Cours n°10

L’enseignement du Bouddha Originel

Personnalité et pensée

Dans le chapitre des Moyens du sutra du Lotus, Shakyamuni déclare que la sagesse des éveillés est immensément profonde et incommensurable, et que le seuil de cette sagesse est difficile à franchir. Nous voilà donc prévenus. Dans un de ses écrits le Daishonin commente ainsi cette sagesse des éveillés, c’est : « Réaliser l’effet des dix ainsi de l’aspect réel comme étant la substance fondamentale de la Loi ». Réaliser « l’effet des dix ainsi » signifie que le Bouddha s‘est éveillé au fait que le corps, l’esprit, la corporéité, etc., la totalité du réel, en somme, apparaissent en tant qu’effets. Que tout ce qui est apparaisse en tant qu’effet est donc la Loi fondamentale, autrement dit Myohorengekyo. « Des événements se produisent dans le monde, mais il n’y a pas d’acteurs » affirmait à juste titre Shakyamuni.

Voir que tout apparaît en terme d’effet est donc le propre de la sagesse de l’éveillé. Cela signifie que dans le monde des humains il n’y a rien, à strictement parler, qui puisse être appelé cause, il n’y a que des effets. Le corps est un effet, l’environnement est un effet, la pensée est un effet. Rien ne peut prétendre être dans la situation d’être « cause », première ou non. Et rien, par là même, n’a d’origine. Telle est la Loi merveilleuse de la simultanéité de la cause et de l’effet : Myohorengekyo. Si les éveillés nous enseignent que tout apparaît en terme d’effet, il convient dès lors que ce point soit central dans toutes nos réflexions. Nous n’avons pas à revenir sur ce point sous prétexte que la culture, la tradition, le bon sens commun ou tel penseur soient d’un avis contraire. Que les êtres le comprennent ou non, le sachent ou pas, le gardent en mémoire ou pas, soient d’accord ou pas, le veuillent ou non, cela ne doit pas inférer dans notre croyance et dans notre compréhension de la Loi.

En outre le Daishonin enseigne, a propos du concept de « l’équivalence du cycle des souffrances des vies et des morts et du nirvana » : « Il s’agit de l’éveil au fait que la substance des vies et des morts est ni crée ni détruite ». D’un coté donc, tout est effet, et de l’autre, la substance des vies et des morts, c’est-à-dire tout ce qui est, ne peut être ni crée ni détruite. Ceci ouvre alors sur l’absolue pérennité de toutes les individualités, en terme d’effet. Pour cette raison le vénéré Shakya peut affirmer, dans le chapitre Durée de la vie du Lotus : « Je me fais toujours cette réflexion : comment puis-je faire en sorte que les êtres pénètrent dans la voie inégalable et réalisent rapidement le corps du Bouddha ». Commentant cette phrase le Daishonin précise : « C’est ce que signifie la déclaration : l’aspect du monde est présent en permanence ».

Shakyamuni souhaite que les êtres puissent « réaliser le corps du Bouddha », et non pas l’éveil, ce qui peut nous sembler paradoxal. Mais en fait, pratiquer matin et soir est l’apparition du corps du Bouddha en terme d’effet, et l’esprit, quant à lui, doit seulement se contenter de suivre. Zhiyi a en effet déclaré : « La récitation de la lettre du sutra est la respiration du corps de la Loi ». Et le Daishonin de nous préciser : « Si les actes du corps et de la parole relèvent du bien, l’acte de l’esprit, naturellement, sera le bien ». Le corps et l’esprit sont des effets, mais le corps, dans sa relation avec l’environnement, est le seul à être dans le « présent ». Alors que la pensée ne fait que prendre acte de l’objet qui survient. L’objet de la conscience n’est donc que le passé immédiat de l’effet corps/environnement, qui sont non-deux. C’est la raison pour laquelle la pratique de la voie est physique, car il convient qu’elle occupe notre présent.

Si l’on reprend ces quelques points importants, quel est alors le panorama ? Tout ce qui est, la pensée incluse, apparaît en tant qu’effet ; tout ce qui est est permanent car la substance des vies et des morts n’est ni crée ni détruite ; l’aspect du monde est présent en permanence car chacun est le sien, et enfin la simultanéité de la cause et de l’effet est la Loi merveilleuse sans origine : Myohorengekyo. Ces points doivent toujours être conservés en notre mémoire, car ils constituent la source permettant à notre pensée de ne pas s’enliser dans des vues et des attachements étroits et délétères.

Le Souverain de la Loi enseigne : « Notre corps, ou nous-mêmes, existe en fonction des causes et des conditions, et montre l’aspect des effets et des rétributions ». Tout ce qui apparaît, persiste, change et disparaît provient des causes et des conditions, qui sont respectivement le karma et l’environnement de la pensée momentanée. Mais tout « montre l’aspect des effets et des rétributions », ce qui signifie que tout existe en tant qu’effet, appelé également rétribution, et que rien ne peut être désigné par le terme de cause, à l’ordinaire, pour l’humain. Tout ce que les humains appellent « cause », à savoir la volonté, les choix, la pensée, les décisions, la procréation, la concentration, etc.., ne désigne jamais qu’un groupe d’effets circonstanciels qui s’imposent. Rien n’est cause de quoi que ce soit, de la même manière qu’il n’est pas de cause première hors de la causalité.

Dans cette même approche, dans notre école : « Le véritable aspect des phénomènes se situe avant le discernement ou la différenciation des phénomènes ». C’est-à-dire que si l’on souhaite observer l’aspect réel de notre propre existence, et bien il se situe exactement immédiatement avant que l’on entende, voie, goûte, sente, renifle ou pense. En d’autres termes, nous sommes toujours le passé immédiat de l’aspect réel de notre vie. En effet, notre corps et son environnement sont des effets, simultanés et non-deux, cristallisant un présent sans durée, et l’objet de la conscience est le passé immédiat du réel. Penser ne saurait donc en aucun cas être une cause, et le « sens » que l’on cherche à donner aux événements n’est en réalité que l’évacuation de l’objet passé, que la négation de l’objet passé au profit d’une bien maigre « logique » humaine sans aucun effet. De ce point de vue, nous sommes bel et bien pieds et points liés, et tel est le « cycle infini, sans origine des six premières voies ». Ceci est ce à quoi le Bouddha s’est éveillé. Cette Loi fondamentale qui fait que tout apparaît sous forme d’effets et que notre réalité ne dépend en aucune manière de notre « vouloir conscient» est, en tant que substance : Myohorengekyo. Une fois ces éléments doctrinaux intégrés, il n’est dès lors plus nécessaire de demander au fils de la concierge ou au premier pratiquant venu ce qu’ils pensent du fait que tout est effet. Ce n’est pas non plus dans les journaux, télévisés ou non. Ce n’est pas non plus dans les textes philosophiques, hormis quelques bribes ici où là, pour les plus grands penseurs.

En outre, lorsque le vénéré Shakya révèle dans le Lotus que les trois corps du Bouddha sont hors le temps et l’espace, « cela implique que les êtres peuvent s’éveiller à l’éternité de leur propre personnalité » commente le Souverain de la Loi. Ce qui signifie que la personnalité ne peut ni apparaître ni disparaître. Qui plus est, cette personnalité, ce « sujet unique et permanent », et telle que « les végétaux et les territoires sont tous présents dans la substance intérieure (de cette personne) ». Autrement dit, l’intégralité du monde des phénomènes et le corps du sujet, que nous voyons comme deux choses distinctes, sont le véritable soi. Il s’agit de la non-dualité de l’être et de l’environnement. La raison en est que « L’intégralité du monde des phénomènes de l’univers est le corps des œuvres et vertus du Bouddha », c’est-à-dire de la personne. Le monde instantané de chacun est donc le corps des œuvres et vertus de sa personnalité. En cela, la personnalité est absolue, inconditionnée et hors le temps.

Chacun est sûr qu’il est bien lui-même. Il est rare, en effet, de se réveiller un matin en pensant être le voisin de palier. On va travailler, on rencontre ses proches, on pense, on sait où on habite, et tout cela nous auto-réfère à ce « sujet unique et permanent » que nous pensons être, en toute liberté. Si je dis : « j’ai cinquante ans », je fais sans le vouloir référence à quelque chose qui a été le « même » jusqu’à ce jour et, de fait, je n’ai pas été une fois Gandhi et une fois Malraux durant cette trajectoire. On est donc, pour une forte part, écrasé par le sentiment « d’identité », de « mêmeté », et, pour l’autre part, nous sommes contraints par la logique et l’évidence de réaliser que nous changeons tout le temps, tant physiquement que mentalement. Etre sûr d’être le « même », et être sûr de changer continûment, constituent donc les deux pôles de la contradiction majeure dans laquelle l’humain se trouve enlisé. Et tout humain à qui vous demanderiez comment sortir de cette contradiction répondrait : « c’est comme ça ». Nagarjuna, qui a quelque peu réfléchi à ce problème, nous dit : « Quant une chose cesse d’exister du fait de l’instantanéité, comment quoi que ce soit peut-il être vieux ? Quant une chose est non-instantanée du fait de la constance, comment quoi que ce soit peut-il être vieux ? ».

Alors, au vu du fait que tout change à chaque instant, le vénéré Shakya ne disait-il pas qu’un phénomène naît et meurt soixante quatre fois dans l’espace d’un claquement de doigts, il nous faut réaliser que rien ne peut réellement vieillir. Tout ne fait que présenter, à chaque instant, un nouveau « profil » ultime, pour qui sait voir. Mais, humains, nous ne pouvons voir l’instantanéité des choses et des êtres, et le sentiment de durée « à l’identique », lui, par contre, s’impose à l’évidence. En effet, lorsque vous rentrez chez vous, par exemple, l’appartement n’a pas changé de place, il n’a pas une chambre en plus, il ne manque pas un mur. Même la moquette semble être la « même ». Pourtant, si l’on ne peut percevoir l’instantanéité des choses et des êtres, si l’on ne peut percevoir l’insondable harmonie des causes et des conditions qui façonnent à chaque instant l’intégralité du monde des phénomènes, nous pouvons nous éveiller au fait que, dans l’instant sans épaisseur, la totalité du monde des phénomènes est un corps unique. Ce corps unique ne peut ni apparaître ni disparaître. Il ne peut être ni créé, ni détruit. C’est le corps de la Loi auquel s’est éveillé le Bouddha. Dès lors, là même où nous pensons distinguer ce que nous sommes de ce qui n’est pas nous, en réalité, au vu de cette foule invisible de naissances et de morts simultanées de tout ce qui est, tout n’est que l’expression des œuvres et des vertus de ce que nous sommes profondément. Ce qui, je le concède, est un peu éloigné du regard humain usuel.

Jean-Denis : Et de ce corps unique jaillissent constamment des personnalités.

C’est cela même.

Nancy : Et le moi ?

Justement, plutôt que de se cantonner à un petit moi fugitif et changeant, puisque c’est un effet totalement incontrôlable, qui, sur cinquante ans, aura eu de multiples visages, il est préférable de s’éveiller au fait que, profondément, nous sommes l’infinité phénoménale. Le Souverain de la Loi affirme en effet : « Lorsqu’on perçoit son moi véritable, nous-mêmes, tels quels, devenons l’intégralité du monde des phénomènes ». Autrement dit, le moi véritable incus tout ce que l’on considère spontanément comme étant « non-moi ». Dans le passé, du reste, lors de l’enseignement du chapitre Durée de la vie, les disciples du Bouddha Shakyamuni : « s’éveillèrent à l’identité de leur corps, omniprésent dans le temps et l’espace, et du monde des phénomènes ». Autrement dit, l’être et son environnement sont un, et ce un ne peut être dans le temps ni dans l’espace. Ceci nous indique ce à quoi nous devons nous éveiller. Car il va de soi que réfléchir au fait que son propre corps est omniprésent dans le temps et l’espace, nous pose un problème logique quant au temps, et que ce corps soit en identité avec le monde infini des phénomènes nous en pose également un, mais cette fois quant à l’espace. Qui plus est, même l’acceptation conceptuelle de ces deux points n’est pas grand chose. Seul l’éveil est l’arrêt des souffrances, et cela ne peut venir que de la pratique quotidienne de la Loi. Pour autant, si l’on pratique en conservant ces points en tête, diverses souffrances existentielles nous abandonnent et les angoisses usuelles sont écartées. Alors, une pensée à la fois plus légère et plus profonde peut commencer à circuler en nous.

Brigitte : Il faut constamment le répéter.

Il faut que cela entre. Il faut que cela devienne un réflexe mental. Il faut pouvoir se dire, non, le vrai, c’est ce qu’enseigne le Bouddha, et non ce vers quoi sont naturellement portés les êtres ordinaires. Mes vieilles angoisses usuelles ne peuvent encore revenir polluer ce vrai en moi. En cela, savoir et pratiquer, bien que n’étant pas encore l’obtention de l’éveil, est déjà un mieux être incontestable.

Isabelle : Tu peux me rappeler ce que tu nommes le vrai dans notre école ?

La personnalité ne peut ni apparaître ni disparaître puisqu’elle est hors le temps, elle inclus la totalité du monde des phénomènes et est donc absolue, inconditionnée. En outre, étant la substance de la simultanéité de la cause et de l’effet, elle est riche de tous les possibles, de l’enfer à l’éveil ultime. Cela ne nous est pas perceptible, mais les ultra-violets ne le sont pas non plus, et cela n’implique pas leur non-existence.

Isabelle : Que nous ne soyons pas deux vis-à-vis de l’environnement est inconcevable.

Parce que nous ne pouvons voir l’instantanéité des choses et des êtres. Par exemple, si deux ou trois bombes explosent à la même heure dans une ville, nous allons supposer une intention derrière cette simultanéité. De même, l’insondable simultanéité de l’effervescence phénoménale est notre intention « pré-consciente ». Mais cela, seul l’éveillé le voit.

Sylvaine : Mais en quoi tu souffres moins si tu sait cela ?

Toutes les autres considérations, qui constituent l’agitation mentale des six premières voies, ne peuvent plus rester en toi comme chez elles. Tu ne peux plus secréter les mêmes angoisses. Un jour, un brahmane demanda à Shakyamuni ce qu’il en était de la souffrance pour lui et ses disciples. Shakyamuni répondit qu’il y avait deux types de souffrances, la physique et la mentale, et que lui et ses disciples n’avaient pas de souffrances mentales. Quant aux souffrances physiques il répondit que lui et ses disciples ne pouvaient y échapper, mais qu’elles n’entraînaient pas de souffrances mentales. Au regard de la vie des êtres, en général, c’est déjà pas mal.

Roberte : Qu’entends t-on par environnement ?

Dans notre école, le sujet principal est la Une pensée instantanée. Le reste, à commencer par le corps, est l’environnement, et celui-ci s’étend à tout. Si tu le préfères la personnalité, c’est-à-dire ce qui te caractérises en propre, ce qui te distingue de tout autre phénomène, ne peut ni apparaître, ni disparaître, et elle s’étend à tout à travers le temps et l’espace. Elle est immuable et inconditionnelle. Mais tout apparaît en terme d’effet et, de ce point de vue, ne pratiquant pas nous ne sommes maîtres de rien.

Isabelle : Dans ce cas on ne sait même pas qui on est vraiment.

Nous sommes bien plus vastes que le simple moi fugitif. En substance, Nietzsche a déclaré : « Je sais que je ne sais rien de moi ». Il nous faut rejeter notre petit moi comme étant trop étriqué. Il sert seulement à faire les courses.

Jean-Denis : Quelque part, le fait que le moi et l’environnement soient indissociable…

Soient « un ». Pas indissociable. Ils ne sont pas deux.

Jean-Denis : Oui. Donc, même sur une planète vide de tout, quelqu’un ressentirait son moi, comme nous le ressentons nous-mêmes. Il n’y a pas un moi qui est plus moi que celui de quelqu’un d’autre.

Si je comprends ton intervention, tout hurle « moi » de manière égale, c’est vrai.

Isabelle : Mais si on change d’environnement ?

Ah oui ! Tu peux toujours décider d’emporter tes filles et ton mari au fin fond de l’Espagne, ça te changera de la porte des lilas. C’est vrai. Auquel cas tu pourras considérer que les conditions sont plus agréables qu’avant. Pour autant, sur vingt ans, et si l’on considère l’instantanéité des variations de tout ce qui est, ta personnalité sera toujours la « même » et tu ne vivras que ce qui t’est propre dans ta relation à l’environnement. Tu emmèneras avec toi ton « vouloir être », et tout sera toujours en harmonie globale dans la colère, la stupidité, l’angoisse, etc.. Mais tu pourras dire « il y a quand même plus de soleil ici ». Le Souverain de la Loi a dit, en substance : « Ou que vous alliez vous êtes dans le corps de la Loi ». On ne peut, en réalité, s’extraire de notre environnement, car c’est nous-mêmes.

Jean-Denis : L’environnement c’est ce que tu perçois et ce que tu ne perçois pas.

Parfaitement. La balle de fusil qui va te traverser la tête dans dix secondes, tu ne la perçois pas, elle est pourtant déjà une part très importante de ta réalité à venir. C’est également, là, ta manière singulière d’agencer inconsciemment ton environnement. Sinon tu serais ailleurs et un autre jour. Tu est donc porteur, à chaque instant, de la trajectoire de la balle. Ce n’est pas elle qui est « méchante ». Les conditions de l’existence ne diffèrent pas des conditions de la mort, tout est instantané et tout est effet. Il y a toujours harmonie globale dans l’enfer, la stupidité, le désespoir, la mort, la joie, etc…

Sylvaine : Mais en quoi ça nous soulage de savoir ça ?

Une bonne part de nos souffrances mentales reposent sur le sentiment de n’avoir pas fait ceci ou cela, on se dit « j’aurais du, j’aurais pas du, la prochaine fois.., si j’avais su, on m’y reprendra plus.. ». Et il en va de même pour les angoisses ayant pour objet le futur « j’irais là-bas, je lui répondrais ça, qu’est-ce qui va m’arriver, combien de temps me reste t-il, je vais être enfin tranquille… ». Tout cela est parfaitement inutile et irréaliste, car nul n’est décisionnaire. Mais cela ne vous empêche pas de réserver en janvier vos vacances du mois de juillet. On peut considérer les regrets, les remords, les enthousiasmes, les décisions, comme autant de négations continues des choses et de ce que nous sommes en réalité. Nous ne pourrons jamais comprendre notre propre vie en ressassant, ce qui nous est arrivé, et ce dont on a peur où ce dont on se réjouit. La rumination, comme tout le reste, est un effet. Jamais une cause.

Brigitte : Mais si on pratique…

Là se situe la différence. S’il est dit, dans l’école, que le Bouddha Originel est le Souverain de la merveille de la cause originelle, c’est que le terme de « cause » n’existe pas ailleurs ou, plus exactement, que seul le fait de croire, pour nous, est la merveille de la cause originelle. A part cela, tout ce qui n’est pas « croire » est un effet. On parle du cycle infini des six voies, dont le vénéré Shakya dit que si l’on en cherche le début, on ne peut le trouver, parce que tout apparaît en tant qu’effet, à l’origine. Hormis l’éveil, il n’est ni point de départ ni point d’arrivée pour tout ce qui est. Comme tout apparaît en tant qu’effet, il n’est aucune issue dans les « actes » ou les désirs de l’humain.

Jean-Denis : Précisons que la personnalité c’est le sujet percevant qui perçoit un environnement à un moment donné. Mais il ne faut pas comprendre la personnalité comme quelque chose qui serait une identité.

Je pense qu’il y a une identité foncière, qui est invariable, d’un côté, et de l’autre une conditionnalité telle que nous ne pouvons être deux fois le « même » à strictement parler. Le monde de chaque être est permanent. Cependant, nous, humains percevons la naissance et la mort comme étant espacées, alors qu’elles sont simultanées. De là naissent les vues erronées telles que la causalité linéaire, le temps et l’espace, la durée, l’identité, la naissance et la mort, le dieu créateur, l’âme, le moi, la volonté, la cause, etc…Mais quand tu parles d’un sujet percevant qui perçoit un environnement, je t’arrête. On ne perçoit jamais un environnement, on projette seulement son corps. Il n’y a donc jamais de relation sujet/objet, cela Heidegger l’a vu. Notre aspect réel est antérieur à l’apparition de l’objet de la conscience. Nous ne sommes donc jamais dans la situation d’un sujet percevant réellement un objet. Nous sommes toujours éminemment projectifs et, de ce point de vue, nous ne sommes pas plus dans le vrai, quant à la perception du réel, que le kangourou ou le trèfle à trois feuilles. Chacun « voit » les objets que son corps l’autorise à voir, jamais les autres objets. Nous ne sommes pas plus éveillé le jour, que lorsque l’on dort et, de toutes façons, nous voyons, entendons, sentons, touchons des objets et pensons dans les deux cas. Le rêve est sans fin dans les six voies. Le concept bouddhique de « l’union obscure du sujet et de l’objet » ne concerne que l’éveillé, l’objet étant, dans ce cas, la substance de l’infinité des phénomènes. Mais pour les êtres des neuf mondes il n’y a pas de réel rapport à l’objet, il y a seulement imagination, utilisation et négation.

Il n’y a donc pas de réelle relation objectale pour l’humain. D’ailleurs, vis-à-vis des problèmes que tu peux rencontrer avec ta femme et tes enfants, admets que si tu les voyais exactement comme ils sont tu saurais nécessairement quoi faire sans hésitations. Or,.. Même si l’on fait des efforts, l’autre ne peut nous être qu’étranger. Un cheval voit des objets de cheval, une mante religieuse des objets de mante religieuse, et tu ne peux voir les « mêmes » choses comme tu les voyais il y a trente ans. Mais, pour tout ce qui est, le perçu s’impose immédiatement comme vrai. Ce n’est donc qu’une croyance infondée. C’est donc erroné. Une femme ne peut percevoir le même objet comme un homme, une très jeune fille ne peut percevoir comme une femme mûre, et si parfois les mots utilisés pour décrire sont similaires, les contenus qu’ils traduisent sont différents. Le couple qui s’exclame « Oh ! Chéri ! le beau coucher de soleil ! » ne peut s’apercevoir de la différence de perception puisque les mots sont les mêmes, mais il y a bien différence de perception et non partage de l’un vis-à-vis de l’autre. En effet, chacun d’eux étant structuré par un flot d’émotions et d’images singulier, il y a étanchéité absolue. Ce sont bien deux mondes distincts.

Rire nerveux de Nancy.

Sylvaine : Mais devant le Honzon…

C’est pareil. Si tu le percevais en tant que ce qu’il est réellement, tu pleurerais tous les jours de reconnaissance devant la bienveillance du Bouddha. Tu n’oserais même plus aller pisser pendant que tu pratiques !

Revenons-en au cours. Que disent nos amis les grecs ? Parce que, bien sûr, ils ont crû devoir s’exprimer. Parménide, traitant de l’existant déclare : « L’étant est tout entier plein d’étant. Aussi est-il tout entier continu, car de l’étant touche à l’étant ». Parménide voit donc ce qui est comme étant rempli d’existant, de structures et de sous-structures en somme et, comme l’étant touche à l’étant, ils sont tous collés les uns aux autres et s’étendent à l’infini. L’étant est donc une multiplicité « en lui », et s’étend à une multiplicité « hors de lui ». Parménide dit encore : « Alors, immobile dans les limites de larges liens, il est sans commencement et sans fin, puisque naissances et morts sont bel et bien dans l’errance au loin, la croyance vraie les a repoussées ». « Le même et restant dans le même, il se tient en soi-même, et c’est ainsi qu’il reste planté là, au sol, car la nécessité puissante le tien dans les liens de la limite qui l’enclos tout autour. C’est pourquoi il est de règle que l’étant ne soit pas dépourvu d’achèvement ». Donc, Parménide, ce contemporain de Shakyamuni, déclare que l’étant est rempli d’étant, qu’il touche à l’étant dans toutes les directions, qu’il est continu, qu’il est sans commencement ni fin, qu’il reste le même, qu’il est immobile, qu’il est planté au sol, que la nécessité le tient et qu’il est achevé. Quelle sagacité ! C’est ce que nous venons de dire de l’enseignement du bouddha. Dans l’instantanéité des choses et des êtres, l’étant provisoire est achevé et ce qui le constitue à l’infini est également achevé, il est donc à la fois multiple et un, continu. Nous comprenons mieux, dès lors, les angoisses que ce type de discours a du soulever dans l’esprit fragile d’Aristote et de ceux qui l’ont suivi !

Parménide déclare encore : « Il n’est pas non plus divisé, puisqu’il est tout entier semblable ». Il s’agit, d’évidence, de la non-dualité de l’être et de l’environnement. Le Un est multiple. La Une pensée jaillit à chaque instant de l’infinité. Le Souverain de la Loi enseigne : « L’esprit et la vie momentanée emplissent le monde des phénomènes ». Autrement dit, à chaque instant nous sommes le monde des phénomènes. Ou, si vous le préférez, dans l’instantanéité notre corps et notre pensée font partie d’un corps unique, le corps de la Loi, auquel le Bouddha s’est éveillé. Ce corps unique ne peut ni apparaître ni disparaître et nous, humains, ne sommes guère fondés à pouvoir décréter « il y a ceci » ou « il n’y a pas cela ». De ce corps de la Loi qui s’étend à tout, où tout est en fusion complète, jaillissent continûment des individualités qui se voient autonomes et distinctes. Toute proportion gardée, une vague aussi est unique, et elle peut se sentir autonome et distincte.

Le grand Nietzsche a écrit : « Les actes qui nous sont les plus habituels finissent par former autour de nous comme un édifice solide ». C’est bien vu. La répétition des actes qui nous sont les plus habituels façonnent notre corps et notre environnement. On solidifie une manière d’être à chaque instant. Cela n’est pas visible, mais bien réel. Mais si Nietzsche a parfaitement raison, l’inverse est également vrai. A savoir que ce sont notre corps et notre environnement qui induisent nos actes et nos pensées. En effet, notre corps et son environnement sont toujours l’expression des œuvres et vertus de nos existences, il s’agit de « Le même et restant dans le même, il se tient en soi-même, et c’est ainsi qu’il reste planté là, au sol, car la nécessité puissante le tien dans les liens… ». Nietzsche ne l’aurait-il pas vu ? Que nenni ! Il écrit : « Penser, c’est une chose qui ne se produit jamais ». Et encore : « L’origine d’une pensée reste cachée ; il est très vraisemblable que cette pensée ne soit que le symptôme d’une situation beaucoup plus vaste et complexe… Tout ceci est, sous forme de signes, l’expression de quelque aspect de notre état général ». Donc, ce n’est pas tant que les actes forment un édifice solide autour de nous, c’est que le corps et l’environnement, qui ne sont pas deux, et qui sont « solides », nous les imposent. En effet, dans les six voies nos actes ne sont pas libres d’exister ou de ne pas exister. Le corps et l’environnement induisent donc des actes qui continuent de cristalliser le corps et l’environnement. C’est le cycle des six voies. Il n’est pas de point de départ à ce cycle, et il n’y a pas de terre, vierge de toute antériorité, d’où nous pourrions enfin nous élancer pour qu’un acte soit une cause. Telle est la personnalité qui ne peut ni apparaître ni disparaître, « puisque naissances et morts sont bel et bien dans l’errance au loin, la croyance vraie les a repoussées ». Ainsi pouvons nous mieux comprendre l’expression : « Seul de sa race », que Parménide emploie.

Que nous dit encore Parménide ? « Les choses absentes, regardes les pourtant par la pensée comme fermement présentes. Car tu ne couperas pas l’étant, à part de l’étant, qui ne se tiendra donc ni dispersé partout en toutes manières de par le monde, ni rassemblé ».

Brigitte : Alors là, il fait fort !

C’est bien ce qu’il me semble. Parménide nous demande de considérer l’absence comme étant une présence, car pour lui rien ne peut disparaître réellement. « Le non-être n’est pas », a t-il en effet affirmé. Et de fait, dans l’instantanéité, tout est un corps unique où rien ne peut ni apparaître ni disparaître. Quant à la seconde phrase, lisons là à travers l’information délivrée par le Souverain de la Loi à propos du grand principe de la Loi merveilleuse : « L’unicité et la pluralité sont mutuellement identiques dans le temps et dans l’espace ». L’étant n’est ni dispersé partout, ni rassemblé. L’un est le multiple, le multiple est un, à travers le temps et l’espace. Ce que nous sommes à chaque instant touche donc à une infinité, qu’on le veuille ou non, qu’on le voie ou pas. Et lorsque le Daishonin écrit, à une veuve qui vient de perdre son mari, de ne pas suivre le cortège funèbre en pleurant et en hurlant sa souffrance, c’est parce que ses cris seront les cris des gardiens de l’enfer qui accueillent le défunt. Autrement dit, à l’ordinaire, la souffrance de ceux qui restent « en vie » polluent la condition du défunt. « Les choses absentes, regardes les pourtant par la pensée comme fermement présentes » disait Parménide.

« Tant que nous sommes vivants, il arrive fréquemment que, au sein de notre relation quotidienne avec la matière, nous agissions centrés sur notre cœur, qui dirige alors notre corps…. Aussi, lorsque vous sentez une démangeaison, vous vous grattez. C’est dans cette situation que le cœur dirige le corps » enseigne le Souverain de la Loi. Autrement dit le cœur, dans ce contexte, est ce qui est immédiatement antérieur à la sensation physique : la démangeaison. Mais il faut un certain espace de temps pour que le stimulus deviennent une image mentale entraînant l’acte de se gratter. Le cœur est donc antérieur au corps, et le corps est antérieur à l’objet de la conscience ou, en d’autres termes, la pensée momentanée est le passé de notre réalité qui, elle, est continûment physique. Lorsqu’on ressent une démangeaison c’est un effet du cœur, l’image mentale est donc l’effet de l’effet, et l’acte de se gratter est l’effet de l’effet de l’effet. Le monde des causes, le cœur, qui ne nous est pas perceptible en tant que tel, mais dont nous percevons les conséquences, est donc l’objet de l’observation lorsqu’on pratique la voie. Traitant les choses du point de vue de l’illusion le Souverain de la Loi précise : « C’est là notre réalité tant que nous sommes vivants. Une fois morts, le cœur ne peut plus diriger le corps par sa force. Si l’on réfléchit lorsque nous sommes vivants, à la forme que cela revêt, c’est quelque chose que l’on comprend ». Cela signifie que l’on peut, de son vivant, s’éveiller au fait que l’être et son environnement étant non-deux, et étant des effets n’épuisant pas les causes, ils sont permanents. Pour clarifier ce point le Souverain de la Loi poursuit : « En raison de divers actes commis par le passé, ceux qui ne pratiquent pas ont l’esprit tourmenté. Ils ne peuvent rien y faire d’eux-mêmes. Dans ce cas, le corps physique existe encore ». « Ils ne peuvent rien y faire d’eux-mêmes » souligne l’incapacité des êtres qui ne pratiquent pas à maîtriser le flux d’effets caractérisant leur existence. Et la phrase : « Dans ce cas, le corps physique existe encore », elle nous montre la permanence des effets des actes à travers vies et morts instantanées. Le cœur étant permanent, il n’est pas de moment où il ne secrète pas l’environnement, le corps et l’esprit instantanés, qui ne sont qu’un. Par contre, nous, humains, ne pouvons que constater « il y a » ou « il n’y a pas ». Mais croire pouvoir juger de la réalité en se disant « je vois, donc il y a », ou « je ne vois rien, donc il n’y a pas », est le fait d’une vue bien étroite.

Nous disions donc que le cœur gouverne le corps et l’environnement, et qu’ensuite cela se présente sous forme d’image mentale. Qu’en dit Parménide ? « De la manière dont à chaque fois la nécessité tient le mélange des membres, ainsi la pensée se présente aux hommes. Car c’est un même se dont s’avise la nature des membres, pour tous les êtres, car ce qui prédomine est la pensée ». Parménide nous dit que la « nécessité », c’est-à-dire ce qui ne peut manquer de se produire, le karma en d’autres termes, tient le mélange des membres et qu’ainsi la pensée se présente. Pour lui la pensée n’est donc pas un acte, mais un effet. Et il va de soi que l’organisation provisoire nommée kangourou ne secrète pas le même type de pensées que l’organisation provisoire nommée pin des landes. Ce qui maintient l’ordonnance, l’architecture provisoire, nommée corps, c’est la nécessité ou la divinité pour Parménide, et c’est le karma pour l’éveillé. La pensée en naît à chaque instant. L’objet momentané de la pensée est donc le fruit de l’interaction corps/environnement.

Jean-Denis : C’est l’architecture provisoire dans l’environnement qui secrète la pensée.

C’est ce que dit Parménide. La pensée n’est pas une cause mais un effet. Et si Parménide nous semble ne traiter que du mélange des membres, il déclare dans le même poème que l’étant touche à l’étant et que celui-ci n’est pas dépourvu d’achèvement. Ce qui montre à l’évidence la similitude des vues entre l’Eveillé et Parménide. Car c’est de la non-dualité corps/environnement que naît la pensée instantanée en terme d’effet. Nous ne sommes donc jamais décisionnaires, sauf à croire dans l’enseignement de l’éveillé. Encore une fois, passer quatre heures à flipper pour une raison ou pour une autre n’est jamais le fruit d’une décision libre, c’est un constat. On peut bien ne pas aimer ou ne pas vouloir, cela s’impose.

Nancy : Oui ! Personne ne se dit : « Tiens, je vais bien, mais je vais quand même flipper quatre heures, pour voir ».

On aura beau expliquer : « je m’angoisse à cause de cela.., j’ai de bonnes raisons.. », mais l’état s’impose, irrépressible. Dans ce cas, bien que nous ayons toujours le sentiment d’être autonome, nous n’avons pas, en réalité, la possibilité de nous extraire de ce tourment, et, immédiatement, de vivre un état de joie intense. L’interaction momentanée du corps et de l’environnement, qui est le seul présent, engendre toujours l’objet de la pensée. Dans ces conditions, il ferait beau voir que nous puissions considérer la pensée comme une cause !

Revenons-en à Parménide qui déclare : « Un même est à la fois être pensé et être ». Cela ne signifie aucunement que ce qui est pensé, est. Sinon toutes nos élucubrations, nos rêves et nos cauchemars auraient corps. Cela signifie plutôt que nous sommes pensés, et ce, quel que soit l’opinion des philologues à ce sujet. Car si leur manque de probité ne les empêche pas de traduire, il ne les autorise pas, pour autant, à décréter du vrai.

De son côté le Daishonin a écrit : « Seul est appelé merveilleux (Myo) cela d’inconcevable qui est le cœur de notre Une pensée. Inconcevable signifie que ni l’esprit, ni les mots, ne peuvent l’atteindre ». Le Souverain de la Loi disait que le cœur fait que le corps a une démangeaison. Et bien dans notre école le « cœur » est ce dont provient, à chaque instant, le corps, l’environnement et la Une pensée, qui ne font qu’un. Dès lors, effectivement, l’esprit ne peut y atteindre, et les mots encore moins.

Jean-Denis : Le « cœur », c’est « ren » ? ( de renge, la simultanéité de la cause et de l’effet )

Le Daishonin vient de dire que c’est Myo, la merveille. Pour autant, dans un commentaire le Daishonin dira que la cause, ren, correspond à désirer, et ge, l’effet, correspond à voir. Dans ce sens, ce « désirer voir » qui caractérise toute existence, qui est la simultanéité de la cause et de l’effet, montre bien la merveille :Myo. Le Daishonin poursuit : « Pour désigner ce cœur merveilleux, on peu également utiliser le mot de dharma (phénomène). Et on nomme cette doctrine « Fleur de lotus » pour en illustrer le caractère inconcevable, par métaphore et en référence à ce que l’on connaît des choses ». La « Fleur de lotus » nomme la simultanéité de la cause et de l’effet et, de fait, tout phénomène naît de Myo, la merveille, en montrant un « désirer voir » provisoire et momentané. Tout ce qui est vu, pensé, entendu, etc.. est donc toujours l’expression d’un « désirer » du sujet. Et de cette merveille, Myo, que l’on peut considérer comme étant le corps de la Loi, naît à chaque instant l’infinité des phénomènes (ho). L’ensemble Myoho, l’infinité phénoménale (ho) naissant de la merveille (Myo), constitue alors notre moi profond.

Jean-Denis : Quand Nichiren déclare : « Bien que vous soyez le maître de votre cœur, il ne faut pas laisser celui-ci devenir votre maître », le mot « cœur » a le même sens ?

Yes. On en est le maître car c’est nous-mêmes, soit. Mais c’est bien lui le maître, en général, dans tous nos actes quotidiens. C’est le cycle des six voies. Nichiren nous encourage donc à pratiquer la voie et à nous éveiller au plus vite. Grâce à la pratique, nous pouvons en effet constater l’apparition de flux d’images gluantes et récurrentes qui nous caractérisent depuis une infinité. Si nous ne prenons pas ces images argent comptant comme étant « soi-même », on commence alors doucement à devenir un peu le maître de son cœur. Il y a, dans ce cas, une réelle remise en cause du moi usuel, et d’autres choses, qui n’étaient jamais apparues auparavant, peuvent naître. On peut également percevoir que, pour tout ce qui est, le passé est l’avenir, immuablement au sein des trois phases du temps. Mais c’est une ascèse, c’est-à-dire un exercice journalier que de rejeter ce qui nous a toujours constitué.

Michèle : Mais il y a des choses qui reviennent..

A tout le moins ! Tu parles qu’il y a des choses qui reviennent ! Mais justement, c’est parce qu’elles reviennent avec force que l’on peut réaliser qu’elles étaient jusque là absolument comme chez elles, et que nous ne le savions pas. Nous appelions cela « mon caractère », « ma nature », « c’est ce que je pense », « c’est naturel ». Mais le naturel, pour les êtres, ce sont les six premières voies. Quant à ceux qui se sont engagés dans la voie le Souverain de la Loi enseigne que, lors de l’obtention de l’éveil premier, on réalise que toutes les souffrances endurées jusqu’à ce jour étaient des souffrances d’emprunt. Lorsque l’on remet en cause son moi, lors de la pratique, en ne s’identifiant pas à ce qui monte en nous, ces pensées qui nous traversent deviennent alors non-moi. Nous obtenons ainsi un état de vie plus large.

Jean-Denis : Il est vrai que la quasi totalité des pensées que l’on a, ces pensées qui nous font souffrir, sont enracinées soit dans des projections sur le passé, soit dans des rêves ou des projets concernant le futur.

Effectivement. Cela relève dans les deux cas du fantasme. Il en va de même pour le manque. Manquer n’est pas lié au fait d’avoir ou de ne pas avoir. On peut ressentir le manque dans la possession, car on peut craindre d’être dépossédé.

Après Parménide, que nous dit Nietzsche à propos de la pensée ?  « Sentir, vouloir, penser ne témoignent partout que de phénomènes terminaux dont les causes me sont tout à fait inconnues ». Penser, nous dit-il, n’est pas une cause. Et ceci : « La pensée surgit en moi – d’où provient-elle ? à travers quoi ? Je l’ignore. Elle se présente, indépendamment de ma volonté… Qui accomplit tout cela ? Je n’en sais rien et suis certainement plus le spectateur que l’initiateur d’un tel processus ». Il dit encore : « Ce qui a été vécu survit « dans la mémoire » ; qu’il « fasse retour », je n’y peux rien, la volonté n’y intervient pas, pas plus que dans la venue d’aucune pensée… Qui l’appelle ? L’éveille ? ». En d’autres termes, que l’on mette un nom ou un autre sur la Une pensée momentanée, mémoire, réflexion, imagination, logique, c’est pareil : c’est une image qui s’impose et dont nul n’est maître. Cela surgit. La non-dualité instantanée du corps et de l’environnement est la matrice de signes que nous appellerons soit nom, soit forme. D’autre part, la pensée est continûment affectée par des objets visuels, olfactifs, mentaux, etc.. . Au moment ou la conscience est affectée par un objet donné, la conscience est cet objet. Il n’y a pas un « je » conscient, en plus, et pouvant se distinguer de l’objet. La vie consciente est donc une mosaïque d’objets hétéroclites qui s’imposent. Cela est permanent, irrépressible et apparaît en terme d’effet.

Que nous dit Heidegger à ce sujet ? Alors que nous avons jusque là envisagé la pensée comme quelque chose qui s’impose, Heidegger en parle en terme de parole : « La parole est toujours déjà en avance sur nous. Nous ne faisons jamais que parler à sa suite ». Pour lui, donc, la pensée apparaît en tant que entendue. « La parole parle elle-même » nous précise t-il. Alors que nous croyons penser en étant décisionnaire, on entend, en fait, ce que l’on pense être. Nous ne faisons donc que répéter l’entendu intérieur.

Jean-Denis : On pense produire intérieurement des mots et des pensées..

Alors qu’on est abasourdi. On est envahi.

Brigitte : Pratiquer nous permets de le percevoir.

Heidegger dit encore : « Entendre est inséparable de vibrer ». Et l’on peut effectivement appeler « vibrer », ce qui nous assaille continûment et que nous traduisons par les termes « nom et forme ». Presque au bout de sa recherche, Heidegger confesse : « Désigner la pensée comme écoute dépayse ; cela ne satisfait pas non plus à l’intelligibilité ». Certes ! Mais doit-on en réalité accorder de l’importance à l’intelligibilité ? Cela « dépayse » effectivement de traiter la pensée comme une écoute, dans un monde où tous, du plus stupide au plus brillant, se sentent maîtres de leur pensée. Ensuite, Heidegger nous livre ses conclusions : ( Ce mouvement qui révèle en propre par la parole) « n’est jamais comme l’effet produit par une cause, ou la conséquence d’un principe… Il n’y a rien à quoi l’appropriement pourrait encore faire remonter, et d’où, en plus, il pourrait être expliqué…Ce n’est pas le produit d’autre chose, mais la donation même ». Péremptoire, Heidegger affirme que là où sa courte vue s’épuise, il n’y à rien. Incompréhension de la causalité, mépris du corps et de l’environnement, bref, de la mauvaise poésie, mais pas l’éveil ! Revenons–en à Nietzsche qui, honnêtement déclare, bien avant Heidegger : « Le corps humain, dans lequel revit et s’incarne le passé le plus lointain et le plus proche, à travers lequel, au-delà duquel et par-dessus lequel semble couler un immense fleuve inaudible : le corps est une pensée plus surprenante que l’ « âme » de jadis ». Ca, c’est du sérieux !

Jean-Denis : Quand tu dis que la pensée n’est pas un acte, qu’en est-il alors de la doctrine bouddhique relative aux trois types d’actes : de la pensée, de la parole et physique ?

Justement ! Le « b.a.ba » du bouddhisme est d’indiquer que le karma se crée par ces trois types d’actes. Mais ce ne sont pas des causes, ce sont des effets ! Ces trois actes engendrent effectivement divers mauvais karma, mais ce sont des effets. Ils ne deviennent des causes que par métonymie. Mais appeler cause ce qui est un effet ne change rien. Comment voulez-vous que, sans pratiquer la voie, les êtres dépolluent leur esprit pollué ? La caractéristique de l’errance dans les six voies est justement que ce qui est appelé cause n’est qu’un effet. Dans un sutra il est écrit : « Si vous souhaitez connaître les causes du passé, observez les effets du présent ; si vous souhaitez connaître les effets du futur, observez les causes du présent ». Dans cette phrase, le présent est cité deux fois. Une fois en terme d’effet du passé et, dans le même temps, en tant que cause du futur. Mais comment voulez-vous qu’un effet, le présent, soit un acte décisionnaire ? C’est seulement pour nous indiquer que le présent, c’est-à-dire le lieu de la relation corps/environnement, est le seul vrai, et que la pratique physique de la Loi est la seule chose à faire pour changer ce que l’on est. Seule la croyance, qui nous permet de continuer à pratiquer, est donc la merveille de la cause originelle. Nietzsche affirme : « Nous ne connaissons l’essence véritable d’aucune causalité particulière ». C’est clair. Même Chirac cherche à être heureux, mais pensez vous réellement que son comportement l’y mène ?

Rires.

Tout le monde peut donc auto-justifier ses actes, parce qu’il n’avait pas le choix et qu’il a fait le mieux possible. Mais jamais un acte n’est n’apparût, dans les six voies, en tant que cause. Nietzsche hurle : « Il est impossible que les phénomènes puissent être des causes ».

Isabelle : Mais si l’on pense que l’on a fait de bon choix, dans le passé, on ne devrait pas souffrir de ces choix ?

Mais ce que l’on pense n’a aucune importance, mon ange. Tout le monde pense faire le bon choix, et cela n’enlève pas une once de souffrance aux souffrances des êtres. En outre, on peut aussi bien souffrir d’avoir fait de bons choix que d’en avoir fait de mauvais. Car dans les deux cas, de toutes façons, on ne perçoit rien à sa propre vie ni à celle des autres.

En exil à Sado le Daishonin déclare, en substance : « Moi seul, en ce monde, ressent les souffrances individuelles et collectives de tout ce qui est ». Et il doit en aller de même, au fur et à mesure, pour nous. Au moment où l’on pense que l’on souffre de ceci ou de cela, à cause de ceci ou de cela, et que l’on pense ceci ou cela, il faut s’éveiller au fait que l’on se fait encore avoir par « soi-même ». On s’identifie sans hésitation à ce qui naît sous forme de pensée, en nous, alors qu’on verra un « autre » dans la grippe intestinale ou le cancer généralisé que l’on s’est fabriqué. On dira : «  Bonjour, c’est moi, plus la grippe, ou c’est moi plus le cancer », et l’on affirmera souffrir de ce que l’on pense parce que c’est réellement « soi-même ». Ce qui est vain. Que ce soit un rhume, une jambe cassée, un bruit ou une pensée, ce n’est pas la peine de s’y identifier.

Nancy : Oui !

Isabelle : C’est pas facile.

C’est vrai. Mais, pendant la pratique, au moins, nous pouvons stopper cette identification abusive à ces représentations et laisser apparaître l’effet de l’éveil. Peuvent alors naîtrent de grandes joies physiques et des pensées colorées par l’éveil. Une fois soulevées ces récurrences nauséabondes qui vous façonnent depuis une infinité, d’autres choses, plus lumineuses, naissent en vous naturellement. Et ces choses vous appartiennent également depuis l’infinité. Vous êtes alors davantage « vous-mêmes » qu’avant.

Qu’en est-il, dans notre école, de la pensée ? Dans la « Transmission orale sur l’éveil des végétaux » le Daishonin écrit : « La révélation principielle de l’originel régit les êtres sensitifs tout en étant la mort ». Les êtres sensitifs auxquels le Daishonin fait allusion, c’est nous. Et le Souverain de la Loi commente ainsi : « Cela signifie que toutes sortes d’éléments apparaissent à partir du principe latent, qui est au niveau de la mort du monde des phénomènes. Leur manière d’être, par contre, régit l’esprit, les êtres sensitifs qui vivent concrètement. Autrement dit, le principe du corps de la Loi et du corps de rétribution régissent l’être sensitif, revêtant la forme de la causalité, apparu en tant que corps de communication ». Cela signifie qu’à chaque instant une foule d’éléments surgissent du principe latent, qui représente le non-existant ou la vacuité, et que dans leur surgissement ces éléments régissent l’esprit des êtres animés. Appelons ces éléments des propensions, des idées, des états ne d’autres termes. Quant à la seconde phrase elle précise que tout ce qui est possède l’aspect du corps de communication, c’est-à-dire que tout exprime un état. Mais que c’est le rapport de la sagesse relative de chacun vis-à-vis du corps de la Loi qui détermine le corps de communication, le corps physique, alors même que celui-ci nous apparaîtra comme « revêtant la forme de la causalité ».

En d’autres termes, de ce corps de la Loi qui s’étend à tout jaillissent continûment des éléments. Certains, vous les qualifierez de « nature », d’autres de « cité », d’autres de « mon corps », d’autres encore de « ce que je pense ». Mais à chaque instant ces éléments naissent et meurent. Et ils constituent la réalité individuelle de chacun, alors même que l’on pourra à tort considérer les individus et leurs pensées comme résultant d’une causalité linéaire. En réalité, le travail de la pensée de chacun n’est pas une cause, mais un effet, et cet effet, considéré ensuite comme une cause, engendre son effet futur. Pour cette raison, il n’est pas d’origine au cycle des six premières voies. Comprenez que nous ne sommes pas une entité vivante, qui serait née à un certain moment pour mourir à tel autre, nous jaillissons à chaque instant du non-phénoménal, c’est-à-dire de la vacuité ou de la « mort du monde des phénomènes ». Il va de soi, en outre, que ces jaillissements instantanés qui retournent dans le même instant dans le corps de la Loi sont absolument irrépressibles, absolus, sans origine.

Jean-Denis : C’est la voie du milieu. C’est-à-dire la fusion de la conditionnalité, de la vacuité et de la voie médiane.

C’est cela même. L’apparition d’un phénomène conditionné, jaillissant de la vacuité, est la médianité de la présence, cette dernière étant absolue. Tous les phénomènes, fusion des dix mondes dans les dix mondes, expriment donc, pour l’éveillé, la voie du milieu. En outre, il convient de considérer la vacuité, d’où naît et où retourne à chaque instant l’infinité phénoménale, comme étant non pas un vide mais un plein, riche de toutes les possibilités dans les dix mondes. J’ai appris, il y a quelques temps, que des scientifiques avaient tenté de produire un vide « absolu ». Ils avaient réussi à éjecter l’oxygène d’un cylindre, à le mettre à la température convenable sous zéro afin que le piston, pressé, n’engendre pas de photons. Ils allaient enfin pouvoir, pensaient-ils, créer un vide « absolu ». Or, que s’est-il passé ? Ils réalisèrent qu’il y avait une zone absolument incompressible, où jaillissaient pour disparaître immédiatement une foule de « particules » impondérables. Il n’est donc pas de vide. Cela ne permet pas l’obtention immédiate de l’éveil, mais on peut au moins comprendre un peu mieux. Nous naissons à chaque instant de ce qui n’est pas, c’est-à-dire de la vacuité, et c’est un plein. Quand le vénéré Shakya affirme qu’un phénomène naît et meurt soixante quatre fois dans l’espace d’un claquement de doigts, c’est exactement cela.

Le Souverain de la Loi enseigne : « Le corps de la Loi est permanent, immuable, il s’agit du corps de la vérité universelle inconcevable. Le corps de vérité, lui-même, apparaît sous la forme des causes, conditions, effets et rétributions de toutes les choses et phénomènes. La substance inconcevable du principe, dix mondes-trois mille domaines, du principal et de son support, qui donne naissance à toutes ces choses et où elles retournent, est le corps du Bouddha nommé corps de la Loi ». Cela signifie que, bien que nous soyons certains que ce que nous sommes provient d’une causalité linaire, que nous sommes nés de parents il y a tant de temps, que nous avons vécu telles et telles choses jusqu’à ce jour, il n’en est rien. Nous apparaissons « sous la forme des causes, conditions, effets et rétributions », mais, en réalité, permanents et immuables, nous jaillissons et retournons dans le corps de la Loi à chaque instant. C’est la loi merveilleuse, inconcevable, de la simultanéité de la cause et de l’effet, Myohorengekyo.

Le Souverain de la Loi déclare encore : « La loi de causalité implique que la cause et l’effet sont tels quels simultanés ». Cela nous concerne directement car telle est notre réalité immuable. De causes et conditions que nous ne percevons pas réellement jaillissent continûment, simultanément, des effets : le corps, l’environnement et la Une pensée. Il poursuit : « Et, en même temps, que la cause devient effet et que, de plus, l’effet devient la cause d’où va apparaître l’effet ». Là est évoquée la causalité linéaire que nous, humains, sur la base de l’observation, sommes contraints de considérer comme vraie. Mais il s’agit d’une illusion. L’autre interprétation possible de cette phrase met en lumière l’importance de la présence momentanée. Elle est le lieu unique de l’obtention immédiat de l’éveil par la pratique physique de Myohorengekyo. Il précise encore : « L’aspect de cette vie possédant telle quelle la causalité, elle montre les différentes formes que revêtent les causes et les effets. L’aspect de la vie, lui-même, prend la forme de la causalité ». «  L’aspect de cette vie » désigne pour nous le fait humain, enlisé dans le temps et l’espace, au sein des souffrances de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort. « L’aspect de la vie, lui-même », qui nomme notre réalité, désigne la loi merveilleuse de la simultanéité de la cause et de l’effet qui, pour nous humains non éveillés, « prend la forme de la causalité » linéaire. Tous les phénomènes sont donc la merveille de la simultanéité de la cause et de l’effet, tous les phénomènes, ho, naissent de la merveille :Myo. Et tout, humainement parlant, sera pourtant perçu comme englué dans les rets de la causalité linéaire. Mais il n’en est rien, et aucune logique s’appuyant sur ce type de « causalité » n’est fondée à traiter de l’aspect réel des phénomènes.

Jean-Denis : Ah oui ! C’est une reconstruction bancale.

C’est parfaitement inefficace.

Michèle : C’est la « raison ».

La raison, la raison, c’est pas grand chose. Le « ratio » est une relation établie entre deux ou plusieurs choses par l’humain. Mais le caméléon qui choppe sa proie n’a pas à mesurer la distance qui le sépare de son objectif, ni à se demander quelle longueur de langue il doit déployer pour ne pas la manquer, ni à mesurer la vitesse du vent. Son acte est sa raison, sa langue est sa raison. L’humain ne fait pas mieux. Dire que « l’homme est un animal rationnel » ne veut rien dire, ce n’est qu’une prétention infondée à « l’objectivité ».

Sylvaine : Oui, mais l’animal répète toujours les mêmes gestes alors que nous, humains, on peut en changer…

C’est des conneries de myope.

Isabelle : Nous aussi on répète toujours les mêmes gestes. Observe attentivement ta mère, par exemple, tu vas voir..

Sylvaine : Nous on découvre toujours de nouvelles choses..

Le progrès est une vue de l’esprit.

Brigitte : Regarde Parménide, on arrive vraiment pas à être plus fins que lui.

Le Daishonin enseigne : « Les cinq caractères de Myoho Renge Kyo ne sont pas les phrases du sutra, ils n’en sont pas non plus le sens, ils en sont uniquement le cœur ». Le sens, c’est ce que l’humain utilise afin de se situer par rapport à ce qui est, et c’est également, à travers le langage, ce qui lui permet d’échanger de l’information avec ses congénères. Le sens permet ainsi à l’humain de croire qu’il peut échanger un ressenti, par les mots, avec quelqu’un d’autre, ce qui est parfaitement vain. Dans l’enseignement du Bouddha Originel, si Myoho Renge Kyo possède un sens immensément profond c’est parce que c’est, en tant que corps phonétique, le cœur du Bouddha, c’est-à-dire son état. Pour cette raison, dans notre école, « Le nom touche immanquablement à la substance ». Et il s’agit du seul cas où le nom est l’état, permettant ainsi à celui qui le prononce de partager l’état le plus élevé, immédiatement, en terme d’effet. Dans tous les autres cas le nom n’a aucun lien avec la substance désignée. Par exemple, même le concept de simultanéité de la cause et de l’effet, qui est ce à quoi le Bouddha s’est éveillé, n’autorise pas le premier venu à partager l’état d’éveil du Bouddha. Et quand bien même prendrions-nous un nom propre, Léonard de Vinci par exemple, l’ensemble vocal permet bien d’identifier une substance parmi des millions d’autres, mais cela ne permet en aucun cas de partager sa réalité unique. Là aussi, donc, le nom ne peut aboutir.

Jean-Denis : Oui, cela permet de la cerner, mais pas d’y aboutir.

Répéter « Léonard de Vinci », « « Léonard de Vinci », ne peut aboutir à rien, en effet. La raison en est que «  Léonard de Vinci » n’est pas un état alors que Myoho Renge Kyo est à la fois la cause et l’effet simultanés de l’éveil. Pour cette raison le Daishonin enseigne : «  Il n’est pas de production dans le principe de réciter à haute voix Myoho Renge Kyo… L’originel est la Loi merveilleuse du passé infini. Si l’on récite Nam Myoho Renge Kyo avec une foi forte, sans aucune autre pensée, alors le corps de l’être ordinaire est le corps du Bouddha ». Autrement dit, le fait de garder et de ne pas rejeter est l’apparition du corps du Bouddha. Nietzsche disait : « La pensée n’est pas pour nous un moyen de « connaître » mais de nommer ». Et Heidegger a écrit : « Dire, signifie : montrer, laisser apparaître, donner à voir et à entendre ». Et encore : « En nommant, nous mandons à advenir l’étant présent ». Transposé dans l’enseignement du Bouddha nous pouvons alors mieux comprendre le Daishonin qui écrit, à propos des vers Jiga du Lotus : « Les stances Jiga représentent le corps qui, de lui-même, reçoit et emploie. Ouvrir son corps comme étant le mode des phénomènes, le monde des phénomènes étant le corps qui, de lui-même reçoit et emploie, il ne peut se faire qu’il ne soit dans les stances Jiga ». « Représenter » a pour sens de mettre devant les yeux, de rendre sensible, de rendre présent. Autrement dit, réciter les vers Jiga est mettre devant nos propres yeux le corps du Bouddha, le corps de la Loi. Par là même, à notre insu, pratiquant matin et soir, nous faisons apparaître le Bouddha dans ce monde malgré nos troubles et notre compréhension parfois bien minimale de la doctrine. Ainsi, tout ce qui nous a été propre jusqu’à ce jour est entraîné, toute cette infinité est orientée vers le corps du Bouddha.

Jean-Denis : C’est le sens de shakubuku (conversion sans ménagements).

Oui. Le Souverain de la Loi a déclaré : « Accepter cette Loi, c’est la propager ». Même si cela nous paraît parfois difficile à croire et à comprendre, nous continuons à pratiquer car, en réalité, nous ne pouvons nous résoudre à abandonner l’infinité des êtres.

 

Je vous remercie de votre attention.