’enfer ni ne profère de menaces. Qui ne la croit, n’a qu’une vie fugitive dans sa conscience. ( O.P.C. t. 5.p. 371.)

80. Nul vainqueur ne croit au hasard. . ( G.S. O.P.C. t. 5.p. 183.)

82. Imprimons à notre vie l’image de l’éternité ! Cette pensée contient davantage que toutes les religions qui méprisent cette vie-ci en tant que fugitive et qui nous ont appris à élever nos regards vers une incertaine, autre vie. ( O.P.C.

85. Que m’arriva-t-il hier en ce même lieu ? Jamais je ne m’étais senti aussi heureux, et le flux de l’existence avec les plus hautes vagues de la félicité me lança son plus précieux coquillage, la pourprée mélancolie. A quoi n’étais-je pas prêt ! Quel péril n’eussé-je pas défié ! ( O.P.C. t. 5.p. 542.)

86. Sans la représentation d’êtres autres que ne le sont les humains, tout ne demeure que provincialisme, que bonasserie. ( O.P.C. t. 5.p. 444.)

87. Ce n’est pas dans nos perspectives propres que nous apercevons les choses, nous empruntons déjà les perspectives d’un être plus grand que nous, mais de même espèce. ( V.P.2.p. 477. )

88. Doit-on estimer la vie par une longue durée de jours insipides ? Ou par le nombre et la vivacité des jouissances 

91. « Mais si tout est nécessaire, en quoi puis-je décider de mes actes ? » La pensée de l’éternel retour et la croyance à ce retour forment une pesanteur qui parmi d’autres pesanteurs t’oppresse et pèse sur toi davantage que celles-ci. Tu dis que la nourriture, le lieu, l’air, la société te changent et te déterminent ? Or, tes opinions le font bien plus encore, car celles-ci te déterminent à choisir telle nourriture, tel lieu, tel air, telle société. – Si tu t’incorpores la pensée des pensées, elle te métamorphosera. La question que tu te poses pour tout ce que tu veux faire : « Le voudrais-je de telle sorte que je le veuille faire d’innombrables fois ? » constitue la pesanteur la plus importante

93. Sur l’un, la nécessité plane sous la forme de ses passions, sur l’autre, comme l’habitude d’écouter et d’obéir, sur le troisième en tant que la conscience logique, sur le quatrième comme le caprice et le plaisir fantasque à sauter les pages. Mais tous les quatre cherchent précisément leur libre arbitre là où chacun est le plus solidement enchaîné : c’est comme si le ver à soie mettait son libre arbitre à filer.

95. La liberté du choix est absente des petites comme des grandes choses.

96. Cause et effet : pareille dualité n’existe probablement jamais – en vérité nous avons affaire à un continuum dont nous isolons quelques fractions ; de même que nous ne percevons jamais que les points isolés d’un mouvement que nous ne voyons pas en somme, mais que nous ne faisons que supposer. La soudaineté avec laquelle un nombre d’effets se substituent les uns aux autres nous égare : mais pour nous ce n’est qu’une soudaineté. Il y a une foule infinie de processus dans cette seconde de soudaineté, qui nous échappent. Un intellect capable de voir la cause et l’effet non pas à notre manière en tant que l’être arbitrairement divisé et morcelé, mais en tant que continuum, donc capable de voir le fleuve des événements – rejetterait la notion de cause et d’effet, et nierait toute conditionnalité.

100. Gardons-nous de déclarer qu’il y a des lois dans la nature. Il n’y a que des nécessités : là nul ne commande, nul n’obéit, nul ne transgresse. Dès lors que vous savez qu’il n’y a point de but, vous savez aussi qu’il n’y a point de hasard. Car ce n’est qu’au regard d’un monde de buts que le mot hasard a un sens. Gardons-nous de dire que la mort serait opposée à la vie. Le vivant n’est qu’un genre de ce qui est mort, et un genre fort rare.

102. Il n’y a pas eu d’abord un chaos, puis peu à peu un mouvement plus harmonieux et finalement un mouvement régulier et circulaire de toutes les formes : tout cela au contraire est éternel, soustrait au devenir…

Il résulte des lois de la hiérarchie que des savants, pour autant qu’ils n’appartiennent qu’à la classe intellectuelle moyenne, ne doivent du tout être admis à voir les grands problèmes…ni leur courage ni leur regard ne sauraient y suffire… (Une interprétation) qui n’admet autre chose que compter, calculer, peser, voir et saisir, voilà qui n’est que balourdise et naïveté, quand ce ne serait pas de l’aliénation, du crétinisme

112. (L’individu) découvre qu’il est lui-même quelque chose qui change, que son goût est changeant ; sa subtilité l’amène à dévoiler le secret qu’il n’y a point d’individu, que dans le moindre instant il est autre que dans l’instant suivant et que ses conditions d’existence sont celles d’innombrables individus : l’instant infinitésimal est la réalité, la vérité supérieure, une image-éclair surgie de l’éternel fleuve.

113. Toute chose mesurable par rapport à toute chose : mais en dehors des choses il n’est point de mesure : ce pourquoi chaque grandeur en soi est infiniment grande et infiniment petite. En revanche il existe peut-être une unité de temps, laquelle demeure fixe.

116. Propager de toutes les manières l’amour de la vie, de la vie de chacun !… Voilà notre guerre à mort ! Cette vie présente – c’est ta vie éternelle ! ( V.P.2.p. 387.)

118. Seuls subsisteront ceux qui croient leur existence capable de se répéter éternellement ; mais parmi ceux-là on verra se réaliser un état tel que jamais utopiste n’a rien rêvé d’équivalent

120. « Mais où se déversent finalement les flots de tout ce qu’il y a de grand et de sublime dans l’homme ? N’y a-t-il pas pour ces torrents un océan ? » - Sois cet océan ; il y en aura un.

127. Ne pas attendre de lointaines, d’inconnues béatitudes, bénédictions et grâces, mais vivre de telle sorte que nous voulions vivre encore une fois et voulions vivre ainsi pour l’éternité ! Notre tâche nous réclame à chaque instant.

131. Jamais nous ne nous traitons comme un individu, mais toujours comme une dualité et une pluralité…

138. Nos pensées les plus hautes et les plus risquées sont des morceaux du caractère de la « réalité ». Notre pensée est de la même étoffe que toutes choses.

142. Je ne cesse pas de suivre tout ce qui illumine – et toi tu abrites tes yeux de ta main, dès que tu regardes au-dehors. .

145. Longtemps avant de savoir ce que plus tard l’on aura à dire un jour, on s’exerce au geste, à l’attitude, au son de la voix, au style le mieux approprié à cet effet : les impulsions esthétiques et les prédilections de la jeunesse préludent à quelque chose qui est plus que simplement esthétique. Etrange ! . ( O.P.C. t. 5.p. 47)

146. Surchargé depuis l’enfance d’un caractère et d’un savoir étrangers. Je me découvre moi-même. ( O.P.C. t. 3. p.347.)

147. Vous croyez disposer d’un long repos jusqu’à la renaissance – ne vous y trompez pas ! Entre le dernier instant de la conscience et la première lueur de la nouvelle vie, il n’est « point de temps » - mais comme un éclair, quand même des créatures vivantes le mesureraient par billions d’années et ne sauraient seulement le mesurer. Intemporalité et succession sont parfaitement compatibles, sitôt qu’a disparu l’intellect !

150. Veux-tu devenir un regard universel et juste ? Il te le faut alors en tant que celui qui a passé par plusieurs individualités et dont la dernière utilise toutes les précédentes en tant que fonctions. . ( O.P.C. t. 5.p. 490.)

151. Ma philosophie – tirer l’homme hors de l’apparence quel que soit le risque ! Aucune crainte non plus de voir se ruiner la vie ! .( O.P.C. t. 5.p. 492.)

163. Qui se sait profond, s’efforce à la clarté : qui veut paraître profond aux yeux de la foule, s’efforce à l’obscurité. Car la foule tient pour profond tout ce dont elle ne peut voir le fond : elle a si peur de se noyer ! ( G.S. O.P.C. t. 5.p. 167.)

165. Je suis comme touché par la flèche au curare de la connaissance : je vois tout. ( O.P.C. 3. p. 347.)

167. Il faut que nous consentions à assumer toute la douleur qui a jamais été soufferte, celle de l’homme et celle de l’animal, et que nous nous fixions un but qui donnera à cette douleur une raison. ( V.P.2.p. 451. )

170. Qu’aimes-tu chez les autres ? – Mes espérances. ( G.S. O.P.C. t. 5.p. 185.)

175. Nous sommes l’océan dans lequel il faut que se déversent tous les fleuves de la grandeur. . ( O.P.C. t. 5.p. 493.)

 

Eté 1882 – printemps 1884

184. Qui ressent la non-liberté de la volonté est fou ; mais qui la nie est idiot. ( O.P.C. t.9.p. 82.)

185. « J’obéis » - non pas « je veux ». ( O.P.C.t.9. p. 145.)

186. Tu crois à ta « vie après la mort » ? Alors apprends à être mort durant ta vie. ( O.P.C. t.9.p. 72.)

187. Vouloir libre ou vouloir asservi ? – Il n’y a pas de « vouloir » ; c’est là une conception simplificatrice due à l’intelligence comme la « matière ». ( V.P. 1. p. 308.)

192. Je ne fuis pas la proximité des hommes : c’est précisément l’éloignement, l’éternel éloignement d’homme à homme qui me pousse à la solitude. ( O.P.C. t.9.p. 92.)

206. Il y a plus de raison dans ton corps que dans ta raison. Et même ce que tu appelles ta sagesse – qui sait pour quelle fin ton corps a besoin justement de cette sagesse là. . ( O.P.C. t.9.p. 188.)

207. Mais celui qui est éveillé, celui qui sait, dit : « Je suis corps de part en part, et rien hors cela ; et l’âme ce n’est qu’un mot pour quelque chose qui appartient au corps… ( Zara. 41.)

208. En été, retourné aux lieux sacrés où le premier éclair de la pensée de Zarathoustra avait brillé à mes yeux, je trouvai le second Zarathoustra. Dix jours suffirent… C’est le corps qui connaît l’enthousiasme : laissons l’ « âme » hors de tout cela… On aurait souvent pu me surprendre en train de danser ( E.H. p.165.)

212. La volonté de surmonter une passion n’est finalement que la volonté d’une autre passion. ( O.P.C. t.9.p. 207)

213. Derrière tes pensées et ses sentiments, mon frère, se tient un maître impérieux, un sage inconnu – il s’appelle soi. Il habite ton corps, il est ton corps….

Le soi dit au moi : « Souffre, maintenant. » Et il souffre et réfléchit pour savoir comment il pourrait ne plus souffrir – et c’est à cette fin, justement, qu’il doit penser.

Le soi dit au moi : « Eprouve du plaisir, maintenant. » Et il se réjouit et réfléchit pour savoir comment il pourrait encore souvent se réjouir – et c’est à cette fin, justement, qu’il doit penser. ( Zara. P. 42.)

214. Je suis l’ « éveillé » : et vous – à peine êtes-vous nés que déjà vous commencez à mourir. ( O.P.C. t.9.p. 222.)

216. J’étais effrayé parmi les homes : quelque chose m’attirait parmi eux et rien ne m’y apaisait. Je partis vers la solitude et je créai le surhumain. ( O.P.C. t.9.p. 220.)

217. Immortel est l’instant où je créai le retour. C’est pour cet instant-là que je supporte le retour. ( O.P.C. t.9.p. 220.)

218. N’en doutons pas, nous participons du caractère de l’univers. Nous n’avons accès à l’univers qu’en passant par nous-mêmes ; ce que nous avons en nous de haut ou de bas doit être interprété comme inhérent à sa nature. ( V.P.2.p. 476.)

219. Les actions que nous accomplissons le plus fréquemment finissent par constituer un solide édifice autour de nous. O.P.C. t.9.p. 292.

224. Une croyance, si nécessaire qu’elle soit à la conservation des êtres, peut n’avoir rien de commun avec la vérité ; on s’en aperçoit par exemple à ce fait que nous sommes contraints de croire au temps, à l’espace et au mouvement, sans nous sentir obligés de croire à leur absolue réalité. ( V.P. 1. p. 56. )

225. L’œil ne voit plus rien non pas là où le votre cesse de distinguer quoi que ce soit, mais là où cesse votre honnêteté. ( O.P.C. t.9.p. 233.)

226. J’étais dans le désert, je ne vivais que pour la connaissance. ( O.P.C. t.9.p. 234.)

228. Et si vous ne pouvez être des saints de la connaissance, soyez-en au moins les guerriers. Ce sont eux en effet les compagnons et les prédécesseurs d’une telle sainteté ! ( Zara. P. 60.)

231. Il faut établir que l’esprit est la gestuelle du corps ! ( O.P.C. t.9.p. 295.)

232. 160. Absurdité de toute louange et de tout blâme. ( O.P.C. t.9.p. 293.)

246. Je ris de votre volonté libre, mais aussi de votre volonté serve : il n’y a pas de volonté. ( O.P.C. t.9.p. 360.)

247. Tel que vous êtes, vous n’êtes supportables que sous la forme de ruines… Votre malheur et vos avatars justifient votre existence. ( O.P.C. t.9.p. 365.)

258. Tout mot devient immédiatement concept dans la mesure où il n’a précisément pas à rappeler en quelque sorte l’expérience originelle unique et absolument singulière à qui il est redevable de son apparition, mais où il lui faut s’appliquer simultanément à d’innombrables cas, plus ou moins analogues ; c’est-à-dire à des cas qui ne sont jamais identiques à strictement parler, donc à des cas totalement différents. Tout concept surgit de la postulation de l’identité du non-identique. ( V.M. O.P.C. t.1.p. 281.)

259. Tout mot est un préjugé. ( O.P.C. t.9.p. 408.)

269. Ma cécité et mon pas hésitant, mon tâtonnement d’aveugle pourront encore vous en dire sur la puissance du soleil que j’ai contemplé. ( O.P.C. t.9.p. 447.)

272. Vous ne voyez que mes étincelles : mais vous ne voyez pas l’enclume que je suis, vous ne devinez pas la cruauté de mon marteau. ( O.P.C. t.9.p. 453.)

277. L’homme donne de la valeur à l’action : mais comment une action pourrait-elle donner de la valeur à l’homme ! ( O.P.C. t.9.p. 551.)

278. But : parvenir en un instant au surhumain. Pour cela, je souffrirai tout !

( O.P.C. t.9.p. 176.)

279. C’est le but qui désacralise toute chose et toute action : car ce qui devient moyen est désacralisé. ( O.P.C. t.9.p. 579.)

280. Une chose à laquelle un nom correspondrait exactement serait sans origine. ( O.P.C. t.3.p. 434.)

281. Le monde de l’inconditionné, s’il existait, serait l’Improductif. ( O.P.C. t.10.p. 228.)

282. La philosophie, amour de la sagesse ; s’élever jusqu’à la conception du sage qui, étant l’homme le plus heureux, le plus puissant, justifie tout le devenir et en veut le retour ; non pas l’amour des hommes, ni des dieux, ni de la vérité, mais l’amour d’un état, d’un sentiment de perfection spirituelle et corporelle à la fois ; l’affirmation, l’approbation qui naît du sentiment débordant de la puissance créatrice. La suprême distinction. ( V.P.2.p. 461. )

283. On se demande : « Comment doit-on agir ? », comme si l’action se proposait un but à atteindre ; mais c’est d’abord l’acte lui-même qui est un succès une fin atteinte, en dehors des résultats de l’action. ( V.P.2.p. 173.)

284. C’est ainsi que je veux vivre, éclairé par les vertus d’un monde qui n’est pas encore. ( O.P.C. t.9.p. 215.)

285. Ah ! vous les hommes, je trouve qu’une image dort dans la pierre, l’image de mes images !… Or, voici que mon marteau frappe cruellement aux murs de sa prison. Des éclats de pierre s’envolent : que m’importe ? Je veux achever l’image : car une ombre est venue jusqu’à moi – ce qu’il y a de plus léger et de plus silencieux m’a un jour visité ! La beauté du surhumain est venue à moi comme une ombre. Ah ! mes frères ! Que peuvent bien m’importer encore les dieux ! ( Zara. p. 116. )

286. Souffler sur la poudre d’or. ( O.P.C. t.3.p. 387.)

288. Me voilà clairvoyant, mon glaive de diamant brise toute obscurité. Je fus trop longtemps avide de clarté. ( O.P.C. t.9.p. 501.)

289. Je vous enseigne la délivrance du fleuve éternel : le cours de ce fleuve revient sans cesse à sa source, et sans cesse vous descendez dans le même fleuve, dans la mesure où vous êtes identiques. ( O.P.C. t.9.p. 216.)

290. Je n’appelle pas vie le fait de tisser sa toile, comme l’araignée, et de manger des mouches. ( O.P.C. t.9.p. 429.)

291. Créer un être supérieur à ce que nous sommes, voilà notre être. Créer par-delà nous-mêmes ! ( O.P.C. t.9.p. 220.)

292. Je vous enseigne deux choses ; vous devez dépasser l’homme, et vous devez savoir quand vous l’aurez dépassé : je vous enseigne la guerre et la victoire. ( O.P.C. t.9.p. 229.)

307. Ne me parlez pas d’événement ! Rien n’adviendra en vous sinon vous-même. ( O.P.C. t.9.p. 581.)

308. Je ne suis ni esprit ni corps, mais une tierce chose. Je souffre pour tout et partout. ( S. Sweig. « Nietzsche » P. 32.)

313. En dernière analyse, ce n’est nullement l’homme qui est en cause ; il est ce qui doit être dépassé. ( V.P.1.p. 315.)

318. J’enseigne donc et ne m’en lasse pas : l’homme est quelque chose qui doit être dépassé : car je vois, je sais qu’il peut être dépassé – je l’ai vu, le surhomme. ( O.P.C. t.9.p. 605.)

320. Je suis parmi eux comme le diamant parmi les charbons de cuisine. ils ne me croient pas quand je leur dis : ô mes frères ! Nous sommes si proches parents ! ( O.P.C. t.9.p. 611.)

327. Nier toute espèce de fin et comprendre que nous ne pouvons connaître aucune causalité. ( V.P.2.p. 175.)

328. Fini dans l’espace, infini dans le temps. L’indestructibilité apporte l’éternité et l’absence de début. ( O.P.C. t.9.p. 630.)

339. Les faibles disent : « c’est le hasard ». Mais je vous dis : qu’est-ce qui aurait pu me tomber dessus sans être attiré par ma pesanteur ? ( O.P.C. t.9.p. 637.)

344. Vous parlez à tort d’événements et de hasards ! Jamais il ne vous arrivera rien d’autre que vous-mêmes ! Et ce que vous appelez hasard – vous êtes vous-mêmes ce qui vous incombe et vous tombe dessus ! ( O.P.C. t.9.p. 642.)

345. La vérité fait mal parce qu’elle détruit une croyance ; elle ne fait pas mal par elle-même. ( V.P.1. p. 13.)

348. Et quoiqu’il m’arrive en fait d’expérience ou quoique le destin m’envoie – il y sera contenu un voyage et une escalade : en fin de compte, ce n’est plus que de soi-même dont on fait l’expérience.

Le temps est écoulé où il pouvait y avoir des hasards pour moi et que pourrait-il bien m’arriver maintenant qui ne me serait pas déjà propre ? ( Zara. p. 211.)

349. Aspirer à la grandeur, c’est se trahir, car qui la possède aspire à la bonté. ( O.P.C. t.9.p. 649.)

350. Votre âme est si étrangère à toute grandeur que le Surhumain vous ferait peur par sa bonté. ( V.V. p. 198.)

353. Il faut comprendre qu’une action n’est jamais causée par une fin ; que la fin et les moyens sont des interprétations dans lesquelles certains points d’un devenir sont soulignés et choisis aux dépens d’autres, de la plupart des autres ; que chaque fois qu’on agit en vue d’une fin, ce qui se passe est une autre chose absolument différente… Mais en disant cela, nous critiquons la volonté elle-même ; n’est-ce pas une illusion, que de prendre pour une cause ce qui émerge dans le conscient sous forme d’acte volontaire ? ( V.P.1.p. 72.)

354. Nous pouvons analyser notre corps dans l’espace, et nous en obtenons exactement la même représentation que celle du système stellaire, et la différence entre organique et inorganique ne saute plus aux yeux. ( O.P.C. t.9.p. 684.)

370. Et ma grande idée exige que je vive pour l’avenir de l’humanité, aux dépens de ma commodité présente. ( V.P.2.p. 280.)

371. Pas de sujet, mais une activité, une inventivité créatrice, ni « causes » ni « effets ». ( V.P.1.p. 280.)

372. Nous devons supposer un rythme vivant, et non des causes et des effets ! ( O.P.C. t.9.p. 694.)

373. Nier toute espèce de fin et comprendre que nous ne pouvons connaître aucune causalité. ( V.P.2.p. 175.)

374. L’individu est quelque chose d’absolu, toutes les actions lui appartiennent en propre… Dans la mesure où il interprète, il est créateur. ( O.P.C. t.9.p. 693.)

375. Tout ce qui a son prix est de peu de valeur. ( Zara. p.288.)

376. Ce n’est pas d’où vous venez qui doit désormais vous faire honneur mais où vous allez ! ( Zara. p.288.)

377. Il n’existe pas de substance, pas d’atome… Il n’existe pas d’espace… Cause et effet n’existent pas non plus… Mais il est impossible qu’il y ait une succession temporelle : c’est simultanément qu’ici la tension croît lorsque là-bas elle se relâche. Les événements qui sont vraiment reliés entre eux doivent avoir lieu absolument en même temps. ( O.P.C. t.9.p. 693.)

379. Nous n’avons pas le droit de supposer une création, car ce « concept » ne permet pas de comprendre quoi que ce soit. Créer du néant une force qui ne soit pas déjà là : ce n’est pas une hypothèse ! ( O.P.C. t.9.p. 694.)

381. Mon exigence : créer des êtres qui se tiennent au-dessus de tout le genre « humain » : et pour ce but, se sacrifier soi-même, ainsi que les « prochains ».

382. Dés que l’homme s’est parfaitement identifié à l’humanité, il meut la nature entière. ( V.P.2.p. 468.)

Printemps 1884 – automne 84

383. Mes amis, je suis celui qui enseigne l’éternel retour. Voici : j’enseigne que toutes choses éternellement reviennent et vous-mêmes avec elles, et que vous avez déjà été là un nombre incalculable de fois et toutes choses avec vous… ( O.P.C. t.10.p. 20.)

385. Ma philosophie apporte la pensée triomphante qui détruira finalement toute autre façon de voir. ( V.P.2.p. 341 )

386. Mais le nœud de causes dans lequel je suis emmêlé revient, - il me créera de nouveau ! Moi-même je fais partie des causes de l’éternel retour.

Je reviens avec ce soleil, avec cette terre, avec cet aigle, avec ce serpent, - non pas à une vie nouvelle, à une vie meilleure ou à une vie semblable : - je reviens éternellement à cette même vie identique, dans ce qu’il y a de plus grand et dans ce qu’il y a de plus petit, pour que j’enseigne de nouveau l’éternel retour de toute chose,

396. Quand un homme inférieur prend pour fin son existence stupide, son bonheur de brute imbécile, il indigne celui qui en est témoin ; mais quand on le voit opprimer et exploiter d’autres hommes pour servir son confort, alors on devrait l’écraser comme la mouche pestilentielle qu’il est. ( O.P.C. t.10.p. 117.)

397. Les singes ont trop bon cœur pour que l’homme puisse descendre d’eux. ( O.P.C. t.10.p. 88.)

400. La nature d’une action est inconnaissable : ce que nous appelons ses « motifs » ne meut rien : c’est une illusion que de prendre le consécutif pour un rapport de cause. ( V.P.1.p. 308.)

402. L’origine d’une pensée nous est cachée : il y a une grande vraisemblance pour qu’elle soit un symptôme d’un état plus général, comme c’est le cas pour tout sentiment. Dans le fait que ce soit justement cette pensée qui vient et pas une autre, qu’elle vienne justement avec cette clarté plus ou moins grande, parfois certaine et impérieuse, parfois incertaine et ayant besoin d’un soutien, dans l’ensemble apportant toujours l’inquiétude et l’excitation, faisant

question – pour la conscience toute pensée est une stimulation – dans tout cela s’exprime quelque chose d’un état général qui nous fait des signes. ( O.P.C. t.10.p. 197.)

409. Objet et sujet – opposition fautive. Aucun point de départ pour la pensée ! Nous nous laissons égarer par le langage. (O.P.C. t.4.p.664.)

410. Nous nous méfions, quand on prend pour point de départ ce qui « pense », « veut », « sent » en nous. C’est un aboutissant… ( V.P.1.p.40. )

420. J’espère m’approcher progressivement des natures supérieures, mais c’est à peine si je sais où elles sont et si elles existent ! ( O.P.C. t.4.p. 659.)

426. Il ne faut pas que l’isolement de l’individu nous fasse illusion : en réalité il y a un courant commun qui traverse tous les individus. ( V.P.2.p. 467.)

433. Le fait que nous ayons un instinct de temps, un instinct d’espace, un instinct de raisons ; cela n’a rien à voir avec temps, espace et causalité. ( O.P.C. t.10.p. 280.)

434. L’illimité rugit autour de moi, loin devant moi brillent l’espace et le temps, allons, debout vieux cœur !

Ô comment ne brûlerai-je pas du désir de l’éternité et du nuptial anneau des anneaux – l’anneau du retour ?

Jamais encore je n’ai trouvé la femme dont j’eus aimé avoir des enfants, si ce n’est cette femme que j’aime : car je t’aime, ô éternité ! ( Zara. p. 331.)

435. Ce n’est pas « l’humanité », c’est le Surhumain qui est le but !

( V.P.2.p. 418.)

447. Je veux éveiller contre moi la plus haute méfiance : je ne parle que de choses vécues, je n’expose pas de simples vues de l’esprit. ( O.P.C. t.10.p. 327.)

Automne 1884 – automne 85

Creux, caverneux, plein de souffles empoisonnés et de battements d’ailes nocturnes, entouré de chants et d’angoisses, solitaire. (O.P.C. t.11.p. 23.)

450. Je suis pareil à un vent qui éclaircit tous les ciels et qui fait mugir toutes les mers. ( O.P.C. t.11.p. 54.)

459. Nier le mérite, mais faire ce qui dépasse toute louange, voire toute compréhension. ( V.P.2.p. 460. )

473. Supposé que l’univers disposât d’une quantité fixe de force, il serait évident que tout déplacement de force en un point quelconque conditionnerait le système entier – à côté de la causalité du successif, il y aurait une sujétion due à la proximité et à la simultanéité. ( V.P.1. p. 332. )

480. La logique de notre pensée consciente n’est qu’une forme grossière et simplifiée de cette sorte de pensée qui est nécessaire à notre organisme et même à ses divers organes. ( O.P.C. t.11.p. 190.)

481. Notre sens causal est quelque chose de très grossier et d’isolé par rapport aux véritables sentiments de causalité de notre organisme. L’ « avant » et l’ « après » notamment, sont de grandes naïvetés. ( O.P.C. t.11.p. 191.)

485. Un concept est une invention qui ne correspond à rien tout à fait, mais à beaucoup un peu : une proposition telle que « deux choses égales à une troisième sont égales entre elles » présuppose : 1) des choses, 2) des égalités : les unes et les autres n’existent pas. ( O.P.C. t.11.p. 192.)

492. Dire qu’il y ait une évolution de l’humanité dans son ensemble est absurde : ce n’est même pas à souhaiter. ( O.P.C. t.11.p. 209.)

495. Toute morale est une habitude de glorification de soi, grâce à laquelle une espèce d’hommes est satisfaite de son type et de sa vie : elle écarte par là l’influence d’hommes d’un autre type, de façon à sentir ces hommes comme « inférieurs ». ( O.P.C. t.11.p. 227.)

498. Et plutôt être seul sur sa hauteur comme une forteresse noire et à moitié en ruine, méditatif et suffisamment tranquille, au point que même les oiseaux s’effraient de ce silence… ( O.P.C. t.11.p. 228.)

505. La croyance en la nécessité causale des choses repose sur la croyance que c’est nous qui agissons ; si l’on perçoit le caractère indémontrable de cette dernière proposition, on perd alors quelque peu de la croyance en la première. A cela s’ajoute l’impossibilité que les phénomènes puissent être des causes. ( O.P.C. t.11.p. 231.)

506. L’ « âme » elle-même n’est qu’une expression pour dire l’ensemble des phénomènes conscients, mais que nous interprétons comme la cause de tous ces phénomènes. La « conscience de soi » est une fiction ! ( V.P.1.p. 288.)

508. C’est la volonté de puissance qui mène également le monde inorganique, ou plutôt il n’y a pas de monde inorganique. ( O.P.C. t.11.p. 232.)

517. Pour moi la fausseté d’un concept n’est pas une objection contre lui. C’est ici que notre nouveau langage a peut-être la résonance la plus insolite : la question est de savoir dans quelle mesure un concept favorise la vie, conserve la vie et le type. Je crois même fondamentalement que les hypothèses les plus fausses nous sont les plus nécessaires…

518. Qu’il y ait des choses identiques, des cas identiques telle est la fiction fondamentale déjà dans le jugement, puis dans les conclusions. ( O.P.C. t.11.p. 266.)

528. Pourquoi suis-je tel et tel ? Folle pensée de se croire libre de choisir d’être, et d’être de telle ou telle façon. A l’arrière-plan, le besoin de se représenter un être qui aurait pu empêcher de naître un être comme moi, qui me méprise moi-même. Sentir que l’on est un argument contre Dieu. ( V.P.2.p. 48.)

529. Nous nous sommes désormais interdit les divagations qui ont trait à l’« unité », à l’ « âme », à la « personnalité » ; de pareilles hypothèses compliquent le problème, c’est bien clair. Et même ces êtres vivants microscopiques qui constituent notre corps ne sont pas pour nous des atomes spirituels, mais des êtres qui croissent, luttent, s’augmentent ou dépérissent : si bien que leur nombre change perpétuellement et que notre vie, comme toute vie, est en même temps une mort perpétuelle. Il y a donc dans l’homme autant de « consciences » qu’il y a d’êtres qui constituent son corps. ( O.P.C. t.11.p. 311.)

533. Sous la forme où elle se présente, une pensée est un signe dont le sens est multiple… Elle surgit en moi – d’où provient-elle ? à travers quoi ? je l’ignore. Elle se présente, indépendamment de ma volonté… Qui accompli tout cela – je n’en sais rien et suis certainement plus le spectateur que l’initiateur d’un semblable processus. ( O.P.C. t.11.p. 329. )

534. …lorsqu’on pense, ce n’est pas à la pensée que l’on pense. L’origine d’une pensée reste cachée ; il est très vraisemblable que cette pensée ne soit que le symptôme d’une situation beaucoup plus complexe.. . tout ceci est, sous forme de signes, l’expression de quelque aspect de notre état général. ( O.P.C. t.11.p. 330.)

535. Ce qui a été vécu survit « dans la mémoire » ; qu’il « fasse retour », je n’y peux rien, la volonté n’y intervient pas, pas plus que dans la venue d’aucune pensée. Il arrive une chose dont je prends conscience : maintenant une chose analogue arrive – qui l’appelle ? l’éveille ? ( O.P.C. t.11.p. 380.)

537. Le corps humain, dans lequel revit et s’incarne le passé le plus lointain et le plus proche, à travers lequel, au-delà duquel et par-dessus lequel semble couler un immense fleuve inaudible : le corps est une pensée plus surprenante que jadis l’« âme ». ( O.P.C. t.11.p. 297.)

539. Sentir, vouloir, penser ne témoignent partout que de phénomènes terminaux dont les causes me sont tout à fait inconnues. ( M.P.C. 125. )

540. L’impression de neutralité est un enchantement pour les bêtes de troupeau. ( V.P.1.p. 387.)

544. La logique est liée à cette condition : supposons qu’il y ait des cas identiques… Ce qui signifie : la volonté de vérité logique ne peut s’exercer qu’une fois accomplie cette fondamentale falsification de tout événement. D’où il résulte qu’ici règne un instinct capable de manier ces deux instruments, tout d’abord la falsification, puis l’application d’un point de vue ; la logique ne procède pas de la volonté de vérité. ( O.P.C. t.11.p. 370.)

546. D’où me vient la notion de pensée ? Pourquoi est-ce que je crois à la cause et à l’effet ? Où est-ce que je prends le droit de parler d’un « je », et même d’un « je » qui serait cause, et, pour comble, cause de la pensée ? ( M.P.C. p.124.)

547. Une pensée se présente quand « elle » veut, et non pas quand « je » veux ; de sorte que c’est falsifier la réalité que de dire : le sujet « je » est la condition du prédicat « pense ». Quelque chose pense, mais que ce quelque chose soit justement l’antique et fameux « je », voilà pour nous exprimer avec modération, une simple hypothèse, une assertion, et en tout cas pas une « certitude immédiate ». ( M.P.C. p.124.)

Nous nous sommes désormais interdit les divagations qui ont trait à l’ « unité », à l’ « âme », à la « personnalité » ; de pareilles hypothèses compliquent le problème, c’est bien clair. ( M.P.C. p.125.)

Automne 1885 – aut. 87

– D’ailleurs la tâche pour laquelle je vis m’apparaît clairement – comme un fait d’une indescriptible tristesse, mais transfiguré par la conscience que j’ai de la grandeur qu’il recèle, si jamais grandeur a habité la tâche d’un mortel.

558. En fait, je devrais avoir autour de moi un cercle d’êtres profonds et tendres qui me protégeraient un peu de moi-même et sauraient également m’égayer : car pour un homme qui pense le genre de choses que je dois penser, le danger de se détruire soi-même est toujours imminent. ( O.P.C. t.12..p. 19.)

573. Question : l’intention est-elle la cause d’un événement ? Ou est-ce aussi une illusion ? N’est-ce pas l’événement lui-même ? ( O.P.C. t.12..p. 109.)

575. Au fond, l’aveu que l’on est dépassé est une explosion de mépris de soi.

( O.P.C. t.12..p. 21.)

581. Il n’y a pas d’événement en soi. Ce qui arrive est un ensemble de phénomènes, choisis et rassemblés par un être interprétant. ( O.P.C. t.12..p. 47.)

600. Tout combat – tout ce qui arrive est un combat – exige la durée. Ce que nous nommons « cause » et « effet » exclut le combat et ne correspond donc pas à ce qui arrive. Il est conséquent de nier le temps dans la cause et l’effet. ( O.P.C. t.12..p. 42.)

621. Le principe de la conservation de l’énergie exige l’éternel retour. ( O.P.C. t.12..p. 206.)

622. Pensons cette pensée sous sa plus terrible forme : l’existence ; telle qu’elle est, privée de sens et de but mais se répétant inéluctablement, sans final dans le néant : « l’éternel retour »… C’est la plus scientifique de toutes les hypothèses possibles. Nous nions les buts derniers : si l’existence en avait un, il devrait être atteint. O.P.C. t.12..p. 213.

623. L’éternel retour comme marteau. ( O.P.C. t.12..p. 211.)

625. A tous ceux auxquels je porte intérêt je souhaite la souffrance, l’abandon, la maladie, les mauvais traitements, le déshonneur ; je souhaite que ne leur soient épargnés ni le profond mépris de soi, ni le martyre de la méfiance envers soi ; je n’ai point pitié d’eux, car je leur souhaite la seule chose qui puisse montrer aujourd’hui si un homme a de la valeur ou non – de tenir bon. ( V.P.2.p. 337. )

627. La « durée » en soi n’aurait pas de valeur : on devrait préférer une existence plus brève, mais plus riche de valeurs. ( O.P.C. t.14..p. 145.)

635. L’apparition des valeurs morale est elle-même l’œuvre d’affections et de considérations immorales. ( O.P.C. t.12..p. 270.)

642. Devenir en tant qu’inventer, vouloir, se nier soi-même, se surmonter soi-même : pas de sujet mais un faire, poser, créateur, pas de « causes et effets ». ( O.P.C. t.12..p. 303.)

644. Il va de soi que tout être différent de nous ressent d’autres qualités et vit par conséquent dans un autre monde que celui où nous vivons. ( O.P.C. t.12..p. 237.)

649. A supposer que le moi soit conçu comme existant en soi, sa valeur ne peut plus consister qu’à se renoncer soi-même. ( V.P.1.p.149.)

Automne 1887 – mars 1888

L’individu : il est toute la vie antérieure, résumée en une seule ligne, et n’en est pas le résultat. ( V.P.1.p.130.)

681. Cause et effet – concept dangereux, aussi longtemps que l’on pense un quelque chose qui cause et un quelque chose sur lequel s’exerce l’effet. ( O.P.C. t.13..p. 53.)

703. Nous sommes plus qu’un individu ; nous sommes aussi la chaîne entière, avec les tâches qu’impliquent toutes les destinées futures de cette chaîne. ( V.P.2.p. 166.)

712. Qui d’entre nous, favorisé par les circonstances, n’eût pas déjà parcouru tous les degrés du crime ? … C’est pourquoi l’on ne doit jamais dire : « tu n’aurais pas dû faire ceci ni cela », mais toujours : « étonnant que je n’aie pas déjà fait cela des centaines de fois ». ( O.P.C. t.13..p. 157.)

713. Aucune action n’est effacée du fait qu’elle est regrettée ; ni du fait qu’elle est « pardonnée » ou « expiée ». Il faudrait être théologiens pour croire à une puissance qui efface les péchés ; nous, immoralistes, nous préférons ne pas croire au « péché »…. Un éclair de colère, un geste, un coup de couteau, qu’y a-t-il de personnel là-dedans ? L’action réalise souvent une sorte d’hypnotisme et d’entrave ; le coupable est comme pétrifié par le souvenir et ne se conçoit plus que comme l’accessoire de son action. ( V.P.2.p. 186.)

720. Il me semble… que tout a beaucoup trop de valeur pour que ce doive être aussi fugitif – et ma consolation est que tout ce qui fut est éternel : - la mer le ramène à la surface. ( O.P.C. t.13..p. 240.)

724. « Vouloir » comme ( les théoriciens ) l’entendent ne se produit pas plus que « penser » : c’est une pure fiction. ( O.P.C. t.13..p. 249.)

726. Notre lointaine destinée future règne sur nous longtemps avant que nous ayons les yeux ouverts à sa lumière, longtemps notre propre vie nous demeure énigmatique… Toute notre vie a beau prendre, si l’on regarde en avant, un aspect de hasard et d’absurdité, en regardant en arrière je n’aperçois dans ma vie rien de l’un ni de l’autre.

Janvier 1888 – janv. 89

754. La notion d’ « action condamnable » fait pour nous difficulté : il ne peut rien y avoir de condamnable en soi. Rien de ce qui se produit ne peut être en soi condamnable : car tout est à tel point lié à tout, que vouloir exclure quelque chose serait vouloir tout exclure. Une action condamnable : cela veut dire un monde condamné…

757. Plus essentiel : un symptôme de décadence n’existe-t-il pas déjà, tendant vers une telle généralité : l’objectivité en tant que désagrégation de la volonté (pouvoir rester si loin). ( O.P.C. t.14..p. 60.)

758. Problème : l’homme de science est-il encore plus que le philosophe un symptôme de décadence ? ( O.P.C. t.14..p. 61.)

762. Il est si peu vrai que des martyrs prouvent quoi que ce soit quant à la vérité d’une cause, que je suis tenté de nier qu’aucun martyr ait jamais rien eu à voir avec la vérité. Le ton sur lequel un martyr jette à la face du monde ce qu’il « tient-pour-vrai » exprime déjà un niveau si bas de probité intellectuelle, une telle indifférence bornée pour le problème de la vérité, qu’il n’est jamais nécessaire de réfuter un martyr. ( Anté. P. 72.)

763. La foi sauve : donc elle ment. ( V.V. p.178.)

766. Des quanta de force, dont l’essence consiste en ceci qu’ils exercent leur puissance sur tous les autres quanta de forces. Quant on croit à « cause et effet », on oublie toujours l’essentiel : ce qui se passe.. .. En posant un agent, on a réduit « ce qui est fait » à une simple hypothèse. ( O.P.C. t.14..p. 59.)

769. Le sujet est seul démontrable : HYPOTHESE qu’il n’existe que des sujets – que « l’objet » n’est qu’une sorte d’action de sujets sur des sujets – un mode du sujet. ( O.P.C. t.13..p. 63.)

779. Nous comprenons enfin que des choses, et, partant, des atomes aussi, n’ont aucun effet : parce qu’ils n’existent pas… Que la notion de causalité est parfaitement inutilisable. ( O.P.C. t.14..p. 70.)

780. L’interprétation causale, une illusion… ( O.P.C. t.14..p. 70.)

782. Qu’une chose se résolve en une somme de relations ne prouve rien contre sa réalité. . ( O.P.C. t. 5.p. 491.)

783. Il n’y a ni cause ni effets. (O.P.C. t.14..p. 71.)

784. Il n’y a ni « esprit », ni raison, ni pensée, ni conscience, ni âme, ni volonté, ni vérité : rien que des fictions qui sont inutilisables. ( O.P.C. t.14..p. 91.)

785. Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou… Mais il faut être profond, il faut être abîme, il faut être philosophe pour sentir ainsi… Nous avons tous peur de la vérité… Que m’importe, à moi, le pitoyable bavardage d’Américains plats et brouillons ? ( E.H. p. 120.)

786. On est nécessaire, on est un fragment de fatalité, on fait partie d’un tout, on est dans ce tout – il n’y a rien qui puisse juger, peser, comparer, condamner notre être, car cela voudrait dire juger, peser, comparer, condamner le tout… Mais, hors du tout, il n’y a rien.

787. En somme : un événement n’est ni causé, ni causatif. ( O.P.C. t.14..p. 71.)

795. Premier principe : L’homme, comme espèce, n’est nullement en progrès. On parvient bien à des types supérieurs, mais ils ne se maintiennent pas. Le niveau de l’espèce ne s’élève pas.

Deuxième principe : L’homme comme espèce ne représente pas un progrès, si on le compare avec n’importe quel autre animal. L’ensemble du monde animal et végétal ne se développe pas de l’inférieur au supérieur. ( V.P.1.p.271.)

804. La cécité n’est pas une faute, mais une lâcheté. (Nietzsche, S.Zweig, p.68)

812. A l’origine de tout, l’erreur fatale a été de croire que la volonté est quelque chose qui agit – que la volonté est une faculté… Aujourd’hui, nous savons que ce n’est qu’un mot… ( C.I. p. 28.)

813. Toute la théorie de la responsabilité tient à cette psychologie naïve, qui veut que seule la volonté soit une cause et que l’on doive savoir que l’on a voulu pour pouvoir se croire soi-même cause. ( O.P.C. t.14..p. 97.)

816. Nous n’avons maintenant plus aucune indulgence pour la notion de « libre arbitre » ; nous ne savons que trop ce que c’est – le plus suspect des tours de passe-passe des théologiens, aux fins de rendre l’humanité « responsable », au sens où ils l’entendent, c’est-à-dire de la rendre plus dépendante des théologiens… La théorie de la volonté a été essentiellement inventée à des fins de châtiment… Si l’on a conçu les hommes « libres », c’est à seule fin qu’ils puissent être jugés et condamnés, afin qu’ils puissent devenir coupables : par conséquent, il fallait absolument que chaque action fût conçue comme voulue… ( C.I. p. 44.)

819. Faiblesse de la volonté : c’est une image qui peut induire en erreur. Car il n’y a pas de volonté, donc il n’y a ni volonté forte ni volonté faible.

( V.P.1.p.293.)

820. Que la valeur d’une action dépende de ce qui l’a précédée dans la conscience – comme c’est faux ! Et c’est ainsi que l’on a mesuré la moralité, et même la criminalité… ( O.P.C. t.14..p. 146.)

830. La science ne peut rien souhaiter de mieux : en tant que telle elle est le propre d’une classe moyenne d’esprit… ( O.P.C. t.14..p. 144.)

833. L’histoire proclame sans cesse des vérités neuves. ( V.P.1.p.265.)

835. L’hypothèse d’un monde créé ne doit pas nous préoccuper un instant. Le concept de « création » est aujourd’hui absolument indéfinissable, inapplicable… ( O.P.C. t.14..p. 149.)

836. L’ « Humanité » n’avance pas, elle n’existe même pas… L’homme ne constitue pas un progrès par rapport à l’animal… ( O.P.C. t.14..p. 177. )

841. Nous avons aboli presque toutes les notions dont dépendait jusqu’ici l’histoire de la psychologie – ne parlons pas de la philosophie ! Nous nions qu’il existe une volonté (sans même parler de volonté « libre »). Nous nions la conscience, en tant qu’ « unité » et que faculté ; nous nions qu’il y ait « pensée » (car il nous manque et ce qui pense, et ce qui est pensé) ; nous nions qu’il y ait entre les pensées une causalité réelle comme le croit la logique. ( O.P.C. t.14..p. 181.)

842. Quelle dose de vérité un esprit sait-il supporter, quelle dose de vérité peut-il risquer ? Voilà qui devient pour moi le vrai critère des valeurs. L’erreur est une lâcheté… ( O.P.C. t.14..p. 244.)

848. Le remords de conscience en tant que tel est un obstacle à la guérison.

( O.P.C. t.14..p. 120.)

851. Toute la théorie de la volonté, cette falsification la plus fatale de la psychologie jusqu’à présent, fut essentiellement inventée à des fins de vengeance. ( O.P.C. t.14..p. 190.)

875. La souffrance en soi n’est pas une objection ; et, à supposer qu’elle ouvre la porte à mes expériences intimes, et permette donc des intuitions, elle me paraît presque sainte

885. A quoi bon un « au-delà », si ce n’était là un moyen de salir notre « en-deçà » ? ( C.I. p. 78.)

891. Chaque action noble allume son étincelle à une autre action noble, ainsi un lien électrique reliant toutes les grandeurs traverse les siècles. L’infini et l’inépuisable constituent l’essence de la grandeur ; aucune époque ne pourra la ternir.

Ce sont les moments d’illumination soudaine où l’homme, étendant la main d’un geste impérieux, comme pour la création d’un monde, fait jaillir et ruisseler autour de lui la lumière….. Quelques hommes cependant renaissent toujours qui, les yeux tournés vers cette grandeur, se sentent inondés de bonheur comme si la vie humaine était un événement grandiose et comme si le plus beau fruit de cette plante amère était de savoir qu’un jour quelqu’un a traversé cette existence fier et stoïque, un autre avec profondeur, un troisième avec compassion, mais léguant tous une maxime : qui vit l’existence de la plus belle manière, la dédaigne. Tandis que l’homme vulgaire, si morose, prend au sérieux ce petit arpent d’être, ceux-là, dans leur voyage vers l’immortalité, ont su en rire en olympiens ou du moins s’en moquer de façon sublime ; c’est avec ironie souvent qu’ils descendirent au tombeau – car qu’y avait-il en eux à enterrer !

896. Il s’agit maintenant, en dépit de toutes les lâchetés du préjugé, de rétablir l’appréciation exacte, c’est-à-dire physiologique, de ce qu’on appelle mort naturelle, et qui n’est en fin de compte elle aussi qu’une mort « non naturelle » : un suicide. On ne périt jamais que par soi-même. ( C.I. p. 79.)

912. Etrange ! Je suis dominé à chaque instant par la pensée que mon histoire n’est pas uniquement personnelle, que je fais quelque chose d’utile à beaucoup en vivant, en me façonnant et en me décrivant systématiquement ainsi ! c’est toujours comme si j’étais une pluralité à laquelle j’adresse, avec familiarité et sérieux, des paroles de consolation. ( O.P.C.t.4.p. 583.)

913. à G. Brandes, le 4 janvier 1889.

Après que tu m’as eu découvert, ce n’était pas compliqué de me trouver : la difficulté maintenant est de me perdre…

"Nietzsche et le Bouddha" (Audio)